Archives de catégorie : Anglicismes

Oublie ça!

« Oublie ça! », entend-on souvent au Canada français. Cette réplique familière est tellement courante qu’on oublie qu’elle s’inspire de l’anglais Forget it!

Elle s’emploie lorsqu’on exprime un souhait irréalisable parce qu’une autre personne ne voudra jamais suivre nos conseils.

En bon français, il faudrait plutôt recourir à l’une des locutions suivantes :

Laisse tomber!

N’y compte pas!

Peu importe. C’est perdu d’avance.

Il ou elle ne voudra jamais.

Tu prends tes désirs pour des réalités.

En anglais, forget it est une réponse commune lorsqu’on remercie une personne qui nous a rendu service. Au lieu de dire platement Oublie ça, on pourrait essayer de s’exprimer en français correct :

Je vous en prie.

Ne vous en faites pas.

Cela n’a aucune importance.

Cela me fait plaisir.

Et surtout éviter le très américain Pas de problème.

Cold case

Certains considèrent le meurtre du président John Kennedy en 1963 comme un cold case, tandis que d’autres se rangent du côté du juge Warren. Lee Harvey Oswald est le seul coupable, point à la ligne. Entre les deux, tout un vivier de conjectures qui incriminent la mafia, Cuba, les Soviétiques, etc. J’oubliais les extraterrestres.

Les amateurs de romans policiers, dont je suis, tombent parfois sur l’expression cold case. Un franc-tireur de la police, généralement marginal, alcoolique et coureur de jupons, décide de déterrer une vieille affaire pour tenter de la résoudre. Il y parvient toujours.

Cold case constitue le crime parfait : impossible de traduire le terme littéralement. Les affaires froides? On parlera plutôt des affaires non résolues, affaires non élucidées, des dossiers en suspens, non encore fermés, des dossiers non classés.

Mais pourquoi pas les affaires classées sans suite?

Certains proposeront des traductions comme vieilles affaires, anciennes affaires, etc. Mais toutes pèchent par imprécision.

L’attrait irrésistible de l’anglais en Europe ne se dément pas. L’expression cold case est régulièrement employée, que ce soit dans les bouquins ou dans les séries policières. Un simple délit là-bas, un vrai crime au Canada.

Food truck

Les anglicismes envahissent tellement la langue française qu’il y a de quoi faire une indigestion, surtout quand il serait possible de traduire l’expression dans notre langue et que, par surcroit, elle ne renvoie pas uniquement à une réalité anglo-saxonne.

C’est le cas de food truck. Vous savez, ces espèces de bazars ambulants qui vendent le plus souvent des mets rapides, cuits sur le gril. Par exemple des hot-dogs et autres shawarmas.

Le terme n’est pas si difficile à traduire.

L’Office québécois de la langue française propose : camion de restauration, camion de cuisine de rue.

Camion de cuisine, camion-cuisine, camion-restaurant, etc. Certains risqueront camion de bouffe… Et pourquoi pas? Les cyniques ajouteront camion de malbouffe…

On peut voir aussi camion alimentaire, camion à nourriture.

Et pourquoi pas le bon vieux mot cantine? Certains objecteront qu’une cantine est une sorte de restaurant collectif… Vrai, mais n’est-ce pas ce qu’est, au fond, un food truck? On pourrait peut-être dire une cantine roulante.

Bref, vous voilà saturés, bande d’insatiables. Quand on y panse (!), il est facile de traduire cet anglicisme.

Graduation

Êtes-vous gradué? Si oui, c’est que vous ressemblez à un thermomètre!

En cette fin d’année scolaire, on assiste à une ribambelle de bals de graduation qui marquent la fin des études secondaires. Il s’agit en fait d’un bal de fin d’études.

Grade

La confusion vient du fait que le mot français grade a inspiré l’anglais. Dans notre langue, un grade est un titre ou un diplôme universitaire. Le fait d’en posséder un signifie que vous êtes diplômé. Vous avez obtenu votre diplôme, vous êtes titulaire d’un diplôme. Chose certaine, vous n’êtes PAS un gradué pour autant, pas plus qu’un gradé, d’ailleurs, terme qui appartient au vocabulaire militaire.

Graduation

Le terme graduation est un emprunt à l’anglais.  Il renvoie à une cérémonie de remise des diplômes, qu’on appelle en français la collation des grades, du moins dans les universités. Pour le collège ou l’école secondaire on parlera de remise des diplômes ou encore de cérémonie de fin d’études.

Vous désirez monter en grade? Arrêtez de parler de vos études comme un anglophone. C’est le français qui en prend pour son grade!

Top guns

Le ministre québécois de la Santé parle de recruter les top guns dans son réseau. Autre preuve que l’anglicisation a encore de beaux jours au Québec. Une notion simple que l’on se sent obligé d’exprimer en anglais, parce que… quoi, au juste? Le terme est plus évocateur, plus solide dans la langue de Joe Biden?

L’idée du ministre Dubé, c’est d’embaucher des praticiens de haut niveau, de rang supérieur, des gens très compétents. Bref des médecins et infirmières de haut vol. Certains diraient des gros canons, des grosses pointures. En fait, la crème de la crème, les meilleurs, quoi. Des praticiens d’élite.

Top

En Europe on parlerait peut-être de médecins de top niveau. Certes, on pourrait tout simplement dire de haut niveau, mais ce serait trop simple… Car, le mot top s’est glissé en français depuis plusieurs décennies et son éradication parait impossible, parce qu’il est court et facile à prononcer pour des gens qui ne connaissent rien à l’anglais.

Mais cet anglicisme est quand même à déconseiller, nous dit l’Office québécois de la langue française :  

L’emprunt à l’anglais top est déconseillé en français, qu’il soit employé comme nom ou comme adjectif. Top signifie « haut, sommet », et est parfois employé, par extension, avec une valeur superlative.

Le top, c’est le plus haut niveau, ce qu’il y a de mieux. Le mot en question apparait dans quelques expressions figées, qu’il est heureusement facile de traduire.

  • Top model, ou top-modèle : mannequin vedette.
  • Top niveau : de niveau supérieur, de haut niveau.
  • Top secret : ultrasecret.

Encore faut-il faire l’effort de le traduire.

***

Vous trouvez le français compliqué? Très compliqué? Inutilement compliqué? Vous lirez avec intérêt mon ouvrage Plaidoyer pour une réforme du français. L’auteur y explique comment on pourrait moderniser l’orthographe et la grammaire de notre langue sans la dénaturer complètement.

On peut le commander sur le site LesLibraires.ca ou encore aux éditions Crescendo.

Paquebot

Tout indique que le sous-marin de la compagnie OceanGate s’est abîmé en mer. Ses passagers voulaient observer de près la carcasse du Titanic. Il semble bien que le célèbre paquebot ait fait de nouvelles victimes, 111 ans après son naufrage. Les deux tragédies mettent en lumière l’insouciance de l’espèce humaine.

Le mot paquebot vient de l’anglais packet-boat, un navire qui servait à transporter des paquets et des passagers. De nos jours, le paquebot transporte d’abord et avant tout des passagers. Quant à l’original anglais, il est disparu du paysage, remplacé par ocean liner.

Paquebot est un anglicisme qui s’est fondu dans le paysage au point d’en devenir indétectable. Il rejoint un autre emprunt de l’anglais, redingote, ce manteau ajusté à la taille, issu de l’anglais riding coat.

Non-stop

Il est des anglicismes dont on pourrait facilement se débarrasser, mais qui persistent en français pour des raisons inconnues. C’est le cas de non-stop.

L’anglicisme existe depuis belle lurette, alors qu’il est si simple de le remplacer. Il ne comble aucune lacune dans notre langue. Par exemple, si vous travaillez non-stop dans votre cabinet juridique, vous travaillez sans interruption, sans vous arrêter, sans discontinuer.

À l’origine, l’anglicisme était employé pour parler d’un vol sans escale. Par la suite, il a envahi d’autres champs sémantiques. Le Robert nous dit : « Qui se déroule de façon ininterrompue. »

Dans tout cela, il ne faut pas oublier que le mot stop (voir mon article) est entré depuis longtemps dans le vocabulaire de notre langue, ce qui explique probablement la tolérance envers non-stop.

Fantômer

Mon billet sur ghoster a suscité de nombreux commentaires intéressants sur les manières créatives de rendre ce mot en français. Plusieurs m’ont signalé la traduction fantômer, qui a engendré un autre néologisme, fantomisation (sans accent nous dit l’OQLF).

Intéressant, mais on suit la démarche de l’anglais pas à pas. L’anglais utilise une image, on la reprend en français. Et je ne vous parle même pas de spectrification que certains ont proposé. Comme je le signalais dans le premier billet, il vaut parfois mieux recourir à cet outil trop souvent décrié, la périphrase.

Une périphrase amusante est rupture à l’anglaise, inspiré de filer à l’anglaise. D’autres, plus prosaïques suggèrent couper les ponts. Dans ce cas, on peut dire qu’Élisabeth a bloqué Robert, elle l’ignore, elle l’a rayé de la carte.

Une ancienne collègue du Bureau de la traduction, Annie Baillargeon, a fait le commentaire suivant :

Je trouve souvent plus limpide en français d’inverser le sujet et l’objet ou de changer l’angle d’approche pour rendre l’idée : Du jour au lendemain, Elisabeth a cessé de donner des nouvelles, a coupé les ponts, a disparu. Ou alors : silence radio, plus rien, etc. Élisabeth m’a effacée de sa vie.

Ne m’effacez pas de vos vies.

Ghoster

Ghoster est un cas intéressant d’anglicisme difficile à traduire en un seul mot. Bien entendu, on pourrait dire occulter une autre personne, la faire disparaitre de notre vie… Ce sont là des périphrases qui ont quand même l’avantage d’être relativement claires. Mais voilà, leur sonorité n’est pas aussi magique que ghoster, d’autant plus que l’anglicisme tient en un seul mot. En outre, occulter et faire disparaitre ont un sens plus général, tandis que l’anglicisme est plus spécifique.

Élysabeth a ghosté Robert.

Élysabeth a occulté Robert.

Dans le deuxième cas, on n’est pas tout à fait sûr de comprendre. Essayons autre chose.

Élysabeth a fait disparaitre Robert.

Là, ça devient inquiétant… Il faut se montrer plus précis.

Élysabeth a fait disparaitre Robert de ses amis Face de Bouc.

Cette ambigüité explique que ghoster se soit frayé un chemin dans la langue des jeunes, aussi bien au Québec, qu’en France ou ailleurs dans la francophonie. On imagine mal la jeune génération élevée dans les médias sociaux dire qu’elle a occulté quelqu’un.

C’est souvent un piège d’essayer de trouver à tout prix un mot unique pour traduire un mot anglais. Les périphrases sont souvent la meilleure solution, car elles explicitent le sens réel d’un mot au lieu de proposer une solution bancale.

Conjugaison fantasmagorique…

Le Robert en ligne nous permet de voir comment les verbes se conjuguent… ce qui inclut ceux venant de l’anglais. Appliquer l’imparfait du subjonctif et le passé simple à un anglicisme peut devenir fort amusant…

Il a fallu que nous ghostassions Robert.

Ils ghostèrent Robert.

De quoi faire des cauchemars.

A priori

Les mots d’origine latine abondent en français. Il peut s’agir de locutions adverbiales tout comme de substantifs entrés dans l’usage.

A priori

Une locution latine qui signifie « D’après ce qui est avant. » Bref, ce qui ne se réfère pas à l’expérience ou aux faits. L’expression contraire est a posteriori.

En français, a priori est devenu un substantif synonyme de préjugé. A priori peut aussi s’employer comme une locution : « A priori, cela semble une bonne idée. »

On remarquera l’absence d’accent grave sur le A initial. Les rectifications de 1990 proposent (animisme, je sais) d’écrire l’expression en un seul mot : apriori ou encore avec l’accent grave : à priori.

Post mortem

L’anglais a aussi emprunté à la langue latine et ses emprunts peuvent être différents de ceux du français. Mais les deux langues en partagent aussi un certain nombre et là encore l’usage nous tend le piège insidieux des faux amis.

 Post mortem est une locution adverbiale utilisée en français. Elle signifie « après la mort ». Faire un examen post mortem, c’est-à-dire une autopsie.

L’anglais emploie l’expression comme substantif au sens de bilan, rétrospective, analyse. On commet donc un anglicisme en disant : « Le Canadien de Montréal fait le post mortem de sa saison décevante. » Il serait plus français de dire que l’équipe s’est penchée sur sa dernière saison, qu’elle en a fait le bilan, ou encore l’examen.

Italique ou pas?

Les locutions qui ont été francisées s’écrivent en caractères latins.

Envoyer son curriculum vitae à l’université. Un diplomate chinois ayant fait de l’intimidation est persona non grata au Canada. Laila recourt à la fécondation in vitro.

Les locutions latines que l’on trouve dans des ouvrages savants s’écrivent généralement en italique. Quelques exemples : ad libitum, opus citatum (op. cit.), ibidem, in fine, etc.