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Histoire

Il ne faut pas en faire toute une histoire, mais, dans certaines circonstances, le mot histoire peut s’écrire avec la majuscule initiale.

Mais, force est de reconnaitre que dans la majorité des textes, il se contente de la minuscule.

Ne pas faire d’histoire

Le mot histoire s’entend de la « connaissance du passé des sociétés humaines », selon le Larousse. La Vitrine linguistique de l’Office québécois de la langue française signale que le terme s’écrit le plus souvent avec la minuscule.

Toutefois, il prend parfois la majuscule lorsqu’il est employé absolument.

Quelques exemples :

  • Les grands personnages de l’Histoire.
  • L’Histoire jugera. (On voit aussi : L’histoire jugera.)

L’Histoire avec un grand H

Comment ne pas penser à l’historien québécois Laurent Turcot dont les chroniques L’Histoire nous le dira connaissent un grand succès sur YouTube. Lui aussi emploie la majuscule.

Bien entendu, il n’est pas question de faire des histoires avec l’insertion de la majuscule ou pas. Écrire un mot avec la majuscule initiale est un procédé stylistique normal en français, un procédé dont on ne doit pas abuser, cependant.

On écrira Histoire lorsqu’on veut mettre ce mot en évidence, mais il n’est pas obligatoire de le faire. Rappelons-nous que le français est avare de majuscules, comme je le signalais dans ce billet.

Historique

La notion d’histoire fait l’objet d’une hyperbole envahissante dans la presse, qui qualifie un peu tout et n’importe quoi d’historique. Voir mon billet à ce sujet. Seul un évènement majeur devrait être qualifié d’historique. Le reste, c’est des histoires de bonne femme.

Dérivés

Avant l’histoire, il y eut la préhistoire. On peut la définir comme la période précédant l’invention de l’écriture et « de la première métallurgie », comme l’explique le Robert. On parle ici de la période entre le troisième et le premier millénaire avant Jésus Christ.

En langage didactique, il est question de la protohistoire. Ça fait chic, disons.

Insight

L’anglais moderne est friand de mots passe-partout qui nous jettent dans toutes les directions, nous déboussolent. Insight est l’un d’entre eux.

Dans le cas ci-dessous, il est facile de traduire insight.

Well, the argument in « The Blank Slate » was that elite art and criticism in the 20th century, although not the arts in general, have disdained beauty, pleasure, clarity, insight and style.

Le traducteur l’a rendu par « perspicacité ». Mais ce n’est pas toujours aussi simple, car insight est employé dans un grand nombre de contextes qui font appel à nos ressources et à notre imagination. Voici quelques exemples :

Aperçu, idée, connaissance, renseignements, vision.

Introspection, lucidité.

Imaginons maintenant un court texte dans lequel chaque mot en gras représente une traduction possible de notre anglicisme.

Un analyste doté d’une grande clairvoyance. Ses idées nous éclairent. Sa vision de la réalité nous rend plus lucides. Elle stimule notre réflexion.

Dans un sens plus hyperbolique :

Ses écrits sont une source d’inspiration. Ils nous illuminent et jettent une lumière nouvelle sur cette situation (évitons l’envahissant enjeu, par pitié).

Donc, un insight nous éclaire, il nous porte vers de nouveaux horizons; certains diront qu’il est en soi une forme d’illumination. Il nous fait prendre conscience d’un phénomène.

Les mot passe-partout

Le danger qui nous guette, lorsque confrontés à un mot passe-partout, c’est de se cramponner à une traduction possible. Ce que j’appellerais de la « translation mécanique », comme celle que l’on voit trop souvent dans les médias. On adopte un terme, erroné, et on n’en démord pas. L’envahissant « enjeu » en est un bel exemple. Voir mon billet à ce sujet. On pourrait aussi parler de « déportation » : c’est le même mot en français, donc c’est correct.

Pour éviter de faire de la translation mécanique, il faut donc adapter notre traduction au contexte et faire preuve de créativité.

Banc de neige

Le Québec et la contrée canadienne essuient des tempêtes de neige qui, en Europe francophone, passeraient pour de véritables cataclysmes. Les chutes de neige atteignent des hauteurs vertigineuses de plusieurs dizaines de centimètres.

Ce déluge tout aussi neigeux qu’apocalyptique forme des amas que l’on appelle congère dans la francophonie. Dans nos contrées glacées et ensevelies nous parlons de bancs de neige.

Cette expression est très répandue et des auteurs connus l’utilisent. Or, j’ai découvert récemment que les anglophones disent snowbank, ce qui a semé le doute dans mon esprit : notre banc de neige national ne serait-il rien d’autre qu’un affreux calque de l’anglais? Contrairement au Titanic, est-ce que votre humble serviteur et les lexicographes québécois seraient passés à côté de l’iceberg sans le savoir?

Le cerveau en rafales, j’ai consulté quelques sources qui ont apaisé la tempête hivernale qui se levait en moi. Dixit l’Office québécois de la langue française :

Cet emploi a parfois été critiqué comme calque de l’anglais snowbank; il semble que cette dénomination soit plutôt venue de régions de France d’où sont originaires les colons qui se sont établis en Nouvelle-France. – L’emploi de banc de neige est également en usage en Belgique.

Je ne savais pas que les bancs de neige existaient en Belgique… Toujours est-il que divers ouvrages ne signalent pas ce terme comme un anglicisme.

Il y en a suffisamment comme cela au Québec.

Fin

Une personne subtile peut être qualifiée de fine. On dira parfois une fine mouche. Un fin connaisseur apprécie les vins fins.

Pas besoin d’être un fin finaud pour comprendre ces phrases.

Mais voilà qu’une Québécoise vous dit que son père est vraiment fin : il lui a payé une voiture sport à la fin de ses études. Tout Européen, Africain ou Asiatique se demandera où est la finesse dans tout cela.

De ce côté-ci de l’Atlantique, le mot fin a aussi le sens de gentil, sympathique, attentionné. Il s’agit donc d’un québécisme, qui n’est nullement à condamner, mais qui risque de ne pas être compris dans le reste de la francophonie.

Nouveau témoignage de l’évolution du français en Amérique, un monde sans fin.

Trêve de finasserie, je vous renvoie à vos autres lectures.

En termes de

En termes de stratégie, Kamala Harris aurait pu faire mieux.

Voilà, résumée grossièrement, l’analyse que de nombreux chroniqueurs font de la campagne de la candidate démocrate.

Un certain nombre de lecteurs auront tiqué en lisant le début de ma phrase. L’affreux « en termes de », ce calque ignoble de l’anglais. D’autres opineront du bonnet : aucun problème avec cette expression.

Une cheville répandue

« En termes de » est une cheville fort commode que l’on peut assez facilement remplacer : sur le plan de; en ce qui a trait à; pour ce qui concerne; relativement à.

Il faut toutefois être conscient qu’elle est fortement critiquée.

 La locution incriminée a exactement le même sens que l’anglais in terms of. Pour certains langagiers, elle est condamnable. Il faut dire que les dictionnaires généraux n’en font pas mention, bien que « en termes de » se voie dans la presse française.

Notons toutefois que l’Académie française considère l’expression comme un anglicisme. Le Figaro va dans le même sens, en citant l’Académie :

Non seulement la formule est incorrecte car elle est un produit directement importé de nos voisins anglais, donc un anglicisme, mais elle est abusive car elle ne peut en aucune façon remplacer son hypothétique équivalent « en matière de ».

La Vitrine de la langue française apporte une petite nuance :

La locution est aussi souvent utilisée par des auteurs reconnus et est assez courante dans la presse, et ce, non seulement au Québec, mais dans toute la francophonie. On ne saurait donc le déconseiller, du moins dans la langue courante.

Comme c’est souvent le cas, l’usage finira par trancher.

En termes de, utilisation correcte

La locution « en termes de » existait bien avant sa transformation sous l’influence de l’anglais. Elle signifie « dans le vocabulaire de, dans le langage de ». Par exemple, en termes de sport, set signifie « manche » dans une partie de tennis.

Le croiriez-vous, même l’auguste Balzac l’utilisait dans Un début dans la vie: « On appelle, en termes d’atelier, croquer une tête, en prendre une esquisse, dit Mistigris d’un air insinuant. »

Soit dit en passant, on peut aussi faire l’élision : en peinture, le mot italien sfumato est employé pour décrire la technique pratiquée par Léonard de Vinci.

Terme tout court

Le mot terme revêt plusieurs significations, particulièrement celle d’un mot dans sa valeur de désignation, comme dans l’exemple du mot set en langage de tennis.

Un terme peut également être une échéance, la date présumée de la fin d’une grossesse, un point où se termine un déplacement : arriver au terme du voyage.

Attention toutefois à la notion de mandat, en politique. Un gouvernement est généralement élu pour un MANDAT de quatre ans, et non pas pour un terme de quatre ans. Le mandat de ce gouvernement vient à terme après quatre ans.

Véto

Veto est un mot latin qui signifie « Je m’oppose ». Il est invariable. Les réformes orthographiques de 1990 nous permettent de l’écrire avec l’accent aigu : véto. On peut aussi l’écrire avec un pluriel français : des vétos.

Le véto est le pouvoir qu’un individu ou une organisation a de s’opposer à l’entrée en vigueur d’une décision. Les personnes en position d’autorité ont un droit de véto. Par exemple, le président des États-Unis peut utiliser son droit de véto pour invalider une loi adoptée par le Congrès.

Cooccurrences

Quatre verbes sont associés au mot véto.

  • Donner son véto.
  • Mettre son véto.
  • Opposer son véto.
  • Frapper de son véto.

Cette dernière expression nous est moins familière, mais Hugo et Proust l’ont employée.

Erreurs

L’Académie nous signale qu’apposer son véto est une faute. En effet, le verbe apposer signifie « poser sur quelque chose ».

On serait tenté de dire : imposer son véto. Selon moi, il y a redondance, car une personne opposant son véto se trouve à imposer sa décision. C’est sans doute pourquoi les ouvrages de langue ne le proposent pas comme cooccurrence.

Pantoute

L’un des signes évidents d’intégration au Québec est l’utilisation de l’expression pantoute. En clair, elle signifie pas du tout, dont elle est vraisemblablement la contraction. On peut aussi la remplacer par aucunement, absolument pas.

Mais pourquoi donc la remplacer? Pantoute, c’est pittoresque, ne trouvez-vous pas?

D’ailleurs, le Robert et le Larousse la recensent, alors pourquoi se priver?

Le Robert indique qu’il s’agit d’un niveau de langue familier et que pantoute renforce une autre négation (pas et rien). Exemple : C’est pas vrai pantoute.

Le Larousse donne un autre exemple dans ce sens : « Ça marche pas pantoute. »

La beauté de la chose, c’est que pantoute peu s’employer de manière absolue.

« Es-tu allé au musée en fin de semaine? – Pantoute. »

C’est clair, net et précis. Objection, quelqu’un? Pantoute? Merci.  

Bête

C’est bête, on n’y pense pas, mais le mot « bête » peut avoir un sens assez différent, selon que vous habitez l’Amérique du Nord ou bien l’Europe francophone.

Une bête, c’est tout être qui n’est pas humain. Une bête féroce, le tigre. Le chat s’est fait écraser par un camion, pauvre bête… (le chat, évidemment, pas de pitié pour le VUS à trois rangées de sièges).

Des expressions colorées

Le mot vedette de cette chronique abêtissante a généré un tas d’expressions savoureuses :

  • Chercher la petite bête. C’est-à-dire être extrêmement méticuleux dans la recherche des erreurs, dans la critique.
  • Navalny était la bête noire de Poutine.
  • Depardieu est une bête de scène (une bête tout court, dirons certaines).

Une personne dominée par ses instincts : pensons à La bête humaine de Zola.

Votre ami est bête, parce qu’il est distrait. Il oublie sans cesse ses clefs de maison, il égare son téléphone.

Mais, le plus souvent, le mot de quatre lettres, comme diraient les anglophones, se réfère à une personne inintelligente. D’où les expressions suivantes :

 « Il est bête comme ses pieds. Il ne comprend rien à rien. »

« Elle n’est pas aussi bête qu’il n’y parait. En fait, elle est astucieuse, elle joue l’innocente. »

« La moitié des électeurs sont bêtes à pleurer. » Je vous laisse deviner où…

Au Québec

Toutes ces acceptions se voient aussi au Québec. Mais, dans notre contrée enneigée, le mot « bête » a pris un sens original : avoir l’air méchant, fâché. Être désobligeant, quoi.

Revenons à l’expression « Être bête comme ses pieds. » En Europe, on parle d’une personne imbécile, tandis qu’au Québec il est plutôt question d’un mufle.

Un exemple : vous entrez dans un magasin et le commis a l’air bête. Il ne veut manifestement pas vous servir et ne répond pas clairement à vos questions.

Et encore : vous faites du tourisme et vous demandez la direction de la gare à un passant. Il a été bête avec vous et a pointé vers la droite, d’un air agacé, avant de tourner les talons. Sale bête, va.

Conclusion

Grande convergence entre le Canada français, l’Europe et le reste de la francophonie, dans le sens traditionnel du mot. Le sens original adopté ici n’est pas (encore) répertorié dans les ouvrages de langue en Europe. Ça viendra sûrement.

Écœurant

Qu’est-ce qui cloche dans la phrase suivante?

Étienne n’arrête pas d’écœurer Émilie dans la cour d’école.

Tout dépend de quel côté de l’Atlantique vous vous trouvez. Au Québec et au Canada français, tout le monde comprend qu’Étienne embête la pauvre Émilie. Mais en Europe et ailleurs dans le monde francophone ce n’est pas si clair. On a plutôt l’impression que ce cher Étienne fait des trucs pour dégoûter sa copine; écœurée par toutes ces manigances, elle est partie en courant.

Pour les profs québécois qui surveillent la cour d’école, il est clair qu’Étienne est un écœurant, un petit voyou qui n’arrête pas d’achaler les autres. Les Français de l’ouest de l’Hexagone auront tout de suite compris que le brave garçon est une petite peste qui importune les filles.

Car Émilie n’est pas la seule. Tannée se faire écœurer, elle s’est plainte à son professeur. En bon français, elle est écœurée de se faire embêter. Bref, elle s’est lassée.

Un québécisme surprenant

En terre québécoise, la langue française se vêt d’atours nouveaux et parfois déroutants. Si le terme écœurant peut receler une connotation négative, il peut également, par une étrange transmutation, devenir un superlatif.

Chez La Patate dorée, ils servent une poutine écœurante!

Bref, une poutine fabuleuse, délicieuse, au summum…

Mais attention, il ne faudrait sûrement pas féliciter le chef à Marseille de la même manière :

Votre bouillabaisse est absolument écœurante! Mes félicitations au chef!

Il est clair que le cuistot sera choqué (sens québécois et français).

Francisation de certains toponymes

La francisation des toponymes est une mer houleuse soumise à tous les caprices de l’usage.

Dans un autre billet, j’ai déjà relaté la francisation du toponyme Détroit, que l’on écrit encore à l’anglaise, Detroit dans bien des publications françaises. Dans ce cas précis, il s’agissait d’un retour aux sources, car la ville de l’automobile a été fondée par les Français.

Bien des noms de lieux, écrits à l’anglaise et sans accent, pourraient facilement être francisés, sans que le paysage linguistique en soit bouleversé. Nous avons déjà Monténégro, alors pourquoi ne pas continuer?

(Matière à réflexion : on écrit Monténégro, mais Montevideo. Cherchez l’erreur.)

Certains toponymes étrangers pourraient facilement être francisés tout simplement en ajoutant un accent aigu. Bref, aucun changement radical. Allons-y donc : je suggère les graphies suivantes : Bélize, Guatémala, Kénya, Montévidéo, Nébraska, Nigéria, Nioué, Orégon, et Vénézuéla.

Certains feront valoir qu’il s’agit de noms étrangers et qu’il n’est pas nécessaire de les traduire. Cet argument ne tient pas. Des milliers de toponymes, comme Florence, Nouveau-Mexique, Le Cap, etc. ont été traduits et le français ne s’en porte pas plus mal. Personne n’écrirait Firenze, New Mexico, Cape Town.

Et je vous ramène Monténégro; si le nom de cet État du sud de l’Europe a été francisé, comment justifier l’absence d’accent aigu pour les huit cas mentionnés ci-dessus?