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Les Patriotes

Aujourd’hui le Québec fête la Journée nationale des patriotes. Les patriotes sont des rebelles du Canada français qui, en 1837 et 1838 ,se sont mesurés aux troupes d’occupation britanniques afin de constituer une république indépendante.

Ces rebelles, qui osaient défier la toute puissante Grande-Bretagne, s’inspiraient des philosophes des Lumières. Ils proposaient notamment la séparation de l’Église et de l’État; l’abolition du régime seigneurial; l’abolition de la peine de mort; un statut égal pour le français et l’anglais. On pourra en lire plus dans l’article de Maxime Pedneaud-Jobin dans La Presse.

Sur le plan linguistique

L’appellation Journée nationale des patriotes est un bel exemple du funambulisme ridicule de la langue française quant à l’utilisation des majuscules. Voir mes articles à ce sujet.

On remarquera la majuscule à Journée. Normalement, ce n’est pas la règle. L’Office québécois de la langue française : « Lorsque le premier nom de la dénomination d’une époque ou d’un événement historique est un terme générique et qu’il est suivi d’un complément du nom, le terme générique s’écrit avec une minuscule initiale et le nom qui constitue le complément s’écrit, lui, avec une majuscule. » Par exemple la guerre de Cent Ans.

L’Office donne entre autres exemples : la révolte des Patriotes. On remarquera la majuscule subitement apparue au mot « Patriotes ». Habituellement, on écrit patriotes en minuscule, lorsqu’on désigne les révolutionnaires, dont plusieurs ont été pendus par les Anglais.

En français, la majuscule se fait trop rare. Le mot en question reçoit la majuscule dans un odonyme où il joue le rôle d’élément déterminatif.

Jean Chénier habite au 15, rue des Patriotes

Comme je l’ai signalé précédemment, le français nous convie à un jeu de bascule étourdissant entre la majuscule exceptionnelle et la minuscule réglementaire. C’est cet étêtage systématique qui nous vaut la minuscule dans l’expression « Les patriotes de 1837. »

Quant à moi, j’écrirais volontiers les Patriotes de 1837.

Boyau

Être langagier nous rend méfiant, un peu trop parfois. On pourrait penser qu’un boyau d’arrosage, est une autre impropriété qui court les rues au Québec et au Canada, comme carrosse qui désigne un petit charriot dont on se sert à l’épicerie. Voir mon article sur caddie.

Ce n’est pas ce que disent les grands dictionnaires français, bien que l’expression ne soit pas citée en priorité dans leurs pages.

La première définition du terme en l’objet est l’intestin d’un animal. Par analogie, on appellera boyau un long conduit, dans une tranchée, par exemple. Dans le domaine ferroviaire, il s’agit d’un « tube flexible destiné à relier, entre deux véhicules, les conduites de distribution d’air, de vapeur, les commandes de freinage, etc. », comme l’indique le Trésor de la langue française.

Le même ouvrage donne finalement ses lettres de créance à notre fameux boyau d’arrosage : « Long tuyau de cuir, de toile ou de caoutchouc permettant à une pompe hydraulique d’apporter l’eau à distance. Boyau d’arrosage. »

D’ailleurs, le Multidictionnaire de la langue française ne présente pas boyau d’arrosage comme une faute, mais plutôt comme un québécisme. Quant au Dictionnaire Usito, de l’Université de Sherbrooke, il définit boyau entre autres comme un tuyau souple.

Il est clair que boyau d’arrosage fait partie de notre patrimoine linguistique. On me permettra de citer le grand Félix Leclerc : « Des montagnes de billots, que des hommes arrosaient à la journée avec de longs boyaux, dormaient dans les cours. »

A priori

Les mots d’origine latine abondent en français. Il peut s’agir de locutions adverbiales tout comme de substantifs entrés dans l’usage.

A priori

Une locution latine qui signifie « D’après ce qui est avant. » Bref, ce qui ne se réfère pas à l’expérience ou aux faits. L’expression contraire est a posteriori.

En français, a priori est devenu un substantif synonyme de préjugé. A priori peut aussi s’employer comme une locution : « A priori, cela semble une bonne idée. »

On remarquera l’absence d’accent grave sur le A initial. Les rectifications de 1990 proposent (animisme, je sais) d’écrire l’expression en un seul mot : apriori ou encore avec l’accent grave : à priori.

Post mortem

L’anglais a aussi emprunté à la langue latine et ses emprunts peuvent être différents de ceux du français. Mais les deux langues en partagent aussi un certain nombre et là encore l’usage nous tend le piège insidieux des faux amis.

 Post mortem est une locution adverbiale utilisée en français. Elle signifie « après la mort ». Faire un examen post mortem, c’est-à-dire une autopsie.

L’anglais emploie l’expression comme substantif au sens de bilan, rétrospective, analyse. On commet donc un anglicisme en disant : « Le Canadien de Montréal fait le post mortem de sa saison décevante. » Il serait plus français de dire que l’équipe s’est penchée sur sa dernière saison, qu’elle en a fait le bilan, ou encore l’examen.

Italique ou pas?

Les locutions qui ont été francisées s’écrivent en caractères latins.

Envoyer son curriculum vitae à l’université. Un diplomate chinois ayant fait de l’intimidation est persona non grata au Canada. Laila recourt à la fécondation in vitro.

Les locutions latines que l’on trouve dans des ouvrages savants s’écrivent généralement en italique. Quelques exemples : ad libitum, opus citatum (op. cit.), ibidem, in fine, etc.

Encore partager

Partager – suite et fin

J’ai écrit plusieurs articles sur le mot partager, particulièrement sur le sens anglais qu’il a pris ces dernières années. Traditionnellement, partager quelque chose, c’est le diviser en plusieurs parts. Par exemple, partager un gâteau.

Sous l’influence du mot anglais share, le verbe en question a pris le sens de mettre en commun, diffuser, envoyer, faire connaitre, etc. Le sens s’est propagé dans le monde informatique, avant d’envahir la langue courante. On partage des photos aussi bien qu’on partage une opinion ou un appartement.

L’anglicisme est signalé dans des ouvrages québécois comme le Dictionnaire Usito et le Multidictionnaire de la langue française.

Il était fatal que les grands dictionnaires français finissent par prendre en compte cette inflexion sémantique. Le Petit Robert 2023 le fait d’une manière on ne peut plus discrète. Au lieu d’ajouter une rubrique signalant l’emprunt à l’anglais, il a glissé un troisième sens, dans une série de huit, sans nulle part signaler l’origine de la nouvelle définition.

En fait, il a fondu le sens anglais dans une définition plus générale.

Rendre accessible; faire connaitre. Partager une recette, une astuce avec ses lecteurs. Faire partager son expérience, sa passion. Partager une image sur les réseaux sociaux. (C’est moi qui souligne.)

Il n’échappe à personne que le sens plus moderne est suggéré à la fin, sur la pointe des pieds en chuchotant.Honteux de son audace, semble-t-il, le Petit Robert ne propose aucune marque d’usage comme anglicisme, de l’anglais, etc.

Suit toutefois une remarque suave : Partager à qqn (ex. Je vous partage ma vidéo) est fautif.

Jusqu’à quand? Si cet emploi fautif est signalé, c’est qu’il se répand. Surveillons les prochaines éditions du Robert. Mais, comme dans un contrat d’assurance, il faudra lire les petits caractères.

Payer la traite

Le mot traite est quelque peu vieilli. Jadis, il désignait le commerce des esclaves. Plus près de nous, il qualifie un trajet sans interruption : aller d’une seule traite de Québec à Rimouski.

Se payer la traite

Toutefois, l’expression se payer la traite demeure mystérieuse pour le reste de la francophonie. On se paie la traite en s’offrant le Laurie Raphaël, une grande table de Québec. Une folie, quoi. On se gâte.

Comme l’indique le site Je-parle-québécois.com : « La traite était un moyen de définir une dette commerciale au Moyen-Âge. » Donc l’expression en question signifie « s’offrir quelque chose sans payer immédiatement. »

Si vous allez au bar, vous pouvez payer la traite à votre ami, autrement dit lui offrir un verre.

Se payer la traite peut également vouloir dire se payer du bon temps. Par exemple passer la fin de semaine à Québec.

Choquer

La question du jour : êtes-vous choqué?

Poser la question au Canada et dans la francophonie ne donnera pas nécessairement les mêmes réponses.

La définition classique du verbe choquer est de heurter violemment. On peut aussi choquer des verres en portant un toast. Le germanisme trinquer est souvent employé dans ce contexte.

Le verbe en question a également le sens plus abstrait de blesser moralement, déplaire, scandaliser, offenser. Un film controversé peut choquer le public. Les propos orduriers d’un commentateur choquent les personnes progressistes.

Un humoriste qui s’en prend à un handicapé surprend, étonne et choque.

Selon le Robert : une personne qui est choquée a subi un choc. Elle est traumatisée.

Au Canada 

Les dernières définitions nous rapprochent du sens commun du verbe choquer dans notre pays. Choquer, c’est mettre quelqu’un en colère. Une personne qui se choque est fâchée.

À mon sens, cette acception dérive de celle vue ailleurs de scandalisé. Une personne choquée est en colère.

D’ailleurs, le Multidictionnaire de la langue française accepte cette définition, qui n’est pas un anglicisme. Il s’agit d’un canadianisme de bon aloi, comme on disait jadis.

Shaker les colonnes

La semaine dernière, le ministre québécois Christian Dubé annonçait son intention de chambarder le système de santé de notre État. Il allait shaker les colonnes du temple… faire appel à des top guns.

Autrement dit ébranler les colonnes du temple et faire appel à de grands esprits, à des esprits éclairé, à des francs-tireurs.

Le ministre Dubé s’exprime correctement; il ne nous assène pas une parlure effilochée comme le font bien des humoristes et une bonne partie de la population. Pourtant, il a senti le besoin de ponctuer son discours de deux anglicismes bien gras.

Cette attitude n’est pas nouvelle au Québec. Un discours percutant passe par des expressions anglaises. Un camion c’est un truck; une entreprise c’est une business; magasiner c’est shopper.

Ce phénomène relève du complexe d’infériorité des Québécois. Après plus de deux cents ans de colonialisme, il est compréhensible d’éprouver envers et contre toute logique un sentiment d’infériorité par rapport à la culture anglo-américaine dominante. La langue anglaise domine le monde, par conséquent on ressent le besoin d’employer parfois ses mots, supposément plus porteurs de sens.

Que cette attitude défaitiste soit propagée par un ministre clé du gouvernement Legault est à la fois décourageant et révélateur de notre statut de colonisé. Le français est une langue inférieure semble croire le ministre.

Les défenseurs acharnés du français (top guns) doivent ébranler les colonnes du temple du je-m’en-foutisme généralisé et dénoncer la parlure honteuse du ministre Dubé.

Conversation

Depuis un bon bout de temps, les médias ont aboli les mots débats, discussions, échanges de vues, etc. pour lui substituer le suave conversation. La volonté envahissante de tout atténuer, de ne froisser personne, finit par se répercuter sur le vocabulaire. Que nous le voulions ou non, nous vivons tous dans un safe space médiatique.

Les termes à la mode sont une plaie de la prose journalistique; j’en ai abondamment parlé dans d’autres billets. Dans le cas qui nous occupe, l’influence de la langue américaine est évident.

Le mot conversation n’a pas la même portée que débats ou discussions. Converser, c’est parler de tout et de rien, de manière spontanée, sans nécessairement échanger des points de vue. Dans une conversation, on trottine avec légèreté, on ne court pas le marathon, bien plus exigeant.

Le gouvernement du Québec compte élargir l’accès de l’aide à mourir. Il ne fait nul doute que cette initiative ne suscitera pas l’unanimité et certains s’y opposeront avec véhémence. Le débat pourra être poli, tout en retenue, mais il ne s’agira pas d’une simple conversation.

Une conversation peut cependant aller plus loin qu’un simple entretien. Le terme peut être utilisé comme synonyme de pourparlers. Par exemple, un syndicat peut avoir des conversations avec la partie patronale au sujet de la gestion des horaires. Cependant, si les choses s’enveniment, il ne sera plus question d’une simple conversation mais de discussions voire de débats.

Par conséquent, même si les termes énumérés ci-dessus sont voisins, ils ne sont pas de parfaits synonymes. Une conversation, un bavardage ou un entretien ne sera jamais une vraie discussion.

Virgule

La virgule est le signe de ponctuation le plus délicat à employer à bon escient, nous dit Albert Doppagne, auteur d’un livre sur la bonne ponctuation. La virgule est apparue au cours du XVIIIe siècle pour rendre le discours plus clair.

Un exemple révélateur qui circule dans Internet nous en démontre le caractère indispensable :

On mange les enfants.

Sans le mignon petit hameçon, la phrase prend un sens radicalement différent.

La virgule n’est pas toujours de mise. Dans une phrase courte et bien construite, elle peut même devenir encombrante.

Le magasin de jouets est ouvert du mardi au samedi.

Le magasin de jouets est ouvert, du mardi au samedi.

En revanche, les phrases longues gagnent à être fragmentées.

Le magasin de jouets fondé en 1871 et immensément populaire dans le quartier a ouvert ses portes rue des Hirondelles avant de déménager sur le boulevard Gilles-Vigneault.

Le magasin de jouets, fondé en 1871 et immensément populaire dans le quartier, a ouvert ses portes rue des Hirondelles, avant de déménager sur le boulevard Gilles-Vigneault.

Dans la dernière phrase, deux virgules suffisent pour assurer la fluidité du discours; la proposition se lisait et se comprenait aisément. Une troisième virgule aurait un peu trop haché la phrase.

Incises et inversions

L’incise est un art; il faut savoir la doser pour éviter de perdre le lecteur. Une bonne incise n’est jamais trop longue et elle apparait le plus souvent dans le milieu de la proposition. À moins de chercher un effet de style, il n’est pas toujours heureux de lancer la phrase avec une incise.

L’incise peut être amenée par une virgule, des tirets ou des parenthèses. L’effet est différent selon le cas.

Balzac (auteur de la Comédie humaine) est né à Tours en 1799.

Balzac, auteur de la Comédie humaine, est né à Tours en 1799.

Balzac – auteur de la Comédie humaine – est né à Tours en 1799.

Dans les exemples qui précèdent, le tiret est le signe le plus expressif : il interrompt le discours pour mettre en relief l’œuvre de Balzac, la Comédie humaine. La virgule, pour sa part, donne une information intéressante, mais sans trop insister, tandis que la parenthèse signale un détail en passant.

Par ailleurs, une inversion suivie d’une virgule peut attirer l’attention du lecteur sur un élément.

Aviateur de renom, St-Exupéry est disparu dans la Méditerranée en 1944. 

Ce livre, je le connais par cœur.

Quelques questions sur la virgule

Et – faut-il le faire précéder d’une virgule?

Habituellement ce n’est pas nécessaire.

Mon voyage aux États-Unis m’a amené à Chicago, Détroit et Cleveland.

Le et pourra être précédé d’une virgule s’il signale une conséquence.

L’armée russe a envahi l’Ukraine, et cela a attisé la haine des Ukrainiens contre le peuple russe.

Pour ce qui est de la locution latine et cetera, elle est précédée d’une virgule.

Elle a acheté le vin, le fromage, le pain, etc.

Ni – virgule ou pas?

Il n’est pas nécessaire de glisser une virgule dans une double négation amenée par un ni.

L’entreprise ne veut ni diminuer sa production ni mettre des employés à pied.

Mais – virgule ou pas?

Dans le cas d’une nouvelle proposition introduite par un mais, il est préférable de le faire précéder d’une virgule.

Les ventes de livres ont augmenté durant la pandémie, mais elles ont recommencé à chuter cette année.

Car ?

Lorsqu’il coordonne deux propositions assez longues, car est précédé d’une virgule.

Le président Theodore Roosevelt, né en New York, a connu une immense popularité, car il a tour à tour remporté le prix Nobel de la paix et fondé les grands parcs nationaux américains.

Un énoncé plus court ne requiert pas la virgule.

Le professeur n’a pu donner son cours car il était grippé.

Voilà, point à la ligne.

***

Pour en savoir plus, veuillez consulter les deux ouvrages suivants :

Albert Doppagne, La bonne ponctuation.

Bernard Tanguay, L’art de ponctuer.

Pour faire une histoire courte

Les personnes disertes n’en finissent plus de parler. Elles racontent toutes sortes d’histoires et adorent être le centre d’attention. D’ailleurs, une histoire peut être un récit long et ennuyeux…

Pour faire une histoire courte, ces personnes au verbe luxuriant peuvent parfois être envahissantes, pour rester poli.

Certains d’entre vous ont peut-être sursauté en lisant l’amorce de la phrase précédente. Pour faire une histoire courte… to make a long story short.

Des ouvrages comme le Dictionnaire des anglicismes de Colpron et le Multidictionnaire de la langue française, de Marie-Eva De Villers mettent les lecteurs en garde contre cette expression, qui est un anglicisme. Le calque est tellement naturel qu’on peut n’y voir que du feu.

Heureusement, on peut y remédier facilement :

En résumé, bref, pour couper court, pour résumer, sans vouloir tout vous raconter, pour faire court, pour faire vite, allons droit au but, pour abréger, pour abréger mon récit/mon histoire, en deux mots, somme toute, etc.

Bref, allez droit au but, comme dans ce billet.