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Avez-vous des enjeux?

Avez-vous des enjeux, ces temps-ci?

À écouter tout le monde autour de nous, on a l’impression qu’il y a des enjeux partout. Des enjeux de sécurité dans le centre-ville, des enjeux climatiques, des enjeux avec une tondeuse à gazon, des enjeux avec son voisin…

Bref, c’est à devenir fou.

Chers communicateurs, êtes-vous conscients de ce que vous dites? Avec enjeu, vous atteignez des sommets de ridicule. Ouvrir un dictionnaire, peut-être?

Mais qu’est-ce qu’un enjeu?

Un enjeu est l’argent que l’on mise au début d’une partie; ce que l’on peut gagner ou perdre dans une entreprise. Par exemple, l’enjeu d’un conflit.

Le plus souvent, enjeu est employé à tort au sens de PROBLÈME. Une sorte de pudeur étrange fait que plus personne ne l’emploie. Si le mot problème vous met mal à l’aise, pourquoi ne pas parler de DIFFICULTÉ, D’OBSTACLE À SURMONTER?

Affolant de voir comment une faute de langue peut devenir aussi envahissante, surtout quand les médias se mettent de la partie et embouchent la trompette de l’impropriété.

En tout cas, moi je n’ai pas d’enjeu… seulement de l’urticaire à vous lire et à vous entendre.

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Dégenrer le français?

Le président Macron a profité de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts pour dénoncer l’écriture inclusive. Il appelle les francophones à ne pas céder « aux airs du temps » et à « garder aussi les fondements, les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe. »

Il s’élève contre des fioritures, comme l’ajout de points dans le milieu des mots. Le président est aussi d’avis qu’en français le masculin sert de genre neutre. Au fond, le président de la République pose une question fondamentale : faut-il dégenrer le français?

Dégenrer

C’est une question complexe. Le français est une langue genrée et on ne peut y échapper. Les choses seraient plus simples si on avait retenu une autre dénomination que « masculin » et « féminin ». Par exemple le genre neutre ou non-neutre; le genre A ou le genre B.

D’aucuns font valoir que genre et sexe ne correspondent pas. Il y a en effet des gazelles de sexe masculin, tout comme des hyènes et des tortues masculines. Cependant il s’agit à mon sens d’un sophisme, puisque certains grammairiens ont affirmé, par le passé, que le genre masculin l’emportait tout simplement parce que les hommes sont supérieurs aux femmes…

Maintenant, comment enlever le genre en français? « Vaste programme » aurait dit de Gaulle. Je ne suis pas nécessairement en désaccord avec l’adoption d’un pronom comme iel. Mais les choses se gâtent rapidement quand on triture les accords de verbes et d’adjectifs avec des parenthèses, des tirets et des points médians. Il y a un problème de lisibilité.

Que faire?

J’avoue que je n’ai pas de solution miracle à proposer.

Pendant ma carrière en enseignement, j’ai vu un bon nombre de jeunes traductrices me dire que, finalement, la solution traditionnelle de faire prédominer le masculin sur le féminin était la moins mauvaise. Cette affirmation m’a un peu surpris. Elle comporte pourtant bien des avantages : notamment éviter les doublons pénibles comme « les Canadiennes et les Canadiens », mais surtout l’introduction de graphies tronquées qui sont loin de faire l’unanimité. 

Réforme et usage

Comme disent les Arabes « Les chiens aboient et la caravane passe. » C’est souvent l’usage qui tranche, pour le meilleur et pour le pire. Par exemple, l’Académie a été obligée d’accepter la féminisation des titres parce qu’elle s’est largement répandue dans la francophonie, sous l’impulsion du Québec, soit dit en passant. La même Académie disait naguère que la féminisation constituait un péril pour la langue française…

Par ailleurs, les rectifications orthographiques proposées en 1990 ne se sont pas glissées dans l’usage des grands médias, ni dans celui des écrivains.

La sortie de Macron s’inscrit dans un courant conservateur bien implanté en France pour des raisons historiques précises. Naviguer dans les méandres du français est un signe de réussite sociale, ce qui explique en bonne partie la réaction du président de la République.

Alors, dégenrer le français? Même réponse que pour une réforme de la grammaire et de l’orthographe : seulement quand tout le monde le fera.

Micro-trottoir

Vox populi, vox Dei, dit l’adage. À la lumière de ce qui se passe dans les médias électroniques ces temps-ci, je serais porté à dire Vox populi, vox niaiseries.

La prolifération des micros-trottoirs dans les bulletins télévisés, tant au Canada qu’en France, est exaspérante. J’y reviens ci-dessous.

Sur le plan linguistique

Le phénomène est bien répertorié dans les deux grands dictionnaires. Il s’agit d’une enquête faite auprès de passants, sélectionnés au hasard, à qui on demande de se prononcer sur un sujet de l’heure.

Micro-trottoir est un mot composé dont le pluriel est micros-trottoirs. Certains s’interrogeront sur le pluriel de micro, qui, dans le cas présent, n’est pas un préfixe signifiant « très petit », mais bien un diminutif de microphone. D’où l’accord.

On entend parfois l’expression vox populi pour désigner ces entrevues spontanées.

Sur le plan journalistique

Dans l’immense majorité des cas, les entrevues de passants n’apportent aucun élément d’information valable. Très souvent, les personnes interrogées n’ont aucune connaissance du problème évoqué; leur réaction est primaire et ne présente aucun intérêt. La mièvrerie envahit nos ondes.

Le phénomène se propage malheureusement. Les infos françaises commencent elles aussi à multiplier micros-trottoirs. Une différence notable, toutefois, le Français moyen arrive quand même à s’exprimer beaucoup mieux que le Québécois rencontré sur la rue. Ses phrases sont mieux construites, même si le propos n’est guère plus élevé.

Alors pourquoi s’entêter à réaliser des micros-trottoirs sur tout et sur rien? La prolifération de ces entrevues inutiles devient exaspérante.

Quelques cas de figure.

Le prix de l’essence augmente. Les personnes interrogées à la pompe sont toutes fâchées : on se fait avoir, ça monte tout le temps, etc. On n’entendra jamais personne dire que, finalement c’est une bonne chose, et que ça rend les gens plus conscients du prix réel de l’énergie.

Un père tue sa femme et ses enfants. Le voisinage est consterné, un si gentil monsieur, on ne se doutait de rien, c’est bien terrible. Le journaliste s’attendait à quoi au juste? Bien content qu’ils soient tous morts, leur chien jappait tout le temps?

Le prix Darwin revient à un brave journaliste de Radio-Canada Outaouais. Les enfants d’une école primaire sont séquestrés, car on craint qu’une personne armée ne fasse un carnage. L’alerte est levée. Le brave galopin en quête d’un prix Pulitzer se tient à côté d’une mère énervée. Elle voit apparaitre sa fille et le galopin en question lui demande « Comment vous sentez-vous? » Elle ignore le type et court vers sa fille.

Du grand journalisme.

Car nous en sommes là : l’émotion, la spontanéité remplacent le journalisme d’enquête.

Des solutions

Revenons au prix de l’essence. Au lieu d’interroger « le vrai monde », on pourrait peut-être enquêter sur la collusion des pétrolières pour fixer le prix de l’essence. Évidemment, c’est plus compliqué…

Le meurtre d’une famille par le père. Une petite enquête sur ce phénomène, son origine et les moyens pris par les autorités publiques pour le combattre. Mais c’est tellement plus simple de poser des questions aux gens.

Des réactions

Ma lettre à la directrice de l’information de Radio-Canada n’a reçu aucune réponse. Mes messages à divers journalistes locaux et nationaux n’ont rien donné, sauf dans le cas d’’une reporter du Téléjournal qui m’a dit qu’elle transmettrait mon message avec plaisir aux responsables de cette politique populiste.

Tiens donc. Ils ne sont pas tous d’accord avec la direction…

Sans doute

La locution sans doute est un bel exemple du danger de prendre une expression au sens littéral. Les synonymes qui nous viennent naturellement sont certainement, assurément, incontestablement.

Pourtant, dans l’usage populaire, ce n’est pas tout à fait ce que l’on veut dire. C’était du moins mon impression. Quand on dit sans doute, eh bien c’est un peu comme s’il y avait un soupçon d’incertitude.

Il n’a pas encore appelé; son vol a sans doute été retardé.

Elle a quitté son poste d’enseignante; c’est sans doute à cause des tâches administratives, dont elle se plaignait beaucoup.

Ajoutons un tout petit mot aux phrases précédentes :

Il n’a pas encore appelé; son vol a sans nul doute été retardé.

Elle a quitté son poste d’enseignante; c’est sans aucun doute à cause des tâches administratives, dont elle se plaignait beaucoup.

La deuxième série d’affirmations est plus claire. Dans ce dernier cas, il n’y pas d’hésitation : la cause est certaine.

Il y a donc glissement de sens. Sans nul doute…

Les dictionnaires

Les perceptions peuvent nous jouer des tours, mais dans ce cas-ci les ouvrages de langue sont explicites. À commencer par le dictionnaire de l’Académie.

Cette valeur de sans doute s’est atténuée au point que, pour exprimer l’affirmation, on renforce le subst. par aucun, nul.

Le Robert emboite le pas : « Selon toutes les apparences. » Il donne comme synonymes apparemment, probablement et vraisemblablement.

Voilà qui dissipe mes doutes.

État et gouvernement

État

Le mot État s’écrit avec la majuscule initiale lorsqu’il désigne une autorité administrative.

        Il est dans les prérogatives de l’État d’assurer l’ordre public.

      Les États membres de l’Onu disposent d’un siège à l’Assemblée générale.

Quant au mot gouvernement, il s’écrit toujours avec la minuscule initiale, sauf dans les proclamations et dans les textes diplomatiques.

            Le gouvernement du Bénin lance une nouvelle politique. L’État prendra désormais en charge les plus démunis.

Pour ce qui est de l’abréviation ONU, elle s’écrit généralement toute en majuscules. Les Européens ont tendance à écrire les acronymes avec la majuscule initiale. Cette façon de faire est plutôt rare en Amérique, mais elle n’est pas fautive en soi.

Tsunami

Le mot tsunami déferle dans nos écrits avec la force d’un raz de marée. Naguère, le terme japonais était inconnu dans nos contrées, mais on a maintenant l’impression qu’il a supplanté le bon vieux raz de marée, qu’on peut aussi écrire raz-de-marée.

Lequel des deux est bon? S’agit-il de synonymes ou non?

Ce n’en sont pas, mais il faut lire très attentivement les définitions des dictionnaires pour les départager.

D’après le Robert, un tsunami est une « Onde océanique provoquée par un séisme ou une éruption volcanique, provoquant d’énormes vagues sur les côtes. »

Le Larousse : « Raz de marée d’origine tellurique, provoqué par une instabilité brusque du plancher océanique résultant d’un séisme, d’une éruption volcanique ou d’un glissement de terrain. »

On voit donc que le tsunami est d’abord et avant tout océanique; il génère un raz de marée. Celui-ci est, selon le Larousse, un « Envahissement exceptionnel du rivage par la mer, produit par une lame de tempête, un tsunami ou un plissement sous-marin. »

Pour y voir plus clair, il faut se diriger vers le Portail linguistique du Canada, qui fait clairement la distinction entre les deux expressions.

Le raz de marée est un terme plus générique que son cousin nippon. Comme le précise le Portail : « En effet, le raz de marée peut être déclenché par une onde de tempête (ou marée de tempête) à la suite de l’action violente du vent, mais pas le tsunami, qui est plutôt déclenché par un choc violent en haute mer. »

Comme on le voit, les terminologues canadiens sont, dans ce cas-ci, bien plus clairs que les lexicographes français.

Du coup revisité

La locution du coup est particulièrement envahissante, du côté de l’Hexagone. Elle sévit dans les textes journalistiques aussi bien que dans les dialogues de séries télévisées ou de films, quand ce n’est pas dans l’usage courant.

Les usages incorrects pullulent au Québec et au Canada français, mais, comme nous le verrons, la France n’est pas à l’abri des tics langagiers.

D’entrée de jeu on pourrait se demander si l’expression est correcte.

Pour le Figaro, donner à la locution le rôle d’un adverbe est un non-sens. Elle n’est pas un synonyme de « par conséquent », « de ce fait » ou de « donc ». Toutefois, le Petit Larousse recense l’expression et la définit comme synonyme de « en conséquence ». Le Petit Robert donne « de ce fait ».

L’Académie, pour sa part, estime que du coup signifie à la suite de quoi. Le terme marque bel et bien un enchainement et (du coup) il est donc facile à remplacer par les mots et locutions suivantes : donc, par conséquent, dans ses conditions, conséquemment, alors, c’est donc dire, ce qui fait que, de ce fait, ainsi, partant de là, par là même.

Dans la phrase précédente, on voit qu’il est très facile de remplacer du coup par l’adverbe donc.

Du coup ne semble pas si erroné qu’on pourrait le croire. C’est son utilisation pléthorique qui devient problématique. Souhaitons qu’il ne se propage pas au Québec, qui a bien d’autres chats linguistiques à fouetter.

Mais rappelons-nous que les tics langagiers ne tiennent pas toujours le coup sous les assauts impitoyables du temps ; d’autres finissent par les remplacer.

Comme on le voit dans la dernière phrase, une apposition peut aussi nous tirer d’affaire.

Bottines et babines

Au Québec on entend souvent que « Les bottines doivent suivre les babines. » Cette expression pittoresque est sûrement énigmatique pour toute personne n’ayant pas grandi au Canada.

Tout d’abord, les bottines ce sont les bottes. Quant aux babines, il s’agit tout simplement des lèvres… Toujours pas clair?

En français normatif, on dirait « Joindre le geste à la parole. » C’est élégant, mais peut-être un peu trop pour beaucoup de gens au Québec, nation lourdement influencée par l’anti-intellectualisme nord-américain. Parler simple fait moins prétentieux (soupir).

D’où l’expression qui fait l’objet de ce billet. Elle est populaire dans les médias et, si j’étais cynique, je dirais que bien des scribes ignorent probablement l’expression correcte. D’après moi, le tandem bottines/babines devrait être utilisé pour faire de l’ironie, mais le substituer au geste qui doit suivre la parole est un appauvrissement de la langue.

Découvrir la langue québécoise

Le site suivant est une belle découverte. Il recense un grand nombre d’expressions québécoises et comporte un glossaire impressionnant.

Fête

Nous venons de célébrer la fête des Français, le 14 juillet dernier, et plus tôt, c’était le Canada qui était à l’honneur, le premier juillet.

On aura remarqué que le mot fête s’écrit tout en minuscule. Les exemples abondent :

La fête du Canada

La fête de l’Indépendance américaine

La fête des Mères

La fête du Travail

Selon la logique du français, le générique fête s’écrit en minuscule, alors que l’élément spécifique prend la majuscule initiale. C’est le spécifique qui donne tout son sens à l’expression, le générique fête n’étant qu’une simple cheville.

Donc fête en minuscule… Le mot jour applique la même logique restrictive.

Le jour du Souvenir

Le jour de l’An

Contrairement à d’autres langues occidentales, le français ne veut pas de majuscule au générique. Soit dit en passant, on écrit pourtant la Journée nationale des patriotes. Le français et ses exceptions…

Le temps des fêtes

Écrit de cette manière, cette expression manque de précision. Habituellement, il est question des fêtes de fin d’année, de la fête de Noël. Mais dans un autre contexte, l’expression pourrait être comprise autrement.

C’est pourquoi il est préférable de mettre la majuscule à Fêtes.

Le temps des Fêtes est source de joie et de réunion des familles.

Les Fêtes sont une période achalandée pour les commerces.

Les fêtes emblématiques

Certains évènements ont marqué l’Histoire. Ils sont suffisamment connus pour que l’on élide l’année et que l’on attribue la majuscule au mois, qui, en français, s’écrit presque toujours avec la minuscule.

Le 14 Juillet

Le 11 Septembre

Bien entendu, si on écrit la date au complet, le nom du mois retrouve sa rassurante minuscule.

La Révolution française a eu lieu le 14 juillet 1789.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont bouleversé les États-Unis.

Non-stop

Il est des anglicismes dont on pourrait facilement se débarrasser, mais qui persistent en français pour des raisons inconnues. C’est le cas de non-stop.

L’anglicisme existe depuis belle lurette, alors qu’il est si simple de le remplacer. Il ne comble aucune lacune dans notre langue. Par exemple, si vous travaillez non-stop dans votre cabinet juridique, vous travaillez sans interruption, sans vous arrêter, sans discontinuer.

À l’origine, l’anglicisme était employé pour parler d’un vol sans escale. Par la suite, il a envahi d’autres champs sémantiques. Le Robert nous dit : « Qui se déroule de façon ininterrompue. »

Dans tout cela, il ne faut pas oublier que le mot stop (voir mon article) est entré depuis longtemps dans le vocabulaire de notre langue, ce qui explique probablement la tolérance envers non-stop.