Ghost guns

J’écoutais les informations de France 2 et il était question d’un phénomène nouveau aux États-Unis, les ghost guns. Il s’agit d’armes fantômes fabriquées grâce à des imprimantes 3D qui échappent aux contrôles habituels des autorités américaines. Une aubaine pour tous les criminels de ce pays mythique qui peuvent ainsi se procurer des armes sans laisser de traces.

Tout au long du reportage, la correspondante à New York(prononcé Nouille-Orque) se gargarisait de cet anglicisme flambant neuf dont la prononciation exacte lui était manifestement inconnue.

Heureusement, la traduction évidente, facile, naturelle se glissait parfois dans la narration; timide concession à la langue française. Car on ne peut argüer ici que l’anglicisme est essentiel et impossible à traduire. Armes fantômes se comprend très bien.

Encore une fois, il est tellement plus excitant de nommer les réalités américaines avec des mots anglais. L’acte de traduire semble complètement désuet.

Chialer

Pour les Québécois et les autres Canadiens les Français sont des chialeux. Mais allez leur dire pour voir! Il y a fort à parier que nos cousins ne comprendraient pas un traitre mot de ce qu’on leur dit.

Parce que de côté-ci de l’Atlantique, chialer c’est maugréer, se plaindre. Les Québécois diraient donc à leurs cousins revendicateurs : « Arrêtez de chialer ! Mai 68, c’était du gros chialage. »

Incompréhension.

Parce qu’en Europe, chialer… c’est tout simplement pleurer, un terme familier. Et derrière les barricades de Mai 68, on ne chialait pas, on manifestait, on contestait l’ordre établi. Les Français sont un peuple revendicateur, tandis que les Québécois préfèrent la bonne entente.

Comme on dit à Paris, voilà.

Le Québécois de revenir à la charge : « Donc chialer, pour vous autres, c’est brailler en fin de compte. »

Incompréhension.

Brailler, vous voulez dire crier à tue-tête, chanter à haute voix comme le font les ivrognes. Mais non, dira le Québécois. Brailler c’est tout simplement pleurer. En France, nous apprend le dictionnaire québécois Usito, ce sont les enfants qui braillent, ceux qui pleurent bruyamment.

Devant le recul du français, les Québécois devraient donc arrêter de brailler et chialer un peu plus.

Choqué

Le Québécois pourrait être choqué de voir que ses amis français, belges, suisses ou africains ne le comprennent pas toujours très bien. L’Européen ou l’Africain comprendront que le Québécois est en état de choc, alors qu’en réalité il est fâché. Fâché? Si, si.

Au Canada, on peut être choqué contre quelqu’un. En fait, c’est ce qu’on comprend généralement. Dire qu’Adrienne était choquée après son accident d’auto se comprend comme suit : elle était en colère contre l’autre conducteur. Si elle était bouleversée, alors on dira qu’elle était en état de choc, et non pas choquée.

Ainsi en va-t-il du français qui est venu planter ses racines en terre d’Amérique; certains mots ont tout simplement pris leur envol…

Piocher

Autant pour un Français, un Belge ou un Québécois, piocher c’est travailler dur, bref bûcher. Le sens de creuser et de remuer la terre avec une pioche est également commun tant en Europe qu’en Amérique.

Les francophones du Canada sont toutefois surpris de lire qu’une personne a pioché un as de cœur pendant une partie de bridge. Le sens de « Prendre (une carte, un domino…) dans la pioche » est inusité de côté-ci de l’Atlantique. Encore faudrait-il s’entendre sur ce que signifie pour nous une pioche, parce qu’au Canada il est question d’un outil, tout simplement.

Comme on le voit, les francophones érigent parfois entre eux des remparts qui ont pour eux un sens différent En français européen, une pioche est aussi un lot de cartes ou de dominos qui n’ont pas été pigés…

Là, je suis certain que ce sont les Européens qui ne comprennent plus ce que j’écris. Comment peut-on piger une carte?

Au Québec, on ne pioche, on pige une carte. En Europe, on pige quand on comprend quelque chose, ce qui est également vrai au Québec.

Et une personne qui ne veut rien comprendre est une tête de pioche. Ça c’est clair des deux côtés de l’Atlantique.

Sommet

Ces jours-ci, on rêverait d’assister à un sommet Biden-Poutine sur la sécurité en Europe, après le retrait des troupes russes de l’Ukraine. La neige tardive qui frappe l’Est du Canada en ce 19 avril fait dérailler les esprits les plus équilibrés, semble-t-il…

Je suis sûr que personne n’a tiqué en lisant le mot sommet dans le paragraphe précédent, bien qu’il s’agisse d’une forme raccourcie de conférence au sommet. Cette abréviation s’est répandue à l’époque des sommets du G-5, devenus rapidement les sommets du G-7 avec l’entrée du Canada et de l’Italie dans le cercle des grands dirigeants de la planète. On remarquera la disparition du trait d’union après le grand G. On parle maintenant de sommets du G7.

Effet miroir chez les anglophones. Le Collin’s précise qu’un summit est une rencontre de chefs de gouvernement ou d’autres hauts responsables. L’expression summit conference constitue en anglais un synonyme de summit tout court.

On se rappellera avec nostalgie les sommets Reagan-Gorbatchev, à l’époque où les deux superpuissances arrivaient encore à se parler.

Génocide

Ces derniers temps, il est question de génocide, celui des Ukrainiens. Ce terme est chargé de sens et il convient d’être prudent avant de l’employer. Pourtant, le président Biden a accusé son vis-à-vis Poutine de perpétrer un génocide. On sait que le chef d’État américain est gaffeur – d’ailleurs il en rit lui-même. Pourtant il en a remis, répétant son accusation à l’endroit du président russe (j’allais écrire « soviétique »).

Les sources lexicographiques aussi bien que politiques s’entendent pour définir un génocide comme étant la destruction systématique d’un groupe ethnique, d’une nation. Il s’agit d’un crime contre l’humanité qui peut aussi viser un groupe racial ou religieux.

Les exemples ne manquent pas dans l’histoire : le génocide des Arméniens pendant la Grande Guerre, celui des Juifs, qu’on appelle Holocauste ou Shoah. Pensons aussi au triste sort des Tibétains que le gouvernement chinois cherche à anéantir en organisant une migration massive de Chinois au Tibet.

L’expression s’est frayé un chemin jusqu’aux Nations unies, qui la définit comme suit dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide :

« Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. »,

Selon l’ONU, le génocide comprend le meurtre des membres du groupe visé; des atteintes graves à son intégrité physique ou mentale; la soumission à des conditions d’existence pouvant entrainer sa destruction physique totale ou partielle; des mesures visant à entraver la naissance au sein du groupe; le transfert forcé des enfants du groupe à un autre groupe.

En outre, le crime de génocide peut être commis dans le contexte d’un conflit armé.

Inutile d’en rajouter. N’est-ce pas exactement ce que font les Russes en Ukraine?

Un génocide russe

Les images vues à la télévision sont éloquentes. Mais elles font oublier les intentions clairement énoncées l’été dernier par le président russe, qui affirme en substance que la nation ukrainienne n’existe pas et que le pays devrait être rattaché à la Russie. Imaginons les Espagnols disant aux Portugais : « Votre peuple n’existe pas vraiment, vous êtes des Espagnols comme nous. Vous devez disparaitre en tant que nation. »

L’impérialisme russe n’a rien de nouveau, comme je l’ai évoqué dans un autre article. La brutalité des soldats russes n’est pas nouvelle non plus, les hordes soviétiques venues libérer l’Europe du nazisme violaient les femmes et commettaient les pires exactions.

La volonté du président Poutine de restaurer l’empire soviétique n’a rien de rassurant. En 1945, le président Truman avait vu clair dans le jeu de Staline, dont la volonté était d’étendre le communisme jusqu’aux rives de l’Atlantique, comme l’ont révélé les archives de l’Union soviétique, rendues publiques en 1991. C’est sous sa houlette que l’Organisation du traité de l’Atlantique a été mise sur pied pour empêcher Staline de réaliser ses desseins. Le plan Marshall a permis à l’Europe de se reconstruire. Plus tard, Truman a élaboré la doctrine qui porte son nom pour endiguer l’expansion du communisme, notamment en Corée.

Le monde a besoin de leaders de la trempe de Harry Truman. Un génocide en Europe, ça suffit.

Check-point

Les journalistes couvrant la guerre en Ukraine doivent traverser plusieurs points de contrôle pour arriver au théâtre des combats. Des points de contrôle, il y en avait pendant la Guerre froide, notamment à la frontière entre Berlin-Ouest et Berlin-Est.

Je m’en souviens, j’y suis allé jadis. Hallucinant de voir la rame de métro prise à la station de la Friedrichstrasse ralentir aussitôt arrivée dans le territoire est-allemand. Des soldats nous observaient à travers une meurtrière, comme si nous représentions un danger mortel pour la République démocratique allemande. En partant de ce pays, il fallait à nouveau franchir un point de contrôle pour prouver que nous n’étions pas des fuyards.

Je suis sûr que tout le monde a compris les deux paragraphes précédents, sans tiquer devant l’expression française point de contrôle. Pourtant, dans une publication française on aurait parlé de check-point, terme entré dans Le Robert et relancé par l’invasion russe de l’Ukraine.

Check-point est de la même eau que sniper, autre anglicisme inutile qui remplace franc-tireur ou tireur embusqué, le seul problème de ces deux expressions étant d’être françaises.

Il est clair que l’anglicisme a été popularisé par le fameux Check Point Charlie, point de passage en surface entre les deux Berlin. Il est devenu un musée depuis l’unification de l’Allemagne. Ainsi en devrait-il être de tous les check-points dans les textes français.