Le subjonctif
Abolir le subjonctif? Vous n’y pensez pas?
La tentation existe, il faut bien l’avouer. On imagine mal le cortège de difficultés qu’il comporte pour toute personne apprenant le français. Il n’est pas toujours facile de percevoir qu’un verbe, qu’une locution exige le subjonctif. Parfois, son emploi est très subtil.
Mais pas toujours très logique, il faut bien l’avouer.
Prenons deux verbes, espérer et souhaiter. Leur signification est très semblable au point qu’on peut les interchanger sans trop de mal. Pourtant… Considérons les deux phrases suivantes :
J’espère que vous serez présent (indicatif).
Je souhaite que vous soyez présent (subjonctif).
Pourquoi deux régimes différents pour la même affirmation? Mystère.
Le subjonctif sert à exprimer le doute, la crainte. Tout naturellement, on dira :
Il me dit qu’il est amoureux.
La personne qui parle exprime un doute; elle n’est pas entièrement sûre des intentions réelles de son ami. Pourtant, la phrase est à l’indicatif. L’italien, lui, est plus logique :
Mi dice che sia amoroso.
Il me dit qu’il soit amoureux.
Bien entendu, cette dernière affirmation écorche nos oreilles de francophone, même si elle a finalement plus de sens.
Mais à quoi sert au juste le subjonctif?
Il marque la volonté et la préférence; le désir et le regret; le refus et l’acceptation; l’appréciation, qu’elle soit positive ou négative. Aussi : l’étonnement.
Le subjonctif imprime une nuance à notre discours, là où des langues germaniques comme l’anglais, l’allemand, le suédois y vont d’affirmations directes, brutales. Bien entendu, ces idiomes ont aussi leurs manières pour exprimer regret, refus ou préférence.
Outre les difficultés liées à l’apprentissage de toute une panoplie de conjugaisons, le subjonctif comporte des petits pièges qui viennent compliquer son utilisation.
En effet, certains verbes comme dire que, penser que, croire que, considérer que, supposer que… sont suivis de l’indicatif ou du conditionnel à la forme affirmative.
Je pense que c’est (ou serait) le moment.
Pourtant, on emploiera l’indicatif pour exprimer le futur.
Je crois que le président sera réélu.
Mais la forme interrogative ou la forme négative commande le subjonctif.
Pensez-vous que ce soit le moment?
Je ne crois pas que ce soit le moment.
Le verbe sembler exprime par définition un doute. Encore une fois, le subjonctif se fait discret… Il est réservé à la forme négative.
Il ne me semble pas que cette mesure soit exacte.
La forme positive, elle, requiert l’indicatif ou le conditionnel.
Il me semble que les étudiants sont moins attentifs en classe.
Il me semble qu’on pourrait interdire les téléphones en classe.
Le même illogisme surgit avec le verbe paraître.
Il paraît que vous avez obtenu la promotion.
Il paraît qu’il serait souffrant.
Il ne paraît pas qu’un accord soit possible.
Parfois, un verbe changera de sens selon le mode utilisé. Un exemple suffira : comprendre. À l’indicatif, ce verbe signifie se rendre compte, déduire.
Je comprends, à son air, qu’il est très déçu par ses résultats.
Au subjonctif, comprendre prend le sens de s’expliquer.
Après tous ces efforts, je comprends qu’il soit déçu par ses résultats.
On pourrait citer d’autres exemples.
À eux seuls, justifient-ils qu’on envoie le subjonctif à la casse?
Non, car les exemples précédents montrent que le français comporte toute une panoplie de nuances, selon le mode utilisé. Le subjonctif est imbriqué dans la langue française. Il est certes exigeant pour le locuteur, mais il est riche en nuances et infléchit le discours de manière subtile. L’éliminer serait une perte pour notre langue.
L’imparfait du subjonctif
Mais qu’en est-il de l’imparfait du subjonctif? Ne l’a-t-on pas fait passer à la trappe, lui?
Dans un sens, les francophones ont de la chance. En espagnol ou en italien, l’imparfait du subjonctif n’est pas tombé en désuétude. Ceux qui apprennent ces deux langues doivent s’atteler à un rude apprentissage de conjugaisons « déviantes ».
Elle sert même dans des phrases interrogatives commençant par si. Là où le français emploie l’imparfait, l’italien recourt à l’imparfait du subjonctif.
Si j’avais le temps – Se io avessi il tempo (si j’eusse le temps).
Si tu étais un auteur, tu écrirais des livres – Se tu fossi un scritore, scriverai dei libri (si tu fusses).
En français, il en va tout autrement. Dans les faits, cette forme passée du subjonctif s’est écroulée sous le poids de son ridicule. Le texte suivant texte suivant d’Alfred Allais met en relief les allures ronflantes que prend l’imparfait du subjonctif en français :
Ah fallait-il que je vous visse
Fallait-il que vous me plussiez
Qu’ingénument je vous le disse
Qu’avec orgueil vous vous tussiez
Fallait-il que je vous aimasse
Que vous me désespérassiez
Et qu’en vain je m’opiniâtretasse (sic)
Et je vous idolâtrasse.
Pour que vous m’assassinassiez.
Tant dans les journaux que dans les textes littéraires, force est de constater que cette forme du subjonctif a largement disparu. La traduction française du grand succès L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante, ignore systématiquement l’imparfait du subjonctif.
Un peu partout, celui-ci surnage dans les eaux de l’indicatif à la troisième personne du singulier, moins ridicule que pour les autres personnes.
En effet, les graphies dût, pût, voulût, sût agacent moins que dussions, pussiez ou encore susse.
Qui a dit que le français n’évoluait pas?