Engager

Le verbe engager possède toute une panoplie de sens. Il est donc mis à contribution dans un grand nombre de contextes et de locutions.

On peut notamment engager une clé dans une serrure; engager le combat quand on est dans l’armée; engager un nouvel employé; engager une conversation.

Voici deux exemples d’usages douteux :

L’Institut de recherche en santé du Canada : Engager les citoyens dans l’établissement de plans stratégiques.

L’Institut Montaigne de France : Engager le citoyen dans la vie associative.

Les dictionnaires français donnent le sens particulier d’amener quelqu’un à une décision, une action. Bref, l’exhorter.

Dans les deux exemples précédents, l’emploi de ce verbe serait quelque peu forcé. Ce que les autorités désirent, en fait, c’est d’inviter, de convaincre les citoyens. Dans le premier cas, on entrevoit l’original anglais, car le texte est sans doute une traduction; dans le deuxième, on peut se poser des questions.

Le Guide anglais-français de la traduction de René Meertens suggère les traductions suivantes pour le verbe engage : faire participer (activement); associer; obtenir/s’assurer le concours de; mobiliser; animer.

Ce sont là des substitutions pertinentes pour les nombreux cas dans lesquels le rédacteur est tenté de suivre d’un peu trop près la démarche de l’anglais.

 

Quitter sans complément

Lu dans La Presse du 22 septembre : «Le patron de Volkswagen quitterait vendredi.»

On l’entend partout et personne ne semble voir l’erreur. Pourtant, le verbe quitter n’est PAS intransitif : il requiert un complément. La Presse aurait pu tout simplement écrire : «Le patron de Volkswagen partirait vendredi.»

Partir est le verbe parfait quand on veut faire l’élision du complément.

Quelques exemples dans lesquels partir remplace avantageusement quitter : Maryse part tous les soirs à cinq heures. Jacques? Il est parti ce matin. Paul est parti en Louisiane hier (et non : a quitté pour la Louisiane…).

Comme on le voit, il est très facile de corriger cette erreur, car erreur il y a.

Le Robert décrit le verbe quitter sans complément comme un régionalisme canadien. Il est largement répandu dans notre pays, mais soyons au moins conscients qu’il s’agit d’une faute et que d’autres francophones pourraient s’étonner de cette formulation.

Méthodologie

Au royaume des tics langagiers prétentieux, méthodologie se taille une belle place. Il vient compléter le trio avec thématique et problématique, qui ont fait l’objet d’articles séparés.

La tendance à l’enflure verbale n’est pas nouvelle : dans un autre article, je l’appelais «charabia chic». L’enflure verbale (et écrite) consiste à utiliser un mot recherché, en réduisant son champ sémantique pour le faire correspondre à une réalité toute simple. On obtient ainsi un effet de rhétorique destiné à impressionner l’interlocuteur.

L’ennui, c’est que personne ne semble vraiment s’interroger sur le sens véritable d’une méthodologie.

Nous avons maintenant des méthodologies un peu partout. Quelle est la différence avec une simple méthode? Qu’est-ce qu’une méthodologie?

Le Petit Robert est clair : Étude des méthodes scientifiques, techniques (subdivision de la logique). Le même ouvrage ajoute un deuxième sens qu’il qualifie d’abusif : Manière de procéder, méthode.

Le Petit Larousse (en ligne : Larousse.fr) va dans le même sens : Étude systématique, par observation de la pratique scientifique des principes qui la fondent et des méthodes de recherche utilisées.

La cause est entendue : méthodologie relève du même genre d’hyperbole que problématique pour problème et thématique pour thème.

 

 

Actuellement

L’emploi abusif d’adverbes est une faute courante. Les adverbes viennent appuyer le discours et leur importance est indiscutable. Toutefois, on peut facilement en abuser. L’adverbe peut nous faire oublier l’existence d’un verbe puissant qui se suffit à lui-même.

Le gouvernement veut se débarrasser complètement du trafic de drogues.

Le gouvernement veut éradiquer le trafic de drogues.

L’adverbe le plus inutile est sans aucun doute actuellement. Lorsqu’une action se déroule au moment où le rédacteur l’évoque, il devient inutile de préciser qu’elle a lieu actuellement.

Le ministère de la Justice étudie actuellement le dossier pour déterminer si des poursuites doivent être entamées.

La police mène actuellement une enquête sur cet incident.

Les commentaires en direct, la langue parlée en général, constituent un terreau fertile aux redondances adverbiales. Certaines deviennent des tics langagiers. Variations sur le thème d’actuellement.

«Au moment où on se parle…». Parfois amené ainsi : «En ce moment…».

Le rédacteur consciencieux traquera les adverbes et les locutions que l’on pourrait qualifier d’évidences. Un discours aéré est toujours plus clair.

Scooter des neiges

Je lis un bon polar de Henning Mankel, traduit en France par Anna Gibson. Habituellement, rien à redire pour les traductions. C’est bien rédigé, avec les expressions que l’on rencontre dans tous les romans policiers publiés en France.

Mais, là, au détour d’une phrase, apparaît l’affreux scooter des neiges. Il s’agit de cette merveilleuse invention québécoise, la motoneige. Rebaptisée scooter des neiges en Europe pour des raisons incompréhensibles. Nous inventons l’engin, nous le baptisons et ils le rebaptisent, avec un anglicisme en prime. J’écume.

Je veux bien croire que le suédois disait Snöskoter, mais est-ce une raison pour employer un anglicisme injustifiable? Personne au Canada ne parle de scooter des neiges. En fait, personne ne comprendrait cette expression.

Cela me rappelle Vanessa Paradis qui, lors d’une entrevue après un voyage au Canada, parlait elle aussi de ces fameux scooters des neiges. Impossible qu’elle n’ait pas entendu l’expression exacte, motoneige. Elle a probablement considéré qu’il s’agissait d’une autre tournure amusante du patois local.

Il me semble que ne pas tenir compte de la terminologie d’origine, surtout quand elle est bien inspirée, a quelque chose de méprisant, voire de colonialiste.

 

Géorgie ou Georgie?

Comme tout le monde le sait, l’État américain de Georgie s’écrit sans accent, tandis que le pays caucasien Géorgie prend l’accent. C’est d’ailleurs la meilleure façon de les distinguer, sur le plan de la graphie.

Malheureusement, il s’agit d’un mythe. On écrit Géorgie tant pour l’État américain que pour le pays du Caucase. Que le nom de l’État américain dérive de celui d’un roi anglais appelé George (sans accent) ne change rien.

Dans les deux cas, on a tout simplement francisé le nom en lui donnant un accent aigu. D’ailleurs, les dictionnaires le confirment.

Soit dit en passant, bon nombre de pays voient leur nom francisé : Éthiopie, Inde, Mongolie. La Géorgie du Caucase fait partie de ce groupe. (Son nom en géorgien est Saqartvelo.) D’autres, au contraire, gardent le même nom, comme le Bangladesh.

Le Géorgie rejoint un certain nombre d’États américains dont  le nom a été traduit en français : la Californie, le Nouveau-Mexique, la Floride, entre autres.

Les cas de polysémie dans les toponymes sont plutôt rares. On peut penser à la Macédoine, région de la Grèce, mais aussi ex-république yougoslave devenue souveraine en 1993. Suite aux protestations du gouvernement hellénique, cette dernière a pris le nom de Macédoine du Nord.