Prioriser

Le terme a été honni pendant longtemps. On l’a stigmatisé de toutes les manières : anglicisme ou encore impropriété, comme le qualifie encore le Multidictionnaire de la langue française dans sa dernière édition.

Pourtant, prioriser fait bel et bien partie du corpus du Petit Robert et du Petit Larousse, qui le définit comme suit :

Accorder une importance préférentielle à qqch ou à qqn; donner priorité à.

De fait, prioriser est entré dans les grands dictionnaires il y a environ trois ans. Assez curieusement, le Robert ne le signale pas comme anglicisme; le lien étymologique va plutôt du côté de priorité. Quant au Larousse, il établit un lien avec l’anglais prioritize.

Longtemps condamné? Toujours est-il que l’Office québécois de la langue française avait déjà ouvert la marche :

En fait, les emprunts prioriser et priorisation sont conformes aux modes de formation du français; de plus, on ne peut souvent les remplacer que par des locutions, plus longues. Ils finiront probablement par faire leur entrée dans les dictionnaires de langue courante, vu leur fréquence d’emploi, au Québec comme dans le reste de la francophonie, et leur utilité sur le plan lexical. Il s’agit donc de termes acceptables, auxquels on peut avoir recours pour remplacer les diverses locutions de même sens.

Certains n’accepteront pas cette évolution du français. Ils y verront une autre reddition honteuse devant l’anglomanie.

Les ouvrages correctifs proposaient établir les priorités; établir un ordre de priorité; donner/accorder priorité à. On pourra donc utiliser ces expressions si veut éviter prioriser.

Standard

Standard est un faux anglicisme. Bien sûr, ce mot nous est arrivé par l’anglais, mais, à vue de nez, au moins la moitié du vocabulaire de cette langue vient du français. Standard n’est rien d’autre que la réincarnation de l’ancien français estandard qui nous a donné plus tard étendard.

Un étendard? Un drapeau qu’arboraient autrefois les troupes à cheval.

Le Larousse définit standard de la manière suivante : « Règle fixe à l’intérieur d’une entreprise pour caractériser un produit, une méthode de travail, une quantité à produire, le montant d’un budget. » Ceux qui ne jurent que par le Robert seront déçus par sa définition un peu trop succincte : « Conforme à un type ou à une norme de fabrication en série. »

Comme c’est souvent le cas, cet emprunt utile à l’anglais amène un sens nouveau.

Il est intéressant de constater que le mot se décline aussi sous forme d’adjectif. Et là commencent les ennuis. Les sources ne s’entendent pas sur son invariabilité. Ainsi, on verra :

Des formats standard.

Des formats standards.

Cette frilosité s’explique mal et l’origine anglaise du terme – en partie, du moins – n’est pas une excuse. On relève la même hésitation pour record, employé sous forme adjectivale.

Les mots d’origine étrangère lexicalisés en français prennent la marque du pluriel. Pourquoi faire une exception pour standard?

Si l’accord est acceptable au pluriel, il demeure inusité au féminin. Pourtant, ne serait-il pas logique d’écrire :

Des politiques d’embauche standardes.

Pour l’instant, il faudra se contenter du pluriel.

Des politiques d’embauche standards.

Mais le français est une langue qui évolue. Patience.

Inuit

On les appelait Esquimaux. Ce terme ne sert plus que de nom à une équipe de football d’Edmonton. Les Inuits ont acquis leurs lettres de noblesse depuis un bon bout de temps, mais la graphie de ce nom ainsi que l’accord au pluriel et au féminin continuent d’intriguer.

Pourtant rien de très compliqué.

Les noms d’origine étrangère intégrés au français en prennent les caractéristiques grammaticales, point à la ligne. Cela signifie que l’on fait l’accord au féminin – Inuite – et au pluriel – Inuits et Inuites.

Ces graphies sont confirmées par l’Office québécois de la langue française, les Clefs du français pratique du Bureau de la traduction, le Multidictionnaire de la langue française et le Petit Robert.

Il est assez étonnant que le ministère des Affaires autochtones et du Nord continue de prêcher l’invariabilité du terme.

Ce n’est pas un problème nouveau. Le nom des ethnies a toujours causé des mots de tête aux langagiers. En pratique, les noms des ethnies les plus connues ont été francisés.

Les Khmers, les Tatars, les Tchétchènes.

On a même francisé les Bushmen pour adopter Bochimans.

Toutefois, le français ne fait pas toujours preuve de logique; il adore couper les cheveux en quatre. Alors, les noms des ethnies moins connues restent invariables.

Les Oromo, les Xhosa, les Karen.

Pourquoi? Par crainte que la forme plurielle soit confondue avec le singulier. Par exemple, si on disait les Karens, certains pourraient penser que le nom de l’ethnie est Karens, et non Karen.

D’où la confusion avec Inuit. Pendant longtemps, ce mot a été invariable. Pourtant, on écrivait Esquimau, Esquimaude, Esquimaux.

Dans le cas d’Inuit, la logique et la simplicité l’ont emporté. Pour une fois.

Certains feront valoir qu’Inuit est en fait le pluriel d’Inuk. Il ne faut donc pas superposer un pluriel ethnique à un pluriel français. Cet argument ne tient pas. Le français a adopté la forme plurielle de Targui, soit Touareg. Et le fait déjà pour panini, forme plurielle de panino. On dit bien des paninis, comme on dit des spaghettis, n’est-ce pas?

Alors, où est le problème?

 

 

États-Unis : pluriel ou singulier?

On peut observer qu’en anglais, les États-Unis appellent toujours un verbe au singulier. Singulier en effet.

The United States is heralded as Canada’s premier partner in the Arctic.

Bien entendu, Google Traduction tombe dans le piège :

Les États-Unis est annoncé comme le partenaire par excellence du Canada dans l’Arctique.

Autre raison de se méfier des logiciels de traduction automatique diront beaucoup de gens.

Avec notre esprit francophone cartésien, on peut se demander quelle mouche a piqué les Américains. En fait, se cache derrière tout ceci un motif politique, qui date de la Guerre de Sécession (graphie que je recommande). Parce qu’avant celle-ci, on employait bel et bien le pluriel, comme en français.

C’est lors d’un discours, prononcé en 1862, je crois, que le président Abraham Lincoln décida de recourir au singulier, pour monter le caractère indivisible des États-Unis. Depuis lors, tout le monde emploie le singulier.

Le français, lui, s’en tient à la logique grammaticale. Deux exemples :

Les États-Unis sont la première puissance mondiale.

Les Pays-Bas sont situés en-dessous du niveau de la mer.

 

Partager

Il y a presque deux ans, j’écrivais un article sur l’envahissant partager. Voilà un mot qui se propage dans les médias sociaux et dans tous les outils de communication électroniques. Bref, un véritable raz de marée, comme on ne dit plus aujourd’hui.

On partage un statut Facebook, un tweet…

Il est clair que cette acception vient de l’anglais to share, qui a le sens de diffuser, faire connaître.

Cette définition n’est pas reconnue dans les grands dictionnaires, qui s’en tiennent à la notion de diviser une chose entre plusieurs personnes.

Or, le partage d’un article dans un média électronique ne correspond pas à la définition traditionnelle de ce mot en français. Quand on partage l’article, on ne le divise pas en plusieurs tranches; on en envoie copie à plusieurs personnes.

L’utilisation de partage et partager est tellement commune, que ce n’est qu’une question de temps avant que les grands ouvrages ne reconnaissent le nouveau sens qui leur est attribué. C’est d’ailleurs ce qu’indiquait la terminologue Emmanuelle Samson dans un article paru dans L’Actualité langagière, en 2012.

D’ailleurs, c’est déjà commencé.

Premier « coupable », et non le moindre, la Banque de dépannage de l’Office québécois de la langue français.

Lorsqu’il est question d’un contenu numérique, partager signifie « mettre à la disposition d’autres utilisateurs ». Exemples :

Les adeptes des médias sociaux aiment pouvoir y partager photos et vidéos de même qu’hyperliens et commentaires.

Partager des fichiers par courriel comporte des risques sur le plan de la sécurité.

Deuxième « coupable » : le dictionnaire québécois Usito.

« Mettre à la disposition d’autres utilisateurs, rendre disponible du contenu numérique. »

Exemples :

Partager une vidéo, une photo, un article.

Partager du contenu par courriel, sur les réseaux sociaux.

Partager un lien sur un site, sur une page Web.

Certains y verront une reddition honteuse, d’autres une évolution acceptable. Chose certaine, les solutions de rechange que sont diffuser, faire connaître, transmettre, n’ont pas la cote. François Lavallée, de Magistrad, propose relayer. Excellente idée! Dans le Petit Robert, on signale cet usage pour les émissions de radio ou de télé. On peut certainement en étendre le sens aux communications électroniques.

Quant à savoir si les suggestions ci-dessus détrôneront l’anglicisme partager, eh bien, les paris sont ouverts.

 

 

 

Trump : Que va-t-il se passer?

Trump président? Cela paraissait inconcevable il y a quelques mois… et pourtant, le voici propulsé à la Maison-Blanche.

Mais l’exercice du pouvoir pourrait s’avérer beaucoup plus ardu que ne le croit le nouveau président.

La crainte du despotisme

Tout le système politique américain est construit en réaction au despotisme perçu du roi anglais George III qui n’a pas tenu compte des doléances des colons américains. Cela a conduit à la Révolution américaine. Dans le nouveau pays, la crainte de porter au pouvoir un despote est devenue une obsession nationale.

En 1787, les Américains élaborent ce qui est devenu la Constitution des États-Unis. Le premier garde-fou dressé est le Collège électoral. En gros, ce sont des représentants des États qui désignent officiellement le président des États-Unis. Ce sont eux que les électeurs américains choisiront en novembre, car ils ne votent pas directement pour le président.

Le Collège est censé protéger les électeurs contre leur propre étourderie. En théorie, il doit barrer la route à tout candidat qui cherche à devenir un dictateur. Bien entendu, ce filtre est une illusion, car il repose sur le principe que les grands électeurs du Collège seraient plus avisés que la majorité de la population.

Or, les grands électeurs ne sont pas un corps de philosophes, loin de là. Ce sont des personnalités désignées par les partis : de vieux militants, des collecteurs fonds, des personnes bien en vue. Mais certainement pas de grands penseurs. Comme ils sont étiquetés démocrates ou républicains, il est peu probable qu’ils voteront contre leur propre candidat. En fait, certains États interdisent le changement d’allégeance.

Depuis la fondation des États-Unis modernes, en 1787, seul une dizaine ont changé d’avis.

Le Collège électoral ne joue donc pas le rôle qu’on lui a attribué à l’origine.

Un président entravé

Une fois au pouvoir, le président n’est pas au bout de ses peines, tant s’en faut. Tout ce qu’il fait est scruté à la loupe par le Congrès et ce dernier peut lui mettre des bâtons dans les roues et entraver toutes les initiatives qui lui déplaisent.

On aurait tort de comparer le président états-unien au premier ministre canadien. Au risque d’en surprendre quelques-uns, c’est le second qui a plus de pouvoir. En effet, le chef du gouvernement canadien peut faire nommer les sénateurs, les juges à la Cour suprême et choisir les ambassadeurs à peu près comme bon lui semble.

Rien de semblable pour le président américain. Il doit obtenir l’imprimatur du Sénat.

Le système américain repose sur le  jeu de poids et de contrepoids. Personne n’a les coudées franches. Le Congrès surveille tout ce que fait le président, mais ne peut le renverser. Le président peut toutefois opposer son véto à toute loi qu’il juge abusive. La Cour suprême s’assure que la présidence et les parlementaires n’outrepassent pas leurs pouvoirs.

Le président américain n’a rien à voir avec un chef de parti canadien. Il est désigné par une convention, mais n’est pas chef de parti. S’il perd ses élections, il ne revient sous la forme d’un chef de l’opposition. Il s’éclipse.

Il a donc relativement peu d’ascendant sur les membres du Congrès. Ces derniers siègent parfois depuis de longues années et ne doivent rien au président nouvellement élu. En plus, la discipline de vote telle qu’on la connaît au Canada n’existe pas. Le président ne jouit pas d’une majorité asservie qui vote automatiquement pour lui à tout coup.

Au Congrès, les majorités se font et se défont à chaque vote. Des républicains voteront contre le président Trump et des démocrates pourront l’appuyer dans certains cas. Le président Trump devra donc continuellement négocier avec le Congrès pour que ses initiatives deviennent force de loi. Il risque de trouver cela très difficile. Pas question de mettre à la porte les représentants et les sénateurs… En effet, le président ne peut dissoudre le Congrès. Il doit vivre avec…

De plus, l’un des rôles du Congrès est justement de surveiller tout ce que fait le président. Ce dernier n’a pas les coudées franches, bien au contraire.

Pour compliquer les choses, un président ne peut présenter directement de projet de loi, car il ne siège pas au Congrès. Certains parlementaires pourront le faire en son nom. Mais, par la suite, rien n’est gagné d’avance.

Le Congrès pourra défaire le projet de loi présidentiel. Le chef d’État n’est pas tenu de démissionner et la vie continue.

Le Congrès peut non seulement contrecarrer les initiatives présidentielles, mais s’opposer systématiquement à lui. On l’a vu clairement avec le président Obama, incapable de faire adopter une législation plus restrictive dans le commerce des armes à feu.

Le Congrès exerce surtout un rôle de surveillance. Un président qui essaierait de le bousculer, de lui forcer la main sans arrêt, se heurterait à une farouche opposition.

Le vieux réflexe américain de se méfier de tout pouvoir absolu pourrait bien jouer.

Un éventuel président Trump qui chercherait à aller trop loin en ne respectant pas les limites strictes de son pouvoir, en refusant de tenir compte du Congrès et en essayant de gouverner par décret déclencherait une crise. Il pourrait voir le Congrès se dresser contre lui et le destituer.

Destitution du président

Les pères de la Constitution de 1787 ont voulu s’assurer que jamais un président ne puisse intimider le Congrès pour le forcer à adopter des lois abusives. La Constitution prévoit une procédure en destitution appelée impeachment. Elle permet la mise en accusation du président s’il est formellement accusé de crime grave (high crime) et de délit (misdemeanor).

Ce sont là deux termes très vagues, soit, mais les parlementaires n’hésiteraient pas à qualifier de crime grave, voire de trahison, toute action d’un président qui pencherait vers une forme ou une autre de pouvoir personnel.

Qu’arriverait-il? La destitution, tout simplement.

Dans ce processus complexe, la Chambre des représentants peut adopter un acte d’accusation appelé Bill of Impeachement. Celui-ci énonce des chefs d’accusation. La Chambre passe le relai au Sénat qui se prononce sur les chefs d’accusation. Si l’un d’entre eux est retenu à la majorité des deux tiers, le président est destitué.

Cela n’est jamais arrivé. Nixon n’a jamais été destitué, mais les représentants avaient décidé de le mettre en accusation. Il a préféré démissionner.

Il est bien sûr trop tôt pour prédire un tel scénario. Mais il est très clair que tout politicien qui entend jouer au matamore une fois rendu à la Maison-Blanche se heurtera très vite à l’ensemble de la classe politique américaine. Et la possibilité que les tribunaux s’en mêlent est aussi très réelle.

En fin de compte, l’élection de Trump pourrait constituer un test capital et révélateur de la solidité des institutions américaines.

Corporatif

Le milieu des affaires aime bien calquer l’anglais. Après tout, il s’agit de la langue des affaires et elle inspire fortement le français des gens d’entreprise. Certains y voient une marque de modernité; d’autres n’y voient que du feu.

Comment ne pas condamner la nouvelle Place Bell que l’on construira à Laval? Nous sommes en 2016 et on ne sait toujours pas que place ne désigne pas en français un immeuble commercial. Décourageant. Pourquoi pensez-vous que les caisses populaires ont évité l’anglicisme Place Desjardins et ont adopté le Complexe Desjardins?

Ce long préambule m’amène aux expressions corporation et corporatif, qui polluent cartes professionnelles et titres officiels.

En français, une corporation n’est PAS une entreprise commerciale. C’est un groupe de personnes exerçant un même métier, point à la ligne. Pour traduire corporation, on parlera de société, de compagnie, d’entreprise.

Une corporation professionnelle sera un ordre professionnel.

L’anglicisme corporation pâlit d’envie devant la prolifération sémantique produite par son rejeton corporatif. Les anglicisants s’en donnent à cœur joie.

Évidemment, corporatif définit ce qui est lié… à une entreprise. Le terme ne colle donc pas, puisqu’il s’agit d’un autre anglicisme.

Les variantes sont infinies.

Au pays du hockey, une loge corporative est une loge d’entreprise.

Les compagnies pratiquent l’évasion fiscale? Elles versent des primes faramineuses à des dirigeants qui échouent? On voit l’importance de préserver l’image corporative. Et si on disait l’image de marque? Beaucoup plus joli, non?

Après tout, les compagnies doivent donner le bon exemple et être de bons citoyens corporatifs, c’est-à-dire des entreprises citoyennes. Elles doivent avoir une bonne culture corporative, soit une bonne culture organisationnelle.

Pour ce faire, elles se doteront d’une Direction des affaires corporatives, autrement dit, des affaires internes. Cette direction offrira des services corporatifs, donc des services généraux, d’entreprise, organisationnels.

Corporatif peut également s’employer dans un sens plus large, notamment dans la littérature gouvernementale. Dans ce cas précis, les services corporatifs deviennent les services ministériels, gouvernementaux.

Comme on le voit, un peu de créativité permet d’éviter l’anglicisme.