Fut ou fût?

L’erreur vaut la peine d’être mentionnée parce qu’on la voit un peu trop souvent. Lesquelles des phrases suivantes sont erronées?

Philomène fût étonnée de trouver Marc-Antoine étendu dans la grange.

Bien qu’elle fut romancière populaire, elle maitrisait mal l’imparfait du subjonctif.

Encore eut-il fallu qu’elle fut primée par l’Académie Gonfley.

Toutes.

La confusion entre le passé simple et l’imparfait du subjonctif ne surprend plus personne. Pourtant, elle devrait. Voilà un temps et un mode en perte de vitesse, du moins dans l’usage populaire.

Dans le cas du premier, l’imparfait et le passé composé l’emportent largement dans la langue courante, le passé étant réservé à la littérature.

Il fut décoré de la Légion d’honneur.

Comme on le voit, le passé simple ne demande pas l’accent circonflexe. Mais confusion il y a dans le cas de ce grand incompris, l’imparfait du subjonctif qui, lui, exige le fameux accent.

Bien qu’il fût décoré de la Légion d’honneur, il demeurait modeste.

La confusion peut certes s’expliquer par une maitrise approximative du français. On pourrait croire que dès l’instant où une phrase appartient à un mode d’expression plus relevé, il faut utiliser l’accent circonflexe. Rien n’est plus faux; la réalité est autrement plus complexe.

Un truc intéressant, donné dans un site Web, est d’écrire fût-il lorsqu’on peut le remplacer par serait-il ou même s’il était.

Le même genre de confusion sévit avec le petit cousin qu’est eût-il. Comme dans le cas précédent, l’absence d’accent renvoie au passé simple.

Il eut toutes les chances possibles.

Encore eût-il fallu qu’il en profitât.

Le circonflexe apparait souvent à la troisième personne de l’imparfait du subjonctif.

Bien qu’elle regardât, qu’elle vît, prît, etc. Mais à l’indicatif : Elle regarda, vit, prit, etc.

Voilà, il fallait que ce fût dit.

LGBTQ

Jadis, il y avait les homosexuels. Pour beaucoup, l’expression était en soi péjorative et sa descendance ignominieuse était légion : tapette, fif, pédale, gouine, etc.

Puis il y eut gai et lesbienne; et maintenant le sigle (incomplet) LGBTQ, qui rend compte d’une réalité bien plus complexe qu’on ne l’imaginait dans les années 50 ou 60.

Le mot gay

Les homosexuels masculins s’appellent maintenant les gais ou gays, si vous préférez l’orthographe française… Mais pourquoi a-t-on adopté ce terme qui nous entraîne dans les brumes de la polysémie? Si je dis que Charles est gai, est-ce parce qu’il a gagné à la loterie ou parce qu’il est homosexuel?

À San Francisco, le mot gay était un code pour désigner les homosexuels. Si vous cherchiez un endroit gai, les gens comprenaient que vous désiriez rencontrer des homosexuels, bref des invertis, comme on disait jadis.

Le mot a par la suite été féminisé, bien que l’appellation lesbienne ait gardé la priorité.

Ce qui nous amène vers LGBT.

LGBT

Outre les gais et lesbiennes, il y a aussi ceux qui aiment autant les hommes que les femmes, donc des bisexuels. Les progrès accomplis par la médecine au cours des dernières décennies amènent certaines personnes à changer de sexe. On les appelle les transgenres, d’où le T du sigle LGBT.

Mais ce n’est pas si simple. Transgenre ou transsexuel? Voilà la question, dirait Hamlet, cet éternel indécis. En fait, une personne qui n’est pas à l’aise avec le sexe que la nature lui a attribué est un transgenre. Le dictionnaire Usito est clair à cet effet :

Se dit d’un individu dont l’identité sexuelle ne correspond pas à son sexe biologique.

Tant Usito que les dictionnaires courants donnent transgenre et transsexuel comme synonymes. Dans un autre article, j’ai signalé l’apparition du mot genre dans le vocabulaire courant, mot qui remplace sexe lorsqu’il est question de l’identité sexuelle. En effet, le mot en question pouvait prêter à confusion dans certaines expressions. Il semble que transsexuel est moins utilisé pour des raisons semblables.

Q pour queer

Le sigle LGBT semble déjà dépassé, car il lui manque une lettre. Au départ, le mot queer en anglais désignait une personne ou un phénomène étrange. Une personne queer était hors norme. Ainsi désignait-on souvent les homosexuels et il semble que ces derniers se sont approprié l’expression pour en retrancher le caractère péjoratif. D’ailleurs, le terme a traversé en français et le Petit Robert le définit ainsi :

Personne dont l’orientation ou l’identité ne correspondent pas aux modèles dominants.

En clair, une personne qui n’est pas hétérosexuelle. Soit dit en passant, cisgenre désigne une personne dont le genre ressenti correspond à son sexe biologique,

Certains ajoutent un second Q pour indiquer que la personne est en questionnement sur son orientation sexuelle.

Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin?

LGBTQIA, ça vous dit quelque chose? I pour intersexe et A pour asexuel. Les personnes asexuelles n’ont d’attirance sexuelle envers personne, mais elles appuient quand même les luttes menées par les personnes LGBTQ.

S’ajoute à ce cortège le chiffre 2 qui désigne chez les autochtones ceux qui partagent deux genres ou deux identités sexuelles. Le sigle LGBTQ2 s’impose de plus en plus.

Ouf!

Je suis sûr que bien des lecteurs et lectrices ont exhalé un soupir en lisant cette nomenclature. Du strict point de vue langagier, ces sigles sont une horreur. Dans un autre article, je dénonce l’abus des sigles dans le discours moderne et le cas en l’objet en est une preuve éclatante. D’ailleurs, bien des… comment faut-il les appeler… bien des membres de la communauté LGBTQ2 croient que cette appellation est devenue trop longue, à force de vouloir être inclusive.

Bien entendu, il est impossible de revenir en arrière et de ramener l’expression homosexuel pour réunir tous ces gens. Néanmoins, si j’appartenais à cette communauté, je serais mal à l’aise de dire que je suis une personne LGBTQ2. Sans vouloir offenser personne, on dirait une formule de chimie.

Un terme inclusif reste encore à inventer. Un terme arc-en-ciel.

Racisé

Le plus grand respect accordé aux membres de minorités ethniques et sexuelles a entraîné une mutation du vocabulaire.

La notion de race a d’ailleurs cédé le pas à celle d’ethnie, dans la mesure où l’on peut considérer qu’il n’y a qu’une seule race humaine, et non plusieurs comme on le soutenait jadis. De toute manière, cette question relève davantage de l’anthropologie que de la linguistique.

Soit dit en passant, le Larousse prend ses distances avec le mot race dans la définition qu’il donne du racisme :

Idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races » ; comportement inspiré par cette idéologie.

Il y a une cinquantaine d’années, on se moquait couramment de certains peuples. Au Québec, par exemple, les farceurs aimaient dépeindre les Italiens comme étant des personnes sales. Beaucoup d’entre eux travaillaient dans la construction (métier salissant…) et c’est peut-être de là que venait ce préjugé.

Pour avoir fait un long séjour dans le pays de Dante, je peux confirmer que les Italiens ne sentent pas plus mauvais que les autres. C’est un mythe.

Bien entendu, les blagues sur la pingrerie des Juifs abondaient. Sans parler des Noirs, présentés comme des abrutis… De jours, de telles blagues seraient impensables. Sauf dans les médias sociaux, il va sans dire…

Ces gifles irrespectueuses étaient racistes. Oui, racistes, car le terme est resté, même s’il est contestable pour certains de parler de race.

Les sociétés occidentales abritent des communautés ethniques importantes. Certaines d’entre elles sont victimes de discrimination. On dit alors qu’elles sont racisées. Le terme en question gagne en popularité et fait partie de la cohorte de néologismes qui s’imposent de plus en plus dans le vocabulaire courant.

Néologisme vraiment? Le Petit Robert nous apprend que le mot existe depuis au moins 1907… La définition est claire :

Personne touchée par le racisme, la discrimination.

Assez curieusement, le mot ne figure pas dans le Petit Larousse. Néanmoins, un exemple intéressant de mot revenu en force tout simplement parce qu’il n’a pas perdu sa pertinence.

Prochain article : LGBT

Craquer

« Le vernis est craqué. »  Cette formulation est courante au Canada français et semble parfaitement admissible. Et pourtant…

Le sens exact de craquer est : « Produire un bruit sec. » D’ailleurs, craquer vient de l’onomatopée crac! Le mot allemand krach, pour désigner un effondrement boursier, est inspiré du terme français.

Alors que veut dire craquer? Plusieurs choses, en fait. Céder brusquement, soit à une envie, soit à une défaillance nerveuse.

Elle a craqué pour cet appartement dans le Vieux-Québec.

Il a craqué sous la pression.

Un objet peut craquer sans nécessairement produire un bruit sec.

La valise était pleine à craquer. Le réseau de santé craque de toute part.

Le dernier exemple est tiré de La Presse, en 1990.

Comme on le voit, le sens devient très voisin de se rompre, s’écrouler. Toutefois, craquer n’a pas exactement le même sens que de se fissurer, se fendiller. Le terme exact serait craqueler.

Exemples tirés du Robert.

Le gel a craquelé le sol. Le chemin craquelé par la chaleur.  

Vous aurez peut-être deviné l’influence de l’anglais derrière le verbe craquer, tel qu’il est utilisé au Canada. Influence il y a également dans le mot craque.

Ce joueur de hockey n’arrêtait pas de faire des craques sur les journalistes.

En clair, il envoyait des piques, faisait des railleries.

Dans les vieux pays, une craque est un mensonge; définition inusitée chez nous, il va sans dire.

Désigner des fentes et des crevasses sous le terme de craque est également une faute. Sans oublier l’emploi du même mot, sur un mode vulgaire, pour parler de l’espace entre les seins ou de la vulve. Encore là, ce sont des emplois propres au Canada.

Il est intéressant de mentionner l’apport d’un petit voisin venu de l’anglais : crack.

Passons rapidement sur cette drogue dévastatrice vendue en cristaux. Un crack, c’est souvent une personne possédant un talent remarquable dans un domaine précis.

Stephen Hawkins était un crack en mathématique.