Écrire les noms russes en français

Il est de tradition en France d’écrire les noms russes à la française. Malheureusement, les médias francophones d’Amérique du Nord nagent dans une mer anglo-américaine. Les sources sont souvent en anglais et les noms russes sont importés directement dans les textes français sans que personne ne se pose de question.

Pourtant, il faudrait s’en poser.

Récemment, Le Devoir écrivait ainsi le nom de l’ambassadeur de Russie aux États-Unis : Sergey Kislyak, au lieu de Sergueï Kislyak.

Le président Vladimir Poutine voit son nom continuellement écrit en français. Cas rarissime de translittération dans la presse francophone canadienne. Conserver la graphie anglaise Putin ferait sourire.

Le problème est posé : pourquoi des graphies différentes pour un seul et même nom? Tout simplement parce que le russe s’écrit en caractères cyrilliques et qu’il faut transcrire les noms en alphabet latin, pour que les francophones, anglophones, germanophones, etc., puissent les lire. Or, l’écriture des sons comme le CH, le TCH, le OU, par exemple, varie d’une langue à l’autre, d’où les différences de graphie pour un seul nom.

Voici quelques exemples du genre de variations anglaises-françaises que ce phénomène, appelé translittération, peut donner.

Fyodor Dostoyesky – Fiodor Dostoïevski

Leo Tolstoy – Léon Tolstoï

Anna Karenin – Anna Karénine

Doctor Zhivago – Docteur Jivago

Nikita Khrushchev – Nikita Khrouchtchev

Le quotidien d’Ottawa Le Droit, dont la qualité du français n’est pas à citer en exemple, avait senti que le nom du joueur de hockey Alexei Yashin ne pouvait s’écrire ainsi. Évidemment, il s’agissait de la graphie anglaise de son nom et la laisser ainsi donnait l’impression que Yashin rimait avec Machin… Les rédacteurs ont finalement opté pour Yashine; ils n’étaient pas loin de la solution : Yachine.

Mais voilà, depuis quand écrit-on les noms russes à la française dans le merveilleux monde du sport? Maria Sharapova (Charapova), Evgeni Malkin (Evguéni Malkine), les exemples abondent. Sans parler du prénom Sergueï, régulièrement orthographié Sergiy, Sergei, Sergey dans les médias francophones. Il est évidemment plus simple de normaliser la graphie de ces noms vers l’anglais, d’autant plus qu’il est illusoire de s’attendre à ce que les rédacteurs de sport se mettent à faire de la translittération… Du moins ici.

Car la situation est toute autre en Europe francophone. Sur le Vieux Continent, l’anglais en mène moins large qu’ici à cause du rayonnement d’autres langues prestigieuses que sont le français, l’allemand, l’italien, l’espagnol, le portugais. En outre, la France et la Russie ont toujours eu des rapports spéciaux, de sorte que les Français prêtent une attention spéciale aux noms russes et les écrivent soigneusement avec une graphie respectant les règles phonologiques de notre langue. La seule exception étant… les noms d’athlètes.

Traditionnellement, les noms de grands artistes russes, d’écrivains, de personnalités publiques, de militaires, etc. sont toujours transcrits à la française : Lénine, Dostoïevski, Tolstoï, Brejnev, Toukatchevsky, Krouchtchev, Ieltsine, etc.

Prenons un seul exemple, le maire de Moscou, Iouri Loujkov. Le Téléjournal de Radio-Canada a souvent écrit son nom à l’anglaise, ce qui donne Yuri Luzhkov (le ZH symbolise le J prononcé à la française, qui existe aussi en russe). J’ai signalé le problème à de multiples reprises, mais, évidemment, personne n’a répondu.

La graphie des noms russes, à Radio-Canada comme dans d’autres médias, demeure à l’avenant : parfois ils sont orthographiés en français et d’autres fois non. Tout dépend si le journaliste a consulté une source française ou anglaise. Triste.

Le phénomène de la translittération touche particulièrement les langues slaves comme le russe, l’ukrainien, le biélorusse, le bulgare. Mais les langues de l’ancien Empire soviétique sont aussi touchées : géorgien, turkmène, kirghize, etc.

Le rédacteur voulant éviter de tomber dans les mêmes pièges que les médias canadiens devrait consulter des sources françaises pour trouver la bonne graphie. Et surtout se méfier de ce qui est écrit dans les médias.

La prononciation des noms étrangers

Lorsque je travaillais à Radio-Canada, la question de la prononciation des noms de personnalités étrangères se posait. Pour les noms anglophones, pas de problème, mais que faire des noms russes, norvégiens, tamouls ?

Les lecteurs de nouvelles devaient faire preuve d’une certaine érudition, mais qui peut prétendre connaître la prononciation des quelque trois mille langues de la Terre ? Pour compliquer les choses, se posait aussi la question des accents toniques du chinois et des autres langues à tons.

Les lecteurs francophones manifestaient généralement un certain souci d’exactitude, tandis que les anglophones déformaient, aplatissaient, les noms étrangers sans vergogne. Bien entendu, il y a des limites à vouloir faire authentique et la prononciation des noms vietnamiens par les lecteurs de nouvelles faisait probablement rouler par terre toutes les personnes originaires de la péninsule du Sud-Est asiatique. À l’impossible nul n’est tenu.

Mais, au moins, il y avait une certaine volonté chez les francophones de respecter les autres langues.

Il faut dire que les langues ont tendance à intégrer les noms étrangers à leur phonologie et à les normaliser, pour le meilleur et, souvent, pour le pire. Cela peut expliquer le manque d’empressement des commentateurs anglophones à prononcer les U et les EU français. Par ailleurs, tous ceux qui écoutent des séries américaines traduites en France ont de quoi se bidonner… Le TH anglais est un grand mystère pour nos cousins d’outre-mer, qui le confondent avec un S allongé. Pensons à la série Vengeance, à Radio-Canada (et non pas SUR Radio-Canada), dont la vedette est Emily Sssorne, qui vit non loin de Sousssamptonne… Pénible.

Tout aussi pénible est la prononciation du prénom de Roger Federer, un Suisse, pas un États-Unien ou un Britannique, un ressortissant de la Suisse, je le répète, dont les langues officielles sont l’allemand, le français et l’italien, mais pas l’anglais… Federer est germanophone de naissance et il parle français et anglais. Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer pourquoi les commentateurs de sport s’entêtent à prononcer son prénom Rodgeur ? N’est pas Rodger Brulotte qui veut…

Même observation pour les commentateurs francophones du baseball qui prononcent à l’anglaise le nom des joueurs sud-américains. Rrrrodrrrriguèzzz. Voilà justement un domaine où les analystes pourraient se distinguer, au lieu de marcher dans les ornières des commentateurs états-uniens et canadiens-anglais.

 

Démotion

« À cause du réaménagement des effectifs, Corinne a subi une démotion. » Voilà une phrase que l’on pourrait entendre à la cafétéria d’une entreprise et à peu près personne ne tiquerait… sauf des amants pointilleux de la langue française.

Quoi de plus français qu’une démotion? Pourtant, essayez de taper ce terme dans un logiciel de traitement de texte et vous verrez le mot se décorer d’une petite guirlande rouge, généralement un signal inquiétant. Cherchez le mot dans le Robert ou le Larousse et il n’y est pas…

Et pour cause! Démotion, malgré ses allures françaises, vient de l’anglais demotion. Pourtant, notre langue possède le verbe démettre qui signifie révoquer, destituer. Il est donc naturel que l’on tombe dans le piège.

Mais ce que les anglophones appellent une demotion est en fait une rétrogradation. Rétrograder, c’est reculer dans la hiérarchie; il ne s’agit donc pas tout à fait de la même chose qu’être révoqué ou destitué.

Donc, rien à faire, il faut dire rétrogradation.

Ils ont passé (seconde partie)

 Suite de l’article sur les anglicismes maintenant acceptés en français.

Avez-vous des contacts en haut lieu? Si oui, cela signifie que vous avez le bras long, et non pas que vous encaissez une décharge électrique. Au départ, le mot en l’objet avait surtout pour contexte les domaines policier et de l’espionnage, mais ce n’est plus le cas. Il est bien implanté dans l’usage, d’autant plus qu’il existe en français depuis la fin du XIXe siècle.

Curieusement, le verbe contacter, qui en est issu, est plus critiqué, mais bel et bien admis. D’ailleurs, le Multidictionnaire de la langue française, qui signale les anglicismes avec rigueur, ne le condamne pas. Ce genre de cas, où un mot est accepté dans notre langue, mais non son voisin immédiat, n’est pas rare.

Lorsque vous visitez un salon du livre, par exemple, vous passez d’un stand à un autre, que beaucoup de personnes appellent kiosque, en pensant contourner l’anglicisme. Pourtant, elles ne font que commettre une impropriété, car un kiosque n’est rien d’autre qu’un pavillon de jardin ou un édicule où l’on vend des journaux et des magazines. En fait, le mot kiosque vient du turc!  Quant à stand, il est dans notre langue depuis 1883, selon le Robert.

Quant au mot magazine, il s’agit d’un anglicisme dérivé du français magasin. Certains voudront lui substituer revue… qui vient de l’anglais review.

Sophistiqué. Une personne, un programme, pas de problème. Lui aussi est passé dans l’usage, au sens de raffiné, perfectionné. Vous ne saviez pas que ça vient de l’anglais? Eh bien, vous le savez maintenant!

Le mot disponible a lui aussi toutes les caractéristiques de l’innocence. Est disponible une chose qui est à notre disposition, par exemple une place quelque part, de l’argent, une voiture. Une personne, comme un préposé à la clientèle d’une entreprise de télécommunication, peut aussi être disponible (après une demi-heure d’attente…)

Là où l’influence de l’anglais se fait sentir, c’est lorsque l’on parle d’un objet qui peut être acquis : un livre disponible en magasin, par exemple. Le livre est en vente tout simplement.

Enfin, un mot que l’on aimerait oublier ces temps-ci : politicien. Un mot à deux faces, qu’on me pardonne ce jeu de mots facile. Les francophones du Canada parlent volontiers de politicien, tandis que les Européens utilisent le terme politique qui, à nos oreilles nord-américaines, paraît un peu factice. En tout cas, il est plus neutre que politicien, qui évoque l’image d’une personne retorse.

En fait, l’anglicisme politicien vient du français politique. Il désigne une personne exerçant une action politique, mais il peut prendre une nuance péjorative. Ne parle-t-on pas de manœuvres politiciennes?

 

Canadianismes indélogeables?

C’est un euphémisme de dire que le français au Canada a beaucoup emprunté à l’anglais, ce qui est parfaitement compréhensible. Bien des efforts ont été déployés pour éradiquer certains anglicismes et il faut reconnaître que la qualité du français s’est en général améliorée.

Au Canada, on donne un sens très restreint au mot ustensile, qui désigne la fourchette, le couteau et la cuiller. Beaucoup (et non plusieurs…) seront surpris d’apprendre que pour un Européen, les ustensiles comprennent aussi bien les récipients (marmites, casseroles, bouilloires, etc.), que le hachoir, le presse-purée, le robot, sans oublier les ustensiles, selon la définition canadienne !

Soit dit en passant, l’anglais définit utensils de la même manière que le français européen.

Alors comment les Européens appellent-ils nos ustensiles? Le couvert tout simplement.

Ce mot peut avoir le sens large de tout ce que l’on met sur la table pour un repas; dans un sens plus restreint, il peut s’agir de la fourchette, du couteau et de la cuiller.

Donc si vous demandez à un invité de Belgique de mettre les ustensiles sur la table, il devrait vous comprendre. Mais s’il vous dit qu’il a complété sa collection d’ustensiles avec l’achat d’une écumoire, vous serez sans doute étonné. Vous voyez-vous manger de la soupe avec une cuiller trouée ?

Votre ami Belge passe quelques jours au pays et vous lui dites de ne pas s’inquiéter des rigueurs du printemps canadien, car vous avez une fournaise à l’huile… Un pur non-sens pour lui, une fournaise étant un lieu très chaud et non pas un appareil de chauffage, qu’en Europe on appelle chaudière, tandis que notre huile à chauffage n’est rien d’autre que du mazout

Chaudière… Peut-on vraiment envisager d’utiliser chaudière sans se couvrir de ridicule? On imagine mal quelqu’un appeler les pompiers pour dire que le feu est pris dans sa chaudière… L’impropriété, qui vient de l’anglais furnace, a encore un bel avenir devant elle.

Mais qui sait, un jour ? Qu’en pensez-vous ?

 

 

 

 

 

 

Ils ont passé (1re partie)

Premier article d’une série de deux sur les anglicismes maintenant admis en français

En 1914, les Français disaient : « Ils ne passeront pas.  », en parlant des envahisseurs allemands et, effectivement, ils n’ont pas passé. On souhaiterait voir la même passion aujourd’hui pour les envahisseurs anglais de la langue, à qui nos cousins ouvrent grand la porte, avec un enthousiasme qui n’en finit plus d’étonner.

Toujours est-il, que bon nombre d’anglicismes que l’on condamnait il y a une génération se sont frayé un chemin dans l’usage courant et les dictionnaires, pour le meilleur et pour le pire. Petit tour d’horizon…

Portable

 Remplace portatif, bien que celui-ci ne soit pas disparu. Au départ un adjectif, portable est vite devenu un substantif qui désigne aussi bien un téléphone qu’un ordinateur. Lorsqu’un appareil combine les deux fonctions, on parle au Canada d’un téléphone intelligent et, en Europe, d’un smartphone, une horreur figurant dans le Petit Robert. Il y a de la friture sur la ligne.

Abuser

Un bel exemple d’euphémisme à l’anglo-saxonne pour parler d’un viol. Le sens véritable du mot est de tromper, de leurrer; par extension, on en est venu, sous l’influence de l’anglais, à lui donner une connotation sexuelle qu’il n’avait pas. D’ailleurs, le mot abus n’est pas un synonyme de viol.

Drastique

À l’origine était drastique un remède, un purgatif qui exerçait une action énergique. Maintenant, ce sont des mesures qui peuvent être drastiques, alors que draconien suffirait.

Poster

Un poster est une affiche que l’on met chez soi… du moins selon les dictionnaires. Il me semble pourtant que l’on voit des posters collés dans les lieux publics… à moins que ce ne soient que des affiches.

Le terme est aussi utilisé en informatique pour désigner l’action de publier un commentaire dans un forum informatique. Par exemple, si vous publiez une lettre dans le courrier des lecteurs d’un journal (geste démodé), vous publiez tout simplement, alors que si vous le faites sur le site Web du même journal (cool), vous le postez.

Réaliser

Dans le sens de se rendre compte de… Ah! Vous ne le saviez pas? Bien oui, c’est un anglicisme… qui date de 1895. vos grands-parents le disaient sûrement.

Informel

 Un cas intéressant, qu’on en juge. Une réunion informelle est une rencontre à bâtons rompus, non officielle. Les dictionnaires et l’usage l’acceptent. Mais gare à vous si vous parlez d’un entretien formel entre deux ministres des Affaires étrangères, car là vous commettez un anglicisme, formel ayant le sens de péremptoire, dans les formes.

Supporter

Le verbe a généralement le sens de porter une charge ou d’endurer quelqu’un ou quelque chose, mais le sens anglais d’encourager a fait une percée dans la langue des sports.

On supporte donc une équipe, même si cela sonne drôle quand on pense en français. Évidemment, les fans (autre anglicisme admis) du Canadien de Montréal savent de quoi ils parlent… ils supportent au sens anglais et français…

L’anglicisme en a engendré un second, supporteur, parfois écrit sans U, pour partisan.

Loger

 À quelle enseigne logez-vous? À celui des anglicismes si vous logez une plainte ou un appel. Rien à voir avec le véritable sens de ce mot qui signifie « habiter » ou « héberger », d’où la locution familière : à quelle enseigne logez-vous?

On peut donc loger à un hôtel, on peut loger quelqu’un chez soi et même loger une balle dans la cible, nous dit Le Robert.

 Toutefois, notre verbe doit être… délogé des expressions qui s’inspirent directement de l’anglais, d’autant plus qu’il est facile de trouver la bonne cooccurrence en français.

Loger une plainte : déposer une plainte.

Loger un grief : présenter, formuler un grief.

Loger une réclamation : faire une réclamation.

Loger un appel : faire un appel, téléphoner; appeler quelqu’un; passer un coup de fil à quelqu’un.

Dans un contexte juridique, loger un appel peut se rendre par interjeter appel, lorsqu’un avocat conteste la décision rendue par un tribunal.

 

 

 

 

Plusieurs

S’il est un mot qui est malmené un peu partout, c’est bien plusieurs. Son emploi abusif relève d’une ignorance généralisée quant à sa réelle signification, même chez les plus instruits.

Que signifie plusieurs? Robert et Larousse s’entendent sur la définition : plus d’un, un certain nombre. On voit tout de suite que ce mot n’a pas du tout le sens d’un grand nombre, de beaucoup, loin de là. Détail intéressant, la confusion est identique en anglais entre several et many.

 La distinction a son importance, car certaines phrases peuvent devenir absurdes quand on donne à plusieurs son sens véritable. Qu’on en juge :

Plusieurs Canadiens s’opposent à la réforme de l’assurance-emploi. Combien? Trois? Huit? Une douzaine?

Les Canadiens ont attiré plusieurs fans lors de leur séance d’entraînement ce matin. Une poignée seulement? Douteux.

Plusieurs Français ont combattu aux côtés du général de Gaulle pendant l’occupation de la France. On comprend qu’ils aient eu besoin des Alliés pour bouter les Allemands hors de France!

Certains auteurs font un rapprochement entre le terme en l’objet et quelques-uns. La question se pose : que signifie quelques-uns? On pourrait évidemment en discuter jusqu’à demain, mais une vérité s’impose : il est impensable de confondre cette expression avec beaucoup.

D’ailleurs si vous dites avoir passé plusieurs coups de fil ce matin, personne ne comprendra que vous en avez fait des centaines! Sinon, vous auriez dit beaucoup, un (très) grand nombre.

Ce qui amène une nouvelle question : où s’arrête la notion de quelques-uns et où commence celle de beaucoup? La question reste posée et elle fait l’objet d’un article détaillé dans le numéro d’hiver 2012 de L’Actualité langagière, sous la plume de Jacques Desrosiers, en page 26.

Chose certaine, il convient de tourner sa plume plusieurs fois dans l’encrier avant d’utiliser plusieurs.