Safe space (suite)

Mon dernier article sur la notion de safe space m’a valu de nombreux commentaires, la plupart constructifs. Je me permets d’en faire la matière d’un second article pour répondre à la même question : comment traduire safe space?

Une traductrice m’a indiqué que le terme en question est lié à la volonté de créer un milieu sain dans lequel on peut discuter de problèmes épineux, sans être jugé et sans subir de nouveaux traumatismes. On pourrait parler ici d’espace sans discrimination, sans jugement.

Certains parleraient ici de bulle, qui est un espace protégé. Pourrait-on parler de bulle protectrice ? Dans la même veine on pourrait dire un sanctuaire, qui rejoint les notions de refuge, dont j’ai parlé dans le premier article, et d’asile. Ce dernier mot me parait à éviter, pour des raisons évidentes, car il peut aussi s’entendre d’un hôpital psychiatrique, ce qu’un d’espace sans discrimination n’est évidemment pas.

Trigger warnings

Les avertissements que l’on entend au début des émissions de télévision s’appellent des trigger warnings, ce qu’on traduit par traumavertissements.

Safe space

Notre société est de plus en plus sensible. On craint tellement d’offenser quelqu’un que les productions télé et cinéma sont systématiquement précédées de ce qu’on appelle en anglais des trigger warnings, ces avertissements indiquant aux spectateurs que le langage employé pourrait ne pas convenir, que des personnes fument ou boivent de l’alcool.

Même des comédies inoffensives reçoivent ce genre d’avertissement. Nous en sommes là.

L’idée est toujours de créer des safe spaces dans lesquels personne ne pourra se sentir mal à l’aise. Le terme anglais a fait recette et n’est que rarement traduit.

De prime abord, on serait tenté de suivre la démarche de l’anglais, tellement plus simple et rassurante. Donc : espace sécuritaire, sûr, de sécurité, sécurisant.

Voilà qui est offensant pour toute personne aimant la langue française. Mais comment se démarquer de l’anglais? Ne pourrait-on pas parler de milieu sécuritaire ? Peut-être d’un endroit sûr ? Certains diront un endroit sûr réservé.

Par ailleurs, les périphrases ne sont guère attrayantes. « Endroit où l’on se sent en sécurité. » « Endroit où l’on est à l’abri. » À l’abri de quoi? De la réalité?

Ces fameux milieux sécuritaires ont pour objet de créer une zone sécuritaire, aseptisée, censée protéger les étudiants d’université ou les personnes assistant à une pièce de théâtre de mots ou de propos « jugés offensants » par certains. Il s’agit de les protéger, comme si on les amenait dans un refuge pendant un bombardement ennemi. On serait tenté de parler de cocon protecteur, mais il est clair que cette formulation serait jugée… offensante.

En ce jour de la Francophonie, c’est sûrement la langue française au Canada qui aurait besoin d’une zone de protection.

Conversation

Depuis un bon bout de temps, les médias ont aboli les mots débats, discussions, échanges de vues, etc. pour lui substituer le suave conversation. La volonté envahissante de tout atténuer, de ne froisser personne, finit par se répercuter sur le vocabulaire. Que nous le voulions ou non, nous vivons tous dans un safe space médiatique.

Les termes à la mode sont une plaie de la prose journalistique; j’en ai abondamment parlé dans d’autres billets. Dans le cas qui nous occupe, l’influence de la langue américaine est évident.

Le mot conversation n’a pas la même portée que débats ou discussions. Converser, c’est parler de tout et de rien, de manière spontanée, sans nécessairement échanger des points de vue. Dans une conversation, on trottine avec légèreté, on ne court pas le marathon, bien plus exigeant.

Le gouvernement du Québec compte élargir l’accès de l’aide à mourir. Il ne fait nul doute que cette initiative ne suscitera pas l’unanimité et certains s’y opposeront avec véhémence. Le débat pourra être poli, tout en retenue, mais il ne s’agira pas d’une simple conversation.

Une conversation peut cependant aller plus loin qu’un simple entretien. Le terme peut être utilisé comme synonyme de pourparlers. Par exemple, un syndicat peut avoir des conversations avec la partie patronale au sujet de la gestion des horaires. Cependant, si les choses s’enveniment, il ne sera plus question d’une simple conversation mais de discussions voire de débats.

Par conséquent, même si les termes énumérés ci-dessus sont voisins, ils ne sont pas de parfaits synonymes. Une conversation, un bavardage ou un entretien ne sera jamais une vraie discussion.

Breaker

À l’heure du US Open…

Breaker, ça vous dit quelque chose? Si vous lisez les comptes-rendus dans les journaux français, vous savez que breaker veut dire briser le service de l’adversaire.

Vous avez peut-être vu aussi débreaker. C’est annuler le break de l’adversaire.

Lorsque les deux joueurs sont à égalité six jeux chacun, il y a un tie-break.

Cette terminologie, normale en Europe, surprend au Québec et au Canada, où la volonté de tout traduire étonne encore nos cousins d’outre-mer. Retraduisons les termes énoncés ci-dessus.

En français maintenant…

Petra Kvitova a brisé son adversaire Leylah Fernandez. Cette dernière n’a pas gagné son service. Son service a été brisé. Leylah a été victime d’un bris.

À son tour, elle brise le service de Kvitova. Le commentateur Yvan Ponton a une belle expression : « Bris contre bris. » En Europe, le commentateur dirait que Fernandez a débreaké. L’horrible expression débreaker n’est jamais employée au Canada et à peu près personne ici ne la comprendrait.

Kvitova et Fernandez sont à six jeux chacune. On ira donc en bris d’égalité, et non en tie-break, la première marquant sept points avec deux points d’avance gagne la manche.

Anglicismes au tennis

Le tennis est un sport britannique et il est normal que certains termes soient en anglais. Pensons à set, passing et smash. Mais heureusement, la plus grande partie du vocabulaire a été traduite en français.

Sonner une cloche

Un mot, un détail vous sonne une cloche? Excellente maitrise de l’anglais! Comment le dire en français? Les possibilités sont multiples :

  • Cela me dit quelque chose.
  • Cela m’est familier.
  • Cela me rappelle quelque chose.
  • Cela ne m’est pas étranger

Évidemment, il est toujours possible de moduler, selon le contexte.

  • J’ai déjà entendu quelque chose de semblable.
  • Tout cela n’est pas (vraiment) nouveau.
  • On réinvente la roue, dans ce cas.
  • D’autres y ont pensé.
  • Ce n’est pas une situation nouvelle.
  • Vous souvenez-vous de… Eh bien c’est très semblable.
  • Nous revenons en arrière, car…

Pour ceux qui tiennent absolument à garder le mot « cloche » parce qu’il y a bell en anglais (et qui pensent faire de la traduction) : « Même son de cloche, ici. »

Il y a bien sûr quelque chose qui cloche dans cette dernière traduction : le traducteur se cramponne à l’anglais comme à une bouée de sauvetage. Notre Quasimodo ne cherche pas à rendre l’idée, mais le mot anglais.

Pour qui sonne le glas d’un texte authentiquement français.

Seconder

Vous présentez une motion à une assemblée. Un de vos collègues la seconde et elle est finalement adoptée.

La plupart des gens au Québec et au Canada français n’y verraient que du feu : cette phrase est impeccable; pourtant, elle ne l’est pas.

Le verbe seconder est évidemment correct en français, mais avec le sens d’appuyer uniquement. Seconder une motion est une tournure anglaise qu’il faudrait éviter. Les dictionnaires français, pas plus que celui de l’Académie française, n’offrent d’exemples avec une motion ou un vote.

Seconder une motion est donc une formulation canadienne qu’on ne voit nulle part ailleurs dans la francophonie.

Comme le précisent les Clefs du français pratique, la personne qui appuie une motion est un second proposeur, un second motionnaire, un parrain ou un coproposant.