Archives de catégorie : Écrire un roman

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Voici le dernier article d’une série publiée dans mon blogue sur l’expérience d’écrire.

Le rêve de tout écrivain est d’être publié et c’est un rêve que je caressais depuis l’école primaire. Déjà à cette époque, avant que je devienne un lecteur boulimique, j’écrivais des récits de toutes sortes.

Adolescent, j’essayais d’imaginer le moment merveilleux où un éditeur m’appellerait ou encore m’enverrait une lettre pour confirmer que mon manuscrit avait reçu l’assentiment du comité de lecture. Il y aurait ensuite un lancement et mon talent serait enfin reconnu. La voie était tracée.

Présenter un manuscrit

J’ai vite constaté que les choses n’allaient pas se dérouler ainsi. Mes écrits maladroits de l’adolescence étaient rejetés les uns après les autres; je recevais des lettres stéréotypées me disant que le programme des publications était déjà très chargé…

Parfois, un éditeur avait la générosité d’analyser mon opus et de me faire des commentaires plus éclairants.

Rendu à l’âge adulte, mes écrits sont devenus plus songés, les personnages nettement plus intéressants. Une maturité nouvelle animait ma prose. Malgré tout, je continuais de collectionner les lettres de refus…

J’ai compris que les éditeurs ne roulaient pas sur l’or et qu’ils ont certains impératifs de rentabilité à respecter. Il faut vraiment arriver juste au bon moment pour avoir une chance d’être publié. Si l’éditeur n’a plus d’argent ou qu’il a déjà sorti ses 25 livres pour cette année, il ne publiera jamais votre roman ou votre essai, même si c’est un chef-d’œuvre. 

Comble de tout, les éditeurs font des bourdes, notamment parce qu’ils n’ont pas le temps de tout lire. Une amie ayant siégé à un comité de lecture déplorait la désinvolture avec laquelle étaient traités le flot de manuscrits présentés. Beaucoup ne sont pas lus, on regarde la première page, on feuillète le manuscrit pour en lire un passage ici et là et ensuite la poubelle. En outre, les préférences personnelles de tel ou tel lecteur pèsent lourd dans la balance : je n’aime pas ton style ou ton genre d’histoire, donc ça ne vaut rien. Des textes très valables sont ainsi écartés d’office.

Mes romans et nouvelles n’ont jamais trouvé preneur et ce sont plutôt des textes didactiques qui ont fini par être édités. Une liste de noms de pays, un chapitre dans Le guide du rédacteur du Bureau de la traduction viennent rejoindre mon essai dont le titre est celui de la prochaine section.

Plaidoyer pour une réforme du français

Cet ouvrage est le fruit des réflexions de toute une vie sur la langue française et ses trop nombreuses aberrations. Il s’appuie sur de longues recherches sur l’histoire et l’évolution de notre langue; la bibliographie est solide; l’ouvrage est étayé par de nombreux exemples percutants qui démontrent que même les plus érudits font des fautes, y compris des académiciens. Bref, ce n’était pas un torchon que je soumettais.

Je l’ai envoyé aux grands éditeurs québécois habituels et un seul a daigné me répondre. Car, pandémie oblige, ou progression de l’incivilité, les éditeurs ne répondent plus. À un accusé de réception par courriel succède le silence radio.

Jadis, les éditeurs se fendaient d’une lettre officielle qu’ils envoyaient par la poste. De nos jours, ils ne veulent même pas se donner la peine d’envoyer un courriel de refus, ce qui exige pourtant moins de manipulations. En fait un seul éditeur, le Druide, s’est donné la peine de me répondre (à part Marcel Broquet, bien entendu). Le message était somme toute sympathique : il reconnaissait la valeur de mon travail, en soulignant le caractère impressionnant des recherches menées et de la synthèse, tout en regrettant de ne pouvoir le publier, car il ne correspondait pas au type d’ouvrage de la maison. Pour une fois, les excuses étaient sincères.

J’ai finalement fait parvenir le manuscrit aux éditions Marcel Broquet, une maison qui publie des ouvrages diversifiés de grande qualité. Le jour même où j’ai envoyé mon texte par courriel (cela se fait maintenant), j’ai reçu un appel de M. Broquet. Mon ouvrage lui paraissait fort intéressant et il allait l’étudier avec soin, me dit-il. J’étais abasourdi. Pour la première fois, un éditeur s’adressait à moi, directement et avec célérité. J’avais sûrement rêvé.

Le lendemain, M. Broquet m’appelle à nouveau pour me demander pourquoi j’ai fait disparaitre les accents circonflexes dans mon texte… J’applique les rectifications de 1990, lui ai-je répondu. Très bien, je poursuis ma lecture, me dit-il. Trois jours plus tard mon livre était accepté.

Édition d’un livre

Le processus de publication d’un livre me réservait quelques autres surprises.  

Un manuscrit, même relu plusieurs fois, n’est jamais parfait. Les langagiers savent que le cerveau se fatigue vite de relire la même chose et qu’à un moment donné, il ne voit plus rien. L’éditeur a lu mon livre, ma femme s’est improvisée correctrice elle aussi, et moi je me suis encore une fois relu. Tout ce travail a permis de repérer un certain nombre de coquilles et des petites incohérences dans le texte.

Et pourtant… Les épreuves envoyées par l’éditeur, la dernière étape avant la publication, me réservaient de nouvelles épreuves, si je puis dire. D’autres coquilles nous avaient échappé, la liste des 36 recommandations en fin de livre comportait une répétition qui avait échappé à tout le monde. Comble de malheur, j’avais omis une recommandation importante. Hélas le moment était mal choisi pour apporter d’autres corrections.

J’allais faire la connaissance d’une autre équipe, celle des graphistes. J’ai vite compris qu’ils sont très réticents à modifier le texte qu’ils ont joliment agrémenté d’encadrés en couleur et d’autres artifices de présentation. Un travail d’orfèvre auquel il est bien imprudent de vouloir toucher. Je les comprends, ils y ont mis tellement d’efforts. Autant demander à Léonard de faire des retouches à la Joconde…

Certaines corrections ont été apportées, mais pas toutes.

Bienvenu dans la réalité, cher auteur.

Publication d’un livre

Le chef-d’œuvre jamais aussi parfait que souhaité sort des presses. Il est magnifique, revêtu de sa sobre couverture verte, rappelant celle du Bescherelle (ce n’est pas un hasard). Élégant comme une Mercédès, il entreprend son voyage dans les librairies.

Je mets un certain temps à le recevoir, car je vis en Outaouais et l’éditeur est à Québec, alors je tâte mon opus chéri pour la première fois dans une librairie de la capitale nationale. Ma femme insiste auprès d’une jeune libraire pour qu’il soit mis en évidence sur une table de nouveautés; la libraire est impressionnée de voir un auteur en chair et en os…

Bien entendu, le sujet du livre ne le rend pas très facile à vendre (aucun danger qu’il fasse concurrence à Marie Laberge ou à Christyne Brouillet). Dans toutes les librairies que je visite, je constate que mon livre se retrouve dans la section des dictionnaires, tout en bas des tablettes. On n’en voit que la tranche, ce qui n’est pas de nature à attirer l’attention… Sauf si un lecteur discret le prend dans ses mains et le plaque par-dessus la couverture du Petit Robert ou du Français au bureau, eux placés en haut et de face…

Le sort réservé au Plaidoyer dans les librairies ne m’étonne pas; celui que lui ont réservé les médias jusqu’à maintenant me déçoit énormément. J’aurais pensé que les médias de l’Outaouais s’y seraient intéressés, car, après tout, ce n’est pas tous les jours qu’un auteur de la région fait paraitre un ouvrage sur une réforme du français, d’autant plus que ledit ouvrage est unique au Québec, sauf erreur. Cela ne semble pas suffire, le journal d’Ottawa Le Droit ne s’est pas montré intéressé, pas plus que la télé locale, dont les chroniqueurs ne se sont pas donné la peine de répondre. Idem pour ceux de La Presse et du Devoir, sans parler de Radio-Canada.

Mon éditeur a aussi fait des démarches, mais rien n’a encore débloqué. Immense déception que tout cela. Et les salons du livres sont frappés par la pandémie…

Mince consolation, les bibliothèques publiques ont acheté le livre; il figurera donc dans leur catalogue et les personnes faisant une recherche sur l’histoire du français, par exemple, pourraient le voir apparaitre dans le sommaire des ouvrages disponibles. Mon plaidoyer va donc s’inscrire dans le continuum du temps, malgré l’affront des médias. Quelqu’un finira bien par me lire, avant ma mort, je l’espère.

Si vous désirez vous procurer mon opus, veuillez cliquer sur les liens suivants :

Édité

Pendant très longtemps, j’ai essayé d’imaginer le moment où un éditeur accepterait enfin de me publier. J’allais recevoir une lettre, peut-être par courrier express ou par courrier recommandé. J’ouvrirais l’enveloppe avec fébrilité et les mots magiques « Votre manuscrit a été retenu pour publication. » me frapperaient comme la foudre.

Ou encore, je recevrais un appel pour m’informer de l’heureux dénouement.

Eh bien ce n’est pas tout à fait ce qui est arrivé.

Je n’avais jamais prévu qu’un éditeur recevrait mon manuscrit par courriel un dimanche et m’écrirait quelques heures plus tard, pour me dire qu’il allait l’étudier avec attention. Habituellement, les éditeurs font bien sentir aux auteurs qu’ils leur font une faveur de condescendre à se pencher sur leur prose. Que la réponse va prendre du temps. Que s’ils ne vous répondent pas au bout de six mois, c’est que votre manuscrit est déjà devenu du papier hygiénique.

Je ne pensais pas non plus que cet éditeur, Marcel Broquet, m’appellerait le lendemain pour me demander pourquoi je ne mettais pas d’accent circonflexe à « parait »… (Rectifications de 1990 obligent.) Un éditeur qui lit attentivement mon œuvre et me demande des précisions…

Et, surtout, quelle surprise de voir ce même éditeur me rappeler le jeudi pour m’annoncer qu’il acceptait le manuscrit. Tout un choc… J’ai marché sur un nuage pendant deux jours. Il parait que la Terre a continué de tourner pendant ce temps – c’est quoi déjà cette histoire de corona-machin?

Bref, les choses ne se passent jamais comme on l’imaginait.

Arrivent bientôt les premières formalités : documents gouvernementaux à signer, sans oublier le fameux contrat d’édition, dont je vérifie la validité en consultant l’Union des écrivaines et écrivains du Québec. La possibilité d’une comédie musicale sur Broadway n’est pas évoquée… JJe sens que je me fais rouler. Ha! Ha! Pas grave, je suis publié.

S’enchainent les révisions. Celles de mon éditeur, de mon épouse, et d’autres qui suivront. Découvertes désespérantes de coquilles, de mots manquants, de légères incohérences dans la présentation… Par exemple écrire 13e siècle alors que les autres appellations du genre sont amenées en chiffres romains. Par-dessus le marché ma bête noire : l’adjectif au pluriel mais pas le substantif. Ah si les pluriels s’entendaient, comme en allemand, en italien ou en espagnol…

Mon éditeur a beaucoup aimé mon livre et espère que mes propositions de réforme du français déclencheront une controverse. Dixit : « Peu me chau (certains mettent un t à ce mot) les critiques, pourvu qu’on parle du livre. » Il ne me connait pas encore : on va parler du livre.

Le livre…

Plaidoyer pour une réforme du français, aux éditions Marcel Broquet. Il devrait sortir cet été.

L’auteur se penche sur l’évolution du français au fil de siècles et des raisons pour lesquelles il est devenu une langue à la grammaire et à l’orthographe capricieuse. Partout où on aurait pu faire simple, on a fait compliqué.

Le français d’aujourd’hui est le fruit de décisions arbitraires, d’erreurs de transcription, Pas surprenant que ses règles soient si compliquées et farcies d’exceptions. Il est temps de mettre un peu d’ordre dans ce fouillis, sans pour autant dénaturer notre langue.

Encore un roman?

Encore un roman? Mais vous êtes complètement fou, Mortimer!

Dans les articles précédents, je relatais les affres de l’écriture. Ce bonheur suprême transformé en supplice de la goutte. Un récit qui évolue en méandres capricieux, contre le gré de l’auteur. Ces idées de génie tombées du ciel mais qui mènent à des impasses. Les multiples contradictions qui surgissent en cours de route, sans oublier les anachronismes insidieux rattrapés à la toute dernière lecture, juste avant d’aller présenter notre opus à un éditeur…

Les personnages envahissants qui réorientent toute l’histoire, et ce plan jamais tout à fait respecté, ne sont rien quand on les compare aux doutes et remises en question douloureuses qui assaillent l’auteur.

Le prix de ce labeur étant des lettres de refus polies.

L’auteur qui persévère pourrait se faire traiter de cinglé. Cette épithète est une litote.

Car le feu de la création peut être ramené à des braises apparemment refroidies. C’est fini, l’incendie est éteint et seuls persistent les relents de la combustion, celle des cellules cervicales.

Pourtant, le brasier reprend. En fait, il couve depuis des mois, voire des années. Il s’alimente de vagues projets esquissés sous la forme de quelques notes innocentes enfouies dans une chemise, tout en dessous de la pile.

Naïf, l’auteur n’a pas encore achevé le projet sur lequel il s’esquinte depuis des années, mais s’imagine que les quelques idées qui dorment sur sa table de travail seraient bien plus faciles à concrétiser.

Cette fois-ci, ce ne sera pas un bourbier. Tout est clair, tout est simple. Ça va aller tout seul.

Il oublie qu’il avait les mêmes impressions quand il a entrepris la rédaction de son roman…

Le second opus est déjà amorcé, de la main gauche; le synopsis est écrit, quelques chapitres ont été rédigés quand le premier projet était remis en question.

À présent, il attend la réponse des derniers éditeurs, se promettant de tirer un trait sur le premier roman, après des années de labeur. Sans trop de conviction, il reprend le deuxième projet.

Mais cette fois-ci, il sait ce qui l’attend : pannes d’inspiration, le goût de tout balancer au panier, les appréhensions quant au jugement des éditeurs, des critiques s’il est publié. Il sait que certains personnages vont flipper, tandis que d’autres vont flopper… Aux passages à vide succéderont les épisodes d’hyperactivité…

Pourtant, d’immenses surprises l’attendent.

Pour se remettre dans le bain, il relit la centaine de pages déjà écrites. Il est rassuré : tout se tient. En plus, il est en vacances. Il peut donc enfin consacrer deux ou trois heures quotidiennes à l’écriture. Les astres sont alignés.

Première constatation : les idées sont claires. L’impression de filer comme un train express. Les éléments du récit s’emboîtent comme par magie, le train s’emballe, l’auteur aussi. Wagon tiré par la locomotive de l’inspiration, le voilà débordé.

Le roman s’écrit tout seul. Il fonce comme une flèche vers sa destination. Le transsibérien ne déraille pas; les arrêts en gare sont rares. Les doutes qui l’assaillaient dans le premier livre sont choses du passé. Le récit est tellement limpide qu’il n’y a plus d’hésitation.

L’auteur est tout aussi conscient des failles de son histoire et de ses personnages, mais il ne s’en formalise pas. Après tout, un premier jet est un premier jet. Et déjà, des chapitres imprévus s’insinuent dans la trame rectiligne du récit et donnent plus de consistance aux personnages.

Sidéré, l’auteur constate que les ajouts inévitables des versions subséquentes s’imposent déjà à son esprit dès le premier jet. Le récit commence à s’approfondir. On dirait un prématuré qui veut à tout prix sortir du ventre de la mère.

Le démon tyrannique de l’inspiration finit par ralentir la course folle du train. Il doit à présent emprunter quelques voies secondaires pour étoffer une histoire de moins en moins esquissée. Dans la tête de l’auteur, les détails se bousculent. Il jette des tonnes de notes sur sa tablette papier et les transcrit dès aussitôt en langage romanesque.

Le premier jet est un peu le deuxième.

Que s’est-il donc passé? Le plumitif est une chrysalide qui se mue en auteur expérimenté. Il sait. Le premier jet sera plein de failles; il ne s’en émeut plus. Les autres permettront de dégrossir certains personnages, tandis que le récit s’affinera. On ne peut y arriver du premier coup.

Mais il y a aussi ce temps précieux dilapidé ailleurs. L’été est un moment de grâce. L’auteur s’installe dans son jardin et tape sans relâche, voyant son imaginaire s’aligner en petits caractères malins sur son écran. Et il se livrera à sa passion demain, et après-demain… Tout est tellement plus facile. Il rêve à sa retraite et imagine les piles de romans qu’il pourra enfin écrire. L’un d’entre eux sera publié, c’est certain.

Douce folie.

Parti de Vladivostok, le transsibérien traverse à toute allure les steppes de la Sibérie et finira bien par arriver à Istanbul.

 

Lois de Murphy de l’écrivain

Vous rédigez un plan détaillé. Vous ne le suivrez plus dès le troisième chapitre.

Au bout de quelques mois de travail, vous ne savez plus très où vous en êtes avec cette histoire.

Le livre ne finit jamais comme prévu.

Le personnage le plus vilain gagne votre sympathie. Le héros est fade.

Inévitablement, vous allez assassiner des personnages. D’autres vont naître en cours de rédaction.

Vous allez tout recommencer au moins deux ou trois fois.

Les corrections pour régler certains problèmes agaçants vont générer de nouveaux problèmes agaçants.

Le superbe néologisme qui vous avait foudroyé en pleine nuit sera refusé par l’éditeur.

Le terme élégant que vous chérissez ne veut pas dire ce que vous pensiez.

Vous allez vous contredire sur des détails qui vous échapperont à la relecture… mais pas à vos éventuels lecteurs.

Malgré toutes les vérifications, relectures et passages à tabac dans Antidote, votre manuscrit comportera quelques coquilles et fautes de grammaire.

Les correcteurs ne voient pas toujours les fautes de logique dans l’emploi : le personnage s’écrit : « Zut! ». S’écrie.

Le correcteur s’entête à vous suggérer d’écrire « français » avec la majuscule, alors que vous parlez de la langue portant ce nom.

Si votre action se situe dans le passé, vous allez inévitablement commettre un anachronisme.

Il va sans dire que Paul est appelé David à quelques reprises.

Remplacement de David par Paul. Mais un personnage secondaire, entrevu au milieu du roman, s’appelait David… Devinez ce qui est arrivé.

Vous ne pensiez pas qu’une histoire si simple au départ deviendrait aussi compliquée.

Vous ne vous souvenez plus du nom d’un de vos personnages et il est introuvable dans vos notes.

Vos notes sont une nouvelle forme de cacophonie.

Vous pensiez avoir inséré un passage important à tel endroit… Ben non.

Votre histoire n’a plus à rien voir avec celle que vous avez élaborée avec enthousiasme sur un napperon, au restaurant.

Un verre de whisky…

Comme Hemingway, j’aime bien déguster un verre de whisky en écrivant. C’est grisant, non pas parce que je me prends pour le grand écrivain américain, mais parce que le divin breuvage rompt toutes les entraves de ma créativité.

En tant qu’écrivain en devenir, j’aime bien me laisser bercer par la douce euphorie de la boisson ambrée. Mes personnages déclament, ma plume s’envole…

Hemingway calait sa bouteille en écrivant ses articles, mais pas moi. Il y a une nuance entre douce euphorie et soulographie, comme disait Balzac. Pourtant, les modèles ne manquent pas. Pensons à Churchill, qui en buvait une en écrivant ses discours du lendemain… Il a gagné le Nobel de littérature, mais je ne suis pas certain de le suivre sur ce chemin.

L’auteur que je suis aime bien enfiler des défroques peut-être trop grandes pour lui, finalement. Je suis sûr que, perchés sur leur nuage, Winston et Ernest me regardent d’un air attendri.

Un écrivain est comme un comédien : il aime se perdre dans certains rôles, en attendant le jour béni de la publication. Parfois, je m’amuse à personnifier Hemingway. D’autres jours, je me rends dans un café populaire d’Ottawa et, coiffé de ma casquette de baseball, pour faire oublier ma calvitie, je déploie mon Mac sur la table, comme un albatros. Je sirote un latte, je compose. Perdu au milieu des étudiants d’université, je m’imagine avoir encore vingt ans.

La magie d’écrire.

Envoyer un manuscrit

Bon, puisque vous y tenez vraiment, semblent dire les éditeurs.

Jadis, soumettre votre roman était la chose la plus simple. Il suffisait de vous présenter chez l’éditeur ou encore de l’envoyer par la poste. C’est cette solution que la plupart des auteurs choisissent.

Mais là, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient. Les directives de l’Union des écrivains et écrivaines du Québec nous laissent croire que les éditeurs ont tous les mêmes exigences. Plus maintenant.

Certains souhaitent même que vous leur soumettiez par courriel un synopsis, afin de voir si votre histoire les intéresse ou non. À ce sujet, l’auteur qui ne veut pas perdre son temps et ses sous à envoyer des manuscrits à tout vent aurait intérêt à consulter la page Web de l’éditeur visé. Dressez la liste de ceux qui publient votre genre de prose. Oubliez les autres.

La plupart des maisons d’édition vont dans le sens de l’Union en exigeant un manuscrit tapé à double interligne avec des marges généreuses pour laisser place aux commentaires. Ensuite, les pages doivent être imprimées d’un seul côté. Pourtant, je suis tombé sur des éditeurs qui souhaitaient plutôt un interligne et demi, voire simple interligne; l’un d’entre eux voulait une impression recto-verso.

Ce n’est pas tout d’envoyer le manuscrit. Il faut y joindre vos coordonnées et une présentation de votre roman. Certains veulent même un CV, signe encourageant qu’ils voudraient mieux vous connaître.

La lettre de présentation de votre roman est cruciale. Il ne suffit pas de raconter platement votre histoire. Non, c’est bien plus cela : vous devez expliquer à l’éditeur pourquoi votre roman pourrait séduire le public. Vos personnages ont du gabarit : dites-le! Votre plume fait du patinage artistique : dites-le aussi. Essayez de mettre en lumière ce en quoi votre futur livre se distinguera des autres.

En fait, il s’agit d’une première pub et c’est vous qui la signez. Donc ne manquez pas votre coup!

Le cœur gonflé d’espoir (cliché pratique), vous mettez votre manuscrit à la poste. Quelques éditeurs acceptent maintenant un simple courriel et une pièce jointe. Vous êtes déjà impatient de recevoir une réponse. Justement…

Là où les conditions varient sensiblement d’une maison à l’autre, c’est le délai de réponse. Généralement, on nous promet une réponse écrite dans les trois mois. Certains éditeurs, toutefois, nous préviennent qu’il ne faut rien espérer avant… six mois. L’un d’entre eux m’a dit carrément qu’après ce délai, il fallait tout simplement l’oublier : il n’enverra même pas de lettre de refus. Insultant pour le pauvre auteur qui a investi des années dans son œuvre. Nous en sommes rendus là.

Que s’est-il passé?

Apparemment, les éditeurs sont inondés de manuscrits. Cette constatation surprend, en cette époque numérique; pourtant, oui, les gens écrivent encore des histoires et veulent les faire publier sur papier. Non, tout n’est pas dans le Web. Cela vous rassure? Moi oui.

Comme nous l’avons vu dans mon premier article, il est hélas fort probable que votre chef-d’œuvre ne sera pas reconnu à sa juste valeur. L’éditeur vous en avise par une lettre stéréotypée, vous disant que malheureusement votre roman ne pourra faire partie de son programme de publication de l’an prochain. Cette lettre prend parfois la forme d’un simple courriel. Chose certaine, elle est rarement motivée et on ne vous fournit pas les commentaires du comité de lecture. Bien dommage.

Magnanime, la maison d’édition vous proposera de vous renvoyer le manuscrit pour une modique somme. Certaines d’entre elles ne retourent plus les manuscrits.

Vous savez maintenant à quoi vous en tenir. Bon courage.

Écrire et réécrire

Lorsque vous regardez une partie de tennis, vous pouvez avoir l’impression de pouvoir vous en tirer aussi bien que Milos Raonic ou Eugenie Bouchard. Voyons! Exécuter un revers a l’air si facile… Je pourrais faire la même chose. Bon sang, comment a-t-il fait pour rater cette balle?

Le lecteur qui dévore un roman historique de Ken Follet a l’impression qu’il l’a écrit d’un seul trait. Tout s’enchaîne merveilleusement bien, on tourne les pages et le temps file…

(Ironiquement, j’imagine le même Follet présentant son manuscrit à un éditeur : bof, trop long, les personnages ne sont pas assez développés, récit plutôt invraisemblable, style trop racoleur, allez voir ailleurs…)

En réalité, vous pouvez être certain que l’auteur de n’importe quel roman a sué sang et eau avant d’en arriver à la version finale. Et cette version n’est qu’un pâle reflet de ce que l’auteur avait prévu dans son plan.

Car tout le monde vous le dira : il faut un plan. Votre histoire doit être un papier à musique que vous suivez aveuglément; bref l’auteur est une sorte de piano mécanique qui égrène les notes.

Ce n’est pas tout à fait exact. Les anglophones disent souvent que le diable est dans les détails.

Pourtant, tout était clair dans votre tête. Le train partait de Montréal et il allait à Toronto. Mais très rapidement, votre prose s’anime sous vos mains, elle vous échappe et le convoi dévie. Pourquoi? Les péripéties exponentielles dont vous agrémentez votre chef-d’oeuvre forment bientôt un nœud inextricable : tel évènement vient en télescoper un autre, de sorte que tel développement ne tient plus. Et tout le reste, si clair dans votre esprit, devient tout à coup fragile, comme un château de sable léché par la mer.

Le doute vous tenaille, tel un spectre. En promenant votre chien, vous essayez de démêler les fils d’une intrigue qui apparaissait si simple au départ. Vous commencez à vous méfier des idées de génie qu’une muse perfide vous suggère. Vous hésitez à prendre des chemins de traverse qui pourraient vous conduire vers le néant.

L’inspiration étouffe sous le poids de vos hésitations; peut-être que tout votre récit n’a aucun sens, en fin de compte. L’impensable se produit : vous êtes tentés de tout laisser tomber. Incapable d’en sortir, vous chassez l’histoire de votre esprit, en pensant que vous n’avez pas la trempe d’un écrivain.

Pendant quelques semaines, vous délaissez votre projet. Tourner en rond vous exaspère, démêler les fils de votre propre histoire est trop frustrant.

Puis… l’illumination.

Tuer tel personnage mène à une impasse; par contre en éliminer un autre est nettement plus intéressant. Tiens! Pourquoi pas? Votre histoire ressuscite après une longue hibernation. Les muses reviennent vous hanter dans vos promenades et vous susurrent de nouveaux développements prometteurs. Le personnage principal est une musulmane née au Québec; pourquoi l’une de ses amies ne serait-elle pas une catholique pratiquante, pour faire contrepoids avec une autre copine agnostique?

L’espoir renaît. Alors, petit tâcheron, vous saupoudrez le récit de petites précisions qui en renforcent l’armature. Vos personnages deviennent plus nuancés. Ils s’emparent de l’auteur et lui dictent de nouveaux passages. Fébrile, vous relisez votre œuvre, rattrapant des passages devenus caducs, éliminant longueurs et redites. Le récit prend du tonus; il devient prometteur. Le train repart pour Toronto.

Pour la cinquième fois, vous réécrivez le synopsis : la fin est légèrement modifiée (il y avait trois possibilités); tel personnage prend du galon, un autre s’efface avec humilité.

Mais il y a encore un nœud. Un personnage envoûté par sa religion doit changer d’attitude, mais comment? Il est trop obtus pour évoluer et tout revirement risque de verser dans l’invraisemblance. Vous devez trouver une solution… sinon il faut changer la fin.

L’équilibre du récit repose sur une ribambelle de détails; aucun lien logique ne doit être négligé. Vous êtes à la merci de la moindre distraction. Tout doit se tenir. Et soyez assuré que la moindre faille n’échappera pas à l’œil inquisiteur de l’éditeur.

Vous vous relisez une dernière fois. Toutes les incohérences du roman ont été gommées… du moins vous l’espérez. Un personnage a cessé de changer de nom au fil du récit. Un changement global irréfléchi vous a conduit à baptiser Laurence et Charlotte du même nom que l’héroïne… difficile de démêler les trois Safia qui dialoguent en même temps! L’histoire se tient, elle est logique et crédible. Les lieux communs sur les musulmans ont été évités, vos personnages sont nuancés et approfondis. Vous les sentez, ils vibrent dans votre cœur. Le comité de lecture va aimer ça.

Gonflé d’espoir, vous envoyez votre précieux manuscrit à quelques éditeurs.

 

Prochain article : Envoyer un manuscrit.

Écrire à la plume?

L’idée apparaît saugrenue, surannée, hors propos, pourtant elle séduit l’écrivain que je suis, enfin que je tente de devenir. Comment imaginer un seul instant saisir un stylo pour écrire sa prose, en cette époque fulgurante zébrée par les connections instantanées sur nos écrans, qu’ils soient menus comme celui d’un téléphone (qui n’a plus grand-chose d’un téléphone), ou grand format comme celui d’une tablette; sans parler de celui d’un ordinateur de table.

Pourtant.

Les écrivains du début du siècle dernier ne noircissaient-ils pas des rames de papier pour raconter leurs histoires? Quitte à s’astreindre au remplissage de leur stylo-plume toujours assoiffé. Certains le délaissèrent pour la brutale machine à écrire, venue ponctuer leurs débordements d’imagination en les martelant sur le papier. Tac! Tac! Tac!

Peut-on imaginer aujourd’hui un seul écrivain se servir d’une plume, alors que la magie de l’ordinateur permet de faire disparaître une phrase, un paragraphe, écrits avec un peu trop d’impétuosité? Finies les ratures.

Pourtant.

Le doux grattement de la plume sur le papier revêche vaut presqu’à lui seul le plaisir d’écrire. Non, j’exagère un peu. Que l’on songe à Tolstoï, à Jules Verne et à tous les autres hérauts du dix-neuvième siècle qui écrivaient tout à la main. Ce n’est pas pour rien que l’on parlait de la crampe de l’écrivain.

Vous savez quand les mots se bousculent dans votre tête, que votre muse s’emballe et débite les phrases à un rythme d’enfer, au point de vous étourdir, de vous faire perdre le fil, car les idées se télescopent dans votre tête dans un carambolage cacophonique. Douce euphorie. Alors, écrire à la plume, vous n’y pensez pas! Seul un ordi peut permettre de soutenir un tel rythme.

Bien entendu, j’écris sur mon portable pour une multitude de raisons d’ordre pratique : vitesse, corrections aisées, recherche d’un nom oublié dans le manuscrit, substitution d’un terme plus littéraire à un mot trop banal. La liste des avantages s’allonge à l’infini. Mais le portable fouette l’écrivain comme le galérien qu’il devient; il impose un rythme. Son curseur clignote d’impatience quand l’auteur tente de souffler, rassemble ses idées, cherche le filon de l’inspiration. L’ordi est muet, certes, mais il observe l’écrivain d’un oeil critique, l’asperge d’une lueur blanche menaçante qui doit être criblée au plus vite de petits caractères noirs.

Cet appétit cybernétique me dérange parfois. Je me sens bousculé, obligé de noircir mes pages, quitte à sacrifier un peu le style, pour gagner un temps précieux. La relecture se chargera du reste…

Mais il existe une autre façon d’écrire, aujourd’hui oubliée.

Lorsque je me sens particulièrement détendu, que j’ai le goût de tutoyer à nouveau mon récit, de le faire mijoter à feu doux, de le humer, de laisser ses effluves titiller mon inspiration, eh bien je saisis ma plume.

Le choix de l’instrument a son importance. Prendre un de ces bâtonnets de plastique que l’on voit à la caisse de tous les dépanneurs relève de l’hérésie. Même ces plumes plus coûteuses, parfois hors de prix, qui laissent un trait gras comme une vomissure sont indignes d’un écrivain sérieux. Non, ce qu’il lui faut c’est le stylo-plume, que l’on appelle faussement plume-fontaine, autre calque de l’anglais. Le grattement inimitable de sa pointe métallique fait gémir le papier et laisse un trait noble derrière lui. Une banale description devient tout à coup une fresque; un dialogue prend tout son sens lorsque la plume ne tyrannise pas son auteur, qu’elle lui laisse tout le temps de réfléchir. Les mots hystériques qu’il aurait tapés à toute vitesse sur son clavier s’apaisent, tirent parfois leur révérence pour laisser entrer de lointains cousins, absents depuis de longues années. L’auteur respire au rythme de sa plume. Il n’efface plus rageusement les trois dernières phrases pondues trop vite, crachées, que dis-je.

Non. Avec son stylo-plume, il tisse son histoire avec d’élégantes arabesques. Son imagination devient de somptueuses volutes azur qui ensorcèlent le papier. Là, toutes les cabrioles sont permises, et le texte s’anime doucement, au chant du papier.

La plume nous réapprend à écrire.

Les personnages

On lit roman pour l’histoire, mais aussi pour les personnages. On les aime, on les déteste, on se projette en eux. Des personnages fluets, aux contours mal dessinés, ennuient le lecteur. Ils doivent être crédibles. Le héros n’est pas sans peur et sans reproche, il a ses failles. Ceux qui paraissent vulnérables lèvent la tête et affrontent la tempête. D’autres échouent, comme dans la vraie vie.

Elle s’appelait Marie-Pier. Rouquine envoûtante pour le restaurateur Taïeb El-Hédiri, musulman strict à qui sa femme et sa fille doivent obéissance. Mais, charmé par sa cliente, il roucoule comme un pigeon, se répand en courbettes, au grand dam de Safia, sa fille, forcée de porter le voile. Sidérée par cette marée inusitée de concupiscence, elle baisse la tête.

Selon un éditeur, cette nouvelle était la meilleure d’un recueil que j’avais présenté.

Retroussant mes manches, je résouds de transformer le récit en roman, entreprise aussi redoutable que fascinante. J’invente donc une belle-famille, avec un cousin arrogant, une cousine délurée qui fait l’envie de Safia, mon héroïne – je sais, quel terme kitsch! J’assume.

Et toute une ménagerie à l’Université du Québec à Montréal. Tant qu’à y être, pourquoi ne pas situer l’histoire après les attentats du 11-Septembre, pour corser le tout? Évidemment, tout gravitera autour de l’intégration de Safia, fervente musulmane, mais dont les robes foncées et le voile détonnent.

Safia est écrasée par son père. Un peu trop d’ailleurs. Le personnage est soumis, sans ressort, trop mièvre à mon goût. Au tiers du récit je décide que ça ne va pas. Je dois tout réécrire et donner plus de tonus à mon héroïne (rebelote).

La nouvelle Safia sera un peu plus volontaire, mais pas trop. Elle doit conserver sa vulnérabilité, sans trop attirer la pitié.

La mère est déchirée entre le désir de soutenir Safia et celui d’obéir à son mari. En faire le portrait relève d’un exercice d’équilibrisme constant; tantôt elle appuie sa fille, tantôt elle se dérobe. Agaçant pour le lecteur qui le goût de lui botter le derrière, mais réaliste, somme toute.

Il aurait été facile de présenter le père comme un gros lourdaud, obstiné et sans cervelle. Mais j’aime développer la psychologie de mes personnages. Quelques voyages dans le temps montreront le mépris que ses parents éprouvaient envers lui. C’est un être tourmenté, complexé, ce qui explique en partie sa foi sans nuance.

Nuance est le mot.

Laurence, l’amie de Safia grandit à Outremont dans une famille aisée. Elle adore Safia, mais elle a l’âme rebelle. Son comportement est parfois chaotique, tant elle cherche à se démarquer. Un personnage complexe. Et elle n’est pas toujours la bonne amie que l’on imagine au début.

Il en faut donc une autre. Je crée donc Charlotte.

Un peu timide, grosses lunettes (je sais, je sais, cliché). Fervente catholique, elle est le complément parfait de Safia. Leur complicité est dans leur foi respective. Les deux se comprennent et ne parlent jamais de religion. Après tout, leur dieu est le même.

Charlotte est vulnérable, elle vit avec un mauvais père. Mais, dans un moment décisif, elle ne trahira pas Safia, et défie un policier. La grandeur des personnes modestes.

Mais où est donc passée Marie-Pier?

Marie-Pier, à l’origine de la nouvelle, et du roman, en mène un peu large; elle est excentrique et se livre à toutes les frivolités. Son rôle est de contraster avec Safia, comme pour souligner à gros traits sa faiblesse.

Mais n’est-ce pas ce que fait Laurence, son autre amie?

Le portrait est trop chargé, le cadre craque de toutes parts, alors je commets l’impensable : je trucide Marie-Pier, qui n’apporte rien à l’histoire. Pas tout à fait. Une petite apparition lors d’un party suffira.

(Rendu à ce stade, j’ai déjà tué un personnage, avant de le ressusciter…)

Ceux qui écrivent me comprendront. Le manuscrit ne ressemble jamais à l’idée de départ, surtout quatre ans après en avoir dressé le plan. Le roman est une version LSD de la nouvelle.

Ainsi en va-t-il des personnages. Ils virevoltent sous nos yeux, prennent une vie propre, nous échappent comme des mouches qu’on essaie de capturer au vol. Le petit vivier de l’auteur s’anime sous ses yeux, avec ses lois propres.

Le zoo semblait complet. Mais non.

Voici Fanny, la copine de Moustafa, le frère de Safia. Je l’ai créée au début du récit. Elle arbore ses habits gothiques sans vergogne : veste de cuir, chaînettes, bottes Doc Martin. Le père la déteste, évidemment.

Mais ensuite, elle s’éclipse, tapie dans l’ombre, attendant son heure. Telle une tigresse, elle surgit un peu avant la fin du récit. Elle en  détourne mon scénario, , impose ses diktats à l’auteur qui, subjugué, lui invente un passé trouble. On découvre qu’elle a échappé à un viol en poignardant un homme. Elle a du cran, mais se dope, mal dans sa peau. Elle pratique les arts martiaux ce qui lui a permis de mâter une mère abusive.

Lorsque Safia fera une fugue et que son père tentera de la retrouver, Fanny interviendra de façon décisive.

Ce n’est pas ce que j’avais prévu au départ, mais Fanny en a décidé autrement.

C’est un peu cela l’expérience d’écrire.

 

Refus

« Malheureusement, votre ouvrage ne répond pas à certains de nos critères éditoriaux. En effet, malgré une écriture maîtrisée et une thématique intéressante, le manuscrit ne se démarque pas suffisamment, selon nous, pour que notre comité éditorial en recommande la publication. »

Une lettre qui porte une granule d’espoir diront certains, mais c’est raté quand même. En clair : votre roman est bon mais on ne publie pas. Mais, si je lis entre les lignes, on voit que la maison d’édition a hésité, qu’elle a pensé m’ouvrir les portes du royaume des écrivains.

Les éditeurs sont inondés de manuscrits et ne savent plus où donner de la tête. Certains refusent les manuscrits imprimés et exigent un document électronique; d’autres veulent le synopsis d’abord afin d’écarter les projets qui ne les intéressent pas. Tous promettent une réponse d’ici six mois, souvent sous forme de lettre de refus à la phraséologie aussi neutre que préfabriquée. Certains, débordés, nous avertissent que si aucune réponse ne nous est parvenue après six mois, c’est que notre projet est foutu.

Les éditeurs offrent encore de vous retourner votre manuscrit, à condition de leur envoyer un peu d’argent. D’autres les détruisent tout simplement. Oubliez ça et faites autre chose.

Comme on le voit, tenter de percer le mur de la publication est une entreprise exténuante et frustrante.

Frustrante quand on regarde ce qui est publié. Des auteurs qui remportent des prix littéraires pour des raisons mystérieuses, alors que leur œuvre, franchement, mais franchement, ne se démarque pas tant que cela. Oui, je suis frustré, mais des amis se posent les mêmes questions quant à certains ouvrages.

On se demande parfois ce qui se passe dans la tête du jury… et des critiques littéraires qui encensent ces ouvrages.

Et les éditeurs dans tout cela. Pourquoi refusent-ils à peu près tous les manuscrits reçus? Quelques éléments de réponse. Enfin peut-être.

Un nom svp

Vous êtes journaliste et vous vous lancez en littérature. Votre parcours sera très différent de celui du simple quidam. Que vous soyez chroniqueur de tout et de rien, ou encore affecté aux affaires municipales, votre nom est connu; vous avez votre public, probablement un compte Twitter, et vous êtes sûrement passé souvent au petit écran.

Donc, à moins de lui proposer un torchon, votre futur éditeur sera dans de (très) bonnes dispositions, car le simple fait d’imprimer votre nom sur la page couverture lui garantit des ventes pouvant atteindre des milliers d’exemplaires.

Bien entendu, votre opus sera bien visible en librairie. Il sera probablement encensé par toute la colonie des critiques littéraires et, bien sûr, par le journal dans lequel vous écrivez. Enfin, ne craignez rien, votre éditeur ne ménagera pas les efforts pour en faire la promotion. Aux salons du livre, vous attirerez beaucoup de fans, heureux de pouvoir enfin vous rencontrer et de rentrer chez eux avec un exemplaire dédicacé de votre livre.

Mais, pour vous, la notoriété est chose normale et ce traitement impérial va de soi.

Pas pour moi, le blogueur acharné, relativement peu connu, sauf par un cercle d’initiés. Le chemin qui m’attend est beaucoup plus ardu.

Le manuscrit que j’ai présenté est branché sur l’actualité. Avec sensibilité et en creusant la psychologie des personnages, il relate les difficultés d’intégration d’une jeune Québécoise d’origine marocaine. Les questions de l’identité, des religions et des valeurs du monde moderne y sont abordées de manière nuancée.

Six éditeurs l’ont rejeté. Mais j’ai la nette impression que s’il avait été signé par le journaliste Yves Boisvert, par exemple, ou par la comédienne Andrée Lachapelle, il aurait été publié. En tout cas, un éditeur semble y avoir songé.

Votre style est trop classique

Vous faites donc partie de la cohorte des plumitifs sans nom qui cherchent à s’immiscer dans le cercle restreint des auteurs.

Un éditeur vous dit même que vos phrases sont trop bien construites! Si, si, vous avez bien lu. Elles lui rappellent même le style d’écriture de son prof de français de secondaire V.

Les bras me tombent. Écrire correctement n’est pas dans l’air du temps? Que cherche-t-on au juste? Des jurons à chaque phrase? Du joual en lieu et place de la syntaxe? Ou encore une langue biscornue, déroutante?

J’ai toujours pensé qu’écrire un roman c’était raconter une histoire. Pas d’éclabousser ses pages de phrases saugrenues, garrochées sur le papier comme les automatistes le faisaient sur leurs toiles.

Raconter une histoire, susciter l’intérêt du lecteur, ne pas le perdre dans un récit déstructuré, avec une galerie de personnages déjantés. Plusieurs livres québécois sont ainsi rédigés : des personnages colorés qui interagissent, de façon amusante, certes, mais pas de véritable récit. Il ne SE PASSE RIEN. Et c’est publié et encensé par la critique. Je suis peut-être bête, mais je ne comprends pas très bien. La forme qui l’emporte sur le fond.

Un récit classique, avec des personnages bien dessinés, quelques péripéties qui tiennent le lecteur en haleine, ce n’est plus suffisant. Trop traditionnel, trop convenu. Pourquoi? Parce qu’il y a les modes littéraires.

Un éditeur me faisait observer que les modes ont toujours existé, mais qu’elles tombent souvent en désuétude. Bon nombre d’œuvres publiées au tournant du siècle dernier sont passées à la trappe de l’histoire, complètement oubliées, tandis que d’autres, moins acclamées, sont devenues des classiques.

Le style, et surtout le moment propice, jouent un rôle crucial. Malheur à celui qui n’est pas dans l’air du temps. Écrire de la bonne manière au bon moment, voilà une autre clé pour être publié.

La chance

On le voit, être édité est aussi une question de chance. Peu d’auteurs sont conscients des impératifs qui régissent le métier d’éditeur. Quelle est la santé financière de son entreprise? Y a-t-il récemment un best-seller qui a fait entrer de l’argent dans les coffres? Son calendrier d’édition offre encore quelques ouvertures? Dans ce cas, il sera probablement mieux disposé à tenter l’aventure avec un nouvel auteur. Il s’agit tout simplement d’arriver au bon moment. Sinon…

Il faut donc pas mal de chance pour être publié. Et même si les astres sont alignés, l’apprenti-auteur chevronné devra convaincre un comité de lecture, composé d’humains faillibles, avec leurs préférences.

On est donc à la merci aussi bien du goût plus classique de l’un que du dégoût marqué de l’autre pour tel style, tel type d’histoire. Mais le coup de foudre est toujours possible. Votre comité de lecture est dans de bonnes dispositions; l’éditeur a de la place pour cinq ou six nouveautés; l’un des lecteurs s’enthousiasme pour votre œuvre et arrive à convaincre les autres que vous avez du potentiel. Les portes s’ouvrent.

C’est l’espoir de ce moment béni qui propulse les plumitifs, les scribouilleurs, les rêveurs de mon acabit à continuer. Après tout, bon nombre de best-sellers ont été refusés par une dizaine d’éditeurs avant de trouver preneur.

 

L’expérience d’écrire comporte son lot de joies et de frustrations. Écrire est un processus à la fois douloureux et jouissif. Inventer une trame, créer des personnages, douter, réécrire. Les prochains articles porteront sur ces sujets.

 

À bientôt!