Réouvrir

On parle ces jours-ci de déconfinement et de la réouverture de certains commerces. Ce qui signifie que les commerces vont… rouvrir… réouvrir?

Beaucoup hésiteront, certains corrigeront.

Question fondamentale : le verbe réouvrir existe-t-il? Selon le Robert, il ne semble pas; selon le Larousse si. Le Multidictionnaire le considère comme une impropriété, tandis que l’Usito signale cet emploi critiqué.

Les contempteurs de réouvrir ne semblent pas avoir consulté le Trésor de la langue française, qui le définit ainsi : « Ouvrir de nouveau. Synon. Rouvrir. »  L’Académie cite Gaston Leroux… vous savez le Fantôme de l’opéra?

Condamner réouvrir c’est imposer l’illogisme suivant : on rouvre un commerce, dont on annonce la réouverture dans les journaux. Le mot rouverture, étant banni, même si on rouvre…

Certains voudront maintenir ce petit illogisme, d’autres s’appuieront sur l’usage et citeront le Trésor tout comme le Larousse pour soutenir qu’en français il faut quand même faire preuve d’une certaine rouverture d’esprit. Je sais, c’était facile.

Le sigle COVID-19

L’appellation COVID-19 s’est imposée dans les médias et l’usage populaire. Cet acronyme vient de l’anglais, le d étant l’abréviation de disease.

Petit rappel : un acronyme est un sigle qui se prononce comme un mot. OTAN, UNESCO, UNICEF sont des acronymes, tandis que FAO est un sigle, parce qu’on prononce chaque lettre séparément.

Le ou la?

On peut observer quelques différences entre l’usage canadien et celui de l’Europe. Comme le d indique qu’il s’agit d’une maladie, il est logique de parler de « la COVID-19 ». Il semble qu’en Europe, on désigne le virus par l’acronyme en question, d’où « le COVID-19 ». Pourtant, d du sigle renvoie à l’anglais disease, qui signifie «maladie».

Or, le vrai nom du virus est SARS-CoV-2. Pour des raisons évidentes, personne, ou à peu près, n’emploie cette expression. On s’est donc rabattu sur le premier acronyme, qui devient, par la force des choses, polysémique.

Majuscule ou pas?

Au Canada, les sigles comme les acronymes s’écrivent intégralement en majuscule. L’Europe a développé un usage différent pour les acronymes. Ainsi, des appellations comme Otan, Unesco et Unicef sont traitées comme des mots courants. On met la majuscule initiale parce qu’il s’agit de noms d’organisations.

Les acronymes lexicalisés abondent dans notre langue, comme en anglais. Ils se fondent dans le paysage et passent inaperçus. Pensons à radar, qui signifie « radio detection and ranging ». La majuscule a disparu. Idem pour sida, que l’on écrivait au début en majuscule : SIDA. Cette graphie a pratiquement disparu.

L’Académie française recommande non seulement de dire la covid-19, mais elle l’écrit en minuscule. C’est d’ailleurs ce que fait l’hebdomadaire britannique The Economist de Londres, dont les rédacteurs écrivent covid-19. Pour l’instant, ils font bande à part. Mais. On peut penser que, dans quelques années, après le Grand Déconfinement, lorsque cette pandémie chinoise sera enfin terminée, on écrira le grinçant acronyme tout en minuscules, pour mieux l’oublier.

Problème

Je ne pensais jamais écrire une chronique sur le mot problème. Son sens est évident et ne pose pas… problème (cette expression est controversée, je sais; voir ci-dessous).

Pendant des siècles, on a utilisé cet hellénisme sans se poser de question. Il a traversé les langues pour s’installer confortablement dans les langues occidentales. Qu’on en juge :

  • Néerlandais : probleem
  • Norvégien : problem
  • Suédois : problem
  • Italien : problema
  • Espagnol : problema

No problemo?

Cette expression est apparue voilà quelques années en slang américain. Elle témoigne de l’ignorance honteuse d’une majorité d’Américains envers les langues étrangères – en fait, pas si étrangères que cela. Les États-Unis ne sont-ils pas un melting pot? Le contact avec l’espagnol est étroit dans bien des États. Alors comment se fait-il que personne ne semble se rendre compte que no problemo est une grossière faute d’espagnol?

La réponse est brutale : parce les gens s’en foutent complètement. Leur ignorance des autres cultures est honteuse; ils ne voient aucune utilité à apprendre d’autres langues. Quelle perte de temps!

Problème : RIP

Le charabia des communicateurs est en train d’emmurer vivant le mot en l’objet. Tant les porte-parole que les journalistes se tiennent à deux mètres de distance des problèmes, qui, à leurs yeux myopes, sont frappés du virus de la banalité.

Un peu partout dans les communications publiques, on observe une enflure de vocabulaire, voie royale vers les faux sens. Le mot problème n’y échappe pas, puisque nos alchimistes de la langue l’ont transmuté en problématique, mot qui n’a pas la même signification.

Voir mon article à ce sujet.

Ce qui est en jeu, ici, ce n’est pas uniquement l’ignorance de la langue, la phobie du dictionnaire et l’indifférence. Il y a aussi ce lessivage en règle qu’opère la rectitude politique pour éviter les appellations trop brutales. Dans bien des cas, une rectification s’imposait, certes, mais force est de constater qu’on est allé beaucoup trop loin.

Pour toutes ces raisons, les problèmes sont devenus des défis. Voilà une façon de rendre positive une situation difficile. Plus récemment est apparu le magnifique enjeu, employé à toutes les sauces, sans aucune rigueur. Je serais curieux de savoir combien de communicateurs savent au juste ce que veut dire exactement enjeu.

Cette mise à l’écart de problème est injustifiable. Une situation problématique est un obstacle, une épreuve, qu’on le veuille ou non. Nous sommes en train de perdre collectivement la capacité d’appeler les choses par leur nom et cela me parait très grave.

Pourtant, les synonymes abondent, à commencer par la crise que nous subissons actuellement. Une crise porteuse de difficultés, de contretemps (autre mot chassé par les médias), de péripéties, d’imprévus, de mésaventures, de rebondissements, etc. Bref, la pandémie a ses avatars.

Bien sûr, ces mots ne conviennent pas toujours, mais il y en a bien d’autres.

Poser problème

Cette locution est controversée. Certains estiment qu’elle n’a pas sa place dans notre langue. Ce qui dérange, c’est l’absence du de : « Cela ne pose pas de problème. »

Pourtant, la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française ne voit pas… de problème. Elle appartiendrait au registre familier et s’inspirerait d’une autre locution, faire problème.

L’Office considère que poser problème est suffisamment claire pour être acceptée en français. Pas de problème, en ce qui me concerne.  

Courrier

Publier un blogue comporte ses petites joies, la principale étant le contact avec les lecteurs et lectrices. Le courrier est malheureusement aussi une certaine source de désagrément.

Askimet

Le blogueur qui acquiert une certaine notoriété est vite submergé par des trombes de pourriels, couramment appelés spams. Au début, il n’y en a que quelques-uns, mais ils se multiplient comme des virus. Bientôt c’est une centaine par jour qu’il faut effacer….

Principalement de la pornographie; mais aussi des médicaments à acheter en ligne, souvent le Viagra (un édulcorant pour le café…). Des textes incohérents aussi, sans compter les messages en russe ou en chinois… Tout récemment, une Québécoise m’écrit un texte délirant à la gloire de Trump, bourré de fautes de grammaire, comme c’est courant dans les médias sociaux.

Mais ce qui revient sans cesse, ce sont des textes en anglais saluant l’excellence de mon blogue en termes génériques, ce qui démontre que les auteurs ne l’ont pas lu. Ils proposent des méthodes (payantes) pour augmenter de façon exponentielle mon lectorat.

Devant pareille déferlante, le blogueur n’a d’autre choix que de s’abonner à une application qui ratisse cet égout et en élimine le contenu. Depuis mars 2013, Askimet a éliminé des milliers de pourriels de mon blogue. Des milliers.

Messages encourageants

De temps à autre, je reçois de gentils messages qui m’encouragent à continuer. Exemple : « Je vous lis avec intérêt depuis plusieurs années déjà et je connais votre désir d’être publié. J’ai bien hâte de lire votre livre. » D’autres personnes disent consulter mon blogue régulièrement. Des étudiantes à l’Université d’Ottawa, ainsi que d’anciens collègues, font des recherches dans mes écrits pour éclaircir certains points.

Ces réactions me font chaud au cœur, car écrire un blogue est un exercice solitaire. J’ai parfois l’impression de diffuser mes opinions dans l’espace intersidéral. Toutefois, le compteur de WordPress vient me rassurer quand je vois le nombre de personnes qui lisent mes articles.

Les articles populaires

Évidemment, tous les articles ne reçoivent pas le même accueil. Je suis parfois surpris de voir certains sujets caracoler en tête du palmarès tandis que d’autres ne sont presque pas lus. Par exemple, ma série d’articles sur la réforme du français a suscité peu d’écho. Par contre, celui sur le français au Québec et en France a retenu l’attention.

La crise sanitaire actuelle, quant à elle, a suscité un vaste intérêt sur le vocabulaire de la COVID-19. L’article sur la distanciation sociale est encore lu parce que cette expression est controversée. Les échanges entre lecteurs se poursuivent dans la page des commentaires. Beaucoup pensent que je me suis planté. Aucun problème avec cela, il n’y a pas de démocratie sans discussion.

Les articles Iraq ou Irak? Finnois ou Finlandais? États-Unis : pluriel ou singulier? Seconde ou Deuxième Guerre mondiale? reviennent continuellement au tableau des plus lus.

La Catalogne

L’article qui a suscité le plus de réactions est celui sur la Catalogne, écrit à l’époque du référendum sur la souveraineté de cette région espagnole. Dans mon texte, je ne prenais pas position sur cette question délicate. Je soulignais seulement qu’en vertu de la Charte des Nations unies, la Catalogne avait le droit de se prononcer sur son avenir politique, comme l’ont fait le Québec et l’Écosse.

J’ai toujours recouru aux médias sociaux que sont Facebook et Twitter pour faire connaitre mes articles. L’utilisation judicieuse des mots-clics permet d’atteindre le public cible. J’ai donc fait connaitre mon article en insérant des hashtags comme #catalogne, #catalunya, etc.

J’ai reçu des dizaines de courriels en espagnol, en catalan, mais aussi beaucoup en français, écrits par des Catalans et des Espagnols. Cette déferlante m’a complètement pris par surprise. Émouvant de voir des Catalans me remercier chaleureusement pour mon article… Surprenant de lire des Espagnols outrés par mes propos. Cette raideur castillane m’a surpris. Une correspondante espagnole m’a écrit ce message lapidaire : « Taisez-vous. »

Des réactions positives et d’autres négatives

Écrire sur la langue attire forcément toutes sortes de commentaires. Difficile de ne pas écharper la mère patrie pour son insouciance vis-à-vis des anglicismes, ce qui m’a valu, bien sûr, quelques réactions outrées. Il a fallu que j’écrive un texte pour expliquer la situation particulière du français au Canada. Néanmoins, j’ai reçu la semaine dernière une lettre d’une Française agacée par le fait que je décrivais l’expression distanciation sociale comme un calque de l’anglais, ce qui est la réalité. D’après elle, l’anglais et le français sont des langues sœurs et devraient converger pour ne plus former qu’une seule langue…

Les réactions les plus intéressantes viennent de Français établis au Canada. Ils sont les mieux placés pour faire la part des choses. D’une part, ils voient bien la position précaire de notre langue en terre d’Amérique; d’autre part, ils peuvent tempérer notre exaspération de voir l’invasion des termes anglais en français.

Écrivez-moi!

Comme vous le voyez, je suis toujours intéressé par vos courriels et vos commentaires dans mon blogue. Ils alimentent mes réflexions.

Au plaisir de vous lire.

Grand Confinement

Pour une fois, je dois admettre que nous vivons une période historique. La crise du coronavirus, la grippe de Wuhan, la COVID-19 (avec ou sans majuscule), et toutes les autres appellations que l’on inventera, décriront un évènement historique : celui de la première pandémie du nouveau siècle, et la pire depuis la grippe espagnole.

Ici, donc, pas d’abus du mot historique, qui, chose amusante, n’est pas utilisé par les médias. Eux qui se gargarisaient de cette expression pour qualifier un tournoi de hockey, par exemple… Comprenne qui pourra.

Pourtant, nous vivons un moment inédit : la plus grande partie de l’humanité vit dans le confinement, gracieuseté de l’innommable dictature chinoise qui s’acharne à travestir la vérité. À un point tel que certains ont commencé à baptiser cette période étrange causée par la pandémie. Pourquoi ne pas l’appeler le Grand Confinement?

Un article de l’Agence France Presse relate l’apparition de ce terme. Selon l’Agence, c’est l’économiste en chef du Fonds monétaire international, Gita Gopinath, qui aurait lancé l’expression. Bien entendu, Mme Gopinath s’exprimait en anglais devant la presse de Washington; il a donc parlé du Great Lockdown.

L’Agence France Presse s’est donc retrouvée avec un problème de traduction : le Grand Confinement ou le Grand Lockdown? Le fait qu’on ait envisagé la deuxième possibilité donne le goût de vomir : encore cette fascination de l’Hexagone envers l’anglais américain…

Heureusement, l’Agence a retenu l’expression française qui se suffit à elle-même et a le mérite d’être claire. En outre, elle s’inspire de ses cousines que sont la Grande Dépression des années 1930, de la Grande Récession de 2009. Nul besoin d’une autre intrusion de l’anglais.

Toujours selon l’article, certains lecteurs n’apprécient pas le Grand Confinement. Ils ont proposé la Grande Paralysie, la Grande Interruption, le Grand Effondrement. Ces solutions de rechange ne me paraissent pas convaincantes. Désolé d’être positif à ce sujet, dirait le major Thompson.

En anglais

Est apparu sur Twitter le mot-clic #coronavexit… Mais il n’a pas fait recette tant dans la presse américaine que dans la presse britannique. Le déconfinement se dit très prosaïquement ending the lockdown.

Dans le cas qui nous occupe, je trouve que le français est plus inventif; le confinement a engendré le déconfinement qui, lui-même, a produit le néologisme déconfiner. En anglais, je doute que l’on voie un jour to unlockdown.

Mais, comme le dirait sans doute le major Thompson, attendre et voir.

Édité

Pendant très longtemps, j’ai essayé d’imaginer le moment où un éditeur accepterait enfin de me publier. J’allais recevoir une lettre, peut-être par courrier express ou par courrier recommandé. J’ouvrirais l’enveloppe avec fébrilité et les mots magiques « Votre manuscrit a été retenu pour publication. » me frapperaient comme la foudre.

Ou encore, je recevrais un appel pour m’informer de l’heureux dénouement.

Eh bien ce n’est pas tout à fait ce qui est arrivé.

Je n’avais jamais prévu qu’un éditeur recevrait mon manuscrit par courriel un dimanche et m’écrirait quelques heures plus tard, pour me dire qu’il allait l’étudier avec attention. Habituellement, les éditeurs font bien sentir aux auteurs qu’ils leur font une faveur de condescendre à se pencher sur leur prose. Que la réponse va prendre du temps. Que s’ils ne vous répondent pas au bout de six mois, c’est que votre manuscrit est déjà devenu du papier hygiénique.

Je ne pensais pas non plus que cet éditeur, Marcel Broquet, m’appellerait le lendemain pour me demander pourquoi je ne mettais pas d’accent circonflexe à « parait »… (Rectifications de 1990 obligent.) Un éditeur qui lit attentivement mon œuvre et me demande des précisions…

Et, surtout, quelle surprise de voir ce même éditeur me rappeler le jeudi pour m’annoncer qu’il acceptait le manuscrit. Tout un choc… J’ai marché sur un nuage pendant deux jours. Il parait que la Terre a continué de tourner pendant ce temps – c’est quoi déjà cette histoire de corona-machin?

Bref, les choses ne se passent jamais comme on l’imaginait.

Arrivent bientôt les premières formalités : documents gouvernementaux à signer, sans oublier le fameux contrat d’édition, dont je vérifie la validité en consultant l’Union des écrivaines et écrivains du Québec. La possibilité d’une comédie musicale sur Broadway n’est pas évoquée… JJe sens que je me fais rouler. Ha! Ha! Pas grave, je suis publié.

S’enchainent les révisions. Celles de mon éditeur, de mon épouse, et d’autres qui suivront. Découvertes désespérantes de coquilles, de mots manquants, de légères incohérences dans la présentation… Par exemple écrire 13e siècle alors que les autres appellations du genre sont amenées en chiffres romains. Par-dessus le marché ma bête noire : l’adjectif au pluriel mais pas le substantif. Ah si les pluriels s’entendaient, comme en allemand, en italien ou en espagnol…

Mon éditeur a beaucoup aimé mon livre et espère que mes propositions de réforme du français déclencheront une controverse. Dixit : « Peu me chau (certains mettent un t à ce mot) les critiques, pourvu qu’on parle du livre. » Il ne me connait pas encore : on va parler du livre.

Le livre…

Plaidoyer pour une réforme du français, aux éditions Marcel Broquet. Il devrait sortir cet été.

L’auteur se penche sur l’évolution du français au fil de siècles et des raisons pour lesquelles il est devenu une langue à la grammaire et à l’orthographe capricieuse. Partout où on aurait pu faire simple, on a fait compliqué.

Le français d’aujourd’hui est le fruit de décisions arbitraires, d’erreurs de transcription, Pas surprenant que ses règles soient si compliquées et farcies d’exceptions. Il est temps de mettre un peu d’ordre dans ce fouillis, sans pour autant dénaturer notre langue.

Déconfinement

Confinement, rien à redire sur ce mot. Vous vous attendiez à un autre anglicisme, à un calque servile, à une impropriété? Chou blanc.

Le confinement, c’est le fait d’être confiné, de vivre la réclusion, l’isolement

La crise mondiale provoquée par la grippe de Wuhan, dont nous n’avons pas encore mesuré toute l’étendue, a influé sur le vocabulaire. J’ai écrit un article à ce sujet.

Les médias commencent déjà à parler de l’après-COVID-19, ce qu’ils appellent le déconfinement. Nécessité est la mère de l’invention. On le voit pour les masques, on le voit aussi pour le vocabulaire.

Il n’est pas clair si ce terme vient d’apparaitre ou s’il existait déjà. Chose certaine, on ne le trouve pas dans les dictionnaires courants. Mais qu’importe, la langue doit s’adapter à la réalité et, dans un avenir plus ou moins lointain, nous vivrons le déconfinement. Certains médias parlent d’un déconfinement à plusieurs vitesses, d’un déconfinement graduel, accompagné de la fameuse distanciation sociale.

Les langagiers se crêpent gentiment le chignon au sujet de cette distanciation – expression mal formée selon certains –, mais je ne pense pas qu’ils vont renâcler devant le déconfinement.

Celui-ci sera une sorte de désintoxication collective.

Mettre l’épaule à la roue

Pour combattre la grippe de Wuhan, tout le monde doit mettre l’épaule à la roue… et éviter les anglicismes! Non, je blague.

Nous espérons tous atteindre bientôt le sommet (ou pic) de la courbe, si chacun met la main à la pâte.

Mettre l’épaule à la roue est une jolie expression, très imagée, comme il arrive souvent en anglais. On en devine les origines médiévales, un paysan pousse sur la roue de sa charrette embourbée. Aujourd’hui, ce serait son VUS…

Malheureusement, mettre l’épaule à la roue est un calque syntaxique de To put one’s shoulder to the wheel.  En français on dira pousser à la roue. La similarité des deux expressions n’échappe à personne. Encore une fois, il est probable que l’anglais se soit inspiré du français.

Heureusement, il est facile de se dépêtrer. Des tournures comme mettre la main à la pâte, s’atteler à la tâche, prêter main-forte nous évitent de nous embourber. En tenant compte du contexte et avec un peu d’imagination, on peut aussi dire contribuer, commencer le travail, se lancer, s’embrayer (!), apporter son aide, venir à la rescousse.

Trillion

Depuis déjà un bon bout de temps les sommes que perçoivent et dépensent les gouvernements se chiffrent en milliards de dollars, exprimés par le mot billions en anglais. Les personnes qui jonglent avec les deux langues sont habituées à cet équivalence et ne commettent pas d’erreur grossière de traduction.

Les choses pourraient changer, toutefois, à cause de la pandémie de coronavirus qui sévit, les autorités doivent délier les cordons de leur bourse. Les sommes déversées pour soutenir le l’économie et les travailleurs qui perdent leur emploi sont astronomiques et risquent d’entraîner l’économie dans une profonde dépression.

Aux États-Unis, le Sénat a adopté un plan d’aide (traduction du mot passe-partout package) de deux trillions de dollars. Attention! Les trillions c’est en anglais. La traduction exacte devrait être deux billions de dollars.

C’est exactement la traduction que vous ne lirez probablement jamais, car la confusion avec l’anglais billion serait trop dangereuse. Malheureusement, on constate un décalage entre l’anglais et le français dans l’expression des nombres astronomiques. Le billion anglais équivaut à milliard dans notre langue; ce que les anglophones appellent trillion se dit billionen français. Vous me suivez?

Probablement pas. Pour simplifier le tout, le terme utilisé dans la langue de David Saint-Jacques est toujours mille fois plus élevé que dans celle de John Glenn.

D’ailleurs le Petit Robert affiche cette remarque à l’entrée billion : « Les termes billion, trillion, quatrillion, quintillion et sextillion sont à éviter en raison des risques de confusion entre les nouvelles et les anciennes acceptions. »

Nostalgie. Il fut une époque où les deux langues concordaient. Bref un billion équivalait à un milliard d’aujourd’hui. Donc, adéquation parfaite entre l’anglais et le français.

Mille milliards de mille sabords!

Voilà ce qu’en penserait Haddock. Terminologie de moules à gaufre. Bande sapajous! Iconoclasme et hérésie numérique.

Les rédacteurs sont parvenus jusqu’à maintenant à éviter cette chausse-trappe linguistique. Pour en revenir au plan de relance américain, de deux trillions de dollars, on écrit plutôt deux mille milliards.

Belle entourloupette pour éviter une erreur insidieuse. Un beau calcul.