On ne revient jamais indemne du
Japon. Mes amis m’avaient prévenu ; tous rêvaient de retourner au pays du
Soleil-Levant.
Résumer le Japon est impossible. Un pays ultramoderne qui donne l’impression de jouer dans un film de science-fiction. Des villes futuristes hérissées de gratte-ciel modernes. Mais tout à côté un salon de thé avec des tables basses ; des femmes qui font leurs emplettes en kimono.
Je m’attendais à plus d’exotisme,
mais ce n’est pas dans les grandes villes comme Tokyo, Kyoto, Osaka qu’on le
trouve vraiment. C’est plutôt dans notre assiette. Là on est loin de l’Occident.
Et pourtant, des gigantesques automates offrant une variété infinie de boissons
et de mets se dressent sur les trottoirs, samouraïs des temps modernes.
La modernité ce sont des réseaux de
transport en commun impeccables. C’est surtout le formidable Shinkansen, ce train rapide capable de
rouler à plus de 300 à l’heure. J’en ai pris trois et lorsque ce bolide
accélère, on se croirait à bord d’un avion. J’en ai vu un filer à travers une
gare comme une flèche.
Saisir le Japon, le résumer dans un
modeste billet est une tâche impossible. Je me sens écrasé à la simple idée de
le faire, du moins d’essayer. Je me contenterai de saisir certains aspects du
Japon pour en tracer un portrait sommaire bien en deçà de la réalité.
La politesse
Dire que les Japonais sont polis
est un euphémisme. Ils sont polis parce qu’ils vous respectent et ils s’attendent
à ce que vous fassiez de même. Au Japon, on ne donne jamais de pourboire parce
que ce geste est perçu comme une insulte. Du directeur de banque au simple
concierge tout le monde a le droit au respect.
Ce qui signifie que vous devez saluer toutes les personnes avec qui vous avez un contact. Et n’oubliez pas de sourire. Votre interlocuteur fera de même et pourrait même s’incliner devant vous. Ce formalisme étonne mais séduit rapidement. Il nous paraît vite normal, essentiel.
Tout voyageur qui revient du pays du Soleil-Levant vit un choc culturel. Les Occidentaux manquent très souvent de manière et sont parfois carrément mal élevés. Vous savez ces secrétaires médicales qui font semblant de ne pas vous voir au comptoir et prennent bien leur temps avant de répondre ? Ces gens qui travaillent dans le public et qui ont des airs de bœuf ? Ces personnes qui ne disent jamais merci ? Au Japon, on les chasserait à coup de balai bien mérités.
Le visiteur est souvent un peu
déboussolé par autant de déférence. J’ai demandé à une hôtesse dans un musée s’il
convenait de s’incliner lorsqu’on dit bonjour à quelqu’un. « C’est
variable. », m’a-t-elle répondu. Je l’ai remerciée de son aide, elle a
souri, m’a remercié à son tour et m’a fait une révérence.
Au Japon, on salue le chauffeur d’autobus
en descendant du véhicule, on dit bonjour à l’hôtesse d’un restaurant qui vous
attend à la porte ; on la remercie de desservir. C’est encore mieux quand
on le fait en japonais : le sourire de votre hôte s’ouvre comme une fleur
au printemps. Parler japonais à des Japonais est une marque de respect et comme
tous les peuples, ils apprécient nos efforts.
J’ai donc appris quelques formules dans
la langue de Mishima, dont la plus flatteuse : « Nihon ga skides. –
J’aime le Japon. »
La politesse passe par la propreté.
Les trottoirs sont immaculés, tout comme les rues. Pas un papier par terre. Pas
une poubelle non plus. Chacun traîne ses ordures et les jette à la maison.
Comparées à Tokyo ou à Osaka, nos villes ont parfois l’air de soue à cochons.
À cet égard, on peut trouver les
Japonais quelque peu obsessifs. Lorsqu’on entre dans une maison, on se
déchausse, car il serait impensable d’apporter avec soi la poussière de la rue.
Dans les sanctuaires shintos on enlève aussi ses souliers. Là, la politesse se
confond avec la propreté.
Les
jardins
Raffinement, beauté, harmonie, voilà ce qui peut définir le Japon. Tout
est joli. On cherche sans cesse l’équilibre. Que ce soit dans la présentation
des plats que dans l’organisation des jardins.
On
connaît les jardins secs, faussement appelés jardins zen. On peut y pratiquer
la méditation devant des rochers reposant sur du sable étalé au râteau. Le
sable symbolise l’eau et les roches la terre.
Plus
intéressants sont les jardins de promenade. J’en ai visité deux et leur beauté
était exceptionnelles, particulièrement celui de Kanazawa. Dans un jardin de
promenade il n’y a pas de fleurs. Tout repose sur l’équilibre parfait entre les
arbres et les plans d’eau. Les arbres sont parfaitement taillés, jamais trop
petits, jamais trop gros. De douces collines bordent les étangs et l’ensemble
du jardin compose un tableau harmonieux. En se promenant, le visiteur découvre
sans cesse de nouveaux points de vue ; le paysage évolue au fil de sa
marche. Le jardin en recèle une multitude d’autres qui se dévoilent au fur et à
mesure que l’on poursuit sa promenade. C’est fascinant, que l’on contemple le
jardin sous un angle ou sous un autre, la vue est toujours parfaite. Je n’ai
jamais rien vu d’aussi beau.
En
mai, les tons de vert tendre mettent en valeur la couleur plus foncée des
autres arbres. Les pins sont taillés comme des bonsaïs et prennent la forme de
chandeliers géants. Les érables japonais ont des feuilles bien différentes de
ceux du Canada et paraissent moins massifs. Leur élégance ravit.
Au moment
de ma visite, les cerisiers avaient perdu leurs fleurs, sauf en montagne, mais
les azalées et les glycines resplendissaient.
Ryokan
et onsen
Les
eaux thermales sont une sorte de religion au Japon. Le pays repose en partie
sur des volcans et dans certaines régions on peut admirer les fumerolles qui
filtrent du flanc des montagnes. Prendre les eaux, ce que l’on appelle le onsen, est donc une pratique courante.
Le
baigneur doit se laver rigoureusement avant d’entrer nu dans le bassin. Hommes
et femmes prennent les eaux chacun de leur côté. Ces eaux sont particulièrement
chaudes mais offrent une détente inégalée.
Résider
dans une auberge traditionnelle, un ryokan,
est une expérience unique. Les spartiates apprécieront, car les chambres sont d’un
dénuement parfaitement zen. Évidemment, on se déchausse, le sol étant recouvert
d’un tatami. Pas question de l’égratigner avec nos chaussures, sans parler de
la saleté qu’on répandrait partout.
L’ameublement
est minimal, souvent réduit à une table basse avec des coussins. La chambre est
sommairement décorée. En soirée, une hôtesse vient étaler le futon par terre et
c’est là qu’on fait dodo.
Les
clients se promènent partout en kimono, qui devient une sorte d’uniforme. Même
au restaurant, même à la boutique…
La cuisine
Les personnes en quête d’exotisme
le trouveront dans leur assiette. La cuisine japonaise est l’une des meilleures
au monde et se distingue par sa richesse et sa subtilité.
Les Japonais vivent de la mer parce
qu’ils disposent de peu d’espace pour s’adonner à l’agriculture et à l’élevage.
Les fruits de mer sont donc omniprésents. D’ailleurs, il est particulièrement
fascinant de visiter un marché aux poissons : la variété des espèces est
époustouflante.
La présentation des mets est en
harmonie avec la recherche de la beauté. Un plat doit non seulement être
délicieux mais joli. Un repas traditionnel se compose de plusieurs mets, à
commencer par une soupe au soja fermenté, le miso, qu’on assaisonne avec des poireaux et des algues. On trouvera
parfois des sushis qui, soit dit en passant, ne sont pas le plat national du
Japon. Le sushi était jadis un repas de pauvre.
Les meilleurs sushis sont ceux au
thon, une viande très populaire au Japon. Mais on en trouvera à la dorade, au
saumon, à l’anguille, au calmar. Parfois des œufs de poisson accompagnent le
tout.
Il va sans dire qu’on mange avec
des baguettes. Leur manipulation pose problème à bien des Occidentaux, mais je
puis vous garantir qu’on finit par y arriver !
La cuisine japonaise est parfois
déroutante. Le tofu est présent dans plusieurs plats. Ça on connaît. Mais ce
sont les textures qui étonnent parfois. Des cubes gélatineux au thé vert, par
exemple. À moins que vous ne préfériez la bière au wasabi, ce raifort vert
rappelant la moutarde.
Je ne mangeais pas de sushi avant d’aller
au Japon ; pour moi, la marche était haute. Je l’ai franchie parce que
tout est bon, en fin de compte, même si certains mets peuvent surprendre. Il
faut s’ouvrir à la culture nipponne et se laisser séduire, C’est ce que j’ai
fait.
La religion
Autre source de dépaysement, la
religion. Nous sommes en Orient et les grandes religions monothéistes
occidentales sont des curiosités. Ne cherchez pas les clochers d’église, les
grandes cathédrales, il n’y en a pas.
Le Japon est le confluent de
plusieurs religions. Rien de symbolise davantage ce fait que le shintoïsme. À l’instar
de l’hindouisme, il aligne une multitude de divinités. On peut leur rendre
hommage dans des sanctuaires, dont l’entrée est souvent ornée d’un portique, appelé
torii. Il symbolise notre passage
dans un autre monde.
Les Japonais se purifient avant d’entrer
au sanctuaire. Avec une louche, ils mouillent la main gauche d’abord, puis la
droite, avant de verser un peu d’eau dans la main et de se rincer la bouche.
Ils égouttent ensuite la louche dans le puits où elle reposait.
On sonne parfois une cloche dans le
sanctuaire pour attirer l’attention des dieux. On peut aussi claquer des mains
deux fois. On se penche pour faire sa prière et on fait deux révérences.
Des boutiques vendent toutes sortes
de porte-bonheur. J’en ai acheté un. Les marchands du temple…
Le shintoïsme est à l’enseigne du
syncrétisme : il a fait du Bouddha une de ses divinités. Ce qui fait que
les Japonais peuvent être aussi bien bouddhistes que shintoïstes… On est loin
du dogmatisme, disons…
Les temples bouddhistes sont
nombreux. Certains sont spectaculaires, dont le fameux pavillon d’or près de
Kyoto ; un autre aligne des centaines de statues dorées du Bouddha. Sans
compter le Bouddha géant près d’Osaka qui mesure une quinzaine de mètres de
haut.
On peut y allumer un bâtonnet d’encens
et réciter une prière.
L’Occidental que je suis a vu bien
des points communs avec nos religions. Les dieux de l’agriculture me
rappelaient nos patrons catholiques. Et ces prières adressées aux dieux ne
ressemblent-elles pas aux nôtres ? Les prières gravées sur des morceaux de
bois affichés près des temples me rappelaient les papiers que les juifs
glissent entre les pierres du mur des Lamentations à Jérusalem.
Non, on ne revient pas indemne du
Japon. J’y suis encore.