Température

Le fait de ne pas maitriser sa langue maternelle se traduit souvent par des impropriétés. L’une qu’on entend souvent au Québec et en Ontario est température, au sens du temps qu’il fait.

En cette période de grésil venu gâcher la belle neige des skieurs, une petite mise au point s’impose. Il est faux de prétendre que nous n’avons pas de belle température, de nos jours. On peut cependant se plaindre que nous n’avons pas de beau temps.

L’erreur balaie le pays comme un creux barométrique.

La température désigne le nombre de degrés qu’il fait dehors. Au moment où j’écris ces lignes, il fait deux. C’est ça la température. Et rien d’autre qu’un chiffre.

Quel temps fait-il dehors? Pour l’instant, c’est nuageux. Mais ça pourrait être des averses de neige, comme on dit chez nous, ou encore de la pluie, du soleil, de la grêle, du grésil.

En été, le temps est plus chaud au Québec : nous avons parfois des canicules. La température peut alors atteindre plus de trente degrés et, avec l’indice d’humidité, quarante degrés.

Temps? Température? Pas de tempête dans un verre d’eau, juste une question de terme exact.

Post-vérité

Le dictionnaire Oxford a choisi post-truth comme mot de l’année 2016. Ce néologisme a rapidement été traduit par post-vérité.

De quoi s’agit-il ?

Ce sont des faits non avérés issus d’opinions personnelles, d’impressions inexactes, qui sont relayés par les médias sociaux.

Deux évènements politiques ont soufflé fort dans les voiles de la post-vérité : le Brexit et l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis. Dans le premier cas, bon nombre de mensonges et de demi-vérités ont été colportées par les deux camps, sur les périls à quitter l’Union européenne et sur les coûts réels de celle-ci pour les Britanniques.

Quant à Trump, les médias ont établi clairement qu’à peu près les trois quarts de ce qu’il avance est carrément faux.

Pourtant, comme le fait observer avec justesse le chroniqueur et politicologue François Brousseau (un ancien collègue d’université), le mensonge a toujours été la trame de la vie politique. Bref, rien de nouveau sous le soleil.

Ce qui est nouveau, c’est qu’un peu tout le monde s’en fout.

Les médias sociaux sont devenus un déversoir de fausses nouvelles, de propos mensongers; toutes les outrances y sont permises et les garde-fous se font rares. En outre, des sites web apparemment respectables propagent des faussetés à pleine page, reprises en chœur dans les médias sociaux et présentées comme des faits avérés. Une chatte y perdrait ses petits.

Saviez-vous que si vous mettez des rondelles d’oignon dans vos chaussettes pendant la nuit, vous allez purifier votre organisme?

Il est significatif que Facebook ait décidé de mettre au point un dispositif pour traquer les fausses nouvelles qui envahissaient cette plateforme, telle une infection virulente.

De fait, nous sommes bombardés d’informations contradictoires comme jamais auparavant. Les chaînes d’information continue sont tellement obnubilées par l’instantanéité, qu’elles en oublient de faire des analyses de fond. Elles contribuent à diffuser une version tronquée, et trompeuse, de certains évènements.

Par exemple, la tentative de coup d’État en Turquie. Le gouvernement riposte durement. Mais personne ne se demande au juste pourquoi il y a eu tentative de putsch. Des fous probablement. On ne veut pas en savoir plus.

(L’armée a toujours été la protectrice de la république laïque en Turquie. Or, le président Erdogan est en train de revenir sur cette avancée centenaire et transforme son pays en république islamique. Voilà pourquoi il y a eu tentative de coup d’État par les militaires. Les médias québécois, braqués sur les combats de rue et les cadavres, ne l’ont jamais expliqué.)

La surabondance d’informations biaisées, incomplètes, n’explique pas tout. La rectitude politique qui embaume la liberté d’expression et la sensation très nette que les politiciens sont déconnectés de la réalité viennent jeter de l’huile sur le feu.

La post-vérité est également l’enfant légitime d’une grande désillusion politique vis-à-vis du néolibéralisme. Certes, l’ouverture des marchés crée énormément d’emplois, mais elle a jeté beaucoup de gens sur le pavé. À juste titre, ils estiment qu’on leur a menti.

La colère est source d’aveuglement et très mauvaise conseillère. Un moment donné, les faits n’ont plus droit de cité. Trop compliqué de démêler le vrai du faux, alors chacun se fait son opinion et s’y cramponne, sans vouloir entendre le point de vue opposé.

De toute façon, avez-vous déjà essayé de débattre intelligemment dans les médias sociaux? Particulièrement dans Twitter?

La post-vérité est tellement plus simple.

Évènement

Certains renâcleront devant cette graphie avec accent grave. Elle est pourtant largement acceptée de nos jours, même si elle fait partie de ce que beaucoup considèrent comme un infâme chapelet de rectifications de l’orthographe qui suscite tant d’émoi.

Il était logique d’aligner la graphie sur la prononciation, surtout quand l’on sait que bon nombre de fausses graphies en É résultent du manque de È, à l’époque où les textes étaient composés par des typographes. L’orthographe du français est une série d’aberrations et de décisions arbitraires.

Les sens que les Québécois attribuent à évènement pourraient surprendre nos amis européens. Une exposition, un spectacle de jazz sont des évènements aussi bien que le déraillement d’un train.

Il faut dire que le mot possède un sens général qui peut aller dans ce sens : « Ce qui arrive et qui a quelque importance pour l’homme », nous dit le Robert.

Les Européens emploieraient cependant le terme manifestation pour parler d’une exposition ou d’un festival de jazz. Ce terme est plus précis, car il désigne un « Événement artistique, culturel, commercial, publicitaire organisé dans le but d’attirer un large public. »

Au Québec et au Canada français, une manifestation a peu à voir avec un spectacle. Il s’agit plutôt d’une démonstration publique visant à faire valoir une opinion. Une manifestation a généralement lieu dans la rue; les gens défilent avec des pancartes et scandent des slogans.

Ce sens est confirmé dans les grands dictionnaires français; il ne s’agit donc pas d’un québécisme.

Meeting est un autre mot adopté des deux côtés de l’Atlantique, mais avec des sens différents. Dixit Le Robert : « Réunion publique organisée pour discuter une question d’ordre collectif, social ou politique. » En Amérique, on y voit plutôt un anglicisme facilement remplaçable par réunion. On parlera par exemple de réunion de production, au lieu d’un meeting de production. Le meeting d’un parti politique sera désigné comme une assemblée, un rassemblement.

 

Délais judiciaires

Ces temps-ci, on ne parle que des délais judiciaires. Les médias propagent allègrement cette petite faute sans le moindrement douter de l’exactitude de cette expression insidieuse.

Dans un billet précédent, j’ai mis en lumière l’énorme confusion existant entre le sens français de délai date butoir, et celui de l’anglais – retard.

Au Québec, l’usage courant est une joyeuse fricassée des deux sens, allègrement confondus par à peu près tout ce qui gribouille et scribouille.

L’expression délais judiciaires ne fait qu’ajouter à la confusion monstre qui règne déjà. Il est à la fois question des dates limites pour la tenue de certains procès, auquel cas le mot délai est correctement employé. Mais en lisant bien les articles des médias, on comprend vite qu’il est également question des retards de la justice.

À cause de ces retards, les délais prescrits par la loi pourraient ne pas être respectés, avec les conséquences que l’on sait.

Or, en observant attentivement la prose journalistique dans tous les domaines, ainsi que l’usage courant, on constate vite que dans la majorité des cas les fameux délais ne sont rien d’autre que des retards.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Des retards à rendre justice.

Il faudrait donc parler des retards judiciaires.