Tics journalistiques par l’absurde

Les tics journalistiques finissent par agacer d’autant plus qu’ils reviennent sans cesse dans la bouche de reporters, de chefs d’antenne qui s’imaginent parler une langue à la fine pointe de la modernité.

Malheureusement, les progrès sont bien rares. Alors, pour bien rigoler, regardons ce que signifie vraiment le charabia journalistique… Rien ne vaut une démonstration par l’absurde.

Un stationnement grand comme cinq terrains de football.

Signification : Un très grand stationnement. Un immense stationnement. Les cinq équipes de la division Ouest de la Ligue canadienne de football y jouent.

L’attaquant non francophone du Canadien (précision inutile…) a marqué le but qui a fait la différence.

Signification : ce but surprenant a amené le gardien adverse à réfléchir sur le sens profond de ce filet et à le distinguer d’un but marqué par ses propres équipiers. Conclusion : ils marquent de l’autre côté de la patinoire.

Tel membre d’un gang de motard a un dossier criminel chargé.

Signification : son dossier en lui-même constitue un crime et les procureurs de la Couronne devraient être emprisonnés, à moins que le procès n’avorte à cause de l’arrêt Jordan. Le criminel en question a un casier judiciaire mais il est toujours préférable d’éviter ce sujet épineux en sa compagnie.

Le Canada et d’autres juridictions envisagent de légaliser les anacoluthes.

Signification : en tant que tribunal, le Canada peut prononcer un jugement sur la légalité des anacoluthes. S’il était un pays, un gouvernement ou un État, il pourrait demander à son Parlement de légiférer contre les ruptures de construction.

Le gouvernement fédéral n’a pas juridiction en éducation.

Signification : Le gouvernement d’Ottawa n’est pas autorisé à prononcer des jugements dans les affaires relatives à l’éducation, puisque seul un tribunal a juridiction. En fait, le gouvernement fédéral n’a pas compétence en éducation.

Des investissements historiques dans la rénovation des écoles. Une rencontre historique entre les maires de 22 municipalités.

Signification : Les investissements et la rencontre en question, on en parlera encore dans 50 ans. Nos enfants nous demanderont si on se souvient des discussions des 22 maires, qui ont marqué toute une époque.

Le front froid va faire en sorte qu’il y aura de la neige en fin de semaine.

Signification : Le front froid va organiser des chutes de neige en fin de semaine.

Les témoins ont été rencontrés.

Signification : n’est-il pas? Des témoins ont été rencontrés parce que des accidents ont été produits par le front froid, qui, décidément, travaille d’arrache-pied.

La tempête a causé des délais à l’aéroport.

Signification : la tempête (causée par le même front froid) a amené les autorités aéroportuaires à fixer de nouvelles dates limites ou encore à recalculer le temps imparti pour effectuer certaines tâches.

La décision des autorités de l’aéroport a eu des impacts sur les vacanciers.

Signification : ils sont tous tombés raide mort lorsqu’un Boeing les a heurtés de plein fouet.

La police a découvert que le conducteur était intoxiqué au moment de l’accident.

Signification : le conducteur avait mangé des huitres périmées (et non passées date). Il était empoisonné. Le journaliste, probablement pompette, voulait dire que le conducteur était en état d’ébriété.

La ministre Joly n’était pas dans sa zone de confort en répondant aux journalistes.

Signification : La ministre a été tirée de sa baignoire et amenée de force devant la meute journalistique.

La hausse des loyers dans les quartiers populaires est une problématique qu’il faut adresser.

Signification : La hausse des loyers est une situation tellement complexe qu’elle a été envoyée par la poste à l’Institut de physique nucléaire Max Planck, à Heidelberg en Allemagne.

Le coureur a éventuellement gagné le marathon.

Signification : il a peut-être gagné la course, mais on n’est pas sûr encore.

La joueuse de tennis allemande Angélique Kerber a disposé d’Eugenie Bouchard en trois manches.

Signification : elle a amené la joueuse canadienne chez elle et l’a rangée dans son placard. Elle pourra en disposer à sa guise, par exemple lui demander de faire son ménage et les courses.

La STO a mis la table aux consultations publiques sur l’avenir du réseau dans l’Ouest. (Authentique, paru dans La Presse).

Signification : La STO a préparé un buffet pour les intervenants qui étudieront l’avenir du réseau. Au menu, carte d’abonnés en sauce, trempette au diésel et tartines de graisse de frein.

Les gestionnaires de la Caisse de dépôt sont définitivement dans l’eau chaude.

Signification : Ils ont été plongés dans un bac d’eau bouillante pour le reste de leurs jours, ou jusqu’à cuisson complète. Josée Di Stasio les inclura dans son prochain livre.

À la fin de la journée, le gouvernement fédéral devra trancher le litige pétrolier entre la Colombie-Britannique et l’Alberta.

Signification : Ce soir, à 23 h, Ottawa devra mettre fin au litige dégoulinant de sables bitumineux entre les deux provinces. J’ai hâte de voir cela. On nous dira probablement que c’est un point tournant qui nous attend au tournant.

Partager le délire

Dans ce délire collectif qu’on appelle « usage », le verbe partager a pris son envol dans un tourbillon stratosphérique qui défie tout entendement. La contamination par l’anglais n’est plus un simple symptôme, mais une pandémie.

Dans le Devoir d’aujourd’hui, on rapporte le commentaire de la ministre Julie Boulet à propos de la procureure Sonia Le Bel qui défendra les couleurs de la CAQ aux prochaines élections. La ministre soutient que Mme Le Bel n’a pas l’air sympathique et elle ajoute : « Tout le monde le partage. »

Obnubilée par l’omniprésent partager, la ministre a oublié le verbe penser. « Tout le monde le pense. » Une phrase toute simple, pourtant.

Autre exemple. L’amusant film De père en flic. L’inénarrable Louis-Josée Houde qui s’exclame : « Il me le partage! » après que son père lui eut confié un secret. Les scénaristes ont-il oublié l’existence du verbe dire? « Il me le dit, par dessus le marché! » Une belle phrase, bien appuyée, avec le bon verbe.

Mais c’était peut-être trop recherché, au fond. Le bon public n’y a probablement vu que du feu, abreuvé qu’il est par la prose médiatique dans laquelle ne semble plus exister le moindre filtre. Animateurs et rédacteurs nous bombardent de partager à tous les jours et à toutes les sauces.

On partage des récits, des commentaires, des images, etc. Pire encore, on se les partage.

Car l’usage a fini par adopter la forme réflexive qui, sans doute pour bien des gens, renforce le propos. Elle devient, en quelque sorte, partager sur les stéroïdes.

Entre amis, on partage une bouteille vin; est-ce que se la partager la rendrait plus gouleyante, plus tannique?

Les plus curieux voudront peut-être relire mon article initial sur ce mot, dont le sens véritable en français, on l’oublie de plus en plus, est de diviser en plusieurs parties.

Mais, au fond, ce rappel semble de nos jours complètement dépassé.

Donner sa langue au chat

La révolution informatique qui se déroule sous nos yeux a transformé notre façon de vivre. Je me désole d’accourir à mon téléphone intelligent dès que j’entends l’alerte d’un nouveau courriel, d’un texto ou d’un j’aime sur Facebook (pour le plus grand plaisir de toutes les entreprises qui m’espionnent).

J’ai l’impression d’être un chien qui réagit à l’appel de son maitre. Suis-je devenu un cyberzombie?

Les lecteurs européens s’étonneront, voire s’amuseront, des expressions imprimées en gras. Devant ces termes énigmatiques, ils seront tentés de donner leur langue au chat. Ce sont pourtant les termes que l’on utilise au Québec pour smartphone, email, SMS et like.

Le mot chat lui-même pose maintenant problème. De côté-ci de l’Atlantique, ce mot renvoie à un félin, alors qu’en Europe il désigne une conversation en direct entre internautes. Bref, un envoi rapide de courriels. Ce qu’on appelle au Québec le clavardage.

Clavardage est un ingénieux mot-valise. Il combine clavier et bavarder. Or, quand on chatte, on bavarde justement par claviers interposés. Courriel relève de la même logique : courrier électronique.

Mais voilà, ce ne sont pas des mots anglais et c’est pourquoi ils sont considérés comme des curiosités en Europe. Le Robert leur appose l’étiquette de « régionalismes ».

La traduction en français de néologismes est une spécialité au Canada. La survie du français en Amérique du Nord passe par la traduction systématique des expressions nouvelles issues du monde anglo-saxon. Et, ne soyons pas modestes, nos traductions sont souvent très inspirées.

Je le réitère : la situation est très différente en France, en Belgique et en Suisse; le besoin pressant de traduire y est beaucoup moins présent. En outre, l’anglais américain y brille de mille feux. On enfile les anglicismes dans la conversation comme des perles dans un collier.

Il est quand même triste de voir que nos efforts de traduction et de francisation suscitent aussi peu d’intérêt sur le Vieux Continent.

 

 

 

SMS

Le monde vibre aux textos, ces courts messages envoyés par téléphone portable. Nos appareils en ronronnent de plaisir.

Assez curieusement, les textes européens parlent surtout de SMS, autre anglicisme qui fait vibrer nos cousins d’outre-mer. Et surtout autre sigle dont le français pourrait se passer. Voir mon article sur l’invasion des sigles.

SMS est un sigle anglais signifiant Short Message Service. Ce terme se voit en anglais, certes, mais on parle aussi de text message, qui a donné le verbe to text.

Les entreprises de téléphonie utilisent l’expression messagerie-texte. En outre, on entend couramment dans les conversations texter un ami, j’ai reçu un texto. D’ailleurs, texto est inscrit au dictionnaire; il s’agit d’une marque déposée, lexicalisée, que l’on écrit avec la minuscule initiale. C’est bel et bien un mot français.

En somme, le SMS anglais n’est pratiquement pas utilisé au Québec et au Canada; sa prolifération en Europe étonne. Car il faut préciser que le sigle s’affiche aussi fièrement en allemand, espagnol, italien, turc, suédois…

SMS, heureusement ou malheureusement, ne se décline pas en verbe. Texter un ami devient quelque peu barbare si on recourt au sigle : je SMS(se) un ami. Quant à y être : je essemesse un ami. Je texte un ami devient nettement plus simple, mais il implique de parler de texto.

Une tempête dans un portable? Pas de quoi poster à sa mère? Peut-être. Mais une très bonne chose que SMS reste lettre morte de ce côté-ci de l’Atlantique. On n’en a vraiment pas besoin, point à la ligne.

Pin’s

Le mot pin’s est une curiosité. Tout d’abord, il n’est pas indispensable, car on peut dire épinglette, qui est la recommandation officielle et qu’on utilise couramment au Canada. Ensuite, l’apostrophe suivie du s étonne. Étonne beaucoup, même.

En anglais, cette apostrophe indique le possessif. Ce que l’on dit littéralement c’est « de l’épinglette ». Mais quoi au juste? La couleur, la taille?

Pas surprenant que le Robert qualifie pin’s de « faux anglicisme ». En effet, la faute n’échappe pas à toute personne qui parle anglais. Ce qui n’est pas le cas de toutes celles qui arborent fièrement « un pin’s ».

Il y a des emprunts à l’anglais qui sont beaucoup plus pertinents que pin’s. Et surtout moins ridicules.

 

 

Aphorismes sur la langue française

Apprendre le français, le parler, l’écrire pour ensuite apprendre d’autres langues et le comparer à elles permet d’approfondir la réflexion. Notre langue est incroyablement compliquée.

Mes réflexions se résument pour l’instant à ces trois aphorismes. Je suis persuadé qu’il y en aura d’autres.

 

Le francophone doit non seulement être ferré en grammaire, mais aussi posséder une mémoire d’éléphant pour mémoriser tout un lot d’exceptions qui accompagnent les règles de grammaire. Idéalement aussi, il devrait avoir appris deux langues mortes, le grec ancien et le latin, pour comprendre certaines graphies autrement inexplicables.

En français, tout ce qui pourrait être simple est compliqué; et tout ce qui est compliqué l’est encore plus que vous ne le croyez.

Soutenir que le français a des règles est quelque peu exagéré; il a plutôt des régularités assorties d’un cortège d’exceptions, souvent illogiques et résultant d’erreurs passées. L’apprentissage du français devient un travail de mémorisation de ces régularités et exceptions, une sorte de talmud que le francophone doit apprendre par cœur.