Adresser

Le verbe adresser est source de multiples difficultés, à commencer par sa graphie, avec un seul D. L’écrire avec deux D revient à commettre un anglicisme morphologique (address en anglais, adresser en français).

Dans notre langue, on adresse une lettre, la parole à quelqu’un et on s’adresse à un auditoire. Adresser un auditoire est un autre anglicisme.

Dans le milieu des relations publiques, il est de bon ton d’adresser des problématiques. Rappelons qu’une problématique est un ensemble de problèmes et que ce terme est rarement pertinent lorsqu’on décrit une simple situation. Avis aux policiers.

Par ailleurs, l’expression adresser une question, adresser un problème, une situation relève de la phraséologie anglaise. On traite une question, on en discute; on s’attaque à un problème, on aborde un problème; on étudie une situation. Parfois le verbe anglais to address signifie résoudre, régler et seul le contexte peut indiquer la bonne traduction à adopter en français.

 

Agenda

Vous avez un agenda dont vous vous servez pour noter vos rendez-vous et les anniversaires. Il peut être aussi bien en format papier qu’électronique.

Cela dit, peut-on parler de l’agenda d’une réunion? Par vraiment; on plutôt d’un ordre du jour.

Tant pour les individus que les organisations, l’expression en l’objet ne peut convenir pour définir une ligne d’action. À moins de patauger dans le cloaque des anglicismes, il faut trouver un autre moyen de s’exprimer.

Les chroniqueurs politiques se délectent du mot agenda en parlant d’un gouvernement, de l’opposition ou d’un parti politique et il est bien difficile de les convaincre de jeter cette vilaine mâchée de gomme. Le plus souvent, les politiciens et leurs partis ont un programme, une liste des priorités.

Autre expression qui revient souvent dans les écrits sur la politique avoir un agenda caché. Ici, un peu d’imagination ne nuit pas et la solution est beaucoup plus simple qu’on ne l’imagine. Un gouvernement peut avoir des intentions cachées, des arrière-pensées, des desseins ou des projets secrets, des priorités secrètes. On pourrait dire également qu’il cache son jeu. Bref on peut se dispenser du hideux agenda caché. Avis aux intéressés, qu’ils inscrivent à leur agenda « À partir de demain, je n’emploie plus l’anglicisme agenda. »

Quitter

«Delphine vient de quitter, elle reviendra demain.  Josée a quitté pour la France hier soir. Après avoir passé vingt-cinq ans à La Baie, Martin a quitté sur un coup de tête.»

Voilà quelques exemples de phrases que l’on entend tous les jours, sans s’émouvoir. On le devrait, pourtant. Au Québec, le verbe quitter est employé systématiquement sans complément. Or ce genre de construction est non seulement fautif mais il peut aussi être porteur de confusion dans bien des cas.

En effet, si nos disons que tel sénateur au milieu d’une controverse a quitté, certains croiront qu’il vient enfin de démissionner, alors qu’il pourrait tout simplement être sorti de la pièce.

Il faut savoir que le verbe quitter est transitif, c’est-à-dire qu’il exige un complément. On ne quitte pas tout court, mais on quitte quelque chose. Revenons à nos phrases.

«Delphine vient de quitter le bureau, elle reviendra demain. Josée est partie pour la France hier soir. Après avoir passé vingt-cinq ans à La Baie, Martin a démissionné sur un coup de tête.»

Si le dernier cas est clairement un anglicisme, il me semble que les deux premiers s’inspirent aussi de l’anglais qui emploie to quit de manière intransitive. «He had to quit – il a dû partir.»

On retiendra de tout ceci que le verbe partir peut facilement remplacer quitter lorsqu’on est tenté de l’utiliser sans complément.

 

Livraison de services

Lu dans Le Devoir de ce matin (soupir).

On a beau être pressé par le temps (toujours?), il est un peu décourageant de lire ce genre de choses dans un journal de bonne tenue. Enfin.

J’imaginais le citoyen en train d’appeler le gouvernement et de commander une brochette de services… Vous faites la livraison?

C’est le mot prestation que l’on aurait dû utiliser, un mot trop souvent oublié.

Article plus complet sur la question ici.

Le monde du sport

Le merveilleux monde du sport est lourdement influencé par l’anglais et on a souvent l’impression que les commentateurs à la télé pensent tout simplement dans la langue de Shakespeare. Passons en revue quelques expressions populaires tout en attisant la nostalgie des défunts Expos de Montréal.

De retour dans la formation, Carter jouera sur une base régulière.

Construction typique de l’anglais, et inutile par-dessus tout. Carter jouera régulièrement, à tous les jours. Soit dit en passant, l’emploi abusif de sur une base + adjectif n’est pas propre au monde du sport.

Tim Raines est un joueur versatile.

Ah bon? Il est sujet aux changements d’humeur? Voilà un bel exemple de faux-ami. En fait, Raines est un joueur polyvalent.

Pedro Martinez est un fier compétiteur.

Autre calque de l’anglais. Martinez est un joueur fougueux, intense.

Les Expos sont très heureux de voir Al Oliver joindre les rangs de l’équipe.

L’erreur ne saute pas aux yeux, mais en français on dit plutôt rejoindre les rangs des Expos ou encore se joindre aux Expos.

Les balles cassantes sont l’un des atouts de Steve Rogers.

Calque de breaking balls, l’expression est tentante… comme une balle courbe, que certains commentateurs qualifient de décevante. Certains feront valoir qu’une balle à effet « casse » en arrivant vers le marbre, alors qu’en fait elle s’infléchit. Mais j’imagine mal les commentateurs en train de parler d’une balle infléchissante… Quant à décevante, le mot renvoie à deception… en anglais, qui signifie « tromperie ». La courbe de Rogers ne déçoit pas les frappeurs, elle les déjoue. Alors pourquoi ne pas parler d’une courbe efficace tout simplement?

Les Expos ont capitalisé sur les erreurs des Mets et ont disposé de l’équipe new-yorkaise par la marque de cinq à zéro.

On peut douter que les Expos aient vraiment converti leur victoire en capital, sens véritable de capitaliser, pas plus qu’ils n’ont mis les Mets à leur disposition… Ils ont profité des erreurs de l’adversaire et l’ont vaincu.

Significatif

On l’entend partout, ce qui lui donne des accents de vérité. Significatif est comme le monoxyde de carbone : il nous empoisonne à notre insu. Adjoint à un nombre, il en gonfle l’importance : des augmentations significatives du taux de chômage, entre autres exemples.

Le commun des mortels qui l’entend et le lit tous les jours sera sûrement étonné d’apprendre que significatif a un sens plutôt restreint dans notre langue : qui est porteur de signification, qui est révélateur, éloquent ou expressif.

Un geste significatif. Une défaite significative du parti au pouvoir dans un élection partielle (en ce sens qu’elle démontre son impopularité).

Ici nulle trace de quantité, contrairement à l’anglais significant, dont le terme en vedette est une mauvaise traduction.

On parlera donc d’une augmentation considérable, importante, des coûts, des inscriptions, des mises en chantier, etc. Faites passer le message.

Éventuellement

«Il est mort éventuellement.»  Voilà une phrase toute innocente que l’on pourrait lire un peu partout sans que la plupart des gens n’y voient de problème. Pourtant, cette affirmation est un non-sens, tout simplement parce qu’éventuellement n’a pas du tout le sens qu’on lui attribue en général.

Beaucoup s’étonneront d’apprendre que le terme en l’objet veut tout simplement dire… peut-être. D’une manière éventuelle, nous disent les dictionnaires, c’est-à-dire si certaines conditions sont réalisées, selon les circonstances.

Le eventually anglais a un sens plus vaste et peut signifier par la suite, à la longue, ultérieurement, etc. Donc He died eventually a du sens en anglais, mais pas en français.

L’ennui c’est que presque toutes les occurrences du terme en français canadien sont teintées d’anglais à un point tel qu’on ne sait plus ce que les francophones ont en tête lorsqu’ils l’emploient. Par exemple si une personne dit «Pierre viendra éventuellement au concert.», il n’est pas clair pour qui pense en français si Pierre fera acte de présence s’il en a le temps ou s’il est assuré qu’il assistera au concert.

Il est pourtant si facile de se rappeler qu’éventuellement ne veut rien dire d’autre que peut-être ou le cas échéant.

Autre article : À toutes fins pratiques

Imputabilité

Les fautes de français qui pullulent dans nos médias ne viennent pas toutes de l’anglais. Imputabilité en est un bel exemple.

Tout le monde l’emploie : les administrateurs publics, les personnes affectées aux relations publiques, les journalistes… Le terme doit donc être correct. Eh bien non !

On parle de l’imputabilité d’une personne, d’une organisation, pour dire qu’elle est responsable, qu’elle doit rendre des comptes. Or ces acceptions sont fausses. Il s’agit ici non pas d’un anglicisme mais d’une impropriété, c’est-à-dire d’un terme employé dans un sens qui n’est pas le sien.

Premier point : il faut garder en tête qu’imputabilité renvoie à une chose négative. Une erreur peut être imputable à la négligence. Second point : seules les choses sont imputables, pas les personnes. Par exemple, si l’on veut dire qu’un directeur est « imputable », il faudra plutôt écrire qu’il est responsable ou qu’il rend des comptes à telle instance, tel directeur général. On pourrait aussi dire qu’il est redevable. Bref, n’importe quoi sauf imputable.

D’ailleurs, on peut facilement remplacer imputabilité par le terme responsabilité. Dans un texte plus relevé, on peut aussi parler de reddition de comptes au lieu d’imputabilité.

Petite anecdote en terminant : le Bureau de la traduction du gouvernement fédéral a convaincu les députés des Communes de changer le titre du projet de loi sur l’imputabilité, qui s’appelle maintenant Loi sur la responsabilité fédérale.

Par le biais de

Le sens véritable de cette locution souvent employée semble échapper à bon nombre de rédacteurs et de traducteurs, et c’est dommage. On lit par exemple dans le site de Patrimoine canadien «Développement des communautés par le biais des arts et du patrimoine». Deux observations s’imposent : 1) l’envahissant communautés, expression vague à souhait (voir mon article) qui laisse le lecteur sur sa faim, que l’on aurait dû remplacer par régions, peut-être; 2) «par le biais des arts et du patrimoine», que l’on aurait pu facilement raccourcir de la manière suivante : «par les arts et le patrimoine».

Prise dans son sens propre, l’expression signifie employer un moyen détourné, artificieux, pour atteindre son but. Ni le Robert, le Larousse, le Multidictionnaire, le Trésor de la langue française, ne donnent le sens plus neutre de «par l’entremise de», qui tend à s’imposer dans l’usage.

Ici, les avis divergent. Certains considèrent qu’il faut se plier à l’usage, puisque c’est lui qui, en définitive, finit par s’imposer, tandis que d’autres estiment qu’il faut défendre le bon usage. Bien entendu, certaines expressions considérées jadis comme fautives ont fini par s’imposer et par entrer dans les dictionnaires, mais ce n’est pas le cas de par le biais de pris dans un sens neutre. Le Multidictionnaire de la langue française ainsi que la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française considèrent même que l’expression ne devrait pas s’employer de manière neutre. J’abonde dans le même sens, car la neutralisation de biais entraîne une perte de sens et de nuance.

Voici quelques exemples dans lesquels par le biais de est employé correctement.

  • Le voleur s’est infiltré dans l’usine par le biais de la ruse.
  • Elle a obtenu son poste par le biais d’un ami.
  • Ce conseiller municipal s’est enrichi par le biais de la prévarication.

 

Disposer de quelque chose

Avez-vous l’intention de disposer de vos vieux meubles? Le Canadien peut-il disposer des Sénateurs d’Ottawa au compte de sept à deux?

Ces deux phrases seraient correctes en anglais, mais pas en français. Dans les deux cas, le verbe disposer revêt un sens très courant dans les écrits journalistiques au point que le lectorat n’y généralement que du feu.

Disposer, dans le sens de se débarrasser de quelque chose

De fait, disposer signifie « avoir à sa disposition » et il n’a nullement le sens de défaire, de se débarrasser de.

Longtemps, il existait au gouvernement fédéral un monstre linguistique appelé Corporation de disposition des biens de la Couronne. Deux anglicismes pour le prix d’un; c’est ce qui arrive quand des fonctionnaires s’imaginent qu’ils n’ont pas besoin de traducteurs professionnels. Dans ce cas précis il aurait été plus pertinent de parler de l’aliénation des biens de l’État. En effet, aliéner a le sens plus noble de « se défaire de quelque chose ».

Disposer en français

En français, disposer signifie « avoir en sa possession » et « exercer son droit de propriété », ce qui implique, éventuellement, de se débarrasser d’un bien.

Le mot disposer se voit aussi dans le sens d’être capable de prendre ses propres décisions, d’être libre et indépendant. On parle d’ailleurs du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Le peuple québécois a le droit de disposer de lui-même.

Toute personne a le droit de disposer de son corps.

Dans le monde du sport

La langue des sports est trop souvent teintée d’anglais. « Le Canadien dispose des Sénateurs. » est un autre emprunt à la langue de Shakespeare. Ici, vaincre, défaire, l’emporter sur, avoir raison de auraient été préférables.

Bien oui, il faut souvent travailler très fort dans les coins pour parler français correctement. Disposer est un faux ami redoutable.