Archives de catégorie : Anglicismes

A priori

Les mots d’origine latine abondent en français. Il peut s’agir de locutions adverbiales tout comme de substantifs entrés dans l’usage.

A priori

Une locution latine qui signifie « D’après ce qui est avant. » Bref, ce qui ne se réfère pas à l’expérience ou aux faits. L’expression contraire est a posteriori.

En français, a priori est devenu un substantif synonyme de préjugé. A priori peut aussi s’employer comme une locution : « A priori, cela semble une bonne idée. »

On remarquera l’absence d’accent grave sur le A initial. Les rectifications de 1990 proposent (animisme, je sais) d’écrire l’expression en un seul mot : apriori ou encore avec l’accent grave : à priori.

Post mortem

L’anglais a aussi emprunté à la langue latine et ses emprunts peuvent être différents de ceux du français. Mais les deux langues en partagent aussi un certain nombre et là encore l’usage nous tend le piège insidieux des faux amis.

 Post mortem est une locution adverbiale utilisée en français. Elle signifie « après la mort ». Faire un examen post mortem, c’est-à-dire une autopsie.

L’anglais emploie l’expression comme substantif au sens de bilan, rétrospective, analyse. On commet donc un anglicisme en disant : « Le Canadien de Montréal fait le post mortem de sa saison décevante. » Il serait plus français de dire que l’équipe s’est penchée sur sa dernière saison, qu’elle en a fait le bilan, ou encore l’examen.

Italique ou pas?

Les locutions qui ont été francisées s’écrivent en caractères latins.

Envoyer son curriculum vitae à l’université. Un diplomate chinois ayant fait de l’intimidation est persona non grata au Canada. Laila recourt à la fécondation in vitro.

Les locutions latines que l’on trouve dans des ouvrages savants s’écrivent généralement en italique. Quelques exemples : ad libitum, opus citatum (op. cit.), ibidem, in fine, etc.

Encore partager

Partager – suite et fin

J’ai écrit plusieurs articles sur le mot partager, particulièrement sur le sens anglais qu’il a pris ces dernières années. Traditionnellement, partager quelque chose, c’est le diviser en plusieurs parts. Par exemple, partager un gâteau.

Sous l’influence du mot anglais share, le verbe en question a pris le sens de mettre en commun, diffuser, envoyer, faire connaitre, etc. Le sens s’est propagé dans le monde informatique, avant d’envahir la langue courante. On partage des photos aussi bien qu’on partage une opinion ou un appartement.

L’anglicisme est signalé dans des ouvrages québécois comme le Dictionnaire Usito et le Multidictionnaire de la langue française.

Il était fatal que les grands dictionnaires français finissent par prendre en compte cette inflexion sémantique. Le Petit Robert 2023 le fait d’une manière on ne peut plus discrète. Au lieu d’ajouter une rubrique signalant l’emprunt à l’anglais, il a glissé un troisième sens, dans une série de huit, sans nulle part signaler l’origine de la nouvelle définition.

En fait, il a fondu le sens anglais dans une définition plus générale.

Rendre accessible; faire connaitre. Partager une recette, une astuce avec ses lecteurs. Faire partager son expérience, sa passion. Partager une image sur les réseaux sociaux. (C’est moi qui souligne.)

Il n’échappe à personne que le sens plus moderne est suggéré à la fin, sur la pointe des pieds en chuchotant.Honteux de son audace, semble-t-il, le Petit Robert ne propose aucune marque d’usage comme anglicisme, de l’anglais, etc.

Suit toutefois une remarque suave : Partager à qqn (ex. Je vous partage ma vidéo) est fautif.

Jusqu’à quand? Si cet emploi fautif est signalé, c’est qu’il se répand. Surveillons les prochaines éditions du Robert. Mais, comme dans un contrat d’assurance, il faudra lire les petits caractères.

Anglish

En 1966, Paul Jennings inventa le terme Anglish pour qualifier une nouvelle langue anglaise expurgée de tous ses emprunts au français, au latin et au grec. Une langue purement germanique. Voici un extrait de sa déclaration parue dans la revue satirique Punch.

Our tongue was kept free from outlandish inmingling of French and Latin-fetched words which a Norman win would, beyond askthink, have inled into it.

Dans la phrase précédente, les mots en gras signifient foreign, victory et question…

Conquête normande

Cet article parait 900 ans après ce que nous appelons la Conquête normande. Guillaume le Conquérant s’installe alors sur le trône de l’Angleterre, ce qui aura des conséquences incalculables sur la langue anglaise. En effet, le français devient la langue de l’administration et elle le restera pendant 300 ans.

L’idée de recréer un anglais pur n’est pas nouvelle. Un érudit anglais du nom de John Cheke propose au seizième siècle de se débarrasser des mots français et latins, en faisant valoir que les emprunts à ces langues sont inutiles.

Plus tard, d’autres commentateurs ont flirté avec l’idée d’épurer l’anglais à leur tour. Mais pourquoi au juste? Certains estiment que les mots d’origine germanique comme mother, wrong, life, etc. ont sont plus « tactiles » que ceux d’autres langues. Ils ont un effet plus grand, ils cognent dur…

L’anglais langue latinisée

On estime que l’anglais moderne se compose de deux tiers de mots français, latins et grecs. L’apport du latin frise les 30 %, tout comme le français, tandis que les mots d’origine germanique représentent à peine 26 % du corpus.

C’est ce qui explique que pour un francophone une grande partie des mots d’un texte anglais sont transparents, parce qu’ils viennent du français.

Ce projet puriste qu’est l’Anglish peut s’expliquer de plusieurs manières : rivalité avec la France; effacer la Conquête normande; fantaisie linguistique pour imaginer ce qu’aurait été la langue anglaise n’eût été de ladite conquête.

Comment fonctionne l’Anglish?

Quatre principes guident le purisme anglishais (sic) :

1. Choisir des mots germaniques existants.

2. Faire revivre d’anciens mots germaniques.

3. Adopter de vieux mots anglais.

4. Créer de nouveaux mots anglais.

On peut substituer des mots germaniques à d’autres, d’origine française. Par exemple because devient since. Dans because, il y a le mot cause qui vient du français.

On peut aussi insérer d’anciens mots germaniques, qui peuvent encore exister, mais en retenant leur sens original. Par exemple : Queen Elizabeth the Other. Ce dernier mot est un archaïsme au sens de « second ». Cette substitution surprend et doit être expliquée à des lecteurs anglophones.

On peut aussi prendre de vieux mots anglais comme outlandish que nous avons vus plus haut.

L’Anglish se veut une langue évolutive, qui permet de créer de nouveaux mots.

You forgot your umbrella? You mean, you forgot your rainshade.

Rainshade est une construction logique, semblable à l’allemand Regenschirm.

Un peu de vocabulaire

L’élaboration d’un vocabulaire purement anglais fait appel au génie de la langue anglaise. La juxtaposition de deux mots crée un nouveau concept. Ce procédé existe dans d’autres langues germaniques, comme l’allemand, le néerlandais et les langues scandinaves germaniques (islandais, norvégien, danois et suédois).

AnglaisAnglishAllemand
TelephoneFarclangerFernsprecher
TelevisionFarseerFernseher
ScienceWitshipWissenschaft
DictionaryWordbookWörterbuch

D’autres néologismes s’sont différents de leurs équivalents allemands mais ont aussi leur logique. Par exemple, une conclusion sera une endsay, tandis qu’une négation se dira naysay. Le literature anglais se traduira par bookcraft.

Prenons ce dernier mot, littérature en français. On constate que le norvégien, le suédois et le danois disent litteratur, le néerlandais literatuur. Ces langues germaniques ont elles aussi été influencées par le latin.

Purisme de bon aloi?

Il n’est pas très réaliste d’imaginer que l’anglais épuré verra le jour. Chambarder l’anglais en lui retirant les deux tiers de son vocabulaire? Les mots d’origine latine font partie de l’anglais depuis plusieurs siècles et les retirer serait une opération titanesque. De la même manière, épurer le français en bannissant tous les mots d’origine anglaise, allemande, espagnole ou italienne serait une sorte d’hécatombe.

En outre, l’idée d’ignorer les apports du français et d’autres langues ne tient pas la route. Toutes les langues empruntent aux autres. C’est un enrichissement indispensable qui comble des lacunes.

L’Anglish est finalement d’abord et avant tout un divertissement intellectuel. Un divertissement auquel s’adonnent une multitude d’anglophones, comme on peut le voir dans internet.

Pour ceux que cela intéresse, il existe dans Reddit une communauté Anglish. Ailleurs sur la toile, on peut trouver un dictionnaire Anglais-Anglish.

I bid you farewell, quatre mots authentiquement anglais.

Streaming

J’ai écouté la délicieuse série franco-belge Astrid et Raphaëlle. Astrid est une autiste qui aide une inspectrice de police à résoudre des énigmes. La série brille de tous ses feux lorsqu’elle illustre la façon de penser d’Astrid et montre son évolution lente vers une meilleure intégration sociale.

J’ai écouté les deux premières saisons et la troisième est disponible en streaming. Ce terme est vite passé en français, d’autant plus que tout néologisme doit maintenant s’exprimer en anglais, point à la ligne. On n’a qu’à écouter les informations françaises et européennes pour le constater. On peut aussi écouter les commentateurs québécois pour voir que ce n’est guère mieux ici.

Les francophones encore attachés à la traduction ont trouvé diffusion en continu ou diffusion en mode continu. On peut aussi dire diffusion en flux. Bien entendu, dire que Astrid et Raphaëlle est diffusé en flux ou en continu est souhaitable. Mais le mot anglais brille de mille feux, d’autant plus qu’il est moins laborieux de parler tout simplement de streaming. Beaucoup trouveront qu’il est plus naturel d’utiliser ce terme, qui a trouvé sa place dans l’usage.

Il me parait toutefois important de souligner qu’il existe des solutions de rechange.

L’une d’entre elles consiste tout simplement de dire que Astrid et Raphaëlle est diffusé sur la plateforme Toutv. Le mot streaming est ainsi évité et tout le monde comprend.

Shaker les colonnes

La semaine dernière, le ministre québécois Christian Dubé annonçait son intention de chambarder le système de santé de notre État. Il allait shaker les colonnes du temple… faire appel à des top guns.

Autrement dit ébranler les colonnes du temple et faire appel à de grands esprits, à des esprits éclairé, à des francs-tireurs.

Le ministre Dubé s’exprime correctement; il ne nous assène pas une parlure effilochée comme le font bien des humoristes et une bonne partie de la population. Pourtant, il a senti le besoin de ponctuer son discours de deux anglicismes bien gras.

Cette attitude n’est pas nouvelle au Québec. Un discours percutant passe par des expressions anglaises. Un camion c’est un truck; une entreprise c’est une business; magasiner c’est shopper.

Ce phénomène relève du complexe d’infériorité des Québécois. Après plus de deux cents ans de colonialisme, il est compréhensible d’éprouver envers et contre toute logique un sentiment d’infériorité par rapport à la culture anglo-américaine dominante. La langue anglaise domine le monde, par conséquent on ressent le besoin d’employer parfois ses mots, supposément plus porteurs de sens.

Que cette attitude défaitiste soit propagée par un ministre clé du gouvernement Legault est à la fois décourageant et révélateur de notre statut de colonisé. Le français est une langue inférieure semble croire le ministre.

Les défenseurs acharnés du français (top guns) doivent ébranler les colonnes du temple du je-m’en-foutisme généralisé et dénoncer la parlure honteuse du ministre Dubé.

Safe space (suite)

Mon dernier article sur la notion de safe space m’a valu de nombreux commentaires, la plupart constructifs. Je me permets d’en faire la matière d’un second article pour répondre à la même question : comment traduire safe space?

Une traductrice m’a indiqué que le terme en question est lié à la volonté de créer un milieu sain dans lequel on peut discuter de problèmes épineux, sans être jugé et sans subir de nouveaux traumatismes. On pourrait parler ici d’espace sans discrimination, sans jugement.

Certains parleraient ici de bulle, qui est un espace protégé. Pourrait-on parler de bulle protectrice ? Dans la même veine on pourrait dire un sanctuaire, qui rejoint les notions de refuge, dont j’ai parlé dans le premier article, et d’asile. Ce dernier mot me parait à éviter, pour des raisons évidentes, car il peut aussi s’entendre d’un hôpital psychiatrique, ce qu’un d’espace sans discrimination n’est évidemment pas.

Trigger warnings

Les avertissements que l’on entend au début des émissions de télévision s’appellent des trigger warnings, ce qu’on traduit par traumavertissements.

Safe space

Notre société est de plus en plus sensible. On craint tellement d’offenser quelqu’un que les productions télé et cinéma sont systématiquement précédées de ce qu’on appelle en anglais des trigger warnings, ces avertissements indiquant aux spectateurs que le langage employé pourrait ne pas convenir, que des personnes fument ou boivent de l’alcool.

Même des comédies inoffensives reçoivent ce genre d’avertissement. Nous en sommes là.

L’idée est toujours de créer des safe spaces dans lesquels personne ne pourra se sentir mal à l’aise. Le terme anglais a fait recette et n’est que rarement traduit.

De prime abord, on serait tenté de suivre la démarche de l’anglais, tellement plus simple et rassurante. Donc : espace sécuritaire, sûr, de sécurité, sécurisant.

Voilà qui est offensant pour toute personne aimant la langue française. Mais comment se démarquer de l’anglais? Ne pourrait-on pas parler de milieu sécuritaire ? Peut-être d’un endroit sûr ? Certains diront un endroit sûr réservé.

Par ailleurs, les périphrases ne sont guère attrayantes. « Endroit où l’on se sent en sécurité. » « Endroit où l’on est à l’abri. » À l’abri de quoi? De la réalité?

Ces fameux milieux sécuritaires ont pour objet de créer une zone sécuritaire, aseptisée, censée protéger les étudiants d’université ou les personnes assistant à une pièce de théâtre de mots ou de propos « jugés offensants » par certains. Il s’agit de les protéger, comme si on les amenait dans un refuge pendant un bombardement ennemi. On serait tenté de parler de cocon protecteur, mais il est clair que cette formulation serait jugée… offensante.

En ce jour de la Francophonie, c’est sûrement la langue française au Canada qui aurait besoin d’une zone de protection.

Conversation

Depuis un bon bout de temps, les médias ont aboli les mots débats, discussions, échanges de vues, etc. pour lui substituer le suave conversation. La volonté envahissante de tout atténuer, de ne froisser personne, finit par se répercuter sur le vocabulaire. Que nous le voulions ou non, nous vivons tous dans un safe space médiatique.

Les termes à la mode sont une plaie de la prose journalistique; j’en ai abondamment parlé dans d’autres billets. Dans le cas qui nous occupe, l’influence de la langue américaine est évident.

Le mot conversation n’a pas la même portée que débats ou discussions. Converser, c’est parler de tout et de rien, de manière spontanée, sans nécessairement échanger des points de vue. Dans une conversation, on trottine avec légèreté, on ne court pas le marathon, bien plus exigeant.

Le gouvernement du Québec compte élargir l’accès de l’aide à mourir. Il ne fait nul doute que cette initiative ne suscitera pas l’unanimité et certains s’y opposeront avec véhémence. Le débat pourra être poli, tout en retenue, mais il ne s’agira pas d’une simple conversation.

Une conversation peut cependant aller plus loin qu’un simple entretien. Le terme peut être utilisé comme synonyme de pourparlers. Par exemple, un syndicat peut avoir des conversations avec la partie patronale au sujet de la gestion des horaires. Cependant, si les choses s’enveniment, il ne sera plus question d’une simple conversation mais de discussions voire de débats.

Par conséquent, même si les termes énumérés ci-dessus sont voisins, ils ne sont pas de parfaits synonymes. Une conversation, un bavardage ou un entretien ne sera jamais une vraie discussion.

Sonner une cloche

Un mot, un détail vous sonne une cloche? Excellente maitrise de l’anglais! Comment le dire en français? Les possibilités sont multiples :

  • Cela me dit quelque chose.
  • Cela m’est familier.
  • Cela me rappelle quelque chose.
  • Cela ne m’est pas étranger

Évidemment, il est toujours possible de moduler, selon le contexte.

  • J’ai déjà entendu quelque chose de semblable.
  • Tout cela n’est pas (vraiment) nouveau.
  • On réinvente la roue, dans ce cas.
  • D’autres y ont pensé.
  • Ce n’est pas une situation nouvelle.
  • Vous souvenez-vous de… Eh bien c’est très semblable.
  • Nous revenons en arrière, car…

Pour ceux qui tiennent absolument à garder le mot « cloche » parce qu’il y a bell en anglais (et qui pensent faire de la traduction) : « Même son de cloche, ici. »

Il y a bien sûr quelque chose qui cloche dans cette dernière traduction : le traducteur se cramponne à l’anglais comme à une bouée de sauvetage. Notre Quasimodo ne cherche pas à rendre l’idée, mais le mot anglais.

Pour quoi sonne le glas d’un texte authentiquement français.

Seconder

Vous présentez une motion à une assemblée. Un de vos collègues la seconde et elle est finalement adoptée.

La plupart des gens au Québec et au Canada français n’y verraient que du feu : cette phrase est impeccable; pourtant, elle ne l’est pas.

Le verbe seconder est évidemment correct en français, mais avec le sens d’appuyer uniquement. Seconder une motion est une tournure anglaise qu’il faudrait éviter. Les dictionnaires français, pas plus que celui de l’Académie française, n’offrent d’exemples avec une motion ou un vote.

Seconder une motion est donc une formulation canadienne qu’on ne voit nulle part ailleurs dans la francophonie.

Comme le précisent les Clefs du français pratique, la personne qui appuie une motion est un second proposeur, un second motionnaire, un parrain ou un coproposant.