Deux ministres, deux impropriétés

Ce qui est remarquable au Québec, c’est que même les personnes instruites s’expriment mal, et les fautes se frayent un chemin jusque dans les titres des ministères.

Deux exemples :

David Heurtel est nommé au Développement durable, à l’Environnement et à la Lutte aux changements climatiques.

Francine Charbonneau devient ministre responsable des Aînés, de la Famille, de la Lutte à l’intimidation.

Dans un article précédent, j’expliquais que le verbe lutter se construit avec la préposition contre; par conséquent, on parlera de la lutte contre l’intimidation, contre les changements climatiques.

La grande question, à présent, est de savoir si cette faute de langue sera corrigée. Rien n’est moins sûr, car il y a une constante : gens instruits comme gens moins instruits au Québec sont souvent réticents à corriger leurs fautes. Les prétextes sont bien connus : c’est pas important; les gens comprennent quand même; on n’est pas en France ici, etc.

Il y a quelques années, quand le nouveau gouvernement Harper prêchait la transparence, il a présenté un projet de loi intitulé Loi sur l’imputabilité. Les pressions exercées par le Bureau de la traduction avaient amené le Bloc québécois à proposer un amendement, miraculeusement accepté : on changea le titre de la loi. Elle est devenue la Loi sur la responsabilité.

Verra-t-on le même scénario à Québec?

Le jargon des hôpitaux

Les fonctionnaires n’ont pas leur meilleur pour créer des appellations horribles, des bouillies infectes qu’ils nous font ensuite ingurgiter sous forme de sigles. Une médecine aussi indigeste que fatale pour le commun des mortels.

Je me limiterai à quelques termes pour ne pas donner la nausée à mon lectorat.

Parlons-en des hôpitaux! Ils n’existent plus. Ce sont maintenant des centres hospitaliers. Le terme « hôpital » était-il si effrayant? Je ne le crois pas, mais dans le monde de la fonction publique, on raffole des expressions composées, qui se rapprochent du charabia chic dont j’ai déjà parlé.

Plus délirante encore, l’expression Centres hospitaliers de soins de longue durée, abrégée en CHSLD. Ici, on frôle la barbarie, quand on pense que nos aînés y finissent leurs jours. Bien sûr, cela vaut mieux que les anciens « hôpitaux pour chroniques », comme on disait dans le langage populaire, mais on aurait pu trouver une meilleure expression.

Pourquoi pas des maisons de la vieillesse? Je sais, je sais. Avec la rectitude politique, la langue est devenue un champ de mines… « vieillesse » pourrait en offenser quelques-uns, et patati et patata. Au diable! Il faudrait cesser une fois pour toutes de craindre sans cesse d’offenser quelqu’un et d’essayer de faire plaisir à tout le monde. Juste pour une fois.

Je passe très vite sur les pauvres patients devenus des bénéficiaires. Quelle insulte pour tous ces pauvres gens qui poireautent une douzaine d’heures dans les urgences. Les entubés du système.

Enfin, les CSSS. Les quoi? C’est probablement la question que se posent la plupart des lecteurs. Ce sont des centres de  santé et de services sociaux. Et si on les appelait tout simplement les Centres de santé, tout court, comme ça, sans sigle abscons, pour une fois?

 

 

 

Écrire les dates

L’énonciation des dates peut devenir un problème. Dans les langues que je connais (allemand et italien), on commence par le jour, suivi du mois et de l’année. Il en va de même dans deux autres langues sœurs du français : le portugais et l’espagnol.

L’anglais fait exception. On dira April 16, 2014. Dans une conversation normale, dire que son père est né un certain April 16 ne pose aucun problème, bien que l’on puisse également l’énoncer «à la française», the 16th of April. Toutefois, la forme inversée est ancrée dans l’usage des anglophones.

Ce n’est pas le premier cas d’inversion entre l’anglais et le français, on en conviendra, mais celui-ci est plus difficile à avaler.

Les choses se compliquent quand on lit des dates énoncées de façon numérique, comme sur les litres de lait. Bon nombre d’entreprises sont anglophones et leurs traductions peuvent laisser à désirer. Le doute nous saisit lorsqu’on lit une date abrégée, comme 04-06-10. Une telle date peut prêter à confusion. S’agit-il du 4 juin 2010? Du 6 avril 2010?

On a cherché à remédier à ce problème en suggérant une forme universelle : 10-06-04 voudrait dire le 4 juin 2010. Cette méthode a l’avantage d’être sans équivoque, mais je la trouve très artificielle. En effet, qui va énoncer une date en commençant par l’année? Personne. La logique habituelle est bousculée.

Vous ne direz jamais que Beethoven est né en 1770, au mois de décembre, le 17. Ce serait plutôt l’inverse. Si vous désirez mettre l’accent sur l’année, vous indiquerez que le génial compositeur de Bonn est né après Mozart (1756), soit en 1770, pour être plus précis le 17 décembre. «Vous savez, il est né en décembre le 17». On croirait entendre Jolitorax dans Astérix chez les Bretons. Un peu de magique potion avec ça?

À mon sens, on a voulu ménager la susceptibilité des anglophones, dont la logique, dans ce cas, n’est pas linéaire. Plutôt que d’imposer une norme jour-mois-année à l’échelle internationale, on a tenté de noyer le poisson avec une solution bancale année-mois-jour. En fait, cette séquence est l’envers de la logique.

À une plus petite échelle, c’est comme si on renonçait au système métrique pour réadopter le fastidieux système impérial. By jove!

 

Faire la différence

L’expression faire la différence envahit le discours public. À l’instar de tous ces leitmotivs répercutés par les porte-parole, les journalistes et rédacteurs de tout acabit, elle est un calque grossier de l’anglais.

Comme le signalent si bien les Clefs du français pratique du Bureau de la traduction : «La personne qui fait la différence, ou fait une différence, entre deux choses « établit une distinction » : Faire la différence entre le bien et le mal. Elle ne fait pas de différence entre eux. On peut lui servir du lapin pour du lièvre, elle ne fera pas la différence.»

Avec un peu d’imagination, on peut éviter les traductions serviles. Voici un florilège de belles tournures, pour divers contextes, glanées dans des traductions gouvernementales : À vous de jouer; influer sur le cours des choses; changer les choses; apportez votre contribution; agissez concrètement; visez l’excellence; les mots ont tout leur poids; contribuer au mieux-être de l’ensemble; le pouvoir des enseignants; votre contribution est importante; notre force est notre solidarité; les mentors ont-ils une influence?

Comme je le signalais dans un article précédent, on peut aussi dire faire pencher la balance. Un rédacteur ayant un peu de culture générale peut aisément tirer son épingle du jeu et éviter de penser en anglais quand il écrit en français.

Compressions à Radio-Canada

Les compressions infligées à Radio-Canada sont choquantes à plusieurs égards. Tout d’abord parce qu’elles ramèneront sur le tapis l’impropriété coupures, une faute récurrente, pourtant facile à corriger quand on le veut bien.

Qu’est-ce qu’une coupure? Le Robert : Blessure faite par un instrument tranchant… Une séparation nette, brutale… Une interruption (du courant électrique, du gaz, de l’eau). Nulle part n’est-il question de coupes budgétaires de coupes dans le personnel, car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Ces coupes entraîneront des suppressions d’émissions, une réduction de l’effectif des stations régionale et, bien sûr, une diminution de la qualité de la programmation.

Radio-Canada a tout l’argent qu’il lui faut? Vraiment? Alors pourquoi tant de reprises en pleine saison?

Quiconque regarde la télévision étrangère peut qu’envier la qualité de certaines chaînes comme la BBC, dont notre diffuseur public achète les reportages. Or chaque Britannique paie 111 dollars par année pour financer la prestigieuse chaîne. Les Allemands en déboursent 147 pour leur chaîne d’État. Ici? Seulement 34 dollars.

Ce n’est guère rassurant. Ce n’est pas la meilleure façon de protéger l’identité nationale canadienne.

Alternative

L’anglicisation du français se fait de diverses manières. Contrairement à ce que l’on peut croire, le français ne s’anglicise pas uniquement par les emprunts multiples et effrénés des Européens. Beaucoup de ces emprunts ne sont que des étoiles filantes qui se perdent vite dans les galaxies éloignées de notre système langagier…

Phénomène moins connu, un certain nombre de mots français voient leur sens élargi, sous l’influence de l’anglais. Pour le meilleur et pour le pire. L’un des derniers en date est spéculation, mot auquel le Petit Larousse attribue la définition suivante «Construction abstraite, commentaire arbitraire et invérifiable : Leur entretien secret a donné lieu aux spéculations des journalistes.»

On est loin des considérations théoriques de la définition originale. Sous l’influence de l’anglais, le mot se démocratise, en quelque sorte.

Le mot alternative a aussi évolué. Traditionnellement, on définissait le terme comme un choix entre deux options opposées. Sous l’influence de l’anglais, influence critiquée, d’ailleurs, le mot a pris le sens de solution de remplacement.

Ce nouveau sens a essaimé dans d’autres expressions. Par exemple, les alternatifs est un nom collectif qui embrasse l’ensemble des forces politiques qui combattent le néolibéralisme, c’est-à-dire le capitalisme débridé. Les alternatifs proposent une alternative à l’exploitation sans vergogne des richesses naturelles, au triomphe du capitalisme financier; ils luttent aussi pour le développement durable et un meilleur partage de la richesse.

D’autres expressions, inspirées par l’idée de solution de rechange, ont bourgeonné. Pensons à la médecine alternative. Quand un sens nouveau s’immisce un peu partout, il devient très difficile de revenir en arrière. D’ailleurs le faut-il absolument?

 

 

Lutte à la pauvreté

La construction lutte à a des accents de vérité indubitables, surtout qu’on la lit et qu’on l’entend fréquemment.

Pourtant, il s’agit d’une faute.

Prenons l’expression lutte à la pauvreté. Tout va très bien jusqu’au moment où l’on décide d’utiliser un verbe : lutter à la pauvreté.  C’est là que le bât blesse.

En clair, on mène une lutte contre la pauvreté, de la même manière qu’on lutte contre la pauvreté. Le même raisonnement s’applique à lutte au déficit, qui devient lutte contre le déficit.

La construction correcte est donc lutte contre.