Zeugme

Je lisais récemment la traduction d’un passionnant livre de guerre : L’opération Mincemeat, devenu La Ruse au cinéma.

À plusieurs reprises j’ai lu des phrases comme : « Entrer et sortir du bâtiment; il est allé et revenu de Londres dans la même journée ».

J’étais estomaqué à la fois qu’une traductrice puisse commettre autant de fois cette bourde dans un livre de quelque quatre cents pages; et surtout que l’éditeur français n’y ait vu que du feu. Troublant.

Zeugme

Les zeugmes sont courants dans la vie de tous les jours. Par souci de rapidité on dira volontiers « Catherine est entrée et sortie de la maison en trombe. » La formulation souhaitée, « Catherine est entrée dans la maison et en est sortie en trombe. », est plus exigeante. Et, disons-le, beaucoup de gens ne sont pas conscients de cette erreur.

Il est des zeugmes plus subtils, ceux qui mettent en parallèle deux éléments incompatibles. Par exemple :

Elle est rentrée en larmes et en autobus.

Les grands auteurs ont eux aussi commis des zeugmes, mais ils cherchaient sans doute un effet rhétorique :

Vêtu de probité candide et de lin blanc. (Victor Hugo)

Il croyait à son étoile et qu’un certain bonheur lui était dû. (André Gide)

Les marchands de boisson et d’amour. (Guy de Maupassant)

Bien entendu, il s’agit d’un procédé littéraire qu’on laissera aux belles plumes. Pour les textes courants, il est préférable d’éviter les ruptures de construction, surtout si le livre est publié.

On va se le dire

On va se le dire : on se le dit souvent ces temps-ci dans les médias. Rien de très grave, juste un tic langagier. Mais on le voit mal dans une traduction un tant soit peu minutieuse.

Ceux qui en ont assez d’entendre cette locution pourront la remplacer ainsi : disons-le franchement; soyons clairs; franchement; pour être franc…

Tics

Et des tics il y en a dans les médias. Ils ont parfois leur utilité, mais à force de les entendre on en vient à s’étonner du manque d’imagination, pour ne pas dire de vocabulaire, de certains.

Prenons le fameux terrain de football. Quand on veut donner un ordre de grandeur, il est facile de se référer à la grandeur d’un terrain de football. Utile, certes, mais un peu répétitif. Cocasse aussi de constater que le terme « football » n’a pas le même sens en Europe et en Amérique… La référence n’est donc pas exactement la même.

Lassitude

Tous ceux qui ont à cœur la défense du français ne peuvent qu’éprouver une profonde lassitude devant la pauvreté du vocabulaire dans les médias canadiens. Certes, la tendance aux mots fétiches existe partout, mais elle me parait très marquée ici.

Comme je l’ai souligné dans un autre article, le mot « problème » est complètement disparu. Dans nos médias, tout et n’importe quoi est devenu un « enjeu ». Il y a les enjeux de la campagne électorale, un enjeu de vandalisme des affiches électorales, un enjeu avec les transports dans les banlieues étalées, sans oublier le commun des mortels qui a toutes sortes d’enjeux dans sa vie quotidienne. Pffft…

Cela me fait penser au chien de mon voisin. Quand il aboie, tous les autres se mettent à hurler à leur tour, pour faire pareil, sans trop savoir pourquoi.

C’est méchant, je sais. Soyons clairs, j’en ai vraiment marre.

Donner sa chance au coureur

Donner la chance au coureur, voilà une expression que l’on entend souvent au Québec. En clair, cela signifie « Donner sa chance à quelqu’un. »

Cette expression vient du baseball, ce sport nord-américain dérivant du cricket anglais. Lorsqu’un coureur atteint le but en même temps que la balle est relayée au joueur défensif protégeant ce même but, on déclare le coureur sauf. Si le relai devance le coureur et que celui-ci touche le but en retard – qui n’a rien à voir avec une base, mauvaise traduction franco-française – le coureur est alors retiré.

L’expression a été popularisée par l’ancien premier ministre du Québec, René Lévesque, qui, lors de l’élection historique du Parti québécois, en 1976, a déclaré que l’on devait donner sa chance au coureur, le coureur étant le nouveau gouvernement souverainiste, le premier de l’histoire du Québec.

Depuis lors, la « chance au coureur » fait florès. On l’entend dans divers contextes.

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Vous lirez avec intérêt mon article sur le baseball en français.

Élisabeth

La reine Élisabeth vient de nous quitter. Son nom nous est tellement familier que nous, les Canadiens, ne remarquons jamais la différence orthographique entre l’anglais et le français.

Les anglophones écrivent Elizabeth, tandis que les francophones écrivent Élisabeth; le nom de la souveraine est donc francisé. Cette transcription n’est pas inusitée puisque les noms des souverains anglais, comme ceux d’autres pays que la Grande-Bretagne, sont le plus souvent francisés.

À commencer par le célèbre Henri VIII et le père de la défunte souveraine, George VI, prononcé à la française, mais dépouillé de son S final. Curieux. Pourtant, son ancêtre Édouard VII voyait son nom bel et bien traduit dans notre langue, le E accentué en étant la preuve.

Hiatus? Peut-être.

La reine Élisabeth a eu quatre enfants : Charles, le nouveau roi, Anne, Andrew, et Edward, tous ces noms orthographiés à l’anglaise.

Le successeur de Charles III sera son fils le prince William. L’accroc à la francisation est ici évident. Le prénom William a de tout temps été traduit par Guillaume. Que l’on pense à Guillaume le Conquérant, traduction de William the Conqueror. Le dernier souverain à avoir porté ce prénom est Guillaume IV.

Lorsque le prince William montera sur le trône, il portera donc le nom de Guillaume V, William V en anglais. À moins bien sûr que la tradition ne soit brisée et que son nom de prince le suive sur le trône.