Le dysfonctionnement du système politique américain

La présidence clownesque du locataire de la Maison-Blanche met en relief le côté dysfonctionnel de certaines des institutions américaines.

Les États-Unis sont fiers de leur Constitution. Et ils ont raison. Tout au long de mes études de science politique, je n’ai pas lu de document plus brillant que la Constitution des États-Unis.

Peu de gens le savent, mais elle s’inspire des réflexions de Jean-Jacques Rousseau, pour le contrat social, et de Montesquieu, pour la séparation des pouvoirs.

Obsédés par la peur d’élire un despote, les Jefferson, Franklin et Washington se sont employés à imaginer un pouvoir politique fractionné et équilibré. Le président serait détenteur du pouvoir exécutif, mais ses actions seraient contrôlées par le Congrès. Ce dernier adopterait des lois, mais le président pourrait y opposer son véto s’il les juge abusives. Enfin, les tribunaux empêcheraient les deux premiers de commettre des abus envers le peuple américain, notamment de se liguer pour imposer une dictature.

Le Collège électoral

Le Collège est censé être un corps de sages chargés de choisir le président des États-Unis. Son existence constitue une entorse importante à la souveraineté du peuple. En effet, les constituants de 1776 ne jugeaient pas les Américains assez éclairés pour éviter l’élection d’un démagogue. Par conséquent ils ont décidé que la population n’élirait pas le président des États-Unis ; elle voterait pour une liste de candidats qui, au nom de leur État, choisiraient le président. C’est donc dire que le président des États-Unis est indirectement élu par le peuple américain.

Les grands électeurs pourraient, du moins en théorie, barrer la route à un éventuel démagogue aux ambitions douteuses.

Tout cela est bien beau sur papier, mais la réalité des choses est très différente. En fait, ce sont les partis qui proposent une liste de candidats au Collège électoral. Cette liste est composée de membres émérites du parti, de sympathisants reconnus que l’on veut honorer. C’est donc dire qu’il est extrêmement improbable que ces personnes s’opposent à la candidature de celui que leur propre parti a choisi.

Les grands électeurs républicains ont raté une excellente chance en 2016 de donner tout son sens au Collège électoral en choisissant d’appuyer Donald Trump. Ce personnage sulfureux correspondait incontestablement au type de personne que les constituants de 1776 voulaient écarter de la présidence.

Pourquoi ? Parce que cet homme ne respecte ni l’esprit ni la lettre de la Constitution des États-Unis.

La procédure de destitution

Que Trump ne comprenne pas les éléments fondamentaux de la Constitution américaine est déjà inquiétant. Un président qui bafoue aussi allègrement la séparation et l’équilibre des pouvoirs est tout à fait inédit.

Mais ce qui est beaucoup plus grave, c’est que nous avons un président qui a clairement pactisé avec une puissance étrangère pour se faire élire. N’a-t-il pas, entre autres, lancé un appel public à la Russie pour qu’elle divulgue d’autres courriels pouvant compromettre l’élection de Hilary Clinton ? De plus, il apparait de plus en plus clair que son entourage a eu des liens étroits avec les Russes pendant la campagne électorale. Par-dessus le marché, les services secrets américains ont révélé que la Russie a inondé Facebook de faux comptes répandant des faussetés sur la candidate démocrate, notamment qu’elle était gravement malade et ne serait pas capable de gouverner.

Soit dit en passant, ce réflexe de répandre de fausses informations en Occident n’est pas nouveau : l’Union soviétique le faisait régulièrement, bien avant l’avènement des médias sociaux.

Cette complicité évidente avec la Russie est un motif suffisant de destitution. En effet, la Constitution américaine prévoit la destitution du président, du vice-président, d’un ministre si cette personne commet un crime très grave (high crime) ou encore un délit (misdemeanor). Pas besoin d’être un grand juriste pour comprendre que le président actuel pourrait être destitué.

Alors pourquoi ne l’est-il pas ?

Parce que la destitution est un processus politique.

Le président doit tout d’abord être formellement mis en accusation par la Chambre des représentants. Ses membres adoptent à la majorité simple un bill of impeachment qui accuse le président de telle et telle chose. Mais ce sont des politiciens qui enclenchent ce processus, pas des observateurs indépendants. Les Washington et cie ont peut-être cru que les élus sauraient mettre de côté leurs intérêts partisans, mais ils se sont trompés.

Une fois adopté, le projet de loi visant la destitution est transmis à d’autres politiciens, les sénateurs. Ces derniers se transforment en juristes et instruisent le procès du président. Les mêmes réflexes partisans risquent de jouer.

La majorité des deux tiers est requise pour l’un ou l’autre des chefs d’accusation pour que le président soit destitué.

Autrement dit, il faudrait que des sénateurs républicains se rallient aux démocrates pour qu’un bill of impeachement aboutisse à la destitution. Là encore, il y a loin de la coupe aux lèvres pour qu’un tel revirement survienne, à moins de s’imaginer que les politiciens actuels, à couteaux tirés, s’émancipent soudain de toute considération partisane et ne voient que l’intérêt supérieur de la République. On peut rêver.

D’ailleurs, les trois cas de mise en accusation d’un président démontrent amplement que la procédure de destitution est avant tout politique.

1. Après la Guerre de Sécession, le président Andrew Johnson s’oppose entre autres à la reconnaissance des Afro-Américains comme citoyens des États-Unis. Il fait obstacle à la réconciliation entre le Nord et le Sud. Il est visé par une mesure de destitution qui échoue par un vote.

2. Le président Clinton est accusé par les représentants d’avoir menti et entravé la justice dans une affaire de mœurs. Le fait d’avoir succombé aux avances de Monica Lewinsky est-il un motif sérieux de destitution ? Ou bien est-ce la haine féroce que les conservateurs américains vouent à Clinton, un libéral et un libertin?

3. Le président Nixon est embourbé dans l’affaire du Watergate. Il est clair que la Maison-Blanche était à l’origine du cambriolage commis dans le célèbre immeuble. Bref, Nixon n’avait aucune chance et il allait vers la destitution. Quand il a vu que la Chambre des représentants allait le mettre en accusation, il a préféré démissionner. Surtout qu’il ne pouvait plus rien attendre de ses alliés politiques.

Tout cela pour dire que la procédure de destitution a toujours été une arme politique et non pas une manière objective de déterminer si un président doit continuer de gouverner.

Le 25e amendement

Un autre moyen d’écarter le président actuellement en poste serait d’invoquer le vingt-cinquième amendement de la Constitution.

Celui-prévoit que le vice-président ainsi qu’une majorité des ministres peut aviser les deux chambres du Congrès que le président ne peut exercer ses fonctions. Les deux chambres devront voter à la majorité des deux tiers pour la destitution du président, sans quoi il reste en poste.

Il ne fait aucun doute que Trump est inapte à exercer ses fonctions. De nombreux témoignages montrent sans l’ombre d’un doute qu’il souffre de troubles caractériels qui le rendent même dangereux pour la sécurité du pays, notamment parce qu’il ne comprend pas les rouages élémentaires de l’économie, des relations internationales, de la sécurité collective de l’Occident, sans parler du fonctionnement du système politique américain.

Il y a donc déjà matière abondante pour le destituer.

Mais le recours au vingt-cinquième amendement est encore plus périlleux que la procédure de destitution elle-même, car elle implique que les alliés immédiats du président, soit le cabinet qu’il a choisi, décident qu’il ne peut plus exercer ses fonctions.

Ce scénario apparait extrêmement improbable, surtout à cause de la forte personnalité du vice-président Pence…

Conclusion

Le dysfonctionnement des trois éléments mentionnés représente une entrave considérable au fonctionnement harmonieux de la démocratie états-unienne. Il est clair que les institutions en question ne jouent pas le rôle prévu par les pères de la démocratie américaine.

Le Collège électoral ne bloque rien. De plus, son existence constitue un déni de démocratie.

La procédure de destitution n’a rien d’un processus objectif destiné à sanctionner les coquins, comme on disait jadis. L’enclencher est très difficile. Dans deux cas sur trois elle n’a pas abouti à la destitution. Nixon aurait pu être le seul président de l’histoire à être destitué, parce que sa culpabilité ne faisait plus aucun doute.

Le vingt-cinquième amendement est également à peu près impossible à appliquer, même s’il est évident que le président américain n’a ni les compétences ni l’équilibre nécessaires pour exercer ses fonctions.

Un sérieux examen de conscience s’impose aux États-Unis.

L’Académie et la féminisation

L’Académie française vient d’arriver en ville, comme on dit au Québec. Après des siècles de résistance, elle fait une entrée fracassante dans le XXIe siècle en acceptant le principe de la féminisation des titres.

Non sans avoir résisté.

Une résistance farouche

Un article paru dans l’hebdomadaire L’Express claironne la bonne nouvelle. Il signale l’avant-gardisme du Québec en la matière et la résistance forcenée, épidermique de l’Académie devant la féminisation.

Dorénavant, une ambassadrice sera une femme dirigeant une ambassade, et non plus l’épouse de l’ambassadeur.

À mon avis, deux facteurs expliquent ce recul historique (oui, pour une fois, le mot est justifié). Premièrement la vigueur qu’a pris ces dernières années le courant féministe et la recherche de l’égalité pour les femmes ; deuxièmement, l’usage, tout simplement. Si le Québec a ouvert le chemin, suivi assez rapidement par la Belgique et la Suisse, la France, par contre, s’est insurgée contre la féminisation des titres de profession. Avec la même hargne aveugle, irrationnelle et délirante dont elle a fait preuve envers la très timide réforme de l’orthographe de 1990.

On pourrait ajouter un troisième facteur : l’absurdité de la position de l’Académie a fait le reste.

Madame le ministre

L’hostilité des Immortels envers les femmes a été bien documentée. Il a fallu attendre 400 ans avant qu’une femme, Marguerite Yourcenar, fasse son entrée au Quai Conti. Comme le signale l’article précité, l’historien Pierre Gaxotte s’opposait à l’élection d’une femme, parce qu’elle conduirait éventuellement à celle d’un nègre (sic)…

Encore aujourd’hui, la secrétaire perpétuelle de l’Académie, Hélène Carrère d’Encausse, insiste pour se faire appeler Madame LE secrétaire perpétuel. Parce que oui, certaines femmes s’élèvent contre la féminisation, reprenant les arguments des grammairiens réactionnaires et misogynes du XVIIe siècle.

On a observé la même résistance envers l’appellation Madame LA ministre.

En 1997, le premier ministre Alain Juppé nomme une douzaine de femmes ministres; elles insistent toutes pour être appelées « Madame la ministre », ce qui entraîna immédiatement une polémique. C’est le scandale des Jupettes…

Nadeau et Barlow, dans leur livre Le français, quelle histoire !, rapportent l’anecdote suivante :

À cette époque, le journaliste Jean-François Lisée interviewa le secrétaire perpétuel de l’Académie, Maurice Druon, et lui posa une colle : “Doit-on dire “Madame la ministre est bien bon“ ou “Madame la ministre est bien bonne“? Coincé, Druon s’en tira par une pirouette en répondant “Bonne à quoi[

Atterrant.

Éradication des titres féminins

L’Académie française revient de loin. Elle a jadis éradiqué des titres féminins, comme médecine, autrice, inventrices ou philosophesse…

Pratiquant le sophisme, elle a fait valoir que le masculin était le genre générique en français. Donc pas besoin de médecine, puisque médecin englobait les deux genres.

Pendant des siècles, on a invoqué ce prétexte pour s’opposer à toute féminisation.

Cette règle grammaticale n’était nullement sexiste : elle relevait du génie de notre langue.  

L’ennui, c’est que le genre générique s’appelait… le masculin. L’argument aurait été plus convainquant si on avait parlé du genre A et du genre B. Appeler les deux genres féminin et masculin n’est-il pas porteur de sens ?

En outre, le fait d’énoncer au masculin les titres touchant des professions nobles comme la médecine, l’écriture, la philosophie était révélateur. Comme le fait observer Éliane Viennot, autrice de Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin : « Ils ne se sont pas attaqués aux basses fonctions ou aux fonctions traditionnellement féminines. » Autrement dit, on n’a pas éliminé la blanchisseuse, par exemple.

Pour tout résumer, le recul de l’Académie est une grande victoire pour les femmes et la logique élémentaire, quoi qu’en pensent certains.

On lira avec intérêt mon article sur l’écriture inclusive.


[1] Nadeau et Barlow, op. cit., p. 486.

Hijab ou hidjab?

Le voile islamique déchire les opinions tant au Québec que partout en Occident. Tenons-nous loin de la polémique sur l’acceptabilité des signes religieux en milieu de travail, mais penchons-nous plutôt sur la graphie de ce terme.

On voit très souvent hijab. En fait le plus souvent, nous révèle une recherche sommaire sur la Grande Toile, celle qui nous espionne. Tant La Presse, Le Devoir au Québec, que Le Figaro, L’Express, Le Monde, etc., semblent favoriser la graphie hijab.

Tout le contraire des deux grands dictionnaires, Larousse et Robert favorisant la graphiehidjab, avec le d. La prononciation suggérée est hid-jab, bref comme cela s’écrit.

Ailleurs sur le Web

La graphie hijab semble aussi s’être imposée en italien et en espagnol. Des journaux comme La Republicca, La Stampa, en italien, El Pais, El Mundo, en espagnol, écrivent hijab.

Du côté germanique, on observe la même graphie dans les publications allemandes Die Welt et Der Spiegel.

Une mauvaise translittération

Mais d’où vient donc hijab?

Il s’agit d’une translittération vers l’anglais. Tout comme le russe et un grand nombre de langues, l’arabe ne s’écrit pas en caractères romains, ce qui signifie qu’il faut transcrire les sons originaux en respectant les graphies françaises. Ce qui se prononce hid-jab en arabe doit être écrit de manière à ce qu’un francophone le prononce de la même manière.

En anglais, le son dj s’écrit tout simplement avec le j. Donc hijab.

Or, les noms arabes doivent être translittérés à la française et non à l’anglaise.

Les noms arabes en français

Personne ne songerait à écrire Putin, Shostakovich ou Pushkin en français, car ce sont des graphies anglaises. Voir mon article à ce sujet.

Ainsi en est-il des noms arabes. Par exemple, Djedda s’écrit en anglais Jeddah. Les noms arabes les plus importants ont été traduits en français. Pensons à Le Caire, La Mecque, Jordanie, Égypte, etc. Les lieux moins importants voient leur nom translittéré en français. Les anglophones font exactement la même chose vers l’anglais.

Alors pourquoi hijab?

On pourrait bien sûr évoquer le rouleau compresseur de l’anglais, perçu comme un symbole de modernité, et ce pas uniquement par les Français mais par énormément de gens partout dans le monde.

L’autre facette du problème, c’est que la translittération n’est pas une science exacte. Les noms venant du russe, de l’ukrainien, du biélorusse, de l’arménien, du géorgien, etc. sont habituellement transcrits selon une graphie française.

Mais ce principe n’est pas appliqué pour les noms japonais ou chinois, par exemple. En fait, la plupart des noms asiatiques sont plutôt écrits à l’anglaise.

Commentaires des lecteurs

Les commentaires reçus après la publication de cet article sont éclairants. Je vous invite à les lire. La prononciation de l’arabe n’est pas uniforme et cela expliquerait en partie les différentes graphies.

Confronter

Peut-on être confronté à des difficultés? Peut-on confronter un problème?

Certaines formulations avec le verbe confronter sont frappées d’interdit pour cause d’anglicisme. Les zones de convergence et les zones de divergence entre l’anglais et le français sont autant de sables mouvants dans lesquels les langagiers peuvent facilement s’enliser.

Dans son sens original, confronter signifie comparer deux documents, deux témoignages, de mettre en présence deux personnes.

Confronter un document avec l’original.

Confronter un témoin à l’accusé.

On remarquera l’emploi possible de deux prépositions qui, d’ailleurs, sont la plupart du temps interchangeables.

Être confronté à une difficulté

Pour bien des langagiers, cette tournure est douteuse. À défaut d’avoir le temps de faire toutes les vérifications souhaitables, ils préfèrent contourner le problème et reformuler.

Et pourtant, pourtant, je n’aime que toi, chantait le grand Aznavour.

Pourtant, cette expression ne rompt pas véritablement avec la définition du verbe en question. Quand on est confronté à une difficulté, à un problème, on est en sa présence, non? Le sens n’est pas corrompu.

On pourrait dire aussi qu’on est aux prises avec un problème, qu’on fait face à une difficulté.

Comme le signalent les Clefs du français pratique :

Certains voient dans être confronté à une tournure lourde, familière ou un emploi critiqué inspiré de l’anglais. Le tour être confronté est pourtant correct.

Confronter une personne

Il faut toutefois se tenir loin de la construction confronter + complément direct.

L’avocat de la Couronne a décidé de confronter le témoin.

Dans cette phrase, on relève le sens anglais de s’en prendre à l’autre personne, de l’affronter. Ce sens est anglais.

Acculée, Nicole a confronté la situation et a pris les mesures nécessaires.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que Nicole était confrontée à une situation difficile et qu’elle a décidé de prendre le taureau par les cornes.

C’est historique!

Les médias continuent d’utiliser le mot historique à toutes les sauces et leur manie confine au délire total. Bel exemple d’un mot vidé de son sens initial.

Je m’étais promis de constituer un florilège des pires cas, quelque part en 2019. Force est de constater que l’inventivité des journalistes est loin de se tarir.

Voici donc un modeste bilan pour le début de cette année, étant entendu que les cas sont beaucoup plus nombreux que ceux que j’ai recensés.,

Les élections en République démocratique du Congo

Le nouveau gouvernement de ce pays

Nancy Pelosi, élue présidente de la Chambre des représentants

Le changement de nom de la Macédoine, qui devient la Macédoine du Nord

Le déménagement de la Chambre des communes

La visite du pape aux Émirats arabes unis

La victoire des Patriots de la Nouvelle-Angleterre au Super Bowl.

Il va sans dire que ce nouvel opus grognon de votre humble serviteur est lui aussi historique.

Noir

On appelle souvent l’Afrique le continent noir. Appellation classique que l’on trouve dans les dictionnaires.

L’automne dernier, je donnais un cours de rédaction à l’Université d’Ottawa à des étudiants en traduction. Je parlais des métaphores décrivant certains lieux géographiques.

« Monsieur, ce n’est pas raciste, ça? »

De nos jours, il faut peser chaque mot; le procès d’intention n’est jamais loin. Les maoïstes de la bien-pensance sont très actifs dans les universités et ils finissent par influencer tout le monde. Bien des gens reculent, mais il faut savoir se tenir debout et remettre les pendules à l’heure. C’est ce que j’ai fait.

« Non, ce n’est pas raciste, répondis-je. C’est une façon normale de parler de l’Afrique. Ce qui est raciste, ce sont les termes injurieux pour décrire un peuple. Noir n’est pas une insulte. »

Mon étudiante s’énervait pour rien. L’expression le continent noir figure bel et bien dans le Petit Robert, tout à côté de l’Afrique noire, soit l’Afrique subsaharienne.

D’ailleurs, l’adjectif noir définit un « groupe humain caractérisé par une peau très pigmentée. Race noire, peuples noirs. » Le mot peut également être substantivé. Il s’agit d’un homme ou d’une femme noire, ce que les Européens appellent parfois – avec un ridicule consommé – un black

La formule de rechange, que l’on cherche à imposer à tout le monde, est personnes de couleur. Drôlement imprécis, car elle pourrait englober tant les Indo-Pakistanais que les Maghrébins.

Bien entendu, noir renvoie à la notion de noirceur, un terme négatif. Pensons à quelques expressions comme « Broyer du noir », « Voir tout en noir », « Avoir des pensées noires », « Nourrir de noirs desseins », etc.

Mais ce ne serait pas la première fois qu’un mot aurait deux facettes : l’une positive et l’autre négative. On peut penser à impliquer (dans une affaire louche ou dans le scoutisme?).

Avez-vous des idées noires? C’est peut-être parce que vous lisez trop de romans noirs. Les plus âgés se souviendront de la Série noire, aux éditions Gallimard. Ce que l’on appelle aujourd’hui des polars, des romans policiers.

Le Roman noir connaît de belles heures grâce à l’invasion scandinave, si je puis dire. Une auteure islandaise, Lilja Sigurðardóttir, est l’instigatrice d’un festival du roman policier appelé Iceland Noir. Eh oui, le mot a essaimé en anglais et probablement dans d’autres langues.

Cette auteure a écrit une trilogie, Reykjavik noir, dont les deux premiers tomes sont parus : Piégée et Le filet.

Nègre

Ce mot est bien plus délicat, car il traîne avec lui un lourd passé colonial et esclavagiste. Le Robert fait observer : « Terme raciste sauf s’il est employé par les Noirs eux-mêmes. ». Dans le Larousse, on voit encore des pages sur l’art nègre, mais c’est un peu l’exception qui confirme la règle.

Deux expressions révélatrices ont été formées avec le mot en question : « Travailler comme un nègre » et « Être le nègre de quelqu’un. » Dans les deux cas, il y a un lien avec un dur labeur. Pas très difficile d’imaginer le travail dans les plantations. Dans le second, on parle d’un auteur fantôme, qui écrit à la place d’une autre personne.

Autre relent de colonialisme, le « Parler le petit nègre », soit une langue rudimentaire à la syntaxe approximative.

De nos jours, ce ne sont pas tant les Noirs qui parlent le petit nègre, mais tous ces francophones qui pensent que la syntaxe, le vocabulaire et la grammaire n’ont aucune importance.