Naguère

Comme bien des gens, sans doute, j’ai longtemps cru que naguère voulait dire « il y a très longtemps ». Je me trompais. Le mot est pourtant transparent : « Il n’y a guère ».

D’ailleurs, le dictionnaire de l’Académie ne laisse aucun doute : « À une époque appartenant à un passé récent. » Quant à lui, le Multidictionnaire du français précise qu’il ne faut pas le confondre avec autrefois, dans un temps passé, pas plus qu’avec jadis, qui signifie « Il y très longtemps. »

Ce glissement de naguère vers un sens diamétralement opposé au sien est un mystère.

Ainsi va le français depuis toujours. La langue percole, se transforme, se contredit. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille rester les bras croisés.

Les Patriotes

Aujourd’hui le Québec fête la Journée nationale des patriotes. Les patriotes sont des rebelles du Canada français qui, en 1837 et 1838 ,se sont mesurés aux troupes d’occupation britanniques afin de constituer une république indépendante.

Ces rebelles, qui osaient défier la toute puissante Grande-Bretagne, s’inspiraient des philosophes des Lumières. Ils proposaient notamment la séparation de l’Église et de l’État; l’abolition du régime seigneurial; l’abolition de la peine de mort; un statut égal pour le français et l’anglais. On pourra en lire plus dans l’article de Maxime Pedneaud-Jobin dans La Presse.

Sur le plan linguistique

L’appellation Journée nationale des patriotes est un bel exemple du funambulisme ridicule de la langue française quant à l’utilisation des majuscules. Voir mes articles à ce sujet.

On remarquera la majuscule à Journée. Normalement, ce n’est pas la règle. L’Office québécois de la langue française : « Lorsque le premier nom de la dénomination d’une époque ou d’un événement historique est un terme générique et qu’il est suivi d’un complément du nom, le terme générique s’écrit avec une minuscule initiale et le nom qui constitue le complément s’écrit, lui, avec une majuscule. » Par exemple la guerre de Cent Ans.

L’Office donne entre autres exemples : la révolte des Patriotes. On remarquera la majuscule subitement apparue au mot « Patriotes ». Habituellement, on écrit patriotes en minuscule, lorsqu’on désigne les révolutionnaires, dont plusieurs ont été pendus par les Anglais.

En français, la majuscule se fait trop rare. Le mot en question reçoit la majuscule dans un odonyme où il joue le rôle d’élément déterminatif.

Jean Chénier habite au 15, rue des Patriotes

Comme je l’ai signalé précédemment, le français nous convie à un jeu de bascule étourdissant entre la majuscule exceptionnelle et la minuscule réglementaire. C’est cet étêtage systématique qui nous vaut la minuscule dans l’expression « Les patriotes de 1837. »

Quant à moi, j’écrirais volontiers les Patriotes de 1837.

Boyau

Être langagier nous rend méfiant, un peu trop parfois. On pourrait penser qu’un boyau d’arrosage, est une autre impropriété qui court les rues au Québec et au Canada, comme carrosse qui désigne un petit charriot dont on se sert à l’épicerie. Voir mon article sur caddie.

Ce n’est pas ce que disent les grands dictionnaires français, bien que l’expression ne soit pas citée en priorité dans leurs pages.

La première définition du terme en l’objet est l’intestin d’un animal. Par analogie, on appellera boyau un long conduit, dans une tranchée, par exemple. Dans le domaine ferroviaire, il s’agit d’un « tube flexible destiné à relier, entre deux véhicules, les conduites de distribution d’air, de vapeur, les commandes de freinage, etc. », comme l’indique le Trésor de la langue française.

Le même ouvrage donne finalement ses lettres de créance à notre fameux boyau d’arrosage : « Long tuyau de cuir, de toile ou de caoutchouc permettant à une pompe hydraulique d’apporter l’eau à distance. Boyau d’arrosage. »

D’ailleurs, le Multidictionnaire de la langue française ne présente pas boyau d’arrosage comme une faute, mais plutôt comme un québécisme. Quant au Dictionnaire Usito, de l’Université de Sherbrooke, il définit boyau entre autres comme un tuyau souple.

Il est clair que boyau d’arrosage fait partie de notre patrimoine linguistique. On me permettra de citer le grand Félix Leclerc : « Des montagnes de billots, que des hommes arrosaient à la journée avec de longs boyaux, dormaient dans les cours. »

Fantômer

Mon billet sur ghoster a suscité de nombreux commentaires intéressants sur les manières créatives de rendre ce mot en français. Plusieurs m’ont signalé la traduction fantômer, qui a engendré un autre néologisme, fantomisation (sans accent nous dit l’OQLF).

Intéressant, mais on suit la démarche de l’anglais pas à pas. L’anglais utilise une image, on la reprend en français. Et je ne vous parle même pas de spectrification que certains ont proposé. Comme je le signalais dans le premier billet, il vaut parfois mieux recourir à cet outil trop souvent décrié, la périphrase.

Une périphrase amusante est rupture à l’anglaise, inspiré de filer à l’anglaise. D’autres, plus prosaïques suggèrent couper les ponts. Dans ce cas, on peut dire qu’Élisabeth a bloqué Robert, elle l’ignore, elle l’a rayé de la carte.

Une ancienne collègue du Bureau de la traduction, Annie Baillargeon, a fait le commentaire suivant :

Je trouve souvent plus limpide en français d’inverser le sujet et l’objet ou de changer l’angle d’approche pour rendre l’idée : Du jour au lendemain, Elisabeth a cessé de donner des nouvelles, a coupé les ponts, a disparu. Ou alors : silence radio, plus rien, etc. Élisabeth m’a effacée de sa vie.

Ne m’effacez pas de vos vies.

Ghoster

Ghoster est un cas intéressant d’anglicisme difficile à traduire en un seul mot. Bien entendu, on pourrait dire occulter une autre personne, la faire disparaitre de notre vie… Ce sont là des périphrases qui ont quand même l’avantage d’être relativement claires. Mais voilà, leur sonorité n’est pas aussi magique que ghoster, d’autant plus que l’anglicisme tient en un seul mot. En outre, occulter et faire disparaitre ont un sens plus général, tandis que l’anglicisme est plus spécifique.

Élysabeth a ghosté Robert.

Élysabeth a occulté Robert.

Dans le deuxième cas, on n’est pas tout à fait sûr de comprendre. Essayons autre chose.

Élysabeth a fait disparaitre Robert.

Là, ça devient inquiétant… Il faut se montrer plus précis.

Élysabeth a fait disparaitre Robert de ses amis Face de Bouc.

Cette ambigüité explique que ghoster se soit frayé un chemin dans la langue des jeunes, aussi bien au Québec, qu’en France ou ailleurs dans la francophonie. On imagine mal la jeune génération élevée dans les médias sociaux dire qu’elle a occulté quelqu’un.

C’est souvent un piège d’essayer de trouver à tout prix un mot unique pour traduire un mot anglais. Les périphrases sont souvent la meilleure solution, car elles explicitent le sens réel d’un mot au lieu de proposer une solution bancale.

Conjugaison fantasmagorique…

Le Robert en ligne nous permet de voir comment les verbes se conjuguent… ce qui inclut ceux venant de l’anglais. Appliquer l’imparfait du subjonctif et le passé simple à un anglicisme peut devenir fort amusant…

Il a fallu que nous ghostassions Robert.

Ils ghostèrent Robert.

De quoi faire des cauchemars.

A priori

Les mots d’origine latine abondent en français. Il peut s’agir de locutions adverbiales tout comme de substantifs entrés dans l’usage.

A priori

Une locution latine qui signifie « D’après ce qui est avant. » Bref, ce qui ne se réfère pas à l’expérience ou aux faits. L’expression contraire est a posteriori.

En français, a priori est devenu un substantif synonyme de préjugé. A priori peut aussi s’employer comme une locution : « A priori, cela semble une bonne idée. »

On remarquera l’absence d’accent grave sur le A initial. Les rectifications de 1990 proposent (animisme, je sais) d’écrire l’expression en un seul mot : apriori ou encore avec l’accent grave : à priori.

Post mortem

L’anglais a aussi emprunté à la langue latine et ses emprunts peuvent être différents de ceux du français. Mais les deux langues en partagent aussi un certain nombre et là encore l’usage nous tend le piège insidieux des faux amis.

 Post mortem est une locution adverbiale utilisée en français. Elle signifie « après la mort ». Faire un examen post mortem, c’est-à-dire une autopsie.

L’anglais emploie l’expression comme substantif au sens de bilan, rétrospective, analyse. On commet donc un anglicisme en disant : « Le Canadien de Montréal fait le post mortem de sa saison décevante. » Il serait plus français de dire que l’équipe s’est penchée sur sa dernière saison, qu’elle en a fait le bilan, ou encore l’examen.

Italique ou pas?

Les locutions qui ont été francisées s’écrivent en caractères latins.

Envoyer son curriculum vitae à l’université. Un diplomate chinois ayant fait de l’intimidation est persona non grata au Canada. Laila recourt à la fécondation in vitro.

Les locutions latines que l’on trouve dans des ouvrages savants s’écrivent généralement en italique. Quelques exemples : ad libitum, opus citatum (op. cit.), ibidem, in fine, etc.

Encore partager

Partager – suite et fin

J’ai écrit plusieurs articles sur le mot partager, particulièrement sur le sens anglais qu’il a pris ces dernières années. Traditionnellement, partager quelque chose, c’est le diviser en plusieurs parts. Par exemple, partager un gâteau.

Sous l’influence du mot anglais share, le verbe en question a pris le sens de mettre en commun, diffuser, envoyer, faire connaitre, etc. Le sens s’est propagé dans le monde informatique, avant d’envahir la langue courante. On partage des photos aussi bien qu’on partage une opinion ou un appartement.

L’anglicisme est signalé dans des ouvrages québécois comme le Dictionnaire Usito et le Multidictionnaire de la langue française.

Il était fatal que les grands dictionnaires français finissent par prendre en compte cette inflexion sémantique. Le Petit Robert 2023 le fait d’une manière on ne peut plus discrète. Au lieu d’ajouter une rubrique signalant l’emprunt à l’anglais, il a glissé un troisième sens, dans une série de huit, sans nulle part signaler l’origine de la nouvelle définition.

En fait, il a fondu le sens anglais dans une définition plus générale.

Rendre accessible; faire connaitre. Partager une recette, une astuce avec ses lecteurs. Faire partager son expérience, sa passion. Partager une image sur les réseaux sociaux. (C’est moi qui souligne.)

Il n’échappe à personne que le sens plus moderne est suggéré à la fin, sur la pointe des pieds en chuchotant.Honteux de son audace, semble-t-il, le Petit Robert ne propose aucune marque d’usage comme anglicisme, de l’anglais, etc.

Suit toutefois une remarque suave : Partager à qqn (ex. Je vous partage ma vidéo) est fautif.

Jusqu’à quand? Si cet emploi fautif est signalé, c’est qu’il se répand. Surveillons les prochaines éditions du Robert. Mais, comme dans un contrat d’assurance, il faudra lire les petits caractères.

Approche

Certains politiciens ont une approche très différente, selon qu’ils siègent dans l’opposition ou qu’ils sont ministres. Dans leur cas, la notion d’honneur aurait besoin d’être clairement définie.

Le mot approche ne dérange plus personne… ou je me trompe. Comme bien d’autres notions issues de l’anglais, il a trouvé sa niche dans notre langue.

Une approche, c’est « une manière d’aborder un sujet de connaissance quant au point de vue adopté et à la méthode utilisée », nous dit le Robert. Les autres ouvrages de langue opinent dans le même sens. Cette définition vient de l’anglais.

Synonymes 

Ceux qui voudront éviter cet anglicisme devenu invisible parleront d’une démarche, d’une optique ou encore d’un point de vue.

Ils n’ont pas la même approche de la question. Le syndicat et la partie patronale ont des approches différentes quant au télétravail.

Pour parler savant, leur cadre de référence, ou leurs références tout court ne sont pas les mêmes. Et pourquoi pas un angle d’attaque?

Vade retro anglicismus !

Cette phrase célèbre de Cicéron, reprise plus tard par Jésus, imprègne la pensée de bien des langagiers. Tout ce qui émane de l’anglais est délétère et il faut s’en tenir loin.

Ce n’est pas toujours vrai. Pensons à réaliser, bien ancré dans notre langue et qui, lui aussi, passe inaperçu. Vous n’aviez pas réalisé que c’était aussi un anglicisme? On l’emploie couramment au sens de se rendre compte.

« Cet emploi calqué sur l’anglais a été critiqué, mais il est maintenant passé dans l’usage. » C’est ce que nous dit Marie-Eva de Villers dans son Multidictionnaire de la langue française.

Morale de cette histoire, l’anglais vient parfois enrichir le français. Mais la vigilance s’impose quand même, car la langue française possède de nombreux outils pour éviter les anglicismes.