Acronymes

C’était inévitable, la dernière édition du Petit Robert a intégré l’infâme expression covid-19, écrite en minuscule. On constate ici une rupture avec la prose journalistique, surtout canadienne, qui retient l’acronyme en majuscule COVID-19. Mais c’est quand même une autre abréviation dans le paysage.

La presse française écrit plutôt Covid-19, au masculin d’ailleurs, contrairement à ce qui se fait au Canada. À propos, l’Académie française a bel et bien précisé qu’il s’agit de la covid-19, puisqu’il est question d’une maladie, et non du virus. Le Covid-19 est une erreur, puis le nom du virus est SARS-CoV-2. Mais là-bas comme ici, il est bien difficile de demander aux médias de rectifier… Pour être juste, mentionnons quand même que les médias francophones du Canada ont vite changé le fusil d’épaule et adopté la COVID-19. Si c’était toujours comme ça…

Ne reste plus qu’à mettre le nom de la maladie en minuscule : la covid-19.

Les acronymes

Bien des acronymes finissent par s’installer dans l’usage courant. Écrits en majuscule au départ, ils s’adaptent à leur nouvel environnement (comme un virus…) et endossent les habits plus étroits de la minuscule…

C’est le sort qu’a connu SIDA devenu sida. D’autres acronymes courants s’écrivent aussi en minuscule. Pensons à radar, laser et cégep. On constate que ces mots lexicalisés prennent toutes les caractéristiques d’un nom commun. On dira par exemple « des cégeps ».

Rappel : Les abréviations prononcées comme un mot s’appellent des acronymes. Une abréviation dont on prononce toutes les lettres est un sigle. Le hideux CHSLD est un sigle, pas un acronyme. En plus, cette appellation est une véritable horreur.

Les noms d’organisations

Les Européens lexicalisent également les noms d’organisations exprimés sous forme d’acronymes. L’Onu, l’Unesco en sont de bons exemples. La majuscule n’est conservée que pour la première lettre du nom, le reste étant en minuscule. Ce genre de graphies est peu répandu chez nous, mais il m’apparait moins brutal que l’acronyme frappé de la majuscule à toutes les lettres.

Le Canada est membre de l’Onu…

me parait plus joli que :

Le Canada est membre de l’ONU.

À mon avis, seuls les sigles devraient s’écrire tout en majuscule.

Florilège

La réforme du français est un sujet controversé un peu partout dans la francophonie. La résistance est particulièrement vive en Europe où la maitrise de notre langue est vue comme un signe de réussite sociale. Par conséquent, toute simplification du français est perçue – à tort – comme une dégradation de celui-ci.

Les recherches menées pour la rédaction de mon ouvrage Plaidoyer pour une réforme du français m’ont permis de découvrir certains arguments, tous plus fantaisistes les uns que les autres, pour s’opposer à toute réforme du français. Heureusement, d’autres personnes tiennent un discours plus logique pour défendre leurs opinions.

Voici donc un florilège de certaines déclarations amusantes, tirées de mon livre à paraitre bientôt. Amusez-vous bien!

Bernard Pivot s’émerveille de voir libellule s’écrire avec quatre l, car l’insecte a quatre ailes. Il aurait aimé voir hippopotame s’écrire avec quatre p pour « assurer à l’animal plus de stabilité sur ses quatre pattes. » Le même Pivot soutient que tifon avec un seul f n’est plus qu’une petite pluie. Le poète Géo Norge y va de l’argument suivant : « Quand je lis “fotografe“, adieu la magie! Plus de petit oiseau qui sort de l’objectif. Les mots ne sont pas seulement des sons, mais des idéogrammes. » Et le même Norge de poursuivre : « Cette idée de réforme est une affaire de cuistres et de pisse-froid. Mon âme tient à son accent circonflexe et la plume de mon porte-plume ne pourrait plus s’envoler si on la soudait à ce porte-plume déjà bien lourd. » Autres réflexions apocryphes glanées ici et là : Le trait d’union dans ping-pong est indispensable, car il symbolise le filet séparant les deux joueurs. Vous n’y aviez pas pensé? Moi non plus. Dans ce cas, pourquoi n’écrit-on pas ten-nis? Le paon ne peut plus faire la roue si on lui enlève le o. La graphie nénuphar est plus poétique que celle avec un f.  

Plaidoyer pour une réforme du français.
Éditions Marcel Broquet : description du livre.

Crèche

Au Québec, on envoie ses jeunes enfants dans une garderie alors qu’en France on les dépose à la crèche. Comme cela arrive souvent, l’ancienne colonie emploie des mots différents de ceux de la mère patrie.

Il faut dire que crèche a un sens bien précis en France : un établissement qui accueille les enfants de moins de trois ans dont les parents travaillent. Nos garderies accueillent aussi bien des bambins que des enfants plus âgés.

Pourtant, garderie existe depuis 1877. C’est un local où l’on garde des enfants en bas âge. La définition est donc plus générique. Mais le terme que je vois le plus souvent dans les écrits de l’Hexagone est crèche, à moins qu’un lecteur me corrige.

D’autres parleront de jardin d’enfants, une expression qui s’apparente à l’allemand Kindergarten. D’après le Robert, cet établissement prend soin des enfants d’âge préscolaire, après la crèche.

Ces dernières années sont apparus des centres de la petite enfance, endroit où l’on fait aussi garder ses enfants.

Les parents québécois qui désirent sortir en soirée font appel à une gardienne pour prendre soin de leurs enfants, moyennant rétribution. Logique, quand même, puisqu’une gardienne garde des enfants. L’anglicisme babysitter, utilisé en Europe,étonne beaucoup de ce côté-ci de l’Atlantique.

Pas toujours un jeu d’enfants, le français.

Plan de contingence

La crise actuelle de COVID-19 met en évidence le manque de prévoyance des gouvernements face à une nouvelle pandémie. On a sabré dans les services de prévention des maladies parce que la recherche n’a pas d’effets spectaculaires qui peuvent ensuite servir d’argument en campagne électorale.

La cigale ayant chanté tout l’été, la voici maintenant confinée. Entretemps, les autorités publiques sont prises au dépourvu et élaborent des plans de contingence.

C’est bien mal connaitre le sens du mot contingence, qui est le « caractère de ce qui est contingent; éventualité que quelque chose arrive ou non », nous dit le Larousse.

On est donc loin du mot urgence. Force est de reconnaitre que nous avons affaire ici à un autre faux ami. Un plan de contingence n’est rien d’autre qu’un plan d’urgence. On pourrait aussi parler de plan d’intervention, de plan de secours.

Dépister

Les gouvernements cherchent à dépister tous les cas de covid-19 (on va finir par l’écrire tout en minuscule). La clé du déconfinement passe par le dépistage. À propos, avez-vous été dépisté?

La dernière phrase accroche, même si on l’entend dans les médias. Au même titre, d’ailleurs, que « Toutes les personnes n’ont pas encore été rencontrées. »

Selon le Robert, dépister signifie « Rechercher systématiquement et découvrir (ce qui est peu apparent, ce qu’on dissimule). Dépister une maladie. Dépister la maltraitance. »

Le dépistage, c’est la recherche d’une maladie. Le dépistage du sida, de la tuberculose.

Pour éviter l’erreur, il suffit de substituer le verbe trouver à dépister.

On trouve un objet perdu. On trouve une maladie à quelqu’un.

Mais une personne peut-elle être trouvée? Pourrait-on dire : « J’ai été trouvée pour la covid-19 »? On voit tout de suite que cette phrase est très bancale.

Seuls le manque de rigueur et une méconnaissance du français peuvent expliquer ce genre de construction. Alors, que dire? Pour paraphraser Lénine…

Bien des personnes n’ont pas été testées, et non dépistées. Le dépistage des personnes asymptomatiques reste à faire; toutes n’ont pas été testées.

Lusophone

Non, ce n’est pas un instrument de musique! Certains se souviendront de cet article dans lequel j’énumérais le nom des locuteurs de telle ou telle langue. On y découvrait, sans doute avec surprise, que les personnes parlant le portugais sont des lusophones.

Ce mot vient de Lusitanie, nom que portait le Portugal au temps des Romains.

Le Portugal a été jadis une grande puissance coloniale. Des pays comme le Brésil et l’Angola sont lusophones. Bien sûr, le portugais qu’on y parle s’est affranchi de la mère patrie, de la même manière que l’espagnol des Argentins est différent de celui de l’Espagne.

Le portugais est une langue latine, tout comme l’espagnol ou l’italien. Ces deux dernières langues ont eu une influence considérable sur le français, mais le portugais a aussi laissé son empreinte chez nous.

Marmelade

Vous mangez de la marmelade? Vous êtes lusophone d’adoption! Le mot vient en effet du portugais marmelada, qui n’est rien d’autre qu’une confiture de coings. Pourtant, en français, la marmelade est une confiture à base de m’importe quel fruit, tandis qu’en anglais il s’agit d’une confiture d’oranges…

Le plus étonnant est que le marmelada portugais dérive du latin melimelum, qui désigne une sorte de pomme douce…

On voit donc, encore une fois, que les emprunts à d’autres langues s’acclimatent de manière surprenante et voient leur signification changer.

Les emprunts au portugais

Le Portugal n’a pas seulement donné une variété de tartelettes au Nouveau Monde… (Les Québécois comprendront l’allusion.) Quelques emprunts viennent du monde maritime : caravelle, sargasses, vigie. D’autres touchent la gastronomie : curaçao, pintade, porto et, si vous en mangez, cobra et zèbre.

Notre ignorance de l’apport du portugais est embarrassante (mot d’origine lusitanienne).

Impliquer

Impliquer est un verbe courant qui a connu une mutation intéressante au fil des siècles. Il est passé d’un sens péjoratif à un sens positif, revêtant même la cape du verbe réflexif pour se donner plus d’éclat.

Ce qui est le plus étonnant, c’est que les deux sens cohabitent dans une relative harmonie. Pourtant, le verbe continue de faire grincer les dents de bien des langagiers.

Sens traditionnel

Au départ, c’était clair, impliquer signifiait – et signifie toujours – être engagé dans une affaire fâcheuse, souvent judiciaire.

Être impliqué dans un scandale de corruption.

Balzac l’employait dans ce sens, comme le signale Le trésor de la langue française. L’usage allait évoluer.

Avoir comme conséquence

Le verbe a pris une tournure beaucoup plus neutre, puisqu’il peut marquer une conséquence logique.

Entrer en politique implique de faire de nombreux sacrifices personnels.

Le Trésor mentionne aussi un emploi pronominal au sens de s’entrainer logiquement.

Toutefois, la forme pronominale contemporaine a pris une autre signification.  

S’impliquer

Votre voisin s’implique dans le scoutisme. Est-ce une faute? Pour bien des gens, oui. À leurs yeux, le sens d’impliquer est détourné et il serait préférable de dire s’investir.

Cette tournure a pénétré l’usage à un point tel que le Multidictionnaire du français l’accepte sans restriction. Il en va de même pour le dictionnaire québécois Usito. En outre, la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française ne le condamne pas non plus. Elle affiche l’exemple suivant :

Marie-Noëlle compte s’impliquer dans l’association étudiante de son école.

Même le Larousse y met du sien :

Mettre beaucoup de soi-même dans ce qu’on fait : S’impliquer dans son travail.

Une forme fautive

Lorsque le verbe signifie « être concerné par quelque chose », dans un sens non péjoratif, il doit être remplacé par toucher, intéresser, concerné.

Les personnes touchées par cette décision peuvent s’adresser au directeur.

Emphase

Tout le monde connait la tirade de Cyrano de Bergerac dans laquelle il décrit son nez comme un roc, un pic, un cap! Tous les acteurs ayant déclamé cette célèbre réplique parlaient avec emphase.

L’emphase, c’est une exagération pompeuse. Certains députés prononcent des discours avec emphase dans ce théâtre qu’est le Parlement. Derrière leurs paroles se cache une insistance, voire une exagération.

L’expression mettre l’emphase sur apparait donc tout à fait légitime. Pourtant, elle ne l’est pas. Mettre l’emphase sur quelque chose équivaut à faire une promenade dans Hyde Park… C’est une expression qui vient tout droit de l’anglais.

Heureusement, il est facile de l’éviter : insister sur, mettre l’accent sur, souligner, faire ressortir, mettre en évidence font très bien l’affaire.

Évitons que cet anglicisme courant ne devienne un pic, une péninsule, un continent…

Charabiamédia

Les journalistes dictent l’usage. Constatation lapidaire mais en grande partie fondée. Les mots qu’ils choisissent se répercutent chez les auditeurs; leurs tics langagiers se propagent comme des graines de pissenlit; les impropriétés, les mots non vérifiés et mal employés essaiment dans la société. Le charabiamédia finit par affliger toute la population.

S’exprimer devant des millions de spectateurs comporte des responsabilités et beaucoup ne veulent pas les assumer. Même pas vérifier dans un dictionnaire le sens des mots qu’ils emploient, le comble de la paresse.

Mais cette paresse, ce laisser-aller, n’est-il pas, au fond, collectif?

Palmarès

Certaines erreurs sont comme des taches de graisse qui ne veulent plus partir.

État des lieux en ce début 2020.

Sur la base de…

Les journalistes ont oublié l’existence d’adverbes comme quotidiennement, annuellement, volontairement, etc. Cette locution inspirée de l’anglais est omniprésente dans les reportages. Article plus détaillé.

Des problématiques partout

Ici, ignorance totale du sens des mots. Une problématique est UN ENSEMBLE DE PROBLÈMES, une situation complexe. De la même manière, une thématique est UN ENSEMBLE DE THÈMES. Article plus détaillé.

L’envahissant problématique signale aussi la disparition du mot problème, dont j’ai parlé récemment. Les problèmes sont maintenant devenus des défis, des enjeux. Or, un enjeu n’est pas un problème.

Délai

L’exemple le plus frappant de cette paresse d’aller consulter un dictionnaire. La confusion avec l’anglais est totale. Un délai EST UNE ÉCHÉANCE À RESPECTER, PAS UN RETARD. Article plus détaillé.

Délai au sens de retard est un anglicisme. Un anglicisme. UN ANGLICISME. La preuve : si votre vol a un délai, est-ce qu’on peut dire qu’il a été délayé?

Éventuellement

Ce mot évoque une possibilité, pas un fait accompli. Il est un synonyme de peut-être. Dire que Sidney Crosby a éventuellement gagné la coupe Stanley signifie qu’il l’a peut-être remportée. En anglais, le fameux eventually équivaut à par la suite. Article plus détaillé.

Étudiants internationaux

Un étudiant ne peut pas être international, il est ÉTRANGER. Les Français qui viennent étudier à Montréal ou à Ottawa ne sont pas internationaux. C’est un non-sens. Pourtant, cet anglicisme fleurit dans les institutions universitaires comme des pissenlits au printemps. Même la très francophone Université Laval de Québec l’emploie.

Dommage collatéral : des chercheurs internationaux veulent élaborer un vaccin contre vous savez quoi. Les chercheurs belges, sénégalais, chinois ne possèdent pas plusieurs nationalités qui pourraient justifier – du moins en partie – le qualificatif d’international. Ils sont étrangers.

Au lieu de calquer platement l’anglais, il suffit de parler de chercheurs étrangers, de chercheurs partout dans le monde. Article plus détaillé.

Partager

Tout a été dit : article.

Communauté

Ce mot envahissant sévit partout en anglais, où il désigne tout et n’importe quoi. Article; comment le remplacer?

Récemment, la tuerie de Nouvelle-Écosse a commencé dans la communauté rurale de Portapique qui est en fait un hameau, mot quasi inexistant dans les médias. Les hameaux, les villages et les villes sont devenus des communautés.

Mentions honorables

Il paraît que les pandémies finissent par s’essouffler, même si une deuxième vague est toujours à craindre. Nomenclature de certains termes qui semblent effectuer un repli stratégique, c’est-à-dire qu’ils sont un peu moins envahissants qu’il y a quelques mois, mais toujours présents.

Historique

Son emploi me semble moins compulsif qu’avant. Avec la pandémie chinoise, on voit clairement ce qu’est un fait historique. Un tournoi de hockey n’en est pas un.

Impact

Il est toujours là, certes, mais j’ai lu et entendu à quelques reprises le très joli mot contrecoup. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps. Article.

Incontournable

Moins omniprésent. On peut le remplacer par inévitable, central, majeur, crucial, traditionnel, etc. selon le contexte.

Bien sûr, cette liste est incomplète.

Enjeu

Dans un billet précédent, je faisais état de la mort par strangulation du mot problème. Mot auquel a succédé défi, petite mutation jovialiste d’un terme vraiment trop négatif en cette époque de javellisation du vocabulaire.

Mais nous assistons à la relève de la garde. Les défis s’étant multipliés comme de petits virus malfaisants, les voilà soudain remplacés par des enjeux.

Quelques exemples récents glanés dans La Presse.

« Mais j’espère que l’on va se souvenir en abordant ces enjeux que l’on parle d’humains. » – Rima Elkouri

« Cette incohérence empêche la tenue d’un débat équilibré sur les grands enjeux de notre collectivité. » – Lettre publiée dans le journal

 « Me Smitiuch croit que l’enjeu des débats sera la question des normes de soins pendant une pandémie. » – Dépêche de la Presse Canadienne

« Ce guide devrait traiter notamment de ces enjeux » – Cabinet du ministre de l’Éducation

Le vrai sens d’enjeu diverge de celui de problème. Un enjeu est l’argent que l’on mise au début d’une partie; ce que l’on peut gagner ou perdre dans une entreprise. Un enjeu n’a donc rien à voir avec un problème.

Certains y verront une métaphore que l’on peut s’autoriser par licence poétique. Ce point de vue est évidemment discutable et je ne suis pas du tout convaincu que les scribes de tout acabit versent dans le lyrisme…

Dans le monde actuel, il est de plus en plus difficile d’appeler les choses par leur nom. Cette obsession collective de ne pas froisser qui que ce soit, de ne pas se faire invectiver par la meute déchaînée qui sévit dans les réseaux sociaux, explique cette lâcheté collective qu’on finit par oublier.

Mais, au bout du compte, un problème demeure un problème.