Souvent, j’ai été agacé par cette locution entendue dans les médias : « Les témoins ont été rencontrés par les policiers. »
Anglicisme? Faute de syntaxe? Je tenais un autre beau sujet pour mes chroniques martiennes, diraient certains.
L’anglicisme parait évident. Les anglophones recourent au passif plus souvent que nous et, comme nous le savons, le français et l’anglais ne s’expriment pas toujours de la même façon. La cause est entendue. Eh bien non.
L’Office québécois de la langue française
La Banque de dépannage linguistique est formelle : la phrase précitée est syntaxiquement correcte et elle est compréhensible. Elle se situe dans la même lignée que d’autres du même genre.
L’individu a été interrogé par des agents de police.
Un témoin important doit être entendu par les enquêteurs.
L’employé fautif sera questionné par ses supérieurs.
À cela on pourrait ajouter :
La cause a été entendue par la juge Cuesta.
Le malade a été ausculté par le docteur Richardson.
La série La Casa de Papel a été vue par des millions de personnes.
Le vilain passif…
Dans les facultés, on enseigne souvent la méfiance envers le passif, présenté comme un mode d’expression lourd et peu naturel. Des générations de traducteurs et de rédacteurs grandissent dans la crainte perpétuelle de commettre l’impair.
Une bonne connaissance du français permet de tempérer ce jugement quelque peu hâtif.
Il est vrai que l’anglais abuse parfois du passif, surtout quand il s’agit de ne pas nommer l’agent qui accomplit l’action. Ce phénomène est observable dans les comptes rendus de réunion : it was said, it was decided, concerns were expressed.
Mais, en anglais comme en français, le passif est un mode d’expression tout à fait acceptable et tenter de le remplacer à tout prix peut s’avérer risqué, voire contre-productif. Qu’on en juge :
L’usine d’embouteillage PopSaccarine a produit cinq millions de cannettes.
Cinq millions de cannettes ont été produites par l’usine d’embouteillage PopSaccarine.
On voit tout de suite que la seconde phrase met l’accent sur la quantité de cannettes, qui est l’élément principal. Chercher à tout prix à mettre la phrase en mode actif ne donne plus le même effet.
Les personnes qui ont lu le classique de Robert Catherine Le style administratif savent que le passif est parfaitement acceptable dans la langue administrative; il est un outil de l’arsenal dont disposent les rédacteurs.
Ont été rencontrés?
Cette locution continue malgré tout de me déranger, mais il devient difficile de la condamner quand on constate que bien d’autres phrases sont construites de la même façon et ne font tiquer personne.