Copie

Le journal le plus vendu au monde est le Yomiuri Shimbun de Tokyo, dont le tirage atteint les dix millions d’exemplaires. Ou peut-être eût-il fallu dire copies?

On entend souvent ce mot, pour parler du nombre d’exemplaires auquel un roman a été imprimé. Par exemple, le premier roman de la journaliste Rima Elkouri a été imprimé à 5000 exemplaires.

Pour un magazine, on parlera d’un numéro vendu dans les kiosques. S’il est vendu, on dira qu’il n’en reste plus d’exemplaire et non de copie.

La confusion entre exemplaire et copie s’explique facilement, la copie étant la reproduction d’une œuvre ou d’un écrit.

Copie de la lettre a été envoyée au siège social.

La copie du film est maintenant aux Archives nationales.

La copie de ce Van Gogh a été vendue la semaine dernière.

Dans le cas des tableaux, une copie est un faux dans la mesure où l’on essaie de la faire passer pour l’original. Bien des amateurs d’art achètent des copies des grandes œuvres, n’ayant pas les moyens d’acquérir les originaux.

Pourtant, on parle bel et bien d’exemplaires lorsqu’il est question d’un journal, d’un magazine ou d’un livre. Le Petit Robert est formel à ce sujet. Un exemplaire est un objet reproduit en série, précise la Banque de dépannage linguistique.

Exemplaire d’un journal, d’une revue. Achetez deux exemplaires de ce numéro. Exemplaire unique. Exemplaire numéroté.

Au Canada, les sources s’entendent pour dénoncer copie. Le Multidictionnaire, Le dictionnaire des anglicismes aussi bien que la Banque de dépannage linguistique le condamnent pour un journal ou un magazine.

Il est clair que pris dans le sens d’exemplaire, copie est un anglicisme.

Questionner

« Questionner » est un exemple parfait de faux ami. Élégant, il se pare des plus beaux atours de notre langue tout en cachant insidieusement sous sa cape un sens qui relève plutôt de la langue de Shakespeare.

Regardons les phrases suivantes. Lesquelles comportent une erreur?

1.Les journalistes questionnent la ministre.

2.Elle se questionne sur son avenir.

3.Les membres du parti questionnent la décision de leur chef.

4.Le fait d’insulter des chefs terroristes étrangers est très questionnable.

Il n’y a pas de mal à questionner (ou interroger) la ministre, qui d’ailleurs remet en question son avenir ; elle se questionne.

Cependant, les membres d’un parti remettent en question la décision de leur chef, ils ne la questionnent pas. Nous venons de traverser le Rubicon des anglicismes.

D’ailleurs, la Banque de dépannage linguistique est formelle :

Contrairement à la forme anglaise to question, ce verbe n’a pas le sens des mots et expressions suivants : mettre en doute, douter de, contester, mettre en question et s’interroger sur.

Des ouvrages classiques comme Le dictionnaire des anglicismes de Colpron et le Multidictionnaire de la langue française de Marie-Eva de Villers abondent dans le même sens.

Quelle ne fut pas ma surprise de me faire annoncer dans une enceinte universitaire que questionner pouvait revêtir le sens anglais de la troisième phrase de l’exemple. La source ? Le Petit Robert. L’ouvrage donne la définition suivante, aussi lapidaire que concise : remettre en question.

On m’aurait annoncé que la Terre est plate et j’aurais été tout aussi consterné. Je me posais beaucoup de questions… J’ai donc interrogé l’auguste institution et elle m’a répondu que ce nouveau sens avait été inséré en 2016. Nouvelle surprise : le dictionnaire ne mentionne pas du tout l’origine anglaise de ce sens, alors qu’habituellement il signale les emprunts à l’anglais.

Le Trésor de la langue française ne comporte pas de définition allant dans le sens anglais. Tout au plus y lit-on la formulation analogique Poser une question à quelque chose.

Le Trésor nous réserve une citation de Balzac datant de 1836…

Son attention à évaluer le boudoir s’expliquait : il était parti de l’éléphant doré qui soutenait la pendule pour questionner ce luxe

Contradicteurs compulsifs et anglomanes y verront sans doute une justification de l’anglicisme, bien qu’un exemple datant de 183 ans me paraisse assez peu convaincant. À mon sens, le français d’outre-mer a tout simplement été influencé par l’usage anglais.

Ce ne serait pas la première fois qu’un mot français subit un élargissement sémantique conditionné par l’anglo-américain. Réaliser dans le sens de se rendre compte en est un bel exemple.

Soulignons en terminant que le Larousse n’affiche pas ce nouveau sens. Parmi les définitions de « questionner » : poser problème à quelqu’un.

Enfin un dictionnaire qui me comprend.

État

Petit quizz au lendemain des élections fédérales au Canada.

Vrai ou faux ?

  1. Justin Trudeau a remporté les élections et, à titre de chef d’État, il formera le prochain gouvernement.
  2. Le premier ministre choisit les membres de son Cabinet.
  3. Le premier ministre nomme les ministres.
  4. La gouverneure générale Julie Payette pourrait demander à Andrew Sheer de tenter de former un gouvernement puisqu’il a obtenu la pluralité des voix.

Toutes ces affirmations, sauf la 2, sont inexactes.

Il est vrai que Justin Trudeau a remporté les élections et qu’il formera le prochain gouvernement. Mais il ne le fera pas en tant que chef d’État.

Le premier ministre choisit les membres de son Cabinet, certes, mais il ne les nomme pas. La gouverneure générale assermente les ministres lors d’une cérémonie. C’est à elle que revient la nomination officielle des membres du Cabinet.

La quatrième affirmation relève de la politique-fiction. La gouverneure générale est la chef d’État du Canada. À ce titre, elle doit se tenir loin du jeu politique. Elle n’a pas à décider que notre système électoral est injuste envers les conservateurs ; elle n’est pas nommée pour redresser les torts des uns et des autres.

Or la tradition veut que le premier ministre dispose de certaines prérogatives, dont celle de garder le pouvoir et de tenter de former un gouvernement qui recevra l’assentiment de la Chambre des communes. C’est seulement s’il n’y parvient pas que la gouverneure générale pourra demander à Andrew Scheer de former un gouvernement et de se présenter à la Chambre pour en obtenir la confiance.

Un ancien gouverneur général du Canada, lord Bing, a refusé en 1926 au premier ministre sortant MacKenzie King le déclenchement d’un nouveau scrutin peu de temps après l’élection d’un gouvernement minoritaire. Le fait qu’il n’a pas obtempéré au désir du premier ministre en poste a déclenché une crise constitutionnelle. Par la suite, les autres chefs de l’État canadien se sont bien gardé de répéter cet affront.

Le fameux conflit Bing-King est abondamment commenté sur le Web.

La notion de chef d’État

Elle suscite beaucoup de confusion. Est chef de l’État la personne qui nomme officiellement les ministres du gouvernement, reçoit les lettres de créance des diplomates étrangers et surveille le respect de la constitution et des institutions par ceux qui gouvernent.

Au Canada, ce rôle revient… à la reine d’Angleterre, qui est aussi la reine du Canada et donc le chef d’État de notre pays. La souveraine délègue ses pouvoirs à la gouverneure générale, Julie Payette, qui joue le rôle de vice-reine.

Le mot État s’écrit avec la majuscule initiale lorsqu’il désigne une autorité administrative ou encore un pays

Il est dans les prérogatives de l’État d’assurer l’ordre public.

Les États membres de l’Onu disposent d’un siège à l’Assemblée générale.

La notion de gouvernement

Au sens élargi, le gouvernement est l’ensemble des institutions publiques pour assurer le fonctionnement d’un État. Le gouvernement englobe les ministères, la fonction publique, les organismes gouvernementaux ou paragouvernementaux.

L’État le poursuit pour détournement de fonds.

Au sens restreint, le gouvernement est le Cabinet ministériel qui dirige le pays.

Le gouvernement du Canada assure la protection de ses ressortissants à l’étranger.

On aura remarqué que le mot gouvernement s’écrit toujours avec la minuscule initiale, sauf dans les proclamations et dans les textes diplomatiques.

Comment démêler les deux notions

Ce n’est pas toujours facile, car certains chefs d’État sont aussi chefs de gouvernement. C’est notamment le cas du président des États-Unis. Le président de la France, lui, est aussi chef d’État, mais c’est lui qui forme le Cabinet et il en dirige les réunions. Le premier ministre est officiellement chef de gouvernement, mais il est en quelque sorte une émanation du président de la République qui peut le renvoyer quand il le souhaite.

Les rois, reines, empereurs, sultans, etc. sont des chefs d’États qui ont le plus souvent des pouvoirs extrêmement limités. Tout comme les présidents de l’Allemagne, de l’Italie, d’Israël, qui font ce que les Français appellent des «inaugurations de chrystanthèmes». Ils jouent un rôle essentiellement protocolaire. Le gouvernement est alors dirigé par un premier ministre, parfois appelé président du Conseil.

Alors pourquoi autant de rois, de présidents dépouillés de pouvoir? Tout simplement pour assurer la pérennité de l’État et veiller au bon fonctionnement des institutions. Bien des pays estiment qu’il est préférable que chef d’État et chef de gouvernement soient deux personnes distinctes.

Élection

Le Canada va aux urnes lundi prochain. Petit rappel d’anglicismes à éviter et de petites erreurs de fait.  

Le premier ministre sortant n’a pas appelé une élection. Tout d’abord, cette expression est anglicisme (to call an election). Il serait plus exact de dire : « Le premier ministre a déclenché les élections.»

En fait, ce serait encore erroné, puisque le premier ministre ne déclenche rien. Il demande à la gouverneure générale de le faire à sa place. Théoriquement, elle pourrait refuser sa requête et provoquer une crise constitutionnelle.

Certains diront que M. Trudeau va en élection. C’est un autre calque de l’anglais. On pourrait dire que le premier ministre sortant demande le verdict des électeurs, sollicite un nouveau mandat.

Mandat qui pourrait être de courte durée si le gouvernement est minoritaire. La notion de gouvernement minoritaire est typiquement britannique et résulte du système électoral dont nous avons hérité. Un gouvernement minoritaire, c’est-à-dire qui ne dispose pas de la majorité absolue des sièges à la Chambre des communes, est perçu comme une anomalie gênante, un accident de parcours.  

Ailleurs dans le monde, et surtout en Europe, il est normal que le parti au pouvoir doive bâtir une coalition avec d’autres formations pour arriver à gouverner. Par exemple, la chancelière allemande Angela Merkel a toujours exercé le pouvoir avec le soutien d’autres partis.

Les gouvernements de coalition sont tout à fait normaux en Europe, alors que dans le système britannique ils sont perçus comme une aberration. Au Canada il n’y en a eu qu’un seul, à l’époque de la Première Guerre mondiale. Toutefois, plusieurs gouvernements minoritaires ont régné quand le principal parti a conclu une alliance avec un des partis d’opposition. Pensons au premier ministre Paul Martin qui a gouverné de 2004 à 2006 avec le soutien du Nouveau Parti démocratique.

Conseil privé

On entend souvent parler du Conseil privé (Privy Council), mais pas de la bonne manière. Le plus souvent, c’est du Bureau du Conseil privé (Privy Council Office) dont il est question, en fait, du ministère du premier ministre.

Certains lecteurs s’étonneront que le chef du gouvernement dispose d’un ministère pour le servir. Pourtant, chaque ministre dispose d’une équipe de fonctionnaires qui le guident dans la gestion des affaires courantes et dans l’élaboration des politiques. Il ne faut pas confondre ces fonctionnaires avec les conseillers politiques, qui eux ne relèvent pas de la fonction publique. Ces conseillers ne veillent pas au bien-être des Canadiens, mais orientent le ministre afin que le parti au pouvoir soit réélu. Ils suivent généralement le ministre lorsqu’il change de portefeuille ou qu’il est battu à une élection.

Le premier ministre a lui aussi besoin d’une équipe chevronnée de professionnels qui restent en place lorsque le gouvernement change. Ils assurent la continuité. Le Bureau du Conseil privé donne des conseils au premier ministre lorsqu’il vient d’accéder au pouvoir et doit procéder à nominations importantes; il l’aide également dans la gestion des affaires de l’État.

Le chef du Bureau du Conseil privé est le greffier du Conseil privé (Clerk of the Privy Council). Il est en quelque sorte le sous-ministre du premier ministre. Il est le fonctionnaire le plus important de l’État. Un greffier du Conseil privé peut servir sous plusieurs premiers ministres, qu’ils soient libéraux ou conservateurs.

Alors, qu’est-ce que le Conseil privé? Son nom complet est Conseil privé de la Reine pour le Canada. Il se compose des ministres présents et passés, du juge en chef de la Cour suprême, des premiers ministres provinciaux ainsi que du président de la Chambre des communes et de celui du Sénat.

Le Conseil privé est un organisme essentiellement symbolique. En théorie, il peut conseiller la Couronne sur la gouverne de l’État. En pratique il ne fait rien. Peut-on imaginer d’anciens ministres libéraux et conservateurs donner des conseils à la reine ou au gouverneur général qui, de toute façon disposent de pouvoirs extrêmement limités, voire inexistants?

Inutile de préciser que le Conseil privé ne se réunit pour ainsi dire jamais. La dernière rencontre remonte à 1959…

Comme on le voit, on ne peut considérer l’appellation Conseil privé comme un diminutif de Bureau du Conseil privé, à cause des risques de confusion que ce raccourci pourrait entrainer.

Impeachment

  1. Aspect linguistique

Pour la quatrième fois de leur histoire, les États-Unis viennent d’enclencher la procédure de destitution contre un de leurs présidents, couramment appelée impeachment. On voit tout de suite que le mot dérive du français empêchement.

L’impeachment fait partie du vocabulaire consacré aux États-Unis, mais le terme vient de la Grande-Bretagne. Il désignait la procédure par laquelle la Chambre des communes pouvait assigner un ministre à un procès. Cette procédure n’a pas été utilisée depuis 1805.

Au sud du Canada, l’impeachment désigne la procédure de mise en accusation du président, du vice-président ou d’un haut-fonctionnaire, et rien d’autre. Elle a été utilisée treize fois depuis 1787.

L’ennui, c’est que le terme est malmené dans l’usage populaire, tant en anglais qu’en français. Cette procédure peut déboucher sur la destitution de l’accusé, mais cela n’est pas garanti.

D’ailleurs, aucun président n’a été destitué, mais les présidents Andrew Johnson, Richard Nixon, Bill Clinton et maintenant Donald Trump ont fait l’objet d’un impeachment. En anglais, il est donc exact de dire, par exemple : «Bill Clinton was impeached, but not removed from office.»

En français, on dirait «Bill Clinton a été visé par une procédure de mise en accusation, mais n’a pas été destitué.»

En clair, l’impeachment n’est PAS la destitution : c’est un processus qui peut y conduire. Comment? Si la Chambre des représentants vote un bill of impeachment, soit un projet de loi visant la destitution. Ledit projet comporte des chefs d’accusation précis que le Sénat sera appelé à juger, comme le ferait un tribunal.

Le mot impeachment est-il essentiel en français? Certains diront oui, car il désigne une réalité typiquement américaine; d’autres plaideront en faveur de l’expression procédure de mise en accusation, certes plus longue, mais néanmoins très claire.

  • 2. Aspect politique

Tout le processus de l’impeachment est d’abord et avant tout politique.

N’oublions pas que ce sont les membres de la Chambre des représentants qui ont la capacité de mettre en accusation le président. Toutefois, les représentants sont des politiciens et non des observateurs indépendants et impartiaux.

Les constituants américains, qui ont révisé la Constitution, en 1787, ont cru que les élus sauraient mettre de côté leurs intérêts partisans, mais ils se sont trompés. Il faut dire qu’à l’époque les partis politiques, tels qu’on les connait aujourd’hui n’existaient pas. Le contexte était très différent.

Une fois adopté, le projet de loi visant la destitution est transmis à d’autres politiciens, les sénateurs. Ces derniers se transforment en juristes et instruisent le procès du président. Les mêmes réflexes partisans risquent de jouer.

La majorité des deux tiers est requise pour l’un ou l’autre des chefs d’accusation pour que le président soit destitué.

Autrement dit, il faudrait que des sénateurs républicains se rallient aux démocrates pour qu’un bill of impeachement aboutisse à la destitution. Là encore, il y a loin de la coupe aux lèvres pour qu’un tel revirement survienne, à moins de s’imaginer que les politiciens actuels, à couteaux tirés, s’émancipent soudain de toute considération partisane et ne voient que l’intérêt supérieur de la République. On peut rêver.

D’ailleurs, les trois cas précédents de mise en accusation d’un président démontrent amplement que la procédure de destitution est avant tout politique.

1. Après la Guerre de Sécession, le président Andrew Johnson s’oppose entre autres à la reconnaissance des Afro-Américains comme citoyens des États-Unis. Il fait obstacle à la réconciliation entre le Nord et le Sud. Il est visé par une mesure de destitution qui échoue par un vote.

2. Le président Clinton est accusé par les représentants d’avoir menti et entravé la justice dans une affaire de mœurs. Le fait d’avoir succombé aux avances de Monica Lewinsky est-il un motif sérieux de destitution ? Ou bien est-ce la haine féroce que les conservateurs américains vouent à Clinton, un libéral et un libertin?

3. Le président Nixon est embourbé dans l’affaire du Watergate. Il est clair que la Maison-Blanche était à l’origine du cambriolage commis dans le célèbre immeuble. Bref, Nixon n’avait aucune chance et il allait vers la destitution. Quand il a vu que la Chambre des représentants allait le mettre en accusation, il a préféré démissionner. Surtout qu’il ne pouvait plus rien attendre de ses alliés politiques.

Tout cela pour dire que la procédure de destitution a toujours été une arme politique et non pas une manière objective de déterminer si un président doit continuer de gouverner.

Il ne fait aucun doute que l’impeachment de Donald Trump se fera à l’aune des intérêts partisans, et non du respect de l’esprit et de la lettre de la Constitution.

Lecture suggérée : le dysfonctionnement des institutions américaines