Proche- et Moyen-Orient : quelle différence?

L’attaque sauvage du Hamas à Gaza pourrait relancer le conflit israélo-palestinien. Inévitablement, on parlera de l’embrasement du Proche-Orient... à moins que ce ne soit le Moyen-Orient. Lequel des deux est le plus exact?

Les anglophones disent Middle East, nous disons Proche-Orient, bien qu’on entende aussi Moyen-Orient. Alors ces deux termes sont-ils de parfaits synonymes? Et comment expliquer l’extinction de l’anglais Near East?

Toutes ces questions renvoient à la manière de définir ces expressions, et là commencent les ennuis. Les dictionnaires anglais et français, de même que Wikipédia et d’autres sources électroniques offrent des vues contrastées qui, en fin de compte, sèment la confusion.

Examinons le cas de Proche-Orient. Tout d’abord, proche par rapport à quoi? À l’Europe, bien entendu. Traditionnellement, il s’agit des pays du pourtour de la Méditerranée, soit le Liban, l’Égypte, Israël, la Turquie et la Syrie; mais certains y ajoutaient aussi bien la Libye que la Jordanie, de même que la péninsule d’Arabie. À mon sens, il est un peu difficile de parler du Proche-Orient, quand on y inclut des États lointains, comme le Yémen ou le Qatar.

Le Moyen-Orient, lui, regroupait justement les pays de la péninsule d’Arabie, mais aussi des États plus à l’est, comme l’Iran, l’Iraq et, parfois, l’Afghanistan et le Pakistan.

Le conflit israélo-arabe, qui empoisonne les relations internationales depuis 70 ans, est venu brouiller les cartes, puisqu’il accapare toute l’attention. Les États impliqués ne se limitent pas vraiment au Proche-Orient, au sens strict de pays riverains de la Méditerranée. De fait, des pays comme l’Iran et le Pakistan, qui sert de refuge et de lieu d’entraînement aux djihadistes, y sont aussi partie prenante, sans parler du pauvre Liban, colonisé par les milices chiites du Hezbollah, armées par l’Iran.

C’est pourquoi bon nombre d’observateurs voient la région dans son ensemble; la distinction Proche- et Moyen-Orient est donc moins pertinente. Ainsi s’explique l’apparition du Middle East anglais. Je pense qu’il vaut la peine de lire la définition qu’en donne le Merriam Webster :

« Geographic region where Europe, Africa, and Asia meet. It is an unofficial and imprecise term that now generally encompasses the lands around the southern and eastern shores of the Mediterranean Sea—notably Egypt, Jordan, Israel, Lebanon, and Syria—as well as Iran, Iraq, and the countries of the Arabian Peninsula. Afghanistan, Libya, Turkey, and The Sudan are sometimes also included. »

On voit que cette définition ratisse très large, mais qu’elle permet d’englober toute la région, d’où l’éviction de Near East.

Comme il arrive souvent, le français a fini par subir l’influence de l’anglais, comme le signale d’ailleurs Le Petit Robert des noms propres. Selon lui, Moyen-Orient peut aussi comprendre les pays du Croissant fertile, ceux de la péninsule d’Arabie, la Turquie, le Pakistan, l’Iran, l’Afghanistan, la Libye et l’Égypte. Bref, Proche-Orient perd toute pertinence, puisqu’il est phagocyté par la notion de Moyen-Orient élargi.

La confusion est encore plus grave en français, car bon nombre de rédacteurs et de publications utilisent Proche-Orient, lorsqu’il est question du conflit israélo-arabe, tandis que d’autres parlent de Moyen-Orient. Or, cette dernière région n’englobait pas, jusqu’à tout récemment, les pays du pourtour de la Méditerranée. Apparemment, il faudra s’y faire.

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L’antisémitisme

Le conflit au Proche-Orient est devenu un prétexte commode pour répandre la haine des Juifs. La gauche pro-Palestine aussi bien que l’extrême droite traditionnelle ne s’en privent pas. Les propos et les actes antisémites se multiplient et la politique radicale du gouvernement Nétanyahou ne fait que jeter de l’huile sur le feu.

Antisémitisme est un bien vilain mot, non seulement par le phénomène qu’il décrit que par son étymologie. La haine des Juifs est malheureusement très courante et ceux qui l’entretiennent visent précisément le peuple que l’on qualifiait jadis d’israélite, autre terme qui peut être péjoratif.

Au commencement était le verbe. Haïr, détester un peuple appelle normalement le suffixe « phobe » : francophobe, anglophobe, etc. Curieusement, la haine des Juifs a donné antisémitisme, que l’on peut considérer comme une impropriété. Si l’on décompose l’expression, on peut lire « contre les Sémites ». Or, les Sémites sont un ensemble de peuples du Proche-Orient ayant parlé dans l’Antiquité des langues sémitiques, notamment les Hébreux et les Arabes. Bref, ce mot ratisse large.

Nous avons donc une impropriété, car l’antisémitisme vise spécifiquement les Juifs, et non les Arabes. Il rejoint les rangs de mots comme Américains, largement accepté pour désigner les habitants des États-Unis, mais incorrect. Mais tenter de lui substituer ÉtatsUniens suscite un déluge de réticences, bien qu’il soit parfaitement correct.

Par quoi pourrait-on alors remplacer antisémitisme?

Il serait plus approprié de parler de judéophobie, que le Larousse définit comme l’« hostilité systématique à l’égard des Juifs ». Cependant, la judéophobie est une épidémie de sauterelles sur le plan linguistique, car elle peut englober la haine des Juifs, tout comme l’antijudaïsme ou l’antisionisme, qui sont des phénomènes d’un autre ordre.

Je reviens au mot Israélite. Il désignait autrefois le peuple de l’Israël biblique; de nos jours, il peut remplacer le mot Juif, mais, attention, il est souvent employé par les judéophobes.

Et qu’en est-il des Hébreux? Les Israéliens, les habitants d’Israël, parlent l’hébreu, mais on ne peut les appeler Hébreux pour autant. Les Hébreux étaient dans des temps anciens un peuple sémitique chassé de ses terres par les Romains.

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Les surnoms géographiques

Les surnoms que l’on attribue aux pays, villes et continents relèvent souvent de la plus grande poésie. La Sublime Porte, cela vous dit quelque chose? Il s’agit d’Istanbul, ancienne capitale de ce que l’on appelait prosaïquement l’Homme malade de l’Europe, c’est-à-dire l’Empire ottoman, devenu ensuite la Turquie.

Les rédacteurs trempaient parfois leur plume d’oie dans un encrier empli d’eau de rose.

  • Le Trône du Chrysanthème : le Japon
  • La Verte Érin : l’Irlande
  • Le Toit du Monde : le Tibet
  • Le Pays du Matin calme : la Corée
  • Le Céleste Empire ou encore l’Empire du Milieu : la Chine

Toutefois, certains surnoms étaient nettement plus terre à terre, et même quelque peu agressifs :

  • La Perfide Albion : l’Angleterre
  • La Plat Pays : la Belgique
  • La Botte : l’Italie
  • L’Hexagone : la France

Bon nombre de référents reviennent, sans doute à cause de leur puissance évocatrice :

  • La Perle du Danube : Budapest
  • La Perle de l’Orient : Alexandrie
  • La Perle de l’Adriatique : Dubrovnik

Venise, la Cité des Doges, a donné son nom à des cousines elles aussi traversées par des cours d’eau, généralement des canaux.

  • La Venise du Nord : Amsterdam, Bruges, Saint-Pétersbourg, Stockholm (la concurrence est féroce!)
  • La Venise de l’Orient : Bangkok

Idem pour Paris :

  • Le Paris du Moyen-Orient : Beyrouth
  • Le Paris de l’Orient : Shanghai

Les villes, que l’on appelle parfois cité, sont également une source d’inspiration infinie. Ceux qui ont visité la splendide ville de Boston ont sûrement remarqué le grand nombre de collèges et d’universités qu’elle abrite, d’où son surnom d’Athènes de l’Amérique. Les voyageurs qui découvrent avec ravissement Vancouver seront d’accord avec l’appellation de Jardin du Pacifique. N’appelle-t-on pas aussi Montréal la Ville aux Cents Clochers? Elle partage toutefois ce surnom avec Rouen, en France, et Prague.

Voici d’autres cités qui ont le droit de cité…

  • La Cité de la Joie : Calcutta
  • La Cité du Lys : Florence
  • La Cité des Papes : Avignon
  • La Cité de l’Amour fraternel : Philadelphie

Une lectrice me signale que les Maoris appellent la Nouvelle-Zélande le Pays des longs nuages blancs.

Les lecteurs qui veulent en savoir plus liront avec intérêt une page Web que j’ai préparée à ce sujet : http://pages.videotron.com/ara17/.

 

 

L’anglais est-il une langue imprécise?

Toute personne qui traduit la prose fédérale officielle est rapidement agacée par les maladresses des rédacteurs, dont les textes sont obscurs, mal construits et redondants. Je me souviens d’une note de service d’une page et demie sur l’importance d’être concis dans les communications…

Force est de constater que les textes bien rédigés, et donc clairs, sont rarissimes. On pourrait évoquer toutes sortes de raisons qui expliquent une maîtrise de la langue de plus en plus chancelante et ces raisons seraient les mêmes pour les francophones.

Pourtant, certains traducteurs finissent par proclamer que l’anglais est par essence une langue imprécise. Qu’en est-il vraiment? Je pense qu’ils ont en partie raison.

Certains sauteront vite aux conclusions en me taxant d’anglophobie. Pourtant, critiquer n’est pas détester. Comme toutes les langues, l’anglais possède des qualités évidentes, mais aussi quelques faiblesses. Essayons de les départager.

Les faiblesses de l’anglais

L’anglais est une langue de juxtaposition, en ce sens qu’il met les mots les uns à côté des autres, sans préciser leurs liens par une préposition. Dans la très grande majorité des cas, le contexte est suffisamment éclairant sans qu’il y ait besoin d’expliciter. Mais pas toujours.

Imaginons que vous lisez l’expression the teacher’s document dans un texte assez long, sans qu’il n’y ait de référence précise à ce sujet. Si le contexte est peu éclairant, le lecteur pourrait penser ce qui suit : 1) le document présenté par le professeur; 2) le document remis au professeur. Il peut donc y avoir ambigüité.

Bien sûr, la deuxième occurrence est improbable et un anglophone à la plume mieux affûtée aurait sûrement précisé : the document given to the teacher. Mais nous jouons encore sur les probabilités. Par conséquent, il est clair que ce manque d’articulation entre les éléments peut représenter un problème.

Les traducteurs sont également confrontés à l’abus de mots génériques comme community, issues, area, item, identify, pattern, etc. Ils sont employés à toutes les sauces, à tel point qu’on ne sait souvent pas ce qu’ils veulent dire au juste. Une issue, par exemple, peut aussi bien être un sujet à l’ordre du jour, un problème, une question débattue. De fait, le mot peut finir par être étiré dans tous les sens et devenir un dossier à l’étude.

Je travaillais récemment à un document dans lequel il était question d’un nouveau formulaire (form), qui, dans le corps du texte devenait un pluriel (forms), et ensuite un package — autre mot passe-partout. Après un décryptage serré, il est apparu qu’il s’agissait en fait d’une trousse de nouveaux formulaires. Ouf! Mais package possède plusieurs cordes à son arc. Lors des négociations constitutionnelles de 1992, le package n’était rien d’autre que l’accord de Charlottetown. Parler de deal ou d’accord aurait sûrement été plus précis, mais, là encore, on y allait par approximation en se fiant au contexte pour que les gens comprennent.

L’anglais supprime souvent des mots et ces ellipses peuvent elles aussi conduire à des ambigüités, comme dans cette résolution des Nations Unies qui enjoint Israël à se retirer des territoires occupés — c’est du moins le libellé français. L’anglais est moins clair : « to withdraw from occupied territories ». Se retirer de certains territoires ou de tous les territoires? Dans ce cas précis, l’économie de mots peut avoir des conséquences graves. Et pour comprendre le sens exact de la résolution, il faut lire le texte français.

Faut-il en conclure que l’autre langue officielle du Canada est un ramassis d’approximations? Ce ne serait pas lui faire justice.

Les subtilités de l’anglais

Tout d’abord, sur le plan lexical, il faut reconnaitre que l’anglais est nettement plus descriptif, puisqu’il se situe sur le plan du réel, alors que le français est plus abstrait. Par exemple, si on me dit que je trouverai un seat-cover dans ma voiture, je comprends tout de suite qu’il s’agit d’une housse, alors que ce dernier mot n’évoque rien pour un anglophone.

Les cas où l’anglais est limpide sont nombreux : drinking water, dog show, family tree, etc. Leurs équivalents français sont plus obscurs : eau potable, exposition canine, arbre généalogique.

On dit qu’en inuktitut il existe des dizaines de façons de désigner la neige, tandis qu’il y en aurait tout autant en arabe pour parler du désert. Ainsi en est-il de l’anglais dans bien des cas. Là où le français utiliserait le verbe briller, l’anglais module son vocabulaire en fonction de l’élément qui brille : surface polie : glisten; métal : glint, shine; un diamant ou de l’eau : glitter; une étoile : twinkle; une ampoule, le ciel qui rougeoie : glow.

Les emprunts quasiment sans entrave que fait l’anglais aux autres langues lui permettent de raffiner son vocabulaire. Parfois, ces emprunts aboutissent à une certaine polysémie, par exemple prison et jail.

Le français a été langue de la monarchie britannique pendant trois cents ans, à la suite de la Conquête normande, en 1066, de sorte que de nombreux mots français ont pénétré l’anglais, autrefois une langue plus purement germanique. Le vieil anglais, avait en effet de nombreux traits communs sur le plan lexical avec l’allemand et le néerlandais. De nos jours, l’origine latine et française de beaucoup de mots transparait et distingue l’anglais des autres langues germaniques. On dira, par exemple, transport en anglais, mais Verkehr en allemand, vervoer en néerlandais.

Au Moyen Âge, cette cohabitation amène l’apparition de doublets, soit un mot d’origine latine, employé par les élites administratives, et un mot d’origine germanique, que la population en général comprend.

Ce double vocabulaire permet de nuancer l’anglais de façon considérable. Ainsi, on dira begin something dans la langue de tous les jours; mais lorsqu’on voudra élever le discours, on pourra employer commence.

Les doublets font partie de l’anglais et renforcent son discours. Trust and confidence en est un bel exemple.

Cette dichotomie mots germaniques/mots latins s’observe en gastronomie, où il vaut mieux manger des escargots que des snails…

Enfin, les verbes à particule offrent aux locuteurs de l’anglais un bassin quasi illimité grâce auquel ils peuvent moduler leur discours, alors que le français devra souvent recourir à des périphrases. Par exemple : We must phase out the program qui devient Nous devons éliminer progressivement le programme.

L’outil de traduction automatique de Google dit tout simplement : Nous devons éliminer le programme. Il y a perte de sens, preuve qu’il vaut toujours mieux s’adresser à un vrai traducteur…