Commettre

On se commet beaucoup ces temps-ci.

Dans le cahier sur les affaires de La Presse : « On s’est commis dans le passé sur des dates, mais on préfère éviter maintenant, pour ne pas créer d’attentes. »

Toujours dans le même journal : « La Ville de Montréal s’est déjà commise pour 17,5 millions, alors que le gouvernement du Québec s’est commis pour un autre 17,5 millions. »

Notons au passage l’anglicisme pour un autre 17,5 millions : for another 17.5 million.

Le Devoir fait chorus : « … pas un ne s’est commis à apporter des réponses claires et prendre réellement des engagements… »

Où est la faute?

Commençons par regarder le sens français de commettre. Selon le Robert, c’est « Accomplir une action blâmable. » Par exemple, commettre un crime.

La forme réflexive a également un sens négatif : Entretenir des relations compromettantes ou déshonorantes, nous dit le Trésor de la langue française.

Tel politicien s’est commis avec des membres connus du crime organisé.

On voit tout de suite que l’utilisation de se commettre dans les phrases ci-dessus est fautive. Reformulons :

On a révélé des dates dans le passé, mais on préfère l’éviter maintenant, pour ne pas créer d’attentes.

La Ville de Montréal s’est déjà engagée pour 17,5 millions, alors que le gouvernement du Québec a promis d’en débourser autant.

Dans ce dernier cas, on évite la répétition de l’anglicisme et de la somme.

To commit oneself peut se rendre de plusieurs façons. On peut s’engager sur des choses, s’engager pour des sommes d’argent.

Le ministère s’est engagé pour deux millions de dollars.  

On entend souvent dans les médias que tel ministre n’a pas voulu se commettre, dans le sens qu’il n’a pas répondu à la question (surprise!). Pourquoi ne pas dire que le ministre n’a pas voulu se prononcer, s’aventurer, répondre ou s’avancer sur la question?

Balance du pouvoir

La notion de balance of power est courante dans le monde anglo-saxon. Le Collins la définit ainsi : « The balance of power is the way in which power is distributed between rival groups or countries. »

Cette définition est vaste et touche les relations internationales. Les dictionnaires bilingues nous proposent équilibre des forces, équilibre des puissances. En français, le Larousse parle de «  Juste proportion entre des éléments opposés, entre des forces antagonistes, d’où résulte un état de stabilité, d’harmonie : Une période d’équilibre politique. »

La traduction est toutefois moins aisée dans le contexte plus restreint de la cohabitation des partis politiques dans un parlement minoritaire. Un tiers parti peut permettre à un autre de se hisser au pouvoir, grâce à son appui. On dit que ce deuxième parti détient la balance du pouvoir.

Jusqu’à tout récemment, cette expression était contestée. On pouvait — et on peut toujours — la remplacer par toute une ribambelle de solutions, par exemple : être l’arbitre de la situation; être en position d’arbitre; jouer le rôle d’arbitre; être le maître du jeu; être en position charnière, etc.

Celle qui me parait la plus intéressante, si on ne veut pas calquer l’anglais, consiste à dire que tel parti détient la clé du pouvoir. Mettons ça dans la balance…

Bigot

La controverse entourant la création d’un cimetière musulman à Saint-Apolinaire, au Québec, fait couler beaucoup d’encre. Certains n’y voient aucun mal. D’ailleurs qui s’élève contre l’existence de cimetières catholiques, protestants, juifs?

Pour d’autres, il faut éviter de se rendre aux désirs des musulmans. Leurs détracteurs les qualifient notamment de bigots. Il s’agit d’un anglicisme insidieux. En français, le sens de bigot est plus restreint : il désigne une personne pratiquant une dévotion excessive, point à la ligne.

En anglais, le terme a pris un sens plus large qui touche la religion, la politique, la race. Par exemple, une personne qui voue les progressistes aux gémonies est un bigot en anglais. En français, on dirait plutôt qu’elle est réactionnaire.

Une seconde personne qui déteste une ethnie en particulier serait une bigot chez les Anglo-Saxons, mais une  raciste pour les francophones.

En général, tous ceux qui affichent des opinions bien tranchées et intolérantes pourraient être qualifiés de personnes sectaires, de fanatiques.

Bref, bigot a un sens beaucoup plus restrictif en français et ne doit s’utiliser que dans un contexte religieux.

Candide

Ces temps-ci, tout le monde est candide. Les politiciens qui, pour une fois, répondent clairement à une question; des gestionnaires informant leurs employés qu’ils doivent travailler encore plus vite sans compromettre la qualité.

Repris en chœur par les médias, cet anglicisme fait florès.

Les amants du français ne peuvent que sourire…

En effet, est candide celui qui fait preuve de candeur, c’est-à-dire de naïveté. Rien à voir avec le sens anglais de candid : frank and outspoken, nous dit le Collins.

Dans cette incommensurable zone grise qu’on appelle les faux amis, il convient de ne pas être… candide et de toujours vérifier.

Pour traduire candid, on pourra dire franc, sincère; dans un registre plus soutenu : sans complaisance, sans détour.

Aviseur

Vous avez des problèmes juridiques? Consultez un aviseur légal. Votre téléviseur numérique ne réagit plus à votre télécommande dernier cri? Pourquoi ne pas appeler un aviseur technique?

Notre vie est de plus en plus complexe et nous avons besoin d’aviseurs de toutes sortes. Ces personnes nous aviseront…

Oups! Il y a un grain de sable dans l’engrenage. Le verbe ne semble pas correspondre au substantif. Voilà qui est suspect.

Que signifie aviser? Selon le Petit Robert : apercevoir, commencer à regarder; réfléchir, songer. On avisera.

On peut aussi lui attribuer le sens d’avertir.

Or, que font tous ces aviseurs énumérés ci-dessus? Ils conseillent. Ce sont des conseillers.

Le sens donné à aviseur est un anglicisme. Parfois employé comme adjectif, il a le sens de consultatif. Un comité aviseur n’est rien d’autre qu’un comité consultatif.

Comme cela se produit souvent, le sens que donne l’anglais à aviser vient de l’ancien français. Précision intéressante de la Banque de dépannage linguistique : « Le proverbe Un fou avise bien un sage est un vestige de cet emploi disparu du français actuel. »

Les anglophones parlent souvent l’ancien français…

 

 

Paver la voie

Bien des auteurs sont prêts à lapider l’expression paver la voie, qui, à leur avis, est un calque de to pave the way. Cependant, force est de reconnaitre que tous ne sont pas de cet avis.

La Banque de dépannage linguistique estime que l’origine de l’expression est incertaine, puisqu’on la rencontre chez des auteurs français du XIXe siècle. L’Office québécois de la langue française ne la condamne pas formellement : « … cette expression imagée est bien formée et claire sur le plan sémantique. »

D’ailleurs, on la trouve même dans le Trésor de la langue française, qui cite l’ancien président français, Georges Clemenceau (1841-1929).

Peut-être qu’au fond l’anglais n’a fait que reprendre une vieille expression française. Donc, l’anglicisme serait finalement un archaïsme.

Dans un article paru en 2002, mon ancien collègue Frèdelin Leroux montrait une certaine indulgence envers paver la voie et prédisait même son inclusion dans les futures éditions des grands dictionnaires. Cela ne s’est pas avéré. De plus, des ouvrages de référence comme le Guide anglais français de la traduction, de René Meertens, continuent d’éviter l’expression. Le Meertens, comme on l’appelle familièrement, suggère notamment : faciliter, défricher la voie, permettre, rendre possible, poser des jalons. À cela, on pourrait ajouter ouvrir la voie, préparer le terrain.

Comme on dit souvent, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Mais il faut être prudent avec ce verbe. Souvenons-nous que paver signifie « poser des pavés », et qu’un pavé est une pierre que l’on encastrait dans le sol pour rendre un chemin carrossable. Les routes modernes, contrairement à celles du Moyen Âge, sont asphaltées.

Il est donc absurde de dire qu’on va paver telle autoroute à moins qu’elle ne soit réservée aux chars à bœufs…

Autre mise en garde contre l’expression voie de service. Celle-là est hors de tout doute un anglicisme. En français : voie de desserte.