En observant – médusés – le drame qui se déroule aux États-Unis, on ne peut qu’être frappé par la violence coutumière qui embrase ce pays.
J’ai toujours aimé les États-Unis et les Américains. Je garde de beaux souvenirs de mes vacances d’adolescent à la plage d’Atlantic City, avant l’arrivée des casinos. Le Boardwalk enchanteur qui longeait l’océan, les bâtiments désuets qui s’alignaient le long de ces avenues dont le nom avait inspiré les créateurs du jeu de Monopoly.
Ce pays ressemblait tellement au Canada. Jeune ado, j’avais remarqué la présence de Noirs dans les rues, ce qu’on ne voyait à peu près pas chez nous. J’avais voulu aller voir des Noirs qui habitaient en face de notre motel, mais ma mère m’en avait dissuadé, car c’était dangereux. Ah bon.
Plus tard, j’ai commencé à m’intéresser à l’actualité et fait des études de science politique à l’université. Mon opinion à propos des Américains a commencé à s’infléchir.
Un grand peuple
Au départ, j’éprouvais beaucoup de sympathie envers les Américains – et c’est toujours le cas aujourd’hui, malgré tout. Ces fiers soldats venus mourir sur les plages françaises pour libérer l’Europe du joug nazi. Ces touristes débonnaires qui débarquaient à Montréal, charmés par la magie du français, tout autour d’eux. D’ailleurs, je n’éprouvais pas de malaise à pratiquer mon anglais maladroit avec eux, car je savais qu’ils n’avaient pas d’aversion envers les francophones, contrairement à ce qui se produisait dans mon propre pays.
Politologue en herbe, j’ai étudié avec ravissement la Constitution américaine, texte génial inspiré des philosophes français. Il était fascinant de lire cette loi fondamentale ainsi que toutes ces réflexions profondes sur l’édification d’un système politique équilibré mettant la population à l’abri d’une dictature.
Et comment ne pas être ébahi devant l’ascension fulgurante de cette nation devenue à l’aube du XXe siècle un géant économique, avant de devenir un colosse politique?
La violence dès le berceau
La violence a imprimé un sceau indélébile sur la mentalité américaine. Les États-Unis sont nés dans la violence. La Révolution américaine est une révolte contre le pouvoir jugé despotique du roi anglais George III. Cette révolution est primordiale pour comprendre la mentalité du peuple américain. Elle a ancré l’idée que la violence peut être un moyen légitime de régler un problème.
Et la violence allait imprégner la société américaine de multiples manières. C’est peut-être dans le système économique qu’elle est la plus perceptible. Les Américains ont une foi absolue dans l’économie libérale; celle-ci départage les gagnants, ceux qui travaillent dur, des perdants, des fainéants, des maladroits, brutalement écartés de la richesse collective. Dans cette foire d’empoigne qu’est l’économie libérale, chacun a exactement ce qu’il mérite et l’État n’a pas à s’en mêler. En fait, le gouvernement c’est le problème, pour paraphraser Ronald Reagan. Certains extrémistes en viennent à voir dans l’État un ennemi potentiel des libertés individuelles – présentées comme sacrées et protégées par le Bill of RIghts – d’où ces théories délirantes du deep state qui cherche par tous les moyens à surveiller les individus.
Cette foi totale dans l’économie de marché remonte au XIXe siècle. Depuis lors, les pays occidentaux se sont ravisés après avoir constaté les inégalités criantes qu’elle amène. Lisez Dickens. Tant au Canada qu’en Allemagne ou au Danemark, il va de soi que tous les citoyens doivent bénéficier d’un régime public d’assurance-maladie. Aux États-Unis, c’est une hérésie pour une couche importante de la population. Le fameux Obamacare, qui étendait la protection médicale aux couches plus démunies de la population, a suscité une immense controverse chez nos voisins du sud. Beaucoup en faisaient une question de principe : l’État n’a pas à offrir une protection à des losers qui ne travaillent pas assez fort pour s’enrichir. Pourquoi moi je paierais pour eux? C’est leur problème.
Exclure brutalement les pauvres des soins de santé est une forme de violence.
Les Noirs
Dans la Constitution de 1787, on parlait de ces « autres personnes » pour désigner les esclaves. Des présidents comme Washington et Jefferson possédaient des esclaves.
L’esclavagisme était une plaie pour la jeune nation américaine et il allait conduire le pays à une guerre civile particulièrement dévastatrice. Cent ans après, il ne s’en était toujours pas remis et le pasteur Martin Luther King clamait devant la foule qu’il avait un rêve, celui de l’égalité raciale.
À cette époque, les Noirs n’étaient pas admis dans bien des hôtels et des restaurants. Il y avait des toilettes séparées pour les Blancs et les Noirs. Comme en Afrique du Sud, un État qui, lui, s’affichait ouvertement raciste.
Le racisme systématique et systémique est un acte violent. Il touche aussi les Autochtones, que l’on a exterminés à coups de fusil avant de les entasser dans des réserves. Heureusement, il n’y pas eu de solution finale pour les Noirs, mais les extrémistes blancs en rêvent sûrement. Certains brûlent des croix et glorifient Hitler.
Le Deuxième Amendement
Et il y a les armes à feu. Il peut être amusant de regarder à la télé les grands classiques du western, avec tous ces gens qui s’entretuent à qui mieux mieux. Les Amérindiens sont toujours les méchants, on voit très peu de Noirs sauf dans le rôle de palefreniers ou de serviteurs. Mais, surtout, le fait de tuer une autre personne à coup de pistolet est tout ce qu’il y a de plus banal. Là encore, l’utilisation d’une arme à feu, soit pour se défendre soit pour faire justice, est parfaitement légitime. On en revient à la Révolution américaine. On tire d’abord, on s’explique ensuite.
La sacralisation des armes à feu est imprégnée dans la culture américaine, au point qu’elle a été consacrée dans le Deuxième Amendement de la Constitution américaine. Un phénomène unique dans les pays occidentaux. En fait, les Américains sont très étonnés de savoir qu’au Canada ou en France, personne ne ressent le besoin de posséder un pistolet. « Comment faites-vous pour vous défendre? », demandent-ils, intrigués.
Le lien entre les centaines de tueries qui surviennent chaque année aux États-Unis et la libre possession d’armes à feu n’échappe pas à un enfant de cinq ans. Pourtant, on entend régulièrement des sophismes de tout genre pour défendre la libre circulation des armes. Comme : « Ce ne sont pas les armes qui tuent, mais les gens. » C’est en partie vrai. Les États-Unis sont malheureusement une société violente à divers degrés, comme j’essaie de le démontrer. Ce sont en effet les gens qui tuent, qui décident d’ouvrir le feu lors d’une altercation avec un voisin, quand quelqu’un les dépasse sur l’autoroute, quand ils entendent un bruit suspect dans la maison et descendent leur propre enfant qui rentrait un peu tard. Ce sont aussi des gens qui décident de massacrer leurs collègues au bureau, leurs collègues à l’école secondaire. Le lien entre cette violence outrancière et la disponibilité des armes à feu est évident.
Sans parler de ces bons parents qui amènent leur enfant de dix ans à une foire d’armes à feu. La vénération des fusils et des armes d’assaut commence jeune.
Parlons-en des enfants. Même le massacre de 20 enfants à l’école primaire de Sandy Hook, en 2012, n’a pas convaincu les parlementaires de modifier les lois. Le Deuxième Amendement l’emporte sur toute autre considération.
Un pays irréformable?
Dans un autre texte, je faisais état du dysfonctionnement de certaines institutions américaines. La Constitution géniale de 1787 se dégonfle au fur et à mesure que les États-Unis s’enfoncent dans une décadence de plus en plus évidente. L’élection comme président d’un homme malade et inapte, un boutefeu irresponsable, vient accélérer la tendance.
Mais nos voisins du sud n’ont pas toujours été dirigés par des abrutis. Obama était un président inspirant, l’un des plus intelligents jamais vus. Pensons aussi à l’autre Roosevelt, Theodore, qui a créé les grands parcs nationaux.
La politologue et chroniqueure Josée Legault parlait d’un pays individualiste, obsédé par l’argent et irréformable. L’avenir dira si elle a raison.
Mais l’avenir des nations tient souvent aux leaders qu’elles choisissent. En 1932, les Américains ont élu Franklin Delano Roosevelt qui allait lancer le New Deal, un programme de dépenses publiques dont l’objectif était de donner du travail aux masses de chômeurs jetés dans la rue par le krach boursier. Roosevelt allait à l’encontre de la philosophie individualiste qui imprégnait la société américaine.
À mon sens, l’espoir réside dans la jeunesse. C’est peut-être elle qui lancera les réformes nécessaires pour mettre les États-Unis au diapason des autres pays occidentaux. Joe Biden serait bien avisé de choisir une colistière noire et jeune comme Kemala Harris.
Mais le chantier est vaste et les forces réactionnaires particulièrement virulentes et bien armées. Surtout que certaines réformes impliquent un changement radical de la mentalité américaine. La fracture de la société américaine n’est pas que raciale : elle divise les Américains en deux camps : les progressistes qui s’alignent sur les autres pays occidentaux et les conservateurs opposés à toute forme de changement. La bataille s’annonce rude et violente.