Pull

Je l’ai dit souvent, les anglicismes utilisés en France et en Europe ne sont pas toujours les mêmes qu’au Québec, ce qui est tout à fait normal.

Très jeune, en deuxième année du primaire, j’ai été confronté à ce phénomène lorsqu’une jeune fille d’origine française s’est jointe à notre classe. L’enseignante lui a demandé de parler au groupe et j’ai immédiatement perçu un accent très différent du nôtre. Mais c’est surtout un mot qu’elle a employé qui a retenu mon attention.

Elle portait un pull. Ce que nous appelons couramment un chandail, ici. Le terme m’est apparu étrange et il continue de l’être puisque les Québécois portent des chandails quand il fait froid (souvent) et jamais des pulls, un anglicisme surprenant pour nous.

Un pull, c’est un vêtement tricoté, généralement en laine que l’on enfile en le passant par-dessus la tête. Mais, au fond, n’est-ce pas un chandail? Un gros tricot qu’on enfile par la tête? Non?

La similarité, sinon la concordance des deux termes, explique que l’anglicisme n’a jamais percé chez nous, malgré notre expérience… vivifiante avec le froid. (Entendre les journalistes français parler d’un froid « glacial » quand il fait moins deux à Paris nous faire sourire.)

Alors pourquoi le mot pull? Probablement parce que tous ces tricots viennent souvent de ces contrées quelque peu frisquettes que sont l’Irlande ou l’Écosse. D’où le carambolage de consonnes dans leurs idiomes, les voyelles étant frigorifiées par l’air fortifiant de la mer (explication non scientifique).

Bref, Français et Québécois continuent d’être deux peuples séparés par la même langue. Souhaitons qu’ils ne soient pas en froid.

Top

Êtes-vous au top ces temps-ci? Bien des gens ne sont pas, déprimés par l’hiver.

Cette question aurait pu être posée aussi bien en Europe qu’en Amérique et tout le monde aurait compris. Ailleurs aussi dans la francophonie, probablement.

Car le mot top est entré dans l’usage, tout d’abord en éclaireur, pour ensuite se greffer à d’autres mots pour former de nouvelles expressions.

On peut comprendre l’engouement des francophones parce que cet anglicisme est séduisant et facile à prononcer.

Définition

Les ouvrages de langue s’entendent, le top c’est le sommet, ce qui se fait le mieux. Quand on est au top, c’est qu’on est le meilleur, ou que l’on a obtenu ce qu’il y a de mieux. Alors si vous êtes au top du top, eh bien c’est la félicité totale.

Rendons hommage à Mikaël Kingsbury, fier Canadien, le roi des bosses au ski acrobatique, qui est au top du top dans son sport.

Expressions

Dans le monde du tennis, il est souvent question du top-10, qui réunit l’élite de ce sport. Il est bien difficile de l’atteindre, mais encore plus ardu d’y rester. Saluons l’arrivée de la Chinoise Zheng Qinwen parmi les dix meilleures joueuses de tennis au monde.

Dans ce contexte, on pourrait dire que le nouveau champion des Internationaux d’Australie, Jannik Sinner, est maintenant, un joueur de tennis top-niveau.

Toujours au rayon des célébrités, des mannequins célèbres ainsi que de très jolies actrices et athlètes deviennent des top-modèles, calque intégral de l’anglais.

Toper et topper…

Tope là, entend-on parfois. Le verbe toper s’entend de taper dans la main d’une autre personne pour accepter un marché. Rien à voir avec top.

Rien à voir non plus avec topper (ou toper) au Québec qui signifie « avoir le dessus sur quelqu’un d’autre ». C’est du langage populaire et nul doute que, cette fois-ci, nos amis de la francophonie n’y comprendraient rien.

Unité de logement

Au Canada, les calques de l’anglais trouvent facilement à se loger.

L’expression unités de logement apparait souvent dans les textes journalistiques en cette période de pénurie. Elle a toutes les apparences de la normalité, tant et aussi longtemps qu’on ne se demande pas ce qu’est un logement en réalité.

Il s’agit de la partie d’une maison ou d’un immeuble où l’on habite.

(Moment de silence.)

La phrase suivante devient subitement absurde :

Cet immeuble de la rue Laurier compte 35 unités de logement.

Ce qui signifie que l’immeuble en question offre 35 appartements, chacun d’entre eux étant un logement. On voit donc que le mot unité devient superflu. Les propriétaires d’immeubles locatifs louent des appartements; les coopératives, qu’on appelle condos au Canada, sont des appartements, des logements, mais pas des unités.

Si vous louez le sous-sol de votre maison, vous mettez un logement sur le marché. Allez-vous faire publier une annonce libellée comme suit : « Unité de logement à louer »? Évidemment non, vous direz « Sous-sol à louer ».

De la même manière, les tours d’habitation qui poussent comme des champignons dans les grandes villes offrent, à ceux qui peuvent se le permettre, des logements. D’ailleurs, on indiquera sur les murs « Logements à louer ». Tout le monde comprend.

En conclusion, le mot unité dans ce contexte est non seulement inutile, mais aussi un anglicisme.

Logis

Ce mot est souvent employé comme synonyme de logement. Ce n’est pas une faute. Toutefois, les Européens voient logis comme un mot plus littéraire. Ce n’est pas le cas ici.

L’islandais

Imaginez un peu… vous visitez un musée d’histoire naturelle et, soudain, un mammouth se met à bouger devant vous!

Comparer la langue islandaise à un mammouth n’a aucun fondement scientifique, mais ça démarre bien une chronique, avouez. Car l’islandais est un anachronisme ambulant dû au caractère insulaire de l’Islande.

Le vieux norrois

La langue islandaise est issue du vieux norrois, qui se définit le plus souvent comme la langue du Danemark, de la Norvège et de la Suède. Le vieux norrois est un terme générique pour désigner les formes anciennes des langues de ces pays ainsi que de l’islandais.

L’islandais se rattache à la branche nordique des langues germaniques. On y décèle un lien de parenté avec le féroïen et quelques dialectes de l’ouest de la Norvège. Toutefois, on n’observe pas la même transparence avec d’autres langues scandinaves comme le suédois, parce que l’islandais n’a que très peu évolué au fil des siècles.

Une langue unique

Comme le précise le site du gouvernement de l’Islande :

« C’est une langue qui offre à l’étranger de grandes difficultés phonétiques et grammaticales, en raison de la complexité des conjugaisons et déclinaisons d’une part, et d’un système d’adverbes très élaboré. D’autre part, bien que l’islandais utilise les lettres de l’alphabet latin, il comporte plusieurs caractères et accents spécifiques, ð, þ, æ, alors que les lettres c, q, w et z n’y existent pas. »

https://www.government.is/other-languages/ambassade-dislande-a-paris/culture/langue-islandaise/

La langue de l’Islande s’est moins modernisée que ses compagnes scandinaves à cause de l’insularité du pays. Le danois, le norvégien et le suédois sont beaucoup moins archaïques parce que plus exposées à des courants de modernité venus de contrées européennes. De sorte que l’islandais apparait comme figé dans le temps, figé à l’époque des vikings.

Détail intéressant, les Islandais peuvent lire facilement un texte ancien. Seule la prononciation a évolué.

Déclinaisons

Le côté archaïque de l’islandais est perceptible par le fait qu’à peu près tout se décline, y compris les chiffres de un à quatre! Ce phénomène n’est pas propre à cette langue puisque bon nombre d’idiomes sont porteurs de déclinaisons, à commencer par l’allemand, en passant par le russe et l’estonien; les deux dernières n’étant pas des langues germaniques, contrairement à l’islandais. Soit dit en passant, l’estonien comporte 14 flexions… des heures de plaisir. Vous trouvez le français compliqué?

En islandais, les noms propres se déclinent aussi. On est toujours le fils ou la fille de quelqu’un. Les noms féminins se terminent par dóttir, qui se prononce un peu comme le daughter anglais. Ainsi, Gísladóttir est la fille de Gísli; Helgason sera le fils de Helgi.

Pour arriver à se comprendre, les Islandais utilisent un bottin téléphonique original dans lequel les noms sont classés par ordre alphabétique… de prénoms.

Quelques néologismes

De 1380 à 1943, l’Islande a été sous la domination du Danemark, de sorte qu’un grand nombre de danicismes se sont infiltrés sur l’ile. Néanmoins, on a fermé les écoutilles depuis une cinquantaine d’années, ce qui permet d’observer un exercice de purisme pour le moins fascinant. En effet, les Islandais se fendent en quatre pour créer de nouveaux mots désignant des concepts modernes et ainsi éviter l’introduction de mots courants, qui ont percé dans la plupart des langues occidentales.

« Une commission, beaucoup plus déterminée dans ses choix que les organismes équivalents s’occupant, dans les autres pays, de l’enrichissement et de la modernisation du vocabulaire, bannit avec la dernière rigueur tout mot étranger qui esquisserait, même avec timidité ou sournoisement, un mouvement de pénétration. »

Claude Hagège, Dictionnaire amoureux des langues.

Ladite commission cherche des mots qui sont aussi fidèles que possible aux racines anciennes de l’islandais. Ce qui donne ceci :

LogicielHugbúnaðurÉquipement pour penser
Microscope  SmásjáPetite-vue
Moteur  HyrufillMouvement + marque d’agent
PoliceLögreglaLoi-règle
Taxi  LeigubillLocation-voiture
Téléphone  SimiFil, en langue ancienne

Pourtant, certains mots étrangers ont réussi à percer cette muraille : banani, kaffi, tóbak.

Conclusion

L’islandais est un phénomène linguistique unique dans les langues occidentales. Une sorte de musée. Il sera intéressant de voir si les efforts consentis pour garder une certaine pureté dans le vocabulaire seront à la longue couronnés de succès. Les Islandais sauront-ils ériger une muraille (de Chine) devant le tsunami de l’anglais et des mots d’origine gréco-latine?