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En termes de

En termes de stratégie, Kamala Harris aurait pu faire mieux.

Voilà, résumée grossièrement, l’analyse que de nombreux chroniqueurs font de la campagne de la candidate démocrate.

Un certain nombre de lecteurs auront tiqué en lisant le début de ma phrase. L’affreux « en termes de », ce calque ignoble de l’anglais. D’autres opineront du bonnet : aucun problème avec cette expression.

Une cheville répandue

« En termes de » est une cheville fort commode que l’on peut assez facilement remplacer : sur le plan de; en ce qui a trait à; pour ce qui concerne; relativement à.

Il faut toutefois être conscient qu’elle est fortement critiquée.

 La locution incriminée a exactement le même sens que l’anglais in terms of. Pour certains langagiers, elle est condamnable. Il faut dire que les dictionnaires généraux n’en font pas mention, bien que « en termes de » se voie dans la presse française.

Notons toutefois que l’Académie française considère l’expression comme un anglicisme. Le Figaro va dans le même sens, en citant l’Académie :

Non seulement la formule est incorrecte car elle est un produit directement importé de nos voisins anglais, donc un anglicisme, mais elle est abusive car elle ne peut en aucune façon remplacer son hypothétique équivalent « en matière de ».

La Vitrine de la langue française apporte une petite nuance :

La locution est aussi souvent utilisée par des auteurs reconnus et est assez courante dans la presse, et ce, non seulement au Québec, mais dans toute la francophonie. On ne saurait donc le déconseiller, du moins dans la langue courante.

Comme c’est souvent le cas, l’usage finira par trancher.

En termes de, utilisation correcte

La locution « en termes de » existait bien avant sa transformation sous l’influence de l’anglais. Elle signifie « dans le vocabulaire de, dans le langage de ». Par exemple, en termes de sport, set signifie « manche » dans une partie de tennis.

Le croiriez-vous, même l’auguste Balzac l’utilisait dans Un début dans la vie: « On appelle, en termes d’atelier, croquer une tête, en prendre une esquisse, dit Mistigris d’un air insinuant. »

Soit dit en passant, on peut aussi faire l’élision : en peinture, le mot italien sfumato est employé pour décrire la technique pratiquée par Léonard de Vinci.

Terme tout court

Le mot terme revêt plusieurs significations, particulièrement celle d’un mot dans sa valeur de désignation, comme dans l’exemple du mot set en langage de tennis.

Un terme peut également être une échéance, la date présumée de la fin d’une grossesse, un point où se termine un déplacement : arriver au terme du voyage.

Attention toutefois à la notion de mandat, en politique. Un gouvernement est généralement élu pour un MANDAT de quatre ans, et non pas pour un terme de quatre ans. Le mandat de ce gouvernement vient à terme après quatre ans.

Véto

Veto est un mot latin qui signifie « Je m’oppose ». Il est invariable. Les réformes orthographiques de 1990 nous permettent de l’écrire avec l’accent aigu : véto. On peut aussi l’écrire avec un pluriel français : des vétos.

Le véto est le pouvoir qu’un individu ou une organisation a de s’opposer à l’entrée en vigueur d’une décision. Les personnes en position d’autorité ont un droit de véto. Par exemple, le président des États-Unis peut utiliser son droit de véto pour invalider une loi adoptée par le Congrès.

Cooccurrences

Quatre verbes sont associés au mot véto.

  • Donner son véto.
  • Mettre son véto.
  • Opposer son véto.
  • Frapper de son véto.

Cette dernière expression nous est moins familière, mais Hugo et Proust l’ont employée.

Erreurs

L’Académie nous signale qu’apposer son véto est une faute. En effet, le verbe apposer signifie « poser sur quelque chose ».

On serait tenté de dire : imposer son véto. Selon moi, il y a redondance, car une personne opposant son véto se trouve à imposer sa décision. C’est sans doute pourquoi les ouvrages de langue ne le proposent pas comme cooccurrence.

Rétribution

Le retour au pouvoir de Donald Trump fait beaucoup jaser dans les chaumières et dans les médias. Le programme radical du criminel à la crinière dorée est en bonne partie axé sur ce que certains ont appelé la rétribution.

J’ai tiqué : une autre cocasserie de l’extrême droite américaine? Que vient faire ce mot en français? On aurait dit un cafard dans un plat de bonbons.

Vérification faite, rétribution n’a qu’un seul sens dans notre langue : c’est l’argent versé pour récompenser un travail. Cela ne cadrait pas avec les propos de l’excellente journaliste Azeb Wolde-Giorghis, dont le français est généralement impeccable.

Il est clair que, dans le contexte, il était question de vengeance et non de somme d’argent. On pourrait aussi parler de représailles. J’ai gentiment repris la journaliste sur le réseau à Musk et elle m’a répondu, avec toute la classe qu’elle affiche à l’écran : « Oh! Vous avez raison, j’avais vérifié rapidement et je pensais que ça pouvait être vu comme vengeance mais non! Merci de la correction! »

Il devrait y avoir un mot féminin pour gentleman.

Président élu

Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis aura toutes sortes de conséquences. L’effet se fera également ressentir sur le plan de la langue.

Président élu

M. Trump a été élu le mardi 5 novembre, mais il ne prendra ses fonctions que le 20 janvier, lors d’une cérémonie protocolaire qui se déroulera au pied du Capitole. Entretemps, le nouveau président préparera la passation des pouvoirs et choisira les membres de son futur cabinet.

Pendant cette période, Joe Biden continuera d’être président des États-Unis, tandis que M. Trump sera le président élu. Cette expression est un calque de l’anglais president-elect. On ne peut cependant pas affirmer qu’il s’agit à proprement parler d’une grave faute de langue, car le républicain est bel et bien le président élu.

On voit aussi le terme président désigné, qui constitue une excellente solution de rechange, et ne suit pas la démarche de l’anglais. On pourrait aussi parler du futur président, comme le signale l’Office québécois de la langue française.

Inauguration

Il y a quatre ans, j’avais mené une guerre sainte contre cet anglicisme totalement inacceptable en français en alertant plusieurs journalistes canadiens.

En anglais on inaugure un président, mais transcrire cette expression dans notre langue me fait voir… orange.

Le plus souvent, on inaugure un édifice ou un monument. Rarement est-il question d’un concept abstrait, bien qu’on puisse inaugurer une nouvelle politique, comme le signale le Robert. Une inauguration peut être le commencement, le début de quelque chose. Mais inaugurer une présidence me parait quelque peu forcé en français.

La question qui se pose est la suivante : peut-on inaugurer un président? Est-ce que Donald Trump sera inauguré le 20 janvier prochain? La réponse me semble évidente : NON.  Il serait plus juste de parler de l’assermentation, de la prestation de serment du nouveau locataire de la Maison-Blanche.

J’ai étudié plus en détail l’emploi abusif d’inauguration dans un article précédent.   

Ordre exécutif

Lorsqu’il prendra ses fonctions, le nouveau président aura le pouvoir de faire adopter des décrets, appelés executive orders, en anglais. Là encore, le calque est tentant et beaucoup s’y laisseront prendre. Pourtant, les ordres exécutifs ne sont rien d’autre que des décrets.

Tarifs

Le futur président américain est protectionniste, comme ses prédécesseurs. Il projette d’imposer des tarifs élevés pour les importations, ce qui affecte le Canada. Sans doute un raccourci pour tarifs douaniers.

Il serait plus exact de parler de droits de douane.

Pantoute

L’un des signes évidents d’intégration au Québec est l’utilisation de l’expression pantoute. En clair, elle signifie pas du tout, dont elle est vraisemblablement la contraction. On peut aussi la remplacer par aucunement, absolument pas.

Mais pourquoi donc la remplacer? Pantoute, c’est pittoresque, ne trouvez-vous pas?

D’ailleurs, le Robert et le Larousse la recensent, alors pourquoi se priver?

Le Robert indique qu’il s’agit d’un niveau de langue familier et que pantoute renforce une autre négation (pas et rien). Exemple : C’est pas vrai pantoute.

Le Larousse donne un autre exemple dans ce sens : « Ça marche pas pantoute. »

La beauté de la chose, c’est que pantoute peu s’employer de manière absolue.

« Es-tu allé au musée en fin de semaine? – Pantoute. »

C’est clair, net et précis. Objection, quelqu’un? Pantoute? Merci.  

Bête

C’est bête, on n’y pense pas, mais le mot « bête » peut avoir un sens assez différent, selon que vous habitez l’Amérique du Nord ou bien l’Europe francophone.

Une bête, c’est tout être qui n’est pas humain. Une bête féroce, le tigre. Le chat s’est fait écraser par un camion, pauvre bête… (le chat, évidemment, pas de pitié pour le VUS à trois rangées de sièges).

Des expressions colorées

Le mot vedette de cette chronique abêtissante a généré un tas d’expressions savoureuses :

  • Chercher la petite bête. C’est-à-dire être extrêmement méticuleux dans la recherche des erreurs, dans la critique.
  • Navalny était la bête noire de Poutine.
  • Depardieu est une bête de scène (une bête tout court, dirons certaines).

Une personne dominée par ses instincts : pensons à La bête humaine de Zola.

Votre ami est bête, parce qu’il est distrait. Il oublie sans cesse ses clefs de maison, il égare son téléphone.

Mais, le plus souvent, le mot de quatre lettres, comme diraient les anglophones, se réfère à une personne inintelligente. D’où les expressions suivantes :

 « Il est bête comme ses pieds. Il ne comprend rien à rien. »

« Elle n’est pas aussi bête qu’il n’y parait. En fait, elle est astucieuse, elle joue l’innocente. »

« La moitié des électeurs sont bêtes à pleurer. » Je vous laisse deviner où…

Au Québec

Toutes ces acceptions se voient aussi au Québec. Mais, dans notre contrée enneigée, le mot « bête » a pris un sens original : avoir l’air méchant, fâché. Être désobligeant, quoi.

Revenons à l’expression « Être bête comme ses pieds. » En Europe, on parle d’une personne imbécile, tandis qu’au Québec il est plutôt question d’un mufle.

Un exemple : vous entrez dans un magasin et le commis a l’air bête. Il ne veut manifestement pas vous servir et ne répond pas clairement à vos questions.

Et encore : vous faites du tourisme et vous demandez la direction de la gare à un passant. Il a été bête avec vous et a pointé vers la droite, d’un air agacé, avant de tourner les talons. Sale bête, va.

Conclusion

Grande convergence entre le Canada français, l’Europe et le reste de la francophonie, dans le sens traditionnel du mot. Le sens original adopté ici n’est pas (encore) répertorié dans les ouvrages de langue en Europe. Ça viendra sûrement.

Écœurant

Qu’est-ce qui cloche dans la phrase suivante?

Étienne n’arrête pas d’écœurer Émilie dans la cour d’école.

Tout dépend de quel côté de l’Atlantique vous vous trouvez. Au Québec et au Canada français, tout le monde comprend qu’Étienne embête la pauvre Émilie. Mais en Europe et ailleurs dans le monde francophone ce n’est pas si clair. On a plutôt l’impression que ce cher Étienne fait des trucs pour dégoûter sa copine; écœurée par toutes ces manigances, elle est partie en courant.

Pour les profs québécois qui surveillent la cour d’école, il est clair qu’Étienne est un écœurant, un petit voyou qui n’arrête pas d’achaler les autres. Les Français de l’ouest de l’Hexagone auront tout de suite compris que le brave garçon est une petite peste qui importune les filles.

Car Émilie n’est pas la seule. Tannée se faire écœurer, elle s’est plainte à son professeur. En bon français, elle est écœurée de se faire embêter. Bref, elle s’est lassée.

Un québécisme surprenant

En terre québécoise, la langue française se vêt d’atours nouveaux et parfois déroutants. Si le terme écœurant peut receler une connotation négative, il peut également, par une étrange transmutation, devenir un superlatif.

Chez La Patate dorée, ils servent une poutine écœurante!

Bref, une poutine fabuleuse, délicieuse, au summum…

Mais attention, il ne faudrait sûrement pas féliciter le chef à Marseille de la même manière :

Votre bouillabaisse est absolument écœurante! Mes félicitations au chef!

Il est clair que le cuistot sera choqué (sens québécois et français).

Lindbergh

Le chanteur québécois Robert Charlebois a composé une chanson intitulée Lindbergh, ma foi fort amusante à écouter. Le lien ici. Belle introduction à ce billet sur le monde aérien.

Monde agité par des turbulences anglo-saxonnes que l’on pourrait facilement éviter. Encore une fois, des différences notables entre l’Europe et le Québec.

Envolons-nous avec quelques anglicismes.

Tout d’abord, le personnel aérien. Nous avions jadis des hôtesses de l’air, jeunes, jolies et souriantes. C’était la norme naguère. Se sont joints à elles des hommes, que l’on appelle des stewards. Poche d’air… Deux noms complètement différents pour les mêmes fonctions. Heureusement, l’expression personnel de cabine nous sert de parachute, mais le doublet mal assorti existe toujours. Comme on dit au Québec, ça vole bas…

Au Québec, on parle tout simplement des agents de bord. Le terme se décline aisément au masculin et au féminin, sans avoir le vertige ni la nausée. Le mal de l’air, vous connaissez?

Si vous voyagez en Europe, vous prendrez peut-être un charter, c’est-à-dire un vol nolisé. Selon le Larousse un charter se définit comme suit : « Avion affrété par une organisation de tourisme dans le cadre d’un service non régulier. » Vol nolisé est donné comme synonyme.

Enfin, le tout nouveau low cost, un Icare aux ailes de cire, d’une inutilité flagrante, qui se rend par vol à bas prix ou vol à bas coût, nous disent les dictionnaires. Wright on, dirait-on en anglais.

Pour terminer cette chronique aérienne, je vous suggère d’écouter les vidéos particulièrement instructives de cette fausse hôtesse de l’air, Karine de Falchi. Son site s’appelle Air Exxion… Elle est aussi rigolote que coquine, mais on y apprend un tas de choses.

Elle donne des ailes au français.

Bon voyage!

Les douanes

Les Québécois adorent aller se faire bronzer sur les plages américaines, quand ce n’est pas d’aller visiter des villes fabuleuses comme New York, Boston ou Washington.

Les touristes québécois et canadiens courent cependant un risque : celui d’être refoulés aux douanes américaines. Pourquoi? Parce qu’ils portent un nom de famille identique à celui d’un criminel notoire. Les douaniers états-uniens ne sont pas des rigolos, surtout depuis les attentats islamistes du 11 Septembre.

Les touristes malchanceux peuvent être carrément refoulés à la douane américaine.

Les douanes?

Les lecteurs européens, africains et asiatiques ont peut-être tiqué en lisant les douanes. Normalement, on parle de la douane; on pourrait dire aussi la frontière, quand le contexte est clair.

Le pluriel les douanes s’entend continuellement dans les médias francophones canadiens et il s’agit d’un anglicisme. L’anglais nous parle des customs. Il s’agit donc d’un calque syntaxique, insidieux, qui passe inaperçu de ce côté-ci de l’Atlantique.

Les dictionnaires français donnent des exemples seulement au singulier : payer la douane, s’arrêter à la douane, être exempté de douane.

On peut aisément remplacer douane par poste frontière ou poste frontalier.

Un anglicisme?

Le calque me parait évident. Bien entendu si on parle d’un ensemble de postes frontières, on pourra dire les douanes. Mais l’usage penche nettement pour le singulier dans l’ensemble de la francophonie, sauf au Québec.

Autre anglicisme à éviter : les lignes américaines. En français on parle de la frontière américaine.

Box

Le mot anglais box est rarement utilisé au Canada, à moins d’aimer l’équitation ou de suivre l’actualité juridique de près.

En effet, les chevaux sont logés dans un box, c’est-à-dire un enclos qui leur est réservé. Les accusés à un procès possèdent aussi leur box, soit un compartiment cloisonné dans la salle du tribunal. On parle du box des accusés.

Jusqu’à maintenant, tout est clair. Les autres acceptions en Europe étonnent de ce côté-ci de l’Atlantique. Un box dans un garage ou un dortoir… pas vraiment ici. On parlera plus simplement d’un espace.

Si vous désirez vraiment mettre un Canadien francophone en boite… eh bien parlez-lui d’un « Coffret cadeau thématique donnant accès à des prestations… » ou encore « … à des produits thématiques ». Vous achetez un nouvel ordinateur et la vendeuse au cœur d’or vous donne un ensemble-cadeau… avec des autocollants, une souris et son tapis personnalisé. « Je vais vous chercher un box », a-t-elle annoncé… Vous auriez compris? Pas moi.

Box-office

Comme je l’ai indiqué dans un autre billet, les anglicismes sont très fréquents dans le monde du spectacle, et box-office est l’un d’entre eux. Les médias l’emploient continuellement, sans que personne ne pense à parler des succès aux guichets de tel ou tel film. Ou encore une pièce de théâtre qui a fait des recettes extraordinaires. Il y a de quoi boxer tous ces rédacteurs.

Morale de cette histoire

Les emprunts à d’autres langues acquièrent une vie qui leur est propre. Leur sens s’étire et s’éloignent du sens original. De plus, leur utilisation peut varier d’un pays à l’autre de la francophonie.