Une présidence sans bon sens
La présidence américaine actuelle ressemble beaucoup à ce qu’on voyait dans le film Vol au-dessus d’un nid de coucous. Sauf qu’il n’y a pas d’infirmière à poigne capable de remettre de l’ordre dans la cabane.
Le comportement erratique, pour rester poli, du locataire de la Maison-Blanche, suscite l’émoi partout dans le monde. Trump ne comprend pas les mécanismes du commerce international et il a lancé son pays dans une guerre commerciale tous azimuts, provoquant une chute des marchés et possiblement une récession.
Cette présidence démentielle ne peut durer éternellement. Le silence assourdissant des élites, des anciens présidents, du Congrès et de la population ne peut durer éternellement. La marmite va finir par sauter, d’une manière ou d’une autre.
Exception notable : le sénateur Bernie Sanders qui dénonce l’oligarchie en place et parle des Trumpsters et des Muskateers.
La question que tout le monde se pose : le président Trump peut-il être renversé en respectant les mécanismes constitutionnels?
La réponse sans nuances est un retentissant NON.
Un régime présidentiel
Les États-Unis ne sont pas une démocratie parlementaire comme le Canada, mais un régime présidentiel. Les Canadiens évoluent dans un système britannique basé sur le Parlement de Westminster. Dans une démocratie parlementaire, les membres du gouvernement doivent être issus du Parlement. En théorie, les députés peuvent retirer leur confiance au gouvernement en place en votant la censure. Le gouvernement doit alors démissionner, ce qui peut mener à de nouvelles élections.
Cela signifie que c’est principalement la Chambre des communes qui mène le jeu.
Nos voisins du sud ne suivent pas du tout la même logique.
Le président est élu au suffrage universel par la population, contrairement à notre premier ministre. Il est en poste quatre ans et ne peut être élu plus de deux fois. C’est inscrit dans la Constitution.
Les États-Unis vivent sous le régime de la séparation des pouvoirs. Le président forme un cabinet et gouverne. Le congrès vote les lois et le budget, tandis que les tribunaux surveillent la légalité des lois.
En aucun cas, le Congrès n’est-il habilité à renverser le gouvernement. Il n’a pas ce pouvoir, point à la ligne. Il dispose quand même de pouvoirs étendus, peut convoquer des ministres pour les interroger, lancer des enquêtes, bloquer les crédits budgétaires, etc.
Le Congrès n’a aucun moyen de censurer le gouvernement et de provoquer de nouvelles élections à la présidence. Il doit se contenter de surveiller l’action du gouvernement, mais dans certaines limites.
De son côté, le président ne peut dissoudre le Congrès, ni provoquer des élections anticipées. Il doit composer avec le Congrès qui est élu avec lui. Seules des élections de mi-mandat, aux deux ans, peuvent changer le paysage politique états-unien. La totalité de la Chambre des représentants est réélue et un tiers du Sénat.
Ces élections auront lieu en novembre 2026, une éternité dans le contexte actuel. Elles sont loin d’être une panacée. Habituellement, les États-Uniens manifestent leur grogne devant l’administration en place en élisant des députés de l’opposition. Le président peut même perdre sa majorité au Sénat et à la Chambre des représentants. Toutefois, je le rappelle, nous sommes en régime présidentiel et non en démocratie parlementaire. On ne peut censurer le président. Mais celui-ci aura plus de mal à faire passer les projets de loi qu’il propose au Congrès.
À la lumière de la tragédie démocratique qui se déroule au sud de notre frontière, ces entraves législatives paraissent dérisoires.
En clair, le président est en poste pour quatre ans. S’il meurt ou devient incapable d’exercer ses fonctions, le vice-président le remplace. Cela signifie que l’administration en place ne peut être dégommée. Nos voisins ont élu un républicain à la présidence, eh bien celle-ci sera républicaine pour les quatre prochaines années.
Le régime constitutionnel états-unien ne permet pas de renverser Donald Trump.
Une Constitution respectée
L’architecture constitutionnelle états-unienne est réglée comme une horloge. Les États-Unis vivent dans une démocratie présidentielle depuis plus de 200 ans. Les présidents passés se sont toujours assurés de respecter l’esprit et la lettre du texte de 1787, année où les États-Unis modernes ont été fondés.
Le président Washington ne voulait pas devenir un tyran; il a gouverné avec beaucoup de circonspection; il a fallu lui forcer la main pour qu’il se représente à la présidence.
Le président Franklin Roosevelt s’est impatienté de voir la Cour suprême entraver en partie son New Deal, et projetait d’élargir le tribunal à 15 membres pour le mettre en échec. Il n’a jamais osé le faire.
Le président Nixon a perdu de justesse l’élection présidentielle de 1960. Le père de John Kennedy a demandé à la mafia d’aider son fils à se faire élire. On ne saura jamais si cet apport a été décisif ou non. Toujours est-il que Nixon n’a jamais protesté en disant que c’est lui qui avait gagné et que l’élection était truquée.
Pendant le scandale du Watergate, le même Nixon s’est plié à un ordre de la cour et a remis les fameux enregistrements de ses conversations à la Maison-Blanche.
Trump n’aurait jamais fait cela. Ceux qui doutent de la réalité de son projet autocratique devraient se rappeler de ses paroles : « Je vais mettre fin à la Constitution. »
La Constitution états-unienne fonctionne tant et aussi longtemps que tout le monde joue le jeu. Mais qu’arrivera-t-il si l’administration états-unienne remet en question les jugements de tribunaux, comme elle semble vouloir le faire dans certains cas? La Cour suprême n’a aucun pouvoir coercitif pour forcer le gouvernement à obéir à ses ordres. Comme disait Staline, le pape, combien de divisions?
Plus inquiétant encore, le président s’est lancé dans une guerre sans merci contre les juges qui s’opposent à lui, les traitant de tous les noms. Il veut exercer des représailles contre les juristes qui ont enquêté sur lui dans le passé. On n’a jamais vu cela avant.
Le président Trump coche toutes les cases d’un partisan de l’autocratie : non-respect des institutions, insultes contre ses adversaires, appels à la violence, tentative ratée de coup d’État, etc.
Nos voisins sont à la croisée de chemins.
Destituer Trump?
La seule façon d’empêcher Donald Trump de continuer à gouverner est de le destituer. L’ennui étant qu’il a déjà été mis en accusation deux fois et que la procédure a échoué, même en 2021 après qu’il a incité ses partisans à prendre d’assaut le Capitole pour empêcher le Sénat de certifier l’élection de Joe Biden. Le président sortant voulait renverser le résultat des élections présidentielles, rien de moins.
La procédure de destitution, appelée impeachment en anglais, est précisée dans la Constitution. La Chambre des représentants vote un Bill of Impeachment, qui est un acte d’accusation contre le président, le vice-président ou un ministre.
Est passible de destitution tout dirigeant qui commet un crime très grave (high crime) ou un délit (misdemeanor). Le problème étant que ces deux termes ne sont pas définis dans le texte constitutionnel…
Cet acte d’accusation est ensuite transmis au Sénat. Les sénateurs se transforment en procureurs et peuvent interroger l’accusé, comme dans une cour de justice. Ultimement, les sénateurs peuvent destituer le président si l’un des chefs d’accusation est retenu à la majorité des deux tiers.
Cette démarche est entachée d’une certaine naïveté. Il faut dire qu’elle a été élaborée lors de la révision constitutionnelle de 1787. À cette époque, les partis politiques n’existaient pas et la vie politique était très différente d’aujourd’hui. On imaginait mal l’avènement d’organisations structurées et idéologiques que sont les formations politiques actuelles. Les constituants s’imaginaient que les sénateurs sauraient s’affranchir de toute partisanerie et jugeraient l’accusé en toute objectivité. Ce n’est évidemment pas le cas.
La destitution est une procédure exceptionnelle qui n’est pas destinée à devenir un outil politique pour censurer un adversaire politique. Mais elle comporte une faille majeure : elle ne fonctionne pas.
Aucun président n’a été destitué en plus de 200 ans. Andrew Johnson, le président qui a succédé à Abraham Lincoln en 1865, a passé à un vote près de perdre son poste. Et non, Nixon n’a jamais été destitué : il a démissionné avant que la Chambre des représentants n’adopte un projet de loi visant la destitution. Clinton a été innocenté pour parjure et entrave à la justice, même si une majorité des sénateurs l’en a en reconnu coupable, mais pas à la majorité des deux tiers. Trump est le seul président à avoir été visé deux fois par la procédure.
Pourrait-on essayer une troisième fois? Bien sûr que oui, et les motifs ne manquent pas.
Dans un pays normal, Donald Trump aurait déjà été arrêté pour haute trahison, en raison de sa complicité avec la Russie. Des médias sérieux, comme la revue française Le Point, détaillent son association de longue date avec les autorités russes.
L’ennui, c’est que les démocrates sont minoritaires dans les deux chambres du Congrès. Il devient donc impossible d’entamer la procédure. À moins d’un miracle.
Et même si on y parvenait et que le locataire de la Maison-Blanche était évincé, qui le remplacerait? Je vous le donne en mille : le cerveau de l’Ohio, le vice-président J.D. Vance, qui partage les idées de Trump. N’oubliez pas de dire merci s’il devient président.
Alors quoi? Destituer Vance à son tour? Destituer tout le gouvernement états-unien? On rêve. En cas de blocage complet, c’est le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, qui serait nommé président des États-Unis. Johnson a été désigné par la frange la plus fanatique des trumpistes qui hantent la Chambre des représentants… C’est mieux?
L’éventuel président Johnson nommerait à son tour un cabinet qui pourrait étrangement ressembler à celui de Trump… Le cauchemar se poursuivrait.
La suite des choses dans le monde à l’envers
La classe politique est pétrifiée, le peuple états-unien semble indifférent à ce qui se passe… pour l’instant. Une vérité s’impose : les moyens prévus par la Constitution états-unienne ne sont pas suffisants pour neutraliser Donald Trump, surtout si celui-ci entre en guerre contre le système de justice et ne respecte plus les ordres des tribunaux.
C’est le monde à l’envers et il est impossible de prédire la suite des choses.
Malheureusement, l’impasse constitutionnelle actuelle pourrait inciter certaines personnes à utiliser d’autres moyens pour nous débarrasser du fou furieux de la Maison-Blanche. Cela pourrait mener à une guerre civile.