Encourager les librairies

L’été bat son plein et nous cherchons tous de bonnes lectures pour meubler (en partie) nos vacances. Heureusement, certains magasins ont déjà sélectionné des livres de lecture facile, pour la plage ou le camping. Ce sont les grandes surfaces. En outre, elles nous les offrent à prix alléchants, souvent réduits de quinze, vingt pour cent. Les livres ne sont pas donnés, alors la tentation est forte de se procurer les derniers romans à la mode, le guide de l’auto et autres chez Costco ou Wall Mart, pour ne pas les nommer.

Les consommateurs en quête d’économies bien légitimes ne se rendent pas compte que ces achats sont autant de coups portés à la survie des librairies indépendantes. Les grandes surfaces viennent tirer le tapis sous les pieds des librairies en bradant le prix des best-sellers. J’ai oeuvré dans le monde du livre pendant quelques années et je puis vous dire que les ventes de livres populaires (romans, livres de recettes, guides pratiques, etc.) sont le pain et le beurre des librairies. Les profits réalisés leur permettent de tenir un stock de fond, moins rentable, certes, mais nécessaire. Lorsque vous chercherez un roman d’Anne Hébert ou de Michel Tremblay, c’est là que vous le trouverez, jamais chez Costco. Et si vous désirez un conseil particulier, votre libraire pourra répondre intelligemment à votre question car il lit des tonnes de livres tous les ans et ses connaissances en littérature valent de l’or.

 Or, la situation des librairies est déjà assez précaire merci à cause des achats en ligne auprès de grandes chaînes américaines, comme Amazon. De plus, les grandes surfaces se fichent complètement de l’épanouissement de la culture : pour elles, les livres sont une marchandise au même titre que les chemises ou les conserves de tomates. C’est pourquoi les grandes surfaces sélectionnent les livres qui se vendent les plus facilement et, ce faisant, tuent à petit feu les vrais marchands de livres.

Avant d »acheter un lot de polars scandinaves en faisant votre épicerie ou en achetant des chaussettes, demandez-vous si les quelques dollars économisés en valent vraiment la peine. Avez-vous envie de voir disparaître votre librairie de quartier où vous aimez tant bouquiner?

Pensez-y.

 

Les noms de lieu aux États-Unis

Pour les vacances, beaucoup prendront la route de l’Amérique des États-Unis. De la toponymie en Amérique… petit divertissement pour langagiers en goguette.

Lorsque j’ai rédigé un lexique sur les noms géographiques, j’ai vite constaté que la traduction des noms de lieux n’avait rien de logique. Bien entendu, on a traduit en français les toponymes des pays voisins de la France, soit l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique… mais pas l’Angleterre, pour cause de guerre de Cents Ans, probablement. À part Londres et Édimbourg, les grandes villes britanniques restent telles quelles : Manchester, Birmingham, Liverpool, Glasgow… Même les noms de régions font l’objet de bien peu d’attention.

Le même phénomène s’observe aux États-Unis. Petite question : quelles sont les deux seules villes dont le nom est traduit en français?

La réponse ne vient pas spontanément, n’est-ce pas? Philadelphie et La Nouvelle-Orléans.

Deux autres villes possédaient des graphies francisées : New-York et Détroit. La première a perdu son trait d’union, tandis que l’autre a été dépouillée de son accent aigu. Très fâchant, soit dit entre nous, car Détroit porte un nom français, parce que fondée par les Français. Voir mon article à ce sujet.

Nos cousins ont exploré une bonne partie du territoire états-unien : personne n’a oublié que la Louisiane a été vendue par Napoléon; le ville de Saint Louis a été baptisée en l’honneur d’un roi de France, même si sa graphie a été anglicisée. D’ailleurs, le pays regorge de toponymes français : Juneau, Pierre, Racine, Providence, Maine, Vermont, etc. Soit dit en passant, certains noms semblent provenir du français, mais il n’en est rien. Ce sont des formes francisées de noms amérindiens; un bel exemple : l’Illinois. Ces mots sont aujourd’hui prononcés à l’anglaise, bien entendu, mais on ne peut les considérer comme des traductions.

Car traductions il y a. Notamment les noms d’États, Californie, Floride, Pennsylvanie, Nouveau-Mexique… Ici apparaît une première incongruité : pourquoi n’a-t-on jamais traduit New Jersey et New Hampshire? Il aurait été tout aussi facile de les transposer en français que pour des noms comme la Caroline du Nord, la Caroline du Sud, la Dakota du Nord, le Dakota du Sud.

Deuxième incongruité, celle-là toute québécoise, la prononciation des nasales inexistantes dans Wisconsin, Michigan, et Boston, que nos cousins européens s’escriment à prononcer à l’anglaise, dans la mesure de leurs moyens… Wisconnesinne, Michiganne et Bostonne… Pourtant, Houston, Oakland ne subissent pas de semblables altérations au Canada; on les prononce à l’anglaise. Pourquoi les trois premiers, mais pas les deux derniers? Mystère. En revanche, les Européens francophones prononceront la nasale dans Clivelande… pour Cleveland, cette fois-ci prononcé correctement par les francophones canadiens.

Morale de cette histoire : ne pas chercher de logique. L’usage est un méandre irrationnel et malheureusement incontrôlable.

Le plus amusant, dans tout cela, c’est qu’un plus grand nombre de toponymes états-uniens ont finalement été traduits en français que de toponymes britanniques. Il faut dire qu’il existe une relation de complicité entre la France et les États-Unis qui peut expliquer ce phénomène.

Les Amériques

Depuis de nombreuses années, il est de coutume de parler DES Amériques, plutôt que de l’Amérique, pour désigner notre continent. Ce pluriel pourrait à la rigueur se justifier en soulignant la pluralité des cultures américaines, le grand nombre d’États qui existent sur notre continent, etc. Mais ce raisonnement n’est rien d’autre qu’un magnifique sophisme, car, à bien y penser, on pourrait aussi parler DES Asies, DES Europes…

Il faut chercher l’origine de ce pluriel chez nos voisins du sud, pour qui le terme America ne renvoie pas au continent – sauf lorsqu’il est question de Christophe Colomb qui « découvre » l’Amérique… En fait, America est le diminutif de United States of America. Nous connaissons la propension des anglophones à tout réduire… y compris leur prénom (quand on pense qu’un président se faisait appeler Bill, au lieu de William…). America en est donc venu à désigner la colonie en rupture de ban avec la Grande-Bretagne et, conséquence logique, le gentilé American a été adopté pour désigner ses habitants.

Ce qui nous a donné Américain en français, faux sens qui s’est imposé, qu’on le veuille ou non. Devant ce phénomène, les francophones plus soucieux de la langue ont introduit États-Uniens, que d’aucuns condamnent, le considérant comme un barbarisme, ce qu’il n’est nullement, puisqu’il figure dans les grands dictionnaires depuis plusieurs décennies. Le terme n’est ni ironique, ni péjoratif, contrairement à ce que l’on croit souvent ; il qualifie les habitants des États-Unis. Les détracteurs d’États-Uniens (aussi écrit Étasuniens) auraient intérêt à regarder du côté du monde hispanique, où Estadounidense est d’usage courant.

Revenons à America. Puisque ce mot est uniquement employé pour parler du pays, il fallait bien en trouver un autre pour désigner le continent et on a eu l’idée de mettre le toponyme au pluriel, the Americas. Le français a fini par être contaminé il y a déjà un bon bout de temps. Pensons au roman de Kafka, Amérique, dans lequel il n’est nullement question du continent. Pensons aussi à Tocqueville, De la démocratie en Amérique, dans lequel il analyse le système politique états-unien. Un simple coup d’œil dans la presse française nous montre qu’Amérique est employé à profusion pour parler de la première puissance mondiale. Le risque de confusion avec le nom du continent croît avec l’usage. Les francophones ont donc adopté la solution états-unienne de mettre le nom du continent au pluriel, d’où les Amériques.

Et d’où un certain flou artistique dans la presse et les publications francophones, les rédacteurs employant Amérique tantôt pour désigner le continent, tantôt pour parler du pays.  Le plus simple, en fin de compte, n’est-il pas de dire les États-Unis?

Les informaticiens et le français

Parlez-vous klingon? Vous y avez intérêt, car le jargon des informaticiens est impénétrable.

Erreur 401, RAM, HDMI, LCD une prolifération de sigles incompréhensibles, comme si les réalités informatiques ne pouvaient s’exprimer en langage normal.

Derrière ce langage kabbalistique, on devine le sabir du slang anglo-américain, l’obsession des sigles pour tout raccourcir. Mais surtout cette conviction que l’utilisateur normal en sait autant qu’eux.

D’où ces messages d’erreur incompréhensibles. Vous n’avez pas accès à une page, mais on ne vous dit pas pourquoi…

Ce sont hélas les informaticiens qui conçoivent les logiciels de traitement de texte… et, le moins que l’on puisse dire, c’est que la convivialité est souvent laissée de côté, surtout quand il s’agit de respecter la langue française.

Commençons par les accents. L’obstacle le plus important dans la dactylographie française, ce sont les accents. D’innombrables mots prennent un accent. Or, seul le E accent aigu possède une touche distincte permettant de le taper d’un seul coup. Dès que vous désirez taper un mot comme révèle, vous devez utiliser le caractère accentué de l’accent grave et ensuite le E. Deux frappes pour une lettre. Idem pour l’accent circonflexe, qui a au moins le mérite d’être plus rare, voire d’être presque éliminé, si vous avez adopté la nouvelle orthographe. Seuls les heureux possesseurs d’un ordinateur Apple bénéficient de touches distinctes pour le À, È, le Ù et le Ç. On se demande pourquoi les autres entreprises n’offrent pas le même choix aux francophones. Si vous avez un PC, sachez qu’il faut sélectionner le clavier canadien multilingue pour obtenir les touches accentuées À et È, sauf qu’elles ne sont pas indiquées sur le clavier, mais on s’habitue vite. Bien beau tout ça, mais pourquoi faut-il donc ruser avec son ordi pour avoir ce que l’on veut?

Quand on pense que nos amis anglophones ne tapent jamais de signes diacritiques…

Deux signes de ponctuation reviennent constamment dans nos textes : le tiret et l’apostrophe. Le français exige une grande quantité d’apostrophes et nous devons continuellement les taper à l’aide de la touche Majuscule et celle de la virgule. Cette gymnastique devient vite lassante lorsqu’on tape un long texte. Les anglophones utilisent la touche réservée à l’accent grave pour taper d’une seule frappe toutes les apostrophes. Avantage Anglos, encore une fois.

Mais nos charmants voisins souffrent autant que nous de l’absence du tiret dans les claviers (et Dieu sait qu’ils adorent en saupoudrer leurs textes). Une aberration ! Utiliser le trait d’union à la place du tiret constitue une faute de typographie. Mais où est donc le tiret ? Dans les caractères spéciaux, voyons ! Pour le taper, vous devez aller dans le menu prévu à cet effet (compliqué) ou encore connaître la formule kabbalistique Alt + nombre, à moins que vous ne soyez prêts à faire le grand écart : touche Contrôle et trait d’union du pavé numérique…  C’est finalement la méthode la plus simple. Le Mac n’est pas mieux à cet égard, à moins que la touche ne soit cachée quelque part… J’ai fait une macro dans Word, faute de mieux.

Les correcteurs orthographiques signalent sans cesse que le OE dans «œuvre» doit être ligaturé. Pourquoi n’a-t-on pas prévu de touche à cet égard? Pour ne pas devenir fou, il faut créer une macro pour taper cette double lettre ou s’en remettre au correcteur automatique.

Mais à quoi pensent au juste les informaticiens ? Le plus bête, c’est que des symboles comme < et  > sont à portée de la main sur le clavier. Je ne les ai jamais utilisés. Il me semble qu’on aurait pu y insérer les deux types de tiret, cadratin et demi-cadratin. Trop simple. D’ailleurs, les informaticiens ne connaissent pas de tels mots savants… qui deviendraient sans doute des sigles comme CDT et 1/2CDT… Je suis méchant, mais ça fait du bien.

Et pourquoi pas une touche pour insérer une espace insécable ? Pardon, je fabule.

Autre problème : lorsque les Québécois collent le point-virgule, le point d’interrogation et le point d’exclamation sur la lettre précédente, ils commettent une faute de typographie, car ces signes requièrent une demi-espace, appelée espace fine. Tout bon éditeur respectera cette règle en vertu de laquelle le point-virgule, par exemple, est légèrement distancé de la lettre précédente. L’espace fine permet de « décoller » le point d’exclamation de la lettre précédente, ce qui le met plus en évidence. Croyez-le ou non, mais cet espace n’existe pas sur nos claviers, et les Européens le remplacent par une espace complète, ce qui n’est pas très joli. À l’heure où nos ordinateurs sont gonflés aux stéroïdes se conjuguant en méga, en giga et en téra-octets, il est toujours impossible de faire une demi-espace en tapant…

La logique des développeurs n’est jamais la même que celle des utilisateurs. Et je ne vous parle même pas des appareils photos.

 

 

 

 

Joindre

La faute est courante et passe inaperçue : tel sénateur déchu joint la firme d’experts-conseils Swindler, Bribery and Associates. Au sens propre, joindre signifie ajouter, mettre ensemble ou établir une communication. Il est donc clair que ce verbe est mal employé lorsqu’une personne rejoint les rangs d’un groupe, d’une entreprise, d’une équipe sportive. Encore une fois, nous marchons sur les traces de l’anglais.

Le verbe joindre, dans ce sens, se conjugue à la forme pronominale, se joindre à. Par exemple : telle personnalité se joint au Parti libéral du Canada. On peut aussi dire qu’elle adhère à cette formation, qu’elle s’y associe, s’y inscrit ou qu’elle en devient membre. Elle fait maintenant partie des effectifs du parti en question, et non pas de son membership, anglicisme pourtant facile à remplacer.

Une autre expression souvent employée est joindre les rangs. Autre anglicisme. En français, on rejoint les rangs, expression toute militaire, soit dit en passant, qui va de pair avec rentrer dans le rang, qui signifie accepter la discipline d’un groupe. Par analogie, on peut donc rejoindre les rangs d’un parti.

Une belle formulation serait aussi grossir les rangs d’un parti.

Rejoindre

Ce verbe signifie regagner un lieu, joindre de nouveau. La Banque de dépannage linguistique précise :

Lorsque le sujet désigne une personne, rejoindre peut signifier « gagner ou regagner un lieu », « retrouver ou rattraper quelqu’un », ou encore « se joindre à une personne ou à un groupe ». Il peut aussi être employé pronominalement dans certains sens. À titre indicatif, notons que le verbe rejoindre suppose, dans plusieurs de ses emplois, l’idée d’un mouvement physique effectué par une personne en direction d’une autre personne ou d’une chose.

Les exemples donnés sont clairs :

–  Paul venait de rejoindre l’autoroute lorsqu’il a eu son accident.

–  Je crois que ce sera plus simple si je vous rejoins directement au restaurant.

–  Gérard avait mal commencé la course, mais il a rejoint le peloton de tête rapidement.

–  Nous nous sommes rejoints devant la gare du Palais.

–  Annette a rejoint notre association il y a plus de dix ans.

Au téléphone

Pendant qu’on y est, précisons que si vous cherchez à rejoindre quelqu’un, c’est probablement parce que vous lui courez après ! Votre amie a eu l’idée saugrenue de fermer son cellulaire, de se couper du monde vivant ? Si elle reprend ses sens, vous lui direz plus tard que vous avez cherché à la joindre au téléphone. Rejoindre quelqu’un au téléphone est un non-sens.

Impact

« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » Dixit La Fontaine. C’est un peu ce que l’on pourrait écrire au sujet de cette véritable épidémie d’impacts qui dévaste la langue journalistique depuis plus d’une décennie. Il n’est pas rare de l’entendre deux fois et plus dans la même phrase. La chef d’antenne du Téléjournal de Radio-Canada l’emploie sans relâche.

Pourtant les synonymes existent : retentissement, effets, conséquences, contrecoups, etc.

Malheureusement, les médias contaminent le public, ce qui mène à un appauvrissement du vocabulaire. Nous avons des impacts partout : en économie, en politique, en environnement, dans les services sociaux, dans les transports en commun, etc.

Il faut être conscient qu’un impact est un choc violent : l’impact d’une collision entre deux véhicules; l’impact d’une balle de pistolet dans un mur. Normalement, le terme devrait être réservé à ce genre de circonstances. Bien entendu, on peut l’employer sous forme de métaphore ou d’hyperbole, pour amplifier notre propos, et c’est justement ce à quoi nous assistons tous les jours, sous l’influence de l’anglais, il va sans dire.

L’ennui, c’est qu’à force d’utiliser impact dans tous les contextes, il finit par s’émousser. Surtout quand n’importe quelle conséquence, de la plus banale à la plus grave, devient un impact.

En finir avec impact

Avec un peu d’imagination, on peut pourtant remplacer cet envahisseur par un verbe. Quelques suggestions : se répercuter sur, avoir un retentissement sur, faire sentir ses effets sur, influer sur, retentir sur, avoir des répercussions…

Soulignons que le mot fait maintenant partie d’expressions consacrées, comme impact médiatique, impact environnemental, étude d’impact environnemental. On aurait pu trouver mieux.

Impact a malheureusement enfanté un monstre : impacter, qui fait l’objet d’un autre billet