Plaidoyer pour une réforme du français

Les projets de réforme du français ne sont pas nouveaux. Au fur et à mesure que les décennies s’égrenaient, auteurs, grammairiens ou simples observateurs ont proposé des réformes plus ou moins ambitieuses en vue de simplifier de notre belle langue. Et pour cause.

Le français possède une des grammaires les plus déroutantes et capricieuses qui soit. Son orthographe est arbitraire, tantôt basée sur l’étymologie, tantôt sur des traditions dépassées quand ce n’est pas sur des fautes de transcription…

On croirait volontiers qu’une puissance occulte s’est ingéniée à tout compliquer ce qui aurait pu être simple. Comble de malheur, la maîtrise de cette complexité est devenue, en France et ailleurs, un signe d’érudition et d’avancement social. Grammaire et orthographe sont en quelque sorte le trésor d’une secte d’initiés qui ont démontré leur supériorité. D’où cette résistance farouche à enclencher une révision du français, si prudente soit-elle.

Ce conservatisme est malheureusement bien implanté. En France, la simple idée de moderniser notre langue hérisse à peu près tout le monde à un point tel qu’en discuter est vu comme une hérésie par beaucoup de gens. C’est pourquoi les timides rectifications de 1990, qui ne changent à peu près rien, ont suscité un tollé.

Les maisons d’édition, les grands journaux, les écrivains de renom ignorent complètement ces rectifications.

Résultat : les francophones perdent un temps fou à mémoriser des orthographes illogiques, à apprendre des règles de grammaire déroutantes et toutes les exceptions qu’elles comportent.

C’est pourquoi j’ai écrit Plaidoyer pour une réforme du français, livre dans lequel j’ai cherché un point d’équilibre entre une modernisation de l’orthographe sans pour autant écrire au son; une simplification de la grammaire tout en gardant les accords de verbe qui se feraient d’une manière différente. Bref réformer avec prudence, sans tout saccager, toute réforme radicale étant vouée à l’échec.

Cet ouvrage, écrit dans un style vivant, est à la portée de tous. Il traite de l’histoire du français, des tentatives de réforme avortées et propose une trentaine de changements d’envergure qui pourraient servir de base à une réforme plus ambitieuse de notre langue.

Plaidoyer pour une réforme du français est en vente dans les librairies. Vous pouvez aussi le commander directement aux éditions Marcel Broquet.

Cynique

Êtes-vous cyniques par rapport à la politique? Vous en avez assez de la bêtise humaine, des théories du complot? De votre employeur? De ces blogueurs qui prétendent tout savoir?

Vous n’avez peut-être pas tort. Du moins en anglais.

J’ai déjà traité de la question (pas de l’enjeu, pas de la problématique…) des faux amis, ces mots communs à l’anglais et au français qui ont un sens voisin ou différent. Ils constituent un piège redoutable dès que l’on gribouille et scribouille dans un milieu bilingue. Par exemple au Canada.

Au fil des écritures, le sens véritable de cynique s’est perdu. En français, une personne cynique se conduit avec insolence et méprise les conventions sociales. L’imbuvable président américain en constitue un exemple éloquent.

Ce genre d’individu trouve malheureusement sa réplique dans des pays comme le Brésil, la Grande-Bretagne, la Turquie, le Bélarus, entre autres. Preuve que les Américains n’ont pas le monopole de ce genre de conduite.

Les dirigeants sont source de désillusion; les populations deviennent pessimistes, sceptiques, amères, peinées, dégoûtées, désespérées. Entre autres et à divers degrés.

Je ne sais pas si le sens véritable de cynique peut reprendre sa place dans les écrits canadiens. Il y a en effet de quoi être découragé devant le peu d’intérêt que les rédacteurs manifestent souvent envers leur outil de travail, le français.

Biélorussie

… ou Bélarus?

Le pays a fait son entrée à l’ONU en 1991 sous le nom de Bélarus, une transcription approximative de son nom véritable, qui se prononce Bélarousse.

Les anglophones ont rapidement adopté cette dénomination, Belarus, tandis que les ouvrages et les médias de la francophonie s’en tiennent le plus souvent à Biélorussie. Ce conservatisme toponymique n’est pas sans rappeler celui qui touche Bombay/Mumbai ou encore le célèbre Pékin/Beijing.

La question étant la suivante : doit-on systématiquement adopter les appellations suggérées par les États étrangers ou conserver celles, plus traditionnelles, de la francophonie?

Chose certaine, les dictionnaires et encyclopédies françaises ont toutes leur entrée à Biélorussie, ce qui rend la tâche difficile aux rédacteurs francophones. Le même problème se pose avec le nom de la capitale, Minsk, qui n’est rien d’autre qu’une forme russifiée de Mensk, nom véritable de cette ville. Là encore, ne cherchez pas Mensk dans les ouvrages français…

Le gentilé variera bien sûr selon qu’on utilise Biélorussie (Biélorusse) ou Bélarus (Bélarusse).

La Russie blanche

On appelait jadis la Biélorussie Russie blanche. C’est à tort qu’on y verrait une référence au puissant voisin de l’est. On fait plutôt référence aux anciens territoires de la Ruthénie (du IXe au XIe siècle), dont une partie était située sur l’espace occupé actuellement par le Bélarus.

Le régime politique

La Biélorussie a accédé à l’indépendance en 1991 dans la foulée de l’écroulement de l’URSS. Le président actuel, Alexandre Loukachenko fait partie de ces leaders post-soviétiques qui se sont convertis à l’économie de marché pour continuer d’occuper le pouvoir. Comme les évènements actuels le démontrent, ce genre de personne ne renonce pas au pouvoir facilement et nul doute que les opposants devront faire des pressions considérables pour déloger le président Loukachenko.

À propos de ce dernier, j’observe avec ravissement que les médias francophones canadiens écrivent correctement le nom, à la française, comme en Europe : Loukachenko, et non Lukashenko à l’anglaise.

Le drapeau

Le drapeau blanc traversé par une barre rouge en son centre est brandi par l’opposition au régime Louckahenko. Ce drapeau n’est pas nouveau :  c’est celui adopté par la République populaire de Biélorussie en 1918. Il sera l’étendard du pays entre 1991 et 1994, avant que le président actuel fasse adopter un drapeau rouge et vert, rappelant celui de l’époque soviétique. Ce drapeau est récusé par les opposants au régime actuel, qui souhaitent le retour de l’étendard blanc et rouge, le blanc symbolisant la paix et le rouge la combativité.

On ne peut que souhaiter bonne chance au peuple biélorusse.

Hémisphère occidental

Le terme Western Hemisphere apparait souvent dans les écrits de l’Anglosphère, particulièrement en Amérique du Nord. Il est rendu par hémisphère occidental. Prise au pied de la lettre, cette expression est déroutante.

Au départ, il est clair que le mot hémisphère désigne la moitié du globe terrestre. On s’attendrait donc à ce que l’expression en l’objet couvre ce que l’on appelle souvent le monde occidental. Il s’agirait donc de l’Europe et du continent européen.

C’était l’intuition que j’avais, quand j’ai entendu le terme pour la première fois. Eh bien j’étais dans l’erreur.

Le Merriam-Webster nous donne la définition suivante de Western Hemisphere :

The half of the earth comprising North and South America and surrounding waters.

L’Enclypaedia Britannica donne exactement la même définition, en précisant toutefois que certains géographes que l’hémisphère occidental comprend aussi des portions de l’Afrique, de l’Antarctique, de l’Europe et de l’Asie.

Cette vision élargie m’apparaît plus logique, car un hémisphère est bel et bien la moitié du globe et restreindre l’hémisphère occidental à l’Amérique continentale et aux terres environnantes est quelque peu restrictif.

On s’en doute, l’hémisphère occidental est une invention états-unienne. Il ne s’agit pas du premier déraillement sémantique venant de nos voisins du sud.

J’en ai parlé, les mots Amérique et Américain ont déjà été détournés de leur sens originel pour désigner les États-Unis d’Amérique et leurs habitants. Il est maintenant impossible de revenir en arrière.

L’hémisphère occidental témoigne à nouveau d’un certain manque de rigueur. On constate heureusement que les Européens ne reprennent pas toujours cette définition et traduisent parfois Western Hemisphere par continent américain. Évidemment, cette traduction ne correspond pas exactement à la définition élargie de l’expression états-unienne, mais elle est certainement moins grinçante pour les francophones.

Géographie

Le monde des appellations géographiques est fascinant à plusieurs égards. Il ne brille certainement pas par la rigueur, ni par la cohérence. On peut observer bien des cas de polysémie et certaines appellations ne font pas l’unanimité.

L’Amérique confisquée

Le terme Amérique a été détourné de son sens originel lorsque la Révolution américaine a amené la création d’un nouveau pays, les États-Unis d’Amérique. Rapidement, ce pays a été surnommé America et le générique American a été adopté. Ces nouvelles appellations empiétaient sur le sens véritable de ces deux mots désignant un continent et ses habitants. Cette confusion a entrainé la création d’un néologisme : Americas, devenu les Amériques en français. Par la suite, un autre néologisme a surgi : États-Unien, aussi écrit Étasunien.

Les mésaventures de l’Europe

Le mot Europe n’est pas épargné. Les frontières de ce continent, qui s’étend de l’Atlantique à l’Oural, ne suscitent pas la controverse. Toutefois, le mot a vu son sens s’infléchir avec l’arrivée de l’Union européenne – et même avant. Quand on parle de la construction de l’Europe, c’est de l’ancien Marché commun dont il est question. Cette Europe regroupe 27 États, mais exclut d’autres pays européens comme la Russie ou la Suisse, par exemple.

Le découpage d’un continent en plusieurs régions géographiques est presque toujours arbitraire et risqué. La division du continent européen à cause de la Guerre froide en est un exemple. On parlait d’Europe de l’Est. Cette appellation était une aberration géographique, puisque la partie orientale du continent englobait d’autres pays que ceux du glacis d’États communistes mis sur pied par l’Union soviétique. Ainsi, des États comme l’Ukraine, la Biélorussie que les pays baltes n’en faisaient pas partie. Preuve qu’il est toujours dangereux d’utiliser des termes géographiques pour désigner une région politique.

Lorsque des révoltes populaires ont fait tomber les régimes communistes, en 1989 et 1990, certains observateurs ont rebaptisé la région Europe centrale et orientale, l’expression Europe de l’Est étant rattachée à une réalité disparue. De nos jours, on voit encore le terme Europe de l’Est pour parler de ces anciens pays de l’est.

Il y a aussi l’Europe du Nord, expression tout aussi erronée que sa consœur orientale. Elle remplace parfois la Scandinavie. Pour la plupart des gens, cette dernière englobe la Norvège, la Suède, le Danemark, l’Islande et la Finlande. Mais pas pour tout le monde. Certains auteurs excluent la Finlande, car elle est peuplée de Finno-Ougriens, d’origine asiatique. En effet, les Finlandais ne sont pas un peuple germanique contrairement à leurs autres voisins scandinaves.

D’autres auteurs mettent l’Islande de côté parce que ce pays n’est pas rattaché au continent européen… Donc, la notion de Scandinavie est à géométrie variable.

Quant à l’expression Europe de Nord, il est clair que la partie nord de l’Europe comprend bien d’autres pays que les États scandinaves. La Pologne ou l’Allemagne, par exemple, peuvent être considérés comme des pays du nord de l’Europe.

L’Afrique subdivisée

L’Afrique n’est pas épargnée. La notion d’Afrique du Nord est heureusement plus cohérente, car les États qui en font partie, la Tunisie, le Maroc et l’Algérie, sont bel et bien située dans la partie septentrionale du continent. Cependant, l’Égypte et la Libye en sont exclues.

Le langagier qui veut parler de la partie sud de l’Afrique risque de s’empêtrer dans les lianes, car l’Afrique du Sud est un pays. Pour désigner les pays de la pointe sur du continent, il faut parler de l’Afrique australe.

La subdivision de l’Afrique est également source de problèmes. Il n’y a pas de définition claire de ce qu’est l’Afrique de l’Est ou l’Afrique de l’Ouest. Pas plus d’ailleurs pour ce qui est de l’Afrique subsaharienne ou de l’Afrique équatoriale.

Autres découpages arbitraires

J’ose à peine imaginer ce qui se produirait aujourd’hui si les géographes devaient baptiser certaines régions maritimes. Heureusement, la rectitude géographique n’a jamais existé et souhaitons que des esprits fiévreux épris de pureté ne chercheront pas à rebaptiser des appellations établies depuis des siècles.

Prenons la mer de Chine. Appellation carrément inexacte, diront certains. Certes, la mer en question borde les États suivants : Chine, Vietnam, Indonésie, Singapour, Philippines, Taïwan. Elle s’arrête au golfe de Thaïlande, qui lui-même baigne le Cambodge.

On voit tout de suite le problème. On a choisi un seul État pour désigner les deux golfes. Bien entendu, c’est injuste pour les autres. Mais comment corriger la situation? Faudrait-il forger un néologisme abominable qui inclurait tous les pays bordant la mer de Chine? Rebaptiser le golfe de Thaïlande : le golfe Thaï-Cambodgien?

Le même problème se poserait avec le golfe du Bengale, qui doit son nom à une région de l’Inde et aussi au Bengladesh. Mais quelle injustice pour le Sri Lanka et la Birmanie!

Le golfe Persique

Il arrive parfois que plusieurs appellations existent pour désigner une région. Le golfe Persique en est un bel exemple. Le golfe borde à la fois l’Iran et la péninsule d’Arabie. C’est pourquoi certains auteurs l’appellent golfe Arabo-Persique, la Perse étant l’ancien nom de l’Iran.

Mais là encore, on pourrait faire du zèle et chercher à inclure tous les pays limitrophes, pour ne pas froisser personne. Il faudrait donc tenir compte du Koweït, du Qatar, de Bahreïn, des Émirats arabes unis, entre autres. On n’en sort plus.

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