L’anglais imagé

L’anglais est une langue imagée, souvent plus que le français. Et parfois, ses expressions frappent tellement l’imagination qu’on les importe dans notre langue.

En voici deux que j’aimerais aborder.

Ce n’est pas ma tasse de thé

Nous sommes en fin d’après-midi, les sandwichs aux concombres sont servis et nous papotons autour de la table en sirotant notre boisson chaude. Deux sucres et un nuage de lait, dit-on…

Les mœurs douçâtres de la sympathique Albion ont traversé la Manche pour s’infiltrer dans notre langue… Ne dit-on pas qu’une chose n’est pas notre tasse de thé ?

Rendre cette expression suave de ce côté-ci de la Manche et de l’Atlantique est certes possible, mais à quel prix ?

Ce n’est pas mon truc, mon genre ; pas une chose que je fais ; cela ne fait pas partie de mon répertoire ; habituellement, je ne fais pas cela…

Autant de traductions qui apparaissent comme un troupeau de buffles se jetant du haut d’une falaise.

On comprend peut-être mieux pourquoi l’expression a percé notre carapace francophone et figure dans Le Petit Robert.

Soit dit en passant le high tea n’est pas un haut thé, mais bien un « goûter dinatoire », nous signale Luc Labelle dans son merveilleux ouvrage Les mots pour le traduire. 

Le diable est dans les détails

On entend souvent cette expression anglaise, même au Parlement européen. Comment la traduire ? Des concordanciers bilingues comme Linguee nous proposent :

Le problème réside dans les détails ; tout est dans les détails ; tout réside dans le détail

Mais encore ?

Quand on y regarde bien, les choses s’embrouillent, se compliquent. Tout bien pensé, il n’y a rien de simple. Les détails viennent tout compliquer.

Un peu laborieux, mais le sens est là.

Toutefois, l’expression étudiée possède le double avantage d’être courte et percutante. Voilà sans doute pourquoi on l’entend si souvent.

Populisme

Le populisme est un mot… populaire. À cause de l’émergence de partis marginaux, souvent des fruits pourris de la rectitude politique, le terme connaît une croissance qui ferait rêver les boursicoteurs.

Tout le monde est populiste, l’innommable président américain, Poutine en Russie, Erdoğan en Turquie, Viktor Orbán en Hongrie. On penche vers la droite, n’est-ce pas ? Pourtant, ne qualifiait-on pas Hugo Chávez de populiste ?

Les ouvrages de langue l’associent à la démagogie et le Petit Robert signale qu’il est souvent péjoratif.

Discours politique qui s’adresse aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants, des élites. Populisme de droite, de gauche.

Le populisme est souvent teinté d’anti-intellectualisme et d’antiparlementarisme. Le cas du président américain est patent. Il méprise la science parce qu’il est profondément ignorant ; il étrille non seulement les institutions parlementaires de son pays mais aussi les principes fondateurs de la démocratie américaine, à savoir l’équilibre et la séparation des pouvoirs.

Plus près de chez nous, la Ford Nation avec sa haine de la social-démocratie et des élites.

Le politicologue allemand Jan-Werner Müller, auteur de l’opus Qu’est-ce que le populisme ? Définir enfin la menace, nous propose la définition suivante :

Les politiciens populistes sont ceux qui prétendent parler au nom d’une conception idéalisée du peuple (ou de la nation) qui exclut explicitement ou implicitement leurs opposants. Bref, un populiste ne se présente pas seulement comme le porte-parole légitime d’une certaine conception du peuple ou de la nation ; un populiste se présente comme le porte-parole de la seule conception légitime de la nation. Le populisme est donc nécessairement identitaire et exclusif (mais toute politique identitaire n’est pas forcément populiste).

Évidemment, l’analyse de Müller est influencée par ce qu’il voit dans son pays, soit la montée du parti identitaire Alternative pour l’Allemagne.

Cela n’enlève rien à la qualité de son analyse, car il est clair que le mouvement populiste loge davantage à droite qu’à gauche.

 

 

 

Choses lues…

On me pardonnera de paraphraser Victor Hugo pour le titre de cette chronique hors normes.

Je n’ai pas la prétention d’être un fin connaisseur de la littérature. Les courants littéraires me sont aussi étrangers que les courants marins. Mais j’aime lire et j’ai lu beaucoup pendant ma vie.

Je me suis amusé à scruter ma bibliothèque, presque sorti de mon corps, comme si je regardais ma vie défiler. Quels sont les livres qui m’ont marqué, que je relirais volontiers?

Je parle de livres de littérature « sérieuse »; j’ai donc exclu les romans policiers même si c’est un genre que j’adore. À une exception près…

Un seul livre de science-fiction aussi, un genre qui ne m’a jamais tellement plu.

Bien entendu, vous ne serez pas d’accord avec moi et c’est normal. Il y a sûrement un bouquin que j’ai manqué et que je devrais lire avant de partir pour l’éternité. Dites-moi lequel, ne vous gênez pas.

Voici donc la liste, pêle-mêle, sans ordre de préférence.

Vingt mille lieues sous les mers, de Jules Verne

Une épopée fascinante sous les océans.

Germinal, d’Émile Zola

Les luttes ouvrières du XIXe siècle narrées avec réalisme.

Du bon usage des étoiles, de Dominique Fortier

Le récit véridique et créatif de l’expédition Franklin à la recherche du passage du Nord-Ouest. Ce n’est que cent ans plus tard que l’on a découvert les restes de l’équipage, prisonnier des glaces.

L’orangeraie, de Larry Tremblay

Toute l’absurdité du conflit au Proche-Orient. Un jeune homme condamné par la maladie veut prendre la place de son frère pour commettre un attentat-suicide.

Monsieur Ripley, de Patricia Highsmith

Une histoire cynique d’un être absolument amoral qui usurpe l’identité d’un jeune homme riche pour s’emparer de sa fortune, après l’avoir assassiné. Le roman avait fait scandale.

Les piliers de la terre, de Ken Follett

Œuvre grandiose sur la construction des cathédrales au Moyen-Âge.

Kamouraska, d’Anne Hébert

On sent le souffle impétueux de la tempête, la poudrerie dans ce récit d’adultère.

Le monde selon Garp, de John Irving

Une histoire farfelue mais tout à la fois philosophique.

Les carnets du major Thompson, de Pierre Daninos

Les réflexions hilarantes d’un Anglais vieux style sur la France, réflexions qui révèlent tout aussi bien les failles de la perfide Albion.

Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez

Un roman déroutant dans lequel présent, passé et futur se côtoient. L’ouvrage phare de Garcia Marquez.

Les misérables, de Victor Hugo

Un chef-d’œuvre mémorable, véritable fresque de la misère parisienne en pleine tourmente révolutionnaire, avec une galerie de personnages inoubliables.

La pourpre et l’olivier, de Gilbert Sinoué

Un portrait percutant de la vie pénible des premiers papes, pourchassés par l’Empire romain.

À l’Ouest rien de nouveau, d’Erich Maria Remarque

La vie atroce des soldats dans les tranchées durant la Grande Guerre, celle qui tue, disait-on. Dramatique, un récit qui nous prend jusqu’aux tripes.

La part de l’autre, d’Éric Schmitt

Que serait-il arrivé si Hitler avait réussi le concours des beaux-arts de Vienne et était devenu un artiste renommé?

Les raisins de la colère, de John Steinbeck

Le krach de 1929 vécu par des paysans américains ruinés. Leur marche dans le désert pour trouver un nouvel eldorado, la Californie. Un livre profondément touchant.

Des souris et des hommes, de John Steinbeck

L’histoire prenante de deux amis, dont l’un est légèrement déficient. Les deux roulent leur bosse, accumulant les petits boulots. Jusqu’à ce qu’un drame éclate.

Racines, d’Alex Hailey 

L’histoire atroce de l’esclavage des Noirs aux États-Unis. Arrachés à leur terre natale, transportés sur les océans, vendus comme de la marchandise. Bouleversant.

La jeune fille à la perle, de Tracy Chevalier

Le fameux tableau de Vermeer. Une jeune fille sans instruction devient le modèle du célèbre peintre. Elle découvre un monde étrange, celui des catholiques.

La vie devant soi, de Romain Gary, alias Émile Ajar.

L’histoire amusante, mais porteuse de sens, d’un enfant musulman confié à une juive qui élève le fruit des entrailles des prostituées.

Sa Majesté des mouches, de William Golding

Maîtres et valets s’échouent sur une île déserte. Les vrais caractères se révèlent peu à peu et ce ne sont pas les riches qui ont le beau rôle…

Vol de nuit, d’Antoine de Saint-Exupéry,

Les premiers temps difficiles de l’aviation. Le pilote coincé dans la matrice inconfortable de son cockpit, où seules les étoiles lui tiennent compagnie.

La peste, d’Albert Camus

Une épidémie qui éclate, comme cela, sans raison, à Oran, en Algérie française. Toute l’impuissance de l’humanité devant l’absurdité de son existence. L’épidémie s’estompe et la vie continue.

1984, de George Orwell

Ce roman est peut-être le plus marquant du XXe siècle. Il est d’une actualité frappante et vient d’être retraduit.

Le procès, de Franz Kafka

Ce n’est pas pour rien qu’on qualifie certaines situations de « kafkaïennes ». Le roman traduit l’impuissance de l’humain devant le Léviathan bureaucratique, mais aussi devant les puissances économiques, son destin, bref, tout.

Crime et châtiment, de Fédor Dostoïevski

Le romancier pose une question fondamentale : a-t-on le droit de tuer son prochain?

Fondation, d’Isaac Asimov

La science permet maintenant de prédire l’avenir. Tout semble clair. Mais les experts se sont fourvoyés. Brillant.

Autogolpe

Tentative de coup d’État au Venezuela. C’est du moins ce qu’affirme le président Maduro. L’opposition, elle, accuse en effet le gouvernement d’avoir simulé une tentative d’assassinat sur le président. Elle parle d’un «auto-coup d’État» résultant d’«auto-attentats».

Quoi qu’il en soit la référence est claire pour qui connaît la politique sud-américaine. Il s’agirait d’un autogolpe, défini ainsi par le Oxford Dictionary : In Latin America: a military coup initiated or abetted by a country’s elected leader, especially in order to establish absolute control of the state. 

Le terme espagnol est apparu en français en 1992 lorsque le président péruvien Alberto Fujimori a dissous le Congrès après que celui-ci eut refusé de lui octroyer des pouvoirs supplémentaires pour lancer sa réforme économique et lutter contre la guérilla du Sentier lumineux.

Dans l’article paru dans Le Devoir du 6 août 2018, l’expression a été traduite en français.