Éligible

Ce n’est pourtant pas compliqué, éligible signifie « qui peut être élu ». Un député est éligible, un joueur peut être éligible pour remporter un trophée à la suite d’un scrutin. Mais un juge ne peut être éligible à la Cour suprême pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas élu, mais choisi par le premier ministre.

Un juge est donc admissible à la Cour suprême.

Toutefois, le Robert, tout comme le Larousse, élargit le sens du mot en question. Est éligible toute personne qui remplit les conditions nécessaires pour obtenir un service ou un produit.

Un fonctionnaire peut donc être éligible à une prime et un médicament éligible à un remboursement. Les ouvrages de correction de la langue considèrent cependant que ces derniers sens sont empruntés à l’anglais.

En anglais, eligible a le sens d’avoir droit à quelque chose. Par exemple, to be eligible for a pension, avoir droit à la retraite. Si vous êtes eligible for promotion, vous rencontrez remplissez les conditions requises pour obtenir de l’avancement. Ces exemples sont tirés du  Robert & Collins anglais-français.

Il semble donc que les deux dictionnaires ont ouvert la porte à un anglicisme, mais sans en signaler la provenance. Troublant.

Le mondial

La Coupe du monde du football est aussi appelée le Mondial. On oublie souvent qu’au Québec on l’a affublée du nom fictif de Mundial, et ce pendant de longues années. Histoire d’une méprise.

La coupe de 1982 se déroule en Espagne, où, effectivement, elle est désignée sous le nom de Mundial. Les journalistes canadiens empruntent ce terme à l’espagnol et certains commencent à croire que c’est celui qu’il convient d’utiliser.

Le championnat  de 1986 n’arrange rien, puisqu’il a lieu… au Mexique. Rebelote pour le Mundial qui s’incruste dans la langue journalistique, et donc populaire. Le Mundial a remplacé le Mondial. Bien entendu, des puristes essaient de remettre les pendules à l’heure, mais bien peu de gens les écoutent, comme d’habitude. Après tout, Mundial est tellement exotique…

La coupe de 1990 apporte un éclairage nouveau et les convictions commencent à s’effriter. L’Italie est le pays hôte et là-bas on dit Mondiale…

L’édition de 1994, aux États-Unis, a définitivement balayé le Mundial de la langue journalistique et populaire.

Cet exemple illustre à quel point l’usage peut prendre une tournure erronée. Malheureusement, il faut souvent lancer carton rouge par-dessus carton rouge pour finir par se faire entendre.

 

En lien

L’expression fait peur parce qu’omniprésente. La présentatrice de la météo parle d’une tempête en lien avec une dépression; l’analyste de l’économie qui discute des fluctuations boursières en lien avec un nouveau conflit en Iraq…

On entend tellement d’anglicismes dans les médias… Alors on se méfie. En lien, c’est trop beau pour être vrai. L’expression est forcément erronée.

Et pourtant non. Voici ce qu’en dit la Banque de dépannage linguistique :

En fait, la forme est tout à fait correcte, elle ne doit rien à l’anglais et sa seule faute est d’être (encore) ignorée des ouvrages de référence. Pourtant, en lien avec est une formule qui est tout à fait courante dans la langue commune, et ce, dans toute la francophonie; elle n’est pas propre au français québécois.

D’ailleurs, l’Académie française l’emploie dans son dictionnaire à l’article Relatif : « Qui est en relation, en lien avec une chose. »

En outre, elle figure dans le titre d’un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale de la France : « Inégalité sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique : une expertise collective de l’Inserm ».

Elle est aussi utilisée au Parlement européen : « …un rapport de situation en lien avec le Forum démographique européen… »;

Et en Suisse : « …diverses questions en lien avec la protection juridique… »

Pour ceux qui doutent encore, l’expression est même signalée comme exemple dans le Robert : Une affaire en lien avec une autre.

On aurait donc tort de considérer en lien comme un calque de l’anglais in connection with. Cette interprétation me paraît douteuse, d’autant plus qu’elle n’est pas partagée par d’autres sources à l’affût des anglicismes.

Courriel

Soyons franc : le e-mail des francophones européens tape royalement sur les nerfs des Québécois. Si on a pu inventer un mot pour traduire computer, on peut certainement le faire pour l’affreux e-mail, abrégé en mail, qui a engendré une autre monstruosité : mailer.

L’emploi de courriel, pourtant consacré par l’Académie française, demeure restreint en Europe. Bien sûr, je pourrais m’étendre en long et en large sur l’anglomanie délirante qui sévit en Europe francophone, avec ces magazines sérieux ou people, dont les articles sont farcis d’anglicismes aussi ridicules qu’inutiles. Mais ce serait enfoncer une porte ouverte…

Les Québécois ont souvent l’impression que leur inventivité pour tenter de juguler l’invasion des anglicismes en français ne suscite aucun intérêt chez nos cousins d’Europe. Ce n’est toutefois pas tout à fait exact.

Commençons par les dictionnaires courants. Des surprises nous attendent.

À l’entrée courriel, le Petit Robert 2014 parle d’un « Message échangé entre ordinateurs connectés à un réseau informatique; courrier électronique. » Aucun renvoi à e-mail. Curieux.

À l’entrée e-mail que lit-on? « Adresse électronique. Courrier, message électronique. Recommandation officielle : courriel. » Tiens, le voilà enfin.

Le Petit Larousse 2014 donne une définition plus détaillée d’un courriel et indique les synonymes suivants : courrier électronique, message électronique. Mais c’est à l’entrée e-mail que la foudre nous frappe : « Anglicisme déconseillé. Courriel. » Voilà, un mot suffit.

La Commission générale de terminologie et de néologie de la France l’a aussi adopté et a publié un avis à cet effet au Journal officiel de la République française le 20 juin 2003.

Par contre, le site français Arobase.org, l’e-mail sous toutes ses coutures (sic), signale que dans les moteurs de recherche, e-mail est beaucoup plus courant que courriel : près de 900 millions d’occurrences pour mail et e-mail, contre 550 mille pour courriel.

Malgré tout, courriel fait son chemin en France. À preuve, cette page fort intéressante du gouvernement français sur la sécurité informatique; le terme courriel est utilisé tout au long de l’article et le fameux phishing (quelle graphie aberrante!) est traduit par filoutage. Contrairement à ce que l’on voit dans ce genre d’article, le texte ne grouille pas d’anglicismes. On parle même d’espiogiciels

Comme quoi, il y peut-être de l’espoir.

 

Comment remplacer «communauté»?

Ce matin, petite montée de lait. Voici des exemples éloquents de servilité à l’anglais provenant de notre diffuseur national, Radio-Canada. Pourtant, il est si simple d’être plus précis en français.

À Moncton, la communauté est choquée par les récents meurtres : ville

Intégrer les jeunes dans la communauté : société

La communauté des gens d’affaires : les gens d’affaires

La communauté artistique en Alberta : les artistes

La communauté francophone de Victoria : les francophones de Victoria

Quel bâtiment de votre communauté voulez-vous sauver? : de votre quartier

Une communauté se rassemble pour embellir son quartier dans l’est de Vancouver : les habitants d’un quartier de l’est de Vancouver lancent un projet d’embellissement

L’homme était considéré comme un héros dans sa communauté : dans sa région

Assurer la survie des communautés de langue anglaise au Québec : des groupes de langue anglaise ou, plus simplement, des anglophones du Québec (on devine qu’ils sont dispersés, donc pas besoin de parler des communautés).

Cas dans lesquels le mot est bien employé : communauté religieuse; communauté internationale, communauté de biens.

Promesses

En cette période de dépôt du budget, quoi de plus pertinent que de parler du mot promesse? Quels sont les cooccurrences souhaitables?

Le ministre des Finances du Québec, M. Carlos Litao, saura-t-il respecter les promesses de son parti, ou bien les brisera-t-il? On peut en effet manquer à sa parole, tout comme à sa promesse. Pour toutes sortes de raisons, les politiciens (anglicisme accepté) ou les politiques (terme classique, moins usité au Canada) en viennent à rompre leurs promesses, ce qui revient à dire qu’ils les ont violées.

C’est souvent à la suite d’un reality check, d’une prise de conscience de la situation réelle, que les politiciens finissent par faire le contraire de ce qu’ils avaient dit. Bien entendu, c’est la faute du gouvernement sortant, autre classique.

Ceux qui ont plus de courage et d’imagination parviennent toutefois à remplir, à respecter, à honorer leurs promesses.

C’est ce que nous verrons cet après-midi.

 

Les métaphores sportives

Un chroniqueur d’automobile qui affirme que tel constructeur devra jouer du hockey de rattrapage s’il veut s’implanter en Chine. Autrement dit, il lui faudra rehausser son niveau de jeu.

L’influence du hockey dans la langue de tous les jours se passe d’explications et ne doit pas être condamnée. Autant accrocher ses patins. Une langue fleurie et vivante ne peut se passer d’images empruntées un peu partout, même au monde des sports. Encore faut-il ne pas sombrer dans la démesure.

Certaines expressions finissent cependant par devenir envahissantes. On peut certainement s’interroger sur le plan de match du pilote du Canadien, Michel Therrien; mais le premier ministre Philippe Couillard a-t-il un plan de match pour redresser les finances publiques? Un plan tout court devrait lui suffire.

Moins fréquentes dans la prose quotidienne, les expressions travailler dans les coins et donner son 110 pour 100 font recette dans la langue parlée. Mais personne ne voudra compter dans son propre filet en les glissant dans un texte sérieux, par exemple un rapport financier…

Pourquoi? Parce que le français est une langue plus formelle que l’anglais, qui recourt volontiers à des images pour enjoliver le discours. En français, il faut être plus prudent.

Un fidèle lecteur de Québec me signalait la propension des médias de l’endroit à utiliser l’expression terrain de football comme étalon de mesure. Bien entendu, à peu près tout le monde a une idée de la dimension d’un terrain de football, mais parler de « Quatre terrains de football de diesel dans la rivière Chaudière » est un peu exagéré. Après tout, le diesel est un liquide, alors il serait plus approprié de parler en termes de litres déversés.

Cette propension à utiliser les métaphores sportives s’explique probablement par l’influence de nos voisins du Sud, qui empruntent bon nombre d’expressions au baseball et au football.

Ainsi, lorsque les Américains font une estimation, ils parlent de ballpark figure, comparaison pour le moins étrange. D’autres expressions s’inspirent du baseball.

To be out in the left field. En français québécois : vous êtes dans le champ, vous vous trompez complètement, vous êtes à côté de la plaque. Laquelle? Le marbre au baseball? Non, puisque cette expression figure dans Le Petit Robert, or, les Français ne connaissent rien au baseball. Il s’agit donc d’une autre plaque. Raté, une prise.

Lorsque vous réussissez un bon coup, vous frappez un coup de circuit, comme nos voisins du Sud : to hit a homerun.

L’expression donner la chance au coureur vient aussi du baseball. Popularisée par René Lévesque, en 1976, elle est bien intégrée au vocabulaire et signifie donner sa chance à quelqu’un, donner le bénéfice du doute.

En fait, je suis persuadé que bien des gens qui l’emploient ignorent de quel coureur il s’agit. Par analogie, rappelons qu’un sketch immortel sur le sport national américain s’intitulait Who’s on first, qui est au premier but? Le coureur, voyons.