Les ministères

La graphie des noms de ministères illustre le jeu de bascule incessant que fait subir le français à ses locuteurs en inversant les règles selon les catégories de mots. Comme si cela ne suffisait pas, les sources diverses quant à la position de la majuscule.

Au Canada, on écrit un nom de ministère de cette manière : le ministère du Patrimoine. Le générique reste en minuscule, tandis que l’élément déterminatif prend la majuscule. La même règle est appliquée pour les toponymes.

Tout adjectif qui entre dans une appellation reçoit aussi la majuscule, s’il précède le substantif. Exemple : le ministère des Anciens Combattants. Toutefois, l’adjectif reste en minuscule s’il suit le substantif, comme dans ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux.

Ces règles ne sont pas universelles, cependant. Lorsqu’on scrute l’usage européen, des surprises nous attendent.

Le Ministère des Affaires étrangères (Académie française).

Le ministère des affaires étrangères (Le Monde)

Le Ministère des affaires étrangères (Le Figaro)

On voit que plusieurs logiques sont possibles. Prenons celle du Figaro; Elle va dans le sens de la logique élémentaire qui appose une majuscule au générique de toute appellation de type administratif. Par exemple, on écrit la Direction des communications. Alors, pourquoi inverser la logique avec un ministère?

L’Académie et va fort en majuscule, ce qui étonne. Habituellement, notre langue n’est guère prodigue dans ce domaine, contrairement à l’anglais. Quant au journal Le Monde, il pratique un étêtage sans pitié pour la capitale qui traduit bien un esprit que l’on voit trop souvent en Europe.

L’absence de majuscule à une appellation officielle étonne. Mais on voit le même radicalisme pour les noms de partis politiques, pour lesquels un jeu de bascule étourdissant nous vaut le Front National, mais le parti communiste.

Soulignons que Le Monde nous parle aussi de la première guerre mondiale, ravalée au rang d’incident banal avec ses frileuses minuscules. Soyons juste : la graphie des noms de périodes historiques regorge d’absurdités maintenues coûte que coûte par les rédacteurs et les dictionnaires : la guerre froide, mais la Guerre folle; la détente, mais l’Antiquité. Voir mon article à ce sujet.

Pour en revenir aux noms de ministères, oublions ce qui se fait ailleurs et tenons-nous-en à la règle appliquée ici et consacrée par l’usage.

 

Mon nom est personne

Hier, j’attendais mon vol vers Ottawa à l’aéroport de Québec, une ville très francophone. Néanmoins, les anglicismes se bousculaient dans les annonces au public. La plus agaçante : «Bonjour, mon nom est XYZ.» Tout ce qu’il y a de plus français… du moins en apparence. Calque de l’anglais My name is  à mon humble avis.

Dans notre langue, on dit plutôt Je m’appelle, je me nomme, je suis, etc.

Toutefois, la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française accepte cette tournure en faisant valoir qu’elle est utilisée depuis le XIXe siècle. Dans un article paru en 2010 dans l’Actualité langagière, Frédelin Leroux indique que l’expression a ses lettres de noblesse…  Elle me paraît néanmoins douteuse, mais, qui sait, peut-être est-ce l’anglais qui s’est inspiré du français?

Autre anglicisme qui retentissait dans les quatre coins de l’aéroport : Embarquement à la barrière 27. Fidèle transcription du terme Gate. De fait, il n’y a aucune barrière. Les passagers franchissent une porte après avoir montré la carte d’embarquement au préposé.

Dernier détail, Air Canada poursuit ses efforts incessants pour défendre le bilinguisme en envoyant aux passagers d’un vol Québec-Ottawa un courriel uniquement en anglais. Thank you, guys, ne lâchez pas.

S’asseoir ensemble

On entend souvent la phrase suivante : « Il faudrait qu’on s’assoie ensemble pour discuter de la question. »

Certains nostalgiques invoqueront la concordance des temps pour suggérer l’imparfait du subjonctif s’assît…

De toute beauté : « Il faudrait qu’on s’assît ensemble… »

Sortons de ce film d’horreur. C’est surtout la formulation qui m’intéresse, en fait l’optique sous laquelle la question est présentée.

L’anglais se situe sur le plan du réel et s’exprime souvent avec des images; le français, lui, se situe davantage sur le plan de l’entendement. Par conséquent, ses formulations sont souvent plus abstraites et moins excitantes.

Le « graphisme » qui imprègne l’anglais est attirant. Dans la phrase précitée, on voit tout de suite l’image d’un groupe qui entre dans une pièce, s’assoit à une table et commence à discuter.

Le français n’a pas besoin d’une telle mise en scène. On dira tout simplement : « Il faudrait qu’on discute de la question. » D’ailleurs, quand on y pense bien, on peut discuter d’un problème sans nécessairement s’asseoir quelque part.

Nonobstant

L’adverbe nonobstant est considéré comme vieilli ou littéraire. Il s’emploie surtout dans le langage juridique et a le sens de malgré cela, néanmoins. On peut penser que l’intrusion périodique de l’anglicisme clause nonobstant dans les médias a en quelque sorte popularisé le mot. On peut très bien s’en passer. Du moins en français, car en italien, nonostante est couramment utilisé au sens malgré que.

La clause nonobstant

L’expression clause nonobstant est hideuse. Elle est la transposition directe de  l’anglais, notwithstanding clause. Certains rédacteurs y vont de  l’expression clause dérogatoire. C’est déjà mieux. Pourtant, il s’agit d’un cas où l’adjectif est employé de manière abusive. Ce n’est pas la clause qui déroge; elle permet de déroger. Voilà un cas intéressant de ce que les grammairiens appellent l’épithète en hypallage.

L’expression exacte est disposition de dérogation. Certains médias commencent enfin à l’employer, mais l’expression erronée continue encore et toujours de circuler. Elle est à l’image du vocabulaire constitutionnel canadien, largement anglicisé en français.

De quoi s’agit-il?

Cette disposition permet à un gouvernement au Canada de soustraire une de ses lois à l’application de la Charte des droits et libertés. Il s’agit d’un geste grave, puisque cette charte est considérée comme un des piliers de la Constitution canadienne. La loi visée doit être reconduite tous les cinq ans.

Renverser une décision

La Cour suprême est revenue sur sa décision de 1993, dans l’affaire Sue Rodriguez, qui interdisait le droit au suicide assisté. Il s’agit d’un tournant (et non d’un point tournant) dans l’histoire de notre pays. Pour une fois, les journalistes ont raison de qualifier cet évènement d’historique.

On entendra souvent dans les prochains jours que le jugement rendu il y a 22 ans a été renversé. Cette faute vient directement de l’anglais to reverse a decision.

En français, on casse une décision. Elle peut également être invalidée, annulée.

En France existe une Cour de cassation, pas une Cour de renversement.

Pourquoi renverser une décision s’est-il si bien implanté? Parce que c’est une expression imagée, comme c’est souvent le cas en anglais. On voit presque l’image dans notre tête. Le français, lui, est plus abstrait; il se situe sur le plan de l’entendement. C’est pourquoi il faut éviter de confondre le génie des deux langues.

Les institutions américaines

Dans des articles précédents, je me suis penché sur les expressions Amérique et Américain ainsi que sur États-Uniens. J’y faisais état de l’influence de nos voisins du sud sur la langue française.

On oublie souvent que le vocabulaire politique américain a aussi déteint sur notre langue; c’est ce qu’on appelle des américanismes. Certains d’entre eux sont passés dans les dictionnaires.

État des lieux

On lit constamment dans les médias l’expression l’administration américaine, l’administration Trump-Pence, bien qu’on parle très peu du vice-président. Le fait de désigner un gouvernement sous le vocable d’administration est clairement un anglicisme. Bien entendu, il est tout à fait correct de parler de l’administration publique en général, mais, en français, un gouvernement est un gouvernement.

Autre anglicisme qui a la cote : la convention républicaine, démocrate. Il s’agit plutôt d’un congrès. Mais là encore, l’expression est passée dans les dictionnaires.

Parlant de congrès, comment ne pas souligner que le Parlement des États-Unis s’appelle justement le Congrès? Il est divisé en deux chambres : la Chambre des représentants et le Sénat. Quant au président, il réside à la Maison-Blanche.

Un faux raisonnement

La grande question qui se pose, lorsqu’on traite des États-Unis, est la traduction des noms d’organismes officiels. On entend souvent le raisonnement suivant : il ne faut pas traduire ces noms parce que le français n’est pas langue officielle aux États-Unis. Voilà un raisonnement spécieux qui ne tient pas la route, quand on y pense bien. Tous les noms mentionnés ci-dessus sont des traductions officieuses; traductions essentielles, parce qu’autrement il faudrait parler de la White House, du American Congress, du president of the United States…

Le français n’est pas non plus la langue officielle du Japon. Faudrait-il énoncer les noms de partis japonais, les termes premier ministre, empereur en langue nipponne, sous prétexte qu’il n’existe aucune traduction officielle? On voit bien que ça ne fonctionne pas. Depuis des siècles, nous utilisons des traductions officieuses pour décrire les réalités étrangères. Et cela vaut pour les États-Unis.

Revenons à notre question : faut-il traduire les noms d’organismes américains. Oui certes, mais il faut tenir compte de l’usage. Certains d’entre eux se traduisent couramment : les Centres de contrôle et de prévention des maladies; la Réserve fédérale américaine; le Bureau du représentant américain au commerce.

Par contre, d’autres expressions restent en anglais : l’inénarrable Surgeon General, une sorte de directeur général de la santé. On pourrait aussi penser à l’Office of Management Budget, qui est un peu le Conseil du Trésor de nos voisins.

De fait, la majorité des noms d’organismes états-uniens restent en anglais. Les exceptions sont généralement bien connues.

Certains noms s’énoncent avec des sigles, eux aussi bien connus. Pensons à la CIA, au FBI et à la NASA. Ces organismes voient parfois leur appellation traduite de manière approximative : l’Agence spatiale américaine, la Police fédérale, l’Agence (centrale) de renseignement.

Et les majuscules?

Se pose la question des majuscules. J’entends souvent dans mes salles de cour la réflexion suivante : « Il ne faut pas mettre la majuscule à ces noms, parce qu’ils ne sont pas officiels. » Faux raisonnement, encore une fois. Procédons par l’absurde : le congrès américain, le parti démocrate, la maison blanche…

Ces exemples suffisent, je crois.

Il est pratique courante, en français, de mettre la majuscule initiale aux noms d’institutions. S’abstenir de le faire pour les organismes étrangers revient à créer deux catégories d’appellations, ce qui nous place parfois devant des choix difficiles, et nuit à l’uniformité des textes.

Pour une fois, faisons les choses simplement.