Frapper

L’Airbus d’Air Canada qui s’est écrasé (et non crashé) à Halifax a frappé des fils électriques avant d’atteindre la piste. Pierre a frappé un mur quand il a demandé une mutation. Mireille a frappé le bord de la table en se rendant au salon.

Qu’est-ce qui cloche? Le verbe frapper, probablement inspiré de l’anglais hit.

Le sens véritable de ce verbe est de porter des coups à une chose ou à une personne. Le Robert donne battre, cogner, taper, poignarder, assommer comme synonymes.

Dans les exemples précédents, on pourrait dire que l’avion a percuté des fils, que Pierre est tombé sur un os et que Mireille a heurté le bord de la table.

Toutefois, il faut signaler que tant le Robert que le Larousse mentionnent le sens canadien de frapper. Ils appellent cela un régionalisme. Parmi les exemples donnés : frapper un arbre, un cycliste, un orignal. L’expression frapper un nœud est même répertoriée.

Le Larousse donne un sens très près de celui utilisé au Canada : venir heurter. Par exemple : Le ballon a frappé le poteau. Exemple européen, soit dit entre nous. Combien de fois la rondelle de certains joueurs des Canadiens de Montréal n’a-t-elle pas frappé le poteau…

Tout ceci nous amène à réfléchir sur la pertinence d’employer des canadianismes dans nos textes. Je suis conscient d’ouvrir une boite de Pandore…

Ils ne sont certes pas tous à bannir, mais il convient d’être prudent et conscient de ce qu’on écrit.

Crasher

Le verbe crasher est une horreur. Le réflexif se crasher est encore pire.

Deux parfaits exemples d’anglicismes parfaitement inutiles, puisque le français a déjà un verbe pour désigner cette action : s’écraser.

L’écrasement de l’Airbus de la Germanwings a défrayé la chronique de l’autre côté de l’Atlantique. Des médias comme France 2, Le Monde, Le Figaro, Libération, Paris Match (bien entendu) ont repris en chœur le mot crash.

Évidemment, le mot figure dans les dictionnaires; leurs portes sont toujours toutes grandes ouvertes aux anglicismes. Crash est même devenu l’alter ego du mot allemand krach : un crash boursier. L’informatique, grande importatrice d’anglicismes, l’utilise comme synonyme de détérioration du disque dur.

Il n’y a donc pas que les avions qui crashent, les ordinateurs aussi.

Mais, à bien y penser, puisque crasher est maintenant français, cela signifie qu’il peut être conjugué selon les normes en vigueur… Amusons-nous un peu.

Peu s’en est fallu que l’appareil crashât dans la tempête.

Ainsi, vous crashâtes dans les Alpes.

Crashez, il en restera toujours quelque chose.

 

Mieux vaut en rire.

Bon matin

« Bon matin! » On entend fréquemment cette salutation à la radio et ailleurs. Beaucoup n’y voient que du feu, car elle semble s’inscrire dans la logique de la langue.

Après tout, ne dit-on pas « Bonsoir »? Et « Bon avant-midi » ou « Bon après-midi »? Alors où est le problème?

Le problème est le suivant : Bon matin suit une double logique; la première, celle de l’anglais Good morning; la seconde, une logique naturelle. Je m’explique.

Dans un premier temps, on peut considérer l’expression comme un calque de l’anglais. Certains ne seront pas d’accord. Pourtant, les dictionnaires bilingues sont sans équivoque : ils traduisent good morning par bonjour. Pas de Bon matin nulle part. C’est un indice que cette expression ne s’emploie pas dans le reste de la francophonie. Si vous n’êtes toujours pas convaincu, faites une recherche dans Google.

Dans un second temps, on peut dire que Bon matin suit une certaine logique naturelle. Si on peut dire « Bonsoir », pourquoi pas « Bon matin! »? En effet.

Pour compliquer les choses, parlons un peu des termes avant-midi et après-midi. Là encore, une petite recherche vous permettra de constater que ces mots ne peuvent servir de salutation dans le reste de la francophonie.

Autre constatation, avant-midi est un régionalisme du Canada et de la Belgique. On parle plutôt de matinée ou de matin.

En conclusion, Bon matin s’inspire de Good morning; il s’agit d’un calque, comme il y en a tellement dans le français au Canada. Est-ce que aux oreilles de ceux qui l’utilisent il a plus de retentissement que bonjour? La question reste posée. Va-t-il s’incruster dans l’usage canadien au point de faire son apparition dans les dictionnaires? Cela reste à voir.

Les lecteurs consulteront avec intérêt la capsule linguistique du Bureau de la traduction à ce sujet.

D’ici là, je vous souhaite le bonjour.

 

 

 

Pays et péninsule

Voilà deux génériques qui peuvent causer du fil à retordre au langagier.

En effet, on ne peut leur appliquer aveuglément les règles sur les majuscules que l’on voit habituellement dans les toponymes. Comme on le sait, le générique s’écrit presque toujours avec la minuscule, tandis que c’est le spécifique qui reçoit la majuscule, qui constitue le début de l’appellation. Et même si l’élément spécifique est un adjectif, il s’écrit quand même avec la majuscule initiale.

Par exemple : rivière des Prairies, océan Arctique, mont Blanc.

Mais cette règle n’est pas suivie dans au moins trois cas : les pays baltes, le Pays basque et le pays de Galles.

Les pays baltes

Les pays baltes, aussi appelés les États baltes, se composent de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie. Détail intéressant, le Larousse écrit les pays Baltes, tout comme le dictionnaire Hachette; le Robert, lui, y va d’une graphie tout en minuscule. La presse française a tendance à adopter cette graphie également, bien qu’on y décèle, de temps à autre, des Pays baltes.

Force est de constater que pays Baltes fait figure d’exception. D’autres appellations semblables ne reçoivent pas la majuscule : les pays balkaniques, les pays scandinaves, les pays sud-américains. Alors pourquoi cette exception pour la Baltique?

Le Pays basque

Pour ce qui est de Pays basque, il y a unanimité. La règle de la majuscule au spécifique ne semble plus s’appliquer, peut-être parce que ce nom désigne une région précise? Pourtant, cette même région est divisée entre deux États : la France et l’Espagne. En outre, les pays baltes ne constituent-ils pas une région bien délimitée également? Une autre exception du français?

Le pays de Galles

Ici, il est impensable d’écrire le spécifique en minuscule; nous avons affaire à un nom propre, traduction de l’anglais Wales. Mais doit-on appliquer la règle du générique en minuscule? On peut s’interroger, puisque Pays basque prend la majuscule initiale. Alors pourquoi pas le Pays de Galles également?

Pourtant, le Robert, le Larousse et le dictionnaire Hachette l’écrivent ainsi : pays de Galles. Comprenne qui pourra.

La presse française nous offre tout un buffet. Les journalistes du Monde se contredisent allègrement : pays de Galles y côtoie Pays de Galles. Certains médias nous offrent un étonnant Pays De Galles. Voilà ce qui arrive quand les règles ne sont pas claires.

À mon sens, il y a une certaine logique à écrire Pays de Galles, mais cette graphie ne fait pas l’unanimité.

Péninsule

L’appellation péninsule Ibérique est classique. On la retrouve dans les trois dictionnaires susmentionnés. La péninsule Arabique s’écrit parfois avec la majuscule au spécifique, ce qui relève d’une certaine logique puisque l’on voit aussi le désert Arabique.

Pourtant, d’autres appellations semblables s’écrivent toujours en minuscule : la péninsule coréenne, italienne, armoricaine, etc. La graphie péninsule Ibérique jouit donc d’un statut particulier. Le Petit Robert donne aussi l’exemple suivant : la Péninsule : l’Espagne et le Portugal. Cet exemple me paraît douteux. Je serais curieux de savoir comment nos amis d’outre-Atlantique réagiraient, car, après tout, la Péninsule ça pourrait être aussi l’Italie.

Chose étonnante, les ouvrages de difficultés de la langue aussi bien que le Bon usage de Grevisse ignorent complètement les deux termes péninsule et pays, comme s’ils ne comportaient aucune difficulté.

 

 

Nations Unies : avec ou sans majuscule?

Si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer. L’ONU est le seul forum pour discuter de l’ensemble des questions qui préoccupent la communauté internationale. C’est même sa vocation.

Le nom officiel de l’ONU (prononcé o-é-nu par les Européens) est l’Organisation des Nations Unies. Trois majuscules, dont une à l’adjectif, ce qui est plutôt inhabituel.

Pour les noms d’organismes, unanimité dans les manuels de typographie, qui prescrivent la majuscule initiale au premier substantif; l’adjectif s’écrit toujours en minuscule, à moins qu’il ne commence l’expression.

C’est ainsi qu’on écrit le Comité international olympique; le Fonds monétaire international; l’Union européenne. Comme on le voit, la graphie officielle de l’ONU (que les Européens écrivent Onu) s’écarte des normes habituelles.

Ce n’est pas un cas unique.

  • L’Organisation mondiale de la Santé: le deuxième substantif reçoit lui aussi la majuscule.
  • L’Organisation Internationale du Travail: majuscule à tous les substantifs et même à l’adjectif.

Ces graphies sont arbitraires. Les autorités qui les ont adoptées ont choisi de ne pas tenir compte des règles typographiques conventionnelles, en supposant qu’elles les connaissaient.

Le rédacteur est confronté à un dilemme. Ou bien il respecte scrupuleusement les appellations officielles, mais court le risque d’entacher l’uniformité de son texte, si les noms d’autres organisations internationales y figurent. Ou encore il rectifie les graphies apparemment fautives, mais ne respecte plus la terminologie consacrée.

La presse du Canada et de la France retient la graphie conventionnelle Nations unies; c’est également celle que l’on trouve dans le Larousse et le Robert des noms propres. L’usage penche donc massivement pour le conformisme aux règles de typographie.

Certains feront valoir, à bon droit, qu’Organisation des Nations Unies est le nom officiel de cet organisme. Qui sommes-nous pour en décider autrement? Il importe de respecter la décision de l’ONU, car, autrement, ce serait un manque de respect.

Cette position n’est pas dénuée de valeur. Mais le rédacteur devra alors se plier à toutes les graphies proposées par des organisations internationales ou autres, quitte à oublier l’uniformité dans ses textes. Bref, une belle cacophonie.

Il est vrai qu’imposer Organisation des Nations unies écorchera la sensibilité des dirigeants de l’ONU. Mais tout dépend dans quelles circonstances on emploie cette graphie révisée. N’oublions pas que c’est celle qu’ont adoptée non seulement Le Devoir et La Presse au Canada, mais aussi le prestigieux journal Le Monde, et d’autres avec lui : Le Figaro, L’Express, le Nouvel Observateur, etc. Nous sommes donc en bonne compagnie.

On pourrait réserver la graphie officielle aux correspondances destinées à l’organisation sise à New York. Ce serait commettre un impair de ne pas orthographier son nom comme elle le souhaite. Un peu comme si quelqu’un vous écrivait en faisant une faute d’orthographe à votre nom de famille.

Ces trois exemples mettent en lumière l’incohérence qui règne quant à l’utilisation des majuscules, non seulement dans les noms d’organismes, mais aussi pour les graphies de périodes historiques, de noms d’entreprises, etc. Un peu d’uniformité ne nuirait pas.

À travers

L’expression a mauvaise presse. Elle serait un calque de l’anglais through. Il faut l’éviter à tout prix. On serait tenté de dire que à travers à elle seule est une légende urbaine en soi.

Peut-on voyager à travers le Canada ?

Peut-on passer à travers une épreuve?

Peut-on passer à travers une pile de livres?

Grossiers anglicismes que tout cela? Voyons voir.

La définition la plus courante de l’expression est de traverser une chose dans toute sa longueur ou son épaisseur. On pense à une balle de pistolet qui passe à travers un mur. L’expression sœur passer au travers de quelque chose a un sens semblable, soit de passer d’un bout à l’autre, de part en part.

Voyager à travers le Canada

Prenons le premier exemple. On peut effectivement voyager à travers le Canada. Les grands dictionnaires donnent des exemples dans ce sens. La plus intéressante vient du Trésor de la langue française : « En parcourant, en franchissant, en pénétrant quelque chose. » Parmi les exemples cités : « Marcher à travers un jardin. »

Le Petit Robert, de son côté, parle de voyager à travers le monde entier. Un coup d’œil au Multidictionnaire et au Dictionnaire des anglicismes, de Colpron, ne permet pas de trouver quelque condamnation que ce soit.

Une conclusion s’impose : voyager à travers le Canada n’est PAS un anglicisme. Un vrai anglicisme serait de parler à travers son chapeau. Parler à tort et à travers serait plus français.

Passer à travers une épreuve

On croit discerner l’ombre menaçante de l’anglais pass through an ordeal. De fait, il serait plus exact de dire passer au travers d’une épreuve. En effet, la locution passer au travers peut avoir le sens de « échapper à un danger à quelque chose de fâcheux », selon le Robert. Ici, c’est l’idée de se faufiler, d’éviter les obstacles, qui prime.

Certains feront valoir qu’une personne peut avoir fait face aux évènements, alors qu’au travers évoque l’idée de se défiler.

Passer à travers une pile de livres

Rien n’est moins sûr dans ce cas-ci. Les ouvrages ne donnent aucun exemple probant qui irait dans ce sens. Bien sûr, on pourrait se cramponner à la définition originale de « un bout à l’autre, de part en part » figurant dans le Trésor et décider de donner un sens figuré à cette expression. Donc, lire sa pile de livres d’un bout à l’autre.

Toutefois, ce ne serait pas une bonne idée de dire passer au travers d’une pile de livres. L’expression au travers recèle la notion d’obstacles, de danger.

Comme on le voit, la crainte de commettre un anglicisme peut parfois nous pousser vers un purisme excessif.
 

 

Habileté

Certaines personnes remettent en question (et non questionnent) ce qu’ils appellent les habilités du premier ministre Couillard, parce qu’il a nommé un bulldozer doublé d’un malappris à la tête de la Santé, au Québec. Ce qu’il faut peut-être remettre en question, sur le plan linguistique, c’est l’utilisation du mot habileté.

Comme bien d’autres emprunts de l’anglais, il est le parfait faux ami : un mot français qui veut à peu près dire la même chose que son voisin anglo-saxon abilities. Trop tentant de l’emprunter.

Un coup d’œil aux dictionnaires bilingues est souvent révélateur. Le Robert-Collins indique qu’ability se traduit par capacités, aptitudes ou talents. Dans les nombreux exemples, nulle part n’est-il indiqué qu’abilty se traduit par habileté.

Renée Meertens, dans son Guide anglais-français de la traduction, va dans le même sens, ajoutant les traductions compétences, qualification.

Alors qu’est-ce qu’une habileté? « Qualité d’une personne habile. », indique le Petit Robert. Le seul exemple dans lequel le terme est employé au pluriel est le suivant : « Les habiletés du métier. », dans le sens de finesse.

Mais, à bien y penser, peut-être que le vrai terme serait habilité? Eh bien non. Le Robert considère le mot vieilli, avec le sens de « Qualité qui rend apte. »

En fin de compte, les critiques du premier ministre doutaient tout simplement de ses compétences, de son jugement, lorsqu’il a nommé son ministre de la Santé.

En terminant, on me permettra cette petite réflexion : Sana in corpore sano sermone.

 

Fin

Le mot fin n’est pas infini… Il figure dans un certain nombre d’expressions tout à fait légitimes, comme Mener à bonne fin, opposer une fin de non-recevoir, et bien d’autres.

Mais les fins finaux, pardons finauds, sauront détecter d’autres expressions suspectes qui s’écartent un peu de la logique du français pour embrasser celle de l’anglais.

Une analyste politique au français presque impeccable glisse de temps à autre la locution à la fin de la journée alors qu’elle veut dire en fin de compte, au bout du compte.

Les deux expressions qui encombrent le plus souvent le discours sont à toutes fins pratiques et à toutes fins utiles.

Comme cela arrive souvent, elles semblent tout à fait normales et acceptables alors que ce n’est pas le cas. On les utilise souvent dans le sens d’en fin de compte. Pourtant, leur véritable signification n’est pas celle que l’on croit généralement.

Les mesures d’atténuation n’ont, à toutes fins pratiques, rien donné.

On voit l’anglais for all practical purposes, qui signifie pratiquement. Dans la phrase précédente, le sens réel est :  en fin de compte, en fait, en réalité.

Quant à l’autre expression, à toutes fins utiles, elle veut dire tout simplement au cas où.

On dirait donc : Un manuel de l’utilisateur est fourni à toutes utiles.

Morale de cette histoire : vérifier ce genre d’expressions pour connaître le fin mot de l’histoire.

 

Discriminer (suite)

Dans un récent article sur les mots orphelins, je faisais état des problèmes que suscite le verbe discriminer. Un verbe que les rédacteurs cherchent souvent à éviter, alors qu’ils emploient volontiers le substantif discrimination pour désigner cette pratique de mettre un groupe social à part.

Aucun dictionnaire ne donne un exemple incontestable comme «Telle société discrimine tel groupe.» Les concordanciers anglais-français témoignent des hésitations des traducteurs : se révéler discriminatoire; exercer de la discrimination; être discriminatoire; défavoriser, etc. Ce balai sémantique, digne des meilleurs politiciens, étonne.

Pourtant, le journal Le Devoir se montre moins réticent, comme en témoignent les titres suivants :

La SPCA accuse Outremont de discriminer les pit-bulls.

Québec est accusé de discriminer les travailleurs agricoles.

Le projet de loi discrimine les femmes de 42 ans et plus.

Le Québec discrimine les médecins étrangers.

Certains feront valoir que ces exemples proviennent du Québec, où l’on mêle allègrement les mots et structures des deux langues. Et pourtant…

Discriminer les habitants de zones sensibles devient illégal. (Le Monde)

Peut-on discriminer «positivement» des groupes défavorisés? (L’Express)

L’étudiant accuse Oxford de discriminer par l’argent. (Le Figaro)

Comme on le voit, la presse française ne recule pas devant la structure discriminer + complément direct. On notera aussi l’emploi du verbe de manière absolue, comme dans l’exemple du Figaro.

On comprend d’autant plus mal la frilosité du Larousse 2015 qui définit le verbe en question de la manière suivante : faire la distinction entre deux choses. Le Robert, quant à lui, mentionne la forme absolue du verbe : recruter sans discriminer, mais ne donne aucun exemple avec un complément.

Les dictionnaires sont prudents, mais est-ce justifié?