Gaza

Gaza vit un enfer ces jours-ci, un enfer qui fait la une des journaux.

Quelques rappels linguistiques.

Le territoire de Gaza s’appelle la bande de Gaza. Le plus souvent, on dira Gaza tout court; il n’y a pas d’article, tout comme pour Bahreïn. Le toponyme est de genre masculin : Gaza est bombardé quotidiennement. Bien entendu, si on parle de la bande de Gaza, l’accord se fera au féminin.

 Gaza est un territoire situé en bordure de la Méditerranée. Sa capitale s’appelle Gaza elle aussi. Pour éviter la confusion, on dira Gaza-Ville, et non Gaza City comme le font certains journalistes. Gaza City est une INVENTION; la ville ne s’appelle pas ainsi en arabe.

Malheureusement, on répète les mêmes erreurs que jadis, quand on appelait la capitale guatémaltèque Guatemala City, alors que le nom espagnol de la ville est Guatemala Ciudad. Il y a des limites à tout nommer en anglais.

Le genre grammatical des villes est flottant. Certains emploient le masculin, d’autres le féminin. Le genre devient évident lorsqu’on utilise l’article : Le Caire et La Nouvelle-Orléans.

Personnellement, je préfère le féminin, car le substantif ville est féminin. Mais ce n’est qu’un choix personnel, et non une règle.

Gazaoui

Proche-Orient et bain de sang riment encore une fois, si ce n’est pas avec géhenne.

Les médias nous montrent le sort cruel des habitants de la bande de Gaza, qu’on appelle couramment les Gazaouis. Naguère, on parlait des Gazans, terme utilisé également en anglais.

Gazaouis

Les lexicographes, tout comme les médias, semblent avoir abandonné cette appellation au profit de Gazaouis. C’est ce qu’indique le Larousse. Curieusement, le Robert des noms propres ne mentionne pas le nom des habitants de la bande de Gaza. Pratique habituelle des dictionnaires qui hésitent à nommer les habitants d’un territoire qui n’est pas un pays reconnu. Mais cette retenue est frustrante pour les langagiers qui cherchent le mot juste.

Assez curieusement, le Robert-Collins propose Gazaoui comme traduction de l’anglais Gazan. Les auteurs des deux ouvrages ne semblent pas se parler souvent… Le langagier en est quitte à chercher à partir de l’anglais.

Le gentilé Gazaoui vient de l’arabe et on comprend que les scribes l’aient adopté, par souci d’authenticité. Le féminin est Gazaouie ou Gazaouite.

Gentilés arabes

L’utilisation des gentilés arabes ou s’inspirant de la langue arabe s’est accentuée ces dernières années en français. Ainsi, les habitants de Bagdad s’appellent les Bagdadis, au lieu de Bagdadiens; les citoyens des Émirats arabes unis sont devenus les Émiratis, au lieu des Émiriens. Cette tendance vient probablement de la volonté de paraitre « authentique ».

Cette douce anarchie entraine les ouvrages de langue dans son sillon.

Ai-je besoin de préciser que les dictionnaires continuent de diverger et même de se contredire dans leurs propres pages?

Par exemple, le Larousse parle des Gazaouis (arabe), mais des Bagdadiens (français). Pour les habitants des Émirats arabes unis, il s’inspire à la fois du français et de l’arabe : Émiriens et Émiratis

Conclusion

Les gentilés arabisés continueront de se propager, selon toute probabilité. Ils font partie de ce qu’on appelle généralement « l’évolution de la langue », que ça nous plaise ou nous. Les langagiers aboient mais la caravane passe quand même.

Ligne de temps

Ligne de temps, un peu bizarre comme expression, n’est-il pas? Le major Thompson répondrait : c’est… Une ligne de temps, c’est quand on regarde derrière soi pour comprendre une situation particulière.

Il faut voir la ligne de temps pour comprendre comment la négligence des gouvernements a conduit à une catastrophe écologique.

Un bel anglicisme

Anglicisme insidieux. Le tout dernier d’une longue lignée du genre. Il se glisse bien dans un discours et la plupart des gens n’y voient que du feu. Le langagier averti y reconnaitra tout de suite timeline.

« A timeline is a visual representation of a sequence of events, especially historical events », nous dit le Collins.

Ce qu’on appelle en français une chronologie. On pourrait dire aussi la séquence, la suite, l’enchainement des évènements.

En anglais

Timeline comporte aussi deux autres significations dans la langue de Carey Price : il peut s’agir d’un délai, d’une échéance ou bien d’un échéancier. Aussi, la durée d’une action.

Ces derniers sens n’ont toutefois pas percé en français.

Replay

J’écoute régulièrement les informations télévisées de France pour avoir un point de vue différent de ce que j’entends au Canada, mais aussi pour d’autres raisons. À commencer par l’absence de pauses commerciales envahissantes qui brisent le rythme des téléjournaux. Mais aussi pour entendre une langue fluide au vocabulaire précis qui contraste nettement avec celle des journalistes du Canada français (vocabulaire pauvre, syntaxe malmenée, etc.)

Malgré cette richesse linguistique, les bulletins de la télé française nous assènent sans cesse de nouveaux anglicismes, dont la plupart peuvent aisément se traduire en dans notre langue. Shrinkflation est un bon exemple. Évidemment, ces accrocs sont sans commune mesure avec le délabrement de la langue ici.

Sur les ondes françaises, on parle d’une émission en replay. Je tique. L’animateur parle probablement d’une émission diffusée en reprise. C’est en tout cas ce que l’on dirait chez nous.

On peut voir l’expression En rattrapage dans le menu de certaines plateformes de diffusion en continu (streaming en France). Voilà une belle façon de faire sauter l’anglicisme replay.

Dans les dictionnaires

Le Robert propose la définition suivante : « Service qui permet de voir en différé un programme télévisé ou radiophonique après sa diffusion. »

La recommandation officielle est télévision en rattrapage…

Je me demande soudain si les lexicographes français ne se sont pas inspirés de l’expression qui a cours au Canada.

Micro-trottoir

Vox populi, vox Dei, dit l’adage. À la lumière de ce qui se passe dans les médias électroniques ces temps-ci, je serais porté à dire Vox populi, vox niaiseries.

La prolifération des micros-trottoirs dans les bulletins télévisés, tant au Canada qu’en France, est exaspérante. J’y reviens ci-dessous.

Sur le plan linguistique

Le phénomène est bien répertorié dans les deux grands dictionnaires. Il s’agit d’une enquête faite auprès de passants, sélectionnés au hasard, à qui on demande de se prononcer sur un sujet de l’heure.

Micro-trottoir est un mot composé dont le pluriel est micros-trottoirs. Certains s’interrogeront sur le pluriel de micro, qui, dans le cas présent, n’est pas un préfixe signifiant « très petit », mais bien un diminutif de microphone. D’où l’accord.

On entend parfois l’expression vox populi pour désigner ces entrevues spontanées.

Sur le plan journalistique

Dans l’immense majorité des cas, les entrevues de passants n’apportent aucun élément d’information valable. Très souvent, les personnes interrogées n’ont aucune connaissance du problème évoqué; leur réaction est primaire et ne présente aucun intérêt. La mièvrerie envahit nos ondes.

Le phénomène se propage malheureusement. Les infos françaises commencent elles aussi à multiplier micros-trottoirs. Une différence notable, toutefois, le Français moyen arrive quand même à s’exprimer beaucoup mieux que le Québécois rencontré sur la rue. Ses phrases sont mieux construites, même si le propos n’est guère plus élevé.

Alors pourquoi s’entêter à réaliser des micros-trottoirs sur tout et sur rien? La prolifération de ces entrevues inutiles devient exaspérante.

Quelques cas de figure.

Le prix de l’essence augmente. Les personnes interrogées à la pompe sont toutes fâchées : on se fait avoir, ça monte tout le temps, etc. On n’entendra jamais personne dire que, finalement c’est une bonne chose, et que ça rend les gens plus conscients du prix réel de l’énergie.

Un père tue sa femme et ses enfants. Le voisinage est consterné, un si gentil monsieur, on ne se doutait de rien, c’est bien terrible. Le journaliste s’attendait à quoi au juste? Bien content qu’ils soient tous morts, leur chien jappait tout le temps?

Le prix Darwin revient à un brave journaliste de Radio-Canada Outaouais. Les enfants d’une école primaire sont séquestrés, car on craint qu’une personne armée ne fasse un carnage. L’alerte est levée. Le brave galopin en quête d’un prix Pulitzer se tient à côté d’une mère énervée. Elle voit apparaitre sa fille et le galopin en question lui demande « Comment vous sentez-vous? » Elle ignore le type et court vers sa fille.

Du grand journalisme.

Car nous en sommes là : l’émotion, la spontanéité remplacent le journalisme d’enquête.

Des solutions

Revenons au prix de l’essence. Au lieu d’interroger « le vrai monde », on pourrait peut-être enquêter sur la collusion des pétrolières pour fixer le prix de l’essence. Évidemment, c’est plus compliqué…

Le meurtre d’une famille par le père. Une petite enquête sur ce phénomène, son origine et les moyens pris par les autorités publiques pour le combattre. Mais c’est tellement plus simple de poser des questions aux gens.

Des réactions

Ma lettre à la directrice de l’information de Radio-Canada n’a reçu aucune réponse. Mes messages à divers journalistes locaux et nationaux n’ont rien donné, sauf dans le cas d’’une reporter du Téléjournal qui m’a dit qu’elle transmettrait mon message avec plaisir aux responsables de cette politique populiste.

Tiens donc. Ils ne sont pas tous d’accord avec la direction…

Sans doute

La locution sans doute est un bel exemple du danger de prendre une expression au sens littéral. Les synonymes qui nous viennent naturellement sont certainement, assurément, incontestablement.

Pourtant, dans l’usage populaire, ce n’est pas tout à fait ce que l’on veut dire. C’était du moins mon impression. Quand on dit sans doute, eh bien c’est un peu comme s’il y avait un soupçon d’incertitude.

Il n’a pas encore appelé; son vol a sans doute été retardé.

Elle a quitté son poste d’enseignante; c’est sans doute à cause des tâches administratives, dont elle se plaignait beaucoup.

Ajoutons un tout petit mot aux phrases précédentes :

Il n’a pas encore appelé; son vol a sans nul doute été retardé.

Elle a quitté son poste d’enseignante; c’est sans aucun doute à cause des tâches administratives, dont elle se plaignait beaucoup.

La deuxième série d’affirmations est plus claire. Dans ce dernier cas, il n’y pas d’hésitation : la cause est certaine.

Il y a donc glissement de sens. Sans nul doute…

Les dictionnaires

Les perceptions peuvent nous jouer des tours, mais dans ce cas-ci les ouvrages de langue sont explicites. À commencer par le dictionnaire de l’Académie.

Cette valeur de sans doute s’est atténuée au point que, pour exprimer l’affirmation, on renforce le subst. par aucun, nul.

Le Robert emboite le pas : « Selon toutes les apparences. » Il donne comme synonymes apparemment, probablement et vraisemblablement.

Voilà qui dissipe mes doutes.