Réformer le français Deuxième d’une série d’articles proposant une réforme modérée de la langue française pour en éliminer les illogismes grammaticaux et orthographiques, sans pour autant la défigurer complètement.
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Je suis circonflexe. Si peu, en fait.
Êtes-vous circonflexe? Probablement oui, si la simple
perspective de moderniser la langue provoque chez vous une crise d’urticaire. Pourtant,
on a eu bien du mal à imposer cet accent, jadis. Montaigne, par exemple,
demandait à ses éditeurs de ne pas l’utiliser. Les choses ont bien changé.
Bien des gens ont adhéré à ce mot-clic #Jesuiscirconflexe
lorsqu’il a été question d’enseigner dans les écoles française les
rectifications orthographiques de 1990. Levée de boucliers… et de circonflexes
outrés en 2016, dont on peut sentir les braises à peine refroidies dans la
gazouillesphère twitteresque. Allez faire un tour!
Origines
Pourtant, un constat s’impose : l’accent circonflexe
est la trace archaïque d’une prononciation qui n’a plus cours[1].
S’il fallait le conserver, ce serait uniquement par tradition.
Il s’est généralisé au XVIIIe siècle. Avant, on
signalait les voyelles longues soit par un s
muet, étymologique ou non, soit par un redoublement de la voyelle.
Isle, cloistre, connaistre, aage, roole, beeler.
L’accent en question était appliqué en fonction de la
prononciation de l’époque. Ce qui explique que bien des mots ont perdu leur s sans contrepartie :
Chasque, flascon, plustôt, moustarde, soustenir
Beaucoup penseront probablement comme moi : peu me
chaut que telle voyelle était jadis une voyelle allongée. On disait iiiiile, aaaaage? Pourquoi est-il si
important de le signaler aujourd’hui, alors que personne ne parle plus ainsi?
Incohérences
Comme le fait valoir André Goose, dans La nouvelle
orthographe :
« L’accent circonflexe représente une importante difficulté de l’orthographe du français. L’emploi incohérent et arbitraire de cet accent empêche tout renseignement systématique ou historique. »
Les accents – ou leur absence – sont responsables d’un
nombre incalculable d’incohérences orthographiques. Amusons-nous un peu :
Si vous jeûnez vous ne pouvez déjeuner.
L’arôme du pain doré viendra
titiller vos narines à moins que vous ne sirotiez un thé aromatique. La côte est
rude à monter pour atteindre le coteau,
si vous désirez ratisser les
feuilles avec votre râteau.
Celui qui s’assoit sur un trône vient tout juste d’être intronisé.
Le cas classique est celui de symptôme et de syndrome.
On pourrait ajouter bateau, château; haine, chaîne; cime, abîme; bout,
moût; croute, voûte; huche, bûche.
Difficile d’invoquer la différence de prononciation qui
donnerait son utilité à cet accent, les plus fûtés l’auront compris[2].
Citons encore Goose :
L’accent circonflexe, enfin, ne
marque le timbre ou la durée des voyelles que dans une minorité de mots où il
apparait, et seulement en syllabe accentuée (tonique); les distinctions
concernées sont elles-mêmes en voie de disparition rapide[3].
Alors pourquoi conserver l’accent circonflexe? Celui qui
coiffait le mot flûte était
inaudible. Goût et égout se prononçaient de la même
manière.
Je suis circonflexe? Vraiment?
L’élimination presque complète du divin accent n’ira pas sans susciter la réprobation si l’on en juge par les réactions outrées par suite de son retrait partiel en 1990. Clame Raymond Jean : « Alors épargnons-le, choyons-le. Il est de ces petits signes qui nous aident encore à respirer, à nous amuser et à retrouver notre enfance, la continuité de notre vie[4]. »
L’orthographe n’est plus seulement liée à l’étymologie, à la
prononciation. Elle nous amuse, nous rappelle notre enfance… D’ailleurs, les
enfants seront ravis de faire travailler leur imagination en voyant l’accent
sur voûte[5].
Autrement dit, la graphie de voûte devient
une sorte d’idéogramme qui illustre la chose.
Poursuivons dans la même logique jubilatoire. Si l’accent
circonflexe avait vraiment une valeur graphique, alors il aurait fallu écrire lîvre, tître et chapître, comme on écrit épître,
puisque l’accent évoque un livre ouvert.
Et, quant à y être, pourquoi ne pas ajouter toît,
cîme, sur le modèle de faîte…?
L’accent marquerait, la poînte le
sommet – ou plutôt le sommêt – du
mot. À l’opposé, on devrait inverser l’accent pour abîme afin de pointer vers le bas. Ce serait plus réaliste. Et fort
amusant, ma foi.
Certains invoquent la physionomie des mots pour tenter de
justifier cette écriture en idéogramme. L’ennui, c’est que le français ne
s’écrit pas comme le chinois ou le japonais. Et cette écriture graphique ne
ferait son apparition que dans certains cas précis, ceux pour lesquels on
pourrait utiliser l’accent circonflexe…
Cette explication ne tient pas la route.
Alors, faut-il faire passer le circonflexe à la trappe? Pas nécessairement. Nous verrons demain pourquoi.
[1]
Vincent Cespedes, Mot pour mot, Kel
ortograf pour 2m1?, p. 54.
[2]
Tout le monde a bien vu la faute? On écrit futé
sans accent. Flûte alors?
[3]
Goose, op. cit., p. 114.
[4]
Raymond Jean, dans Contre la réforme de
l’orthographe, p. 53.
[5] Roger Little, dans ibid, p. 62.