Les anglicismes inutiles

Toutes les langues empruntent les unes aux autres, presque toujours pour combler des lacunes. Au fil des siècles, le français s’est enrichi d’innombrables emprunts à l’italien, l’espagnol, l’allemand et l’anglais, entre autres.

Il est clair que, depuis le dix-neuvième siècle, notre langue puise ses eaux nouvelles dans le puits sans fond de l’anglais. Certains y voient une grave menace. Avant de s’énerver, il faut considérer les faits suivants :

  • L’apport de l’anglais dans notre langue est d’environ cinq pour cent;
  • Environ la moitié du vocabulaire anglais vient du français et du latin;
  • Les Français ne sont pas encerclés par des nations anglophones et l’afflux de mots anglais ne menace pas la survie de leur langue.

Ceci dit, l’américanomanie bien palpable dans l’Hexagone n’est pas justifiable, surtout qu’il prend une ampleur jamais vue.

Le cas suivant l’illustre bien. Lorsque j’étais gamin, je regardais la série britannique Les Sentinelles de l’air. À présent, la version numérisée s’appelle Thunderbirds, prononcé à la française Sssonderbeurdz! Dans cette série ingénieuse, la Sécurité internationale est devenue International Rescue. Les véhicules qu’on appelait par exemple Numéro Un, dans la série originelle, sont devenus Sssonderbeurdz Un!

Le désir de traduire n’est plus là et je pourrais multiplier les exemples de la sorte. Notamment pour les titres de films américains « retraduits » en anglais en France.

Des anglicismes de trop

Le principe de nécessité ne peut être invoqué pour un grand nombre d’anglicismes utilisés en Europe.

L’un des plus agaçants est sniper, emprunt inutile qui remplace tireur embusqué ou franc tireur. Le mot s’est frayé un chemin jusque dans les grands dictionnaires, délogeant deux belles expressions françaises.

Un autre qui tape sur les nerfs est royalties. Il suffit de regarder la définition de redevances pour constater l’inutilité de l’emprunt. Idem pour docker et débardeurs.

Des emprunts justifiés

Expurger le français de tous les mots anglais qui l’habitent serait ridicule. Bon nombre d’entre eux ont trouvé leur utilité et les tentatives pour les traduire se sont avérées vaines, lorsqu’il y a en eu.

Pensons au néologisme tweet qui désigne une forme particulièrement de micro message, sur la plateforme Twitter. Au Québec, on a proposé gazouillis, mais, le moins que l’on puisse dire, c’est que la pâte n’a pas levé… En fait, cette traduction mène à un cul-de-sac.

Que dira-t-on pour tweeter? Gazouiller? Et retweeter? Regazouiller?

Dans la même veine, le hashtag a fini par s’imposer, bien que l’on voie mot-clic assez souvent.

Un bel exemple d’emprunt heureux est leadership. Que l’on me trouve un mot français pour le remplacer!

En terminant, je vous souhaite une belle année 2016. Pour ma part, je continuerai de défendre la belle langue de chez nous

Benyamin Netanyahou

Jamais un politicien n’a vu son nom décliné de manières aussi variées, sauf peut-être Mouammar Kadhafi.

Le premier ministre d’Israël aligne les graphies contrastées : Benjamin, Binyamin, Benyamin Netanyahu, Netanyahou, Nétanyahou… Ce feu d’artifice étonne, car les anciens chefs de gouvernement de l’État hébreu voient leur nom écrit d’une seule façon. Le plus souvent, on s’en tient à une translittération vers l’anglais : Shimon Peres, Yitzhak Rabin, Menahem Begin. Seul le nom d’Ehoud Barak était translittéré en français.

Translittéré? Les noms hébreux ne sont pas écrits en caractères latins. Il faut donc transposer les sons en respectant les graphies de la langue d’arrivée. C’est ainsi qu’on écrit Poutine en français, mais Putin en anglais.

Comme je l’ai indiqué dans un article sur la langue russe, la translittération n’est pas une science exacte et, pour bien des langues, on se contente des graphies anglaises. Par exemple, pour le japonais. Fukushima, au lieu de Foukouchima.

Ce qui rend le cas de Nétanyahou intéressant, c’est son prénom. On observera que Benyamin revient le plus souvent dans des ouvrages de qualité, comme le Larousse, et des journaux bien rédigés, comme Le Monde et Le Figaro.

Alors pourquoi Benjamin, tout à coup? Il faut savoir que le premier ministre israélien a étudié aux États-Unis et qu’il a probablement voulu simplifier son prénom en le transformant. Or, Benjamin n’est pas son véritable prénom; il s’agit plutôt d’une traduction.

Habituellement, on ne traduit pas les prénoms des personnalités. Que diriez vous de Guillaume Clinton (William)? De Francis Hollande? D’Angèle Merkel?

La graphie Benjamin Netanyahu est une importation de l’anglais. On devrait donc l’éviter, puisqu’un grand dictionnaire et des journaux sérieux emploient une graphie française.

Cela vaudra pour tous les Ariel Sharon qui se sont immiscés dans notre langue.

 

 

Définitivement

Il s’incruste comme une vilaine tache. Il est partout. On ne le voit plus et l’erreur passe le plus souvent inaperçue.

L’utilisation de « définitivement » pour renforcer une affirmation vient de l’anglais definitely. Le faux ami parfait.

« La banque va définitivement augmenter ses taux d’intérêt le mois prochain. » Certainement.

« Serez-vous présent à la réunion? – Définitivement. » Assurément.

Que signifie donc définitivement? D’une manière définitive, une fois pour toute.

« Il est parti définitivement. »

Il faut se méfier de définitivement. Absolument.

Extension

On a lu dans les journaux que le gouvernement fédéral demandait une extension du délai pour faire adopter une loi sur l’aide médicale à mourir. Pour une fois, délai était employé correctement. Mais pas extension, mot malmené dans l’usage populaire.

En fait, le gouvernement demandait une prolongation du délai ou un report. Pris dans ce sens, extension est un anglicisme. Ce n’est pas le seul, d’ailleurs.

On appelle souvent extension une rallonge électrique, qui nous permet par exemple de brancher nos lumières de Noël.

Dans le monde de la téléphonie, l’extension est tout simplement un poste.

Il faut donc se méfier de ce faux ami qui peut faire son apparition dans divers contextes. En politique, par exemple on peut aussi parler de la prolongation d’un mandat, et non de son extension. Dans le domaine juridique, on évitera l’extension d’un contrat.

Confronter

Le verbe « confronter » possède des sens précis. Le premier, mettre des personnes en présence, est bien connu.

Confronter l’accusé avec sa victime.

Il a aussi le sens de comparer deux choses.

Confronter deux textes pour trouver des fautes.

Nous avons confronté deux points de vue.

Ces utilisations sont classiques.

La formulation être confronté fait l’objet de critiques dans les ouvrages de référence. Mais, comme cela arrive souvent en français, ces critiques ne font pas l’unanimité. Certains estiment qu’il s’agit d’une évolution acceptable du français. D’ailleurs, cette tournure n’est pas propre au Québec et se voit partout dans la francophonie, comme l’indique la Banque de dépannage de l’Office québécois de la langue française.

Charles était confronté à des difficultés financières.

Le Petit Robert signale que cette tournure est critiquée, tandis que le Petit Larousse n’y voit aucun problème.

Cette nouvelle situation l’a confronté à une réalité pénible.

Bien entendu, il est toujours possible de reformuler en disant :

Charles était aux prises avec des difficultés financières.

Cette nouvelle situation l’a forcé à faire face à une réalité pénible.

Toutefois, certaines tournures fautives demeurent à éviter.

Le directeur a dû confronter un problème.

Dans ce cas précis, le verbe est mal employé. On affronte un problème. La forme pronominale est aussi à éviter :

Louise s’est confrontée à une énigme.

Vous lirez avec intérêt mon article sur le mot confrontation.