Chefferie

La course à la direction du Parti québécois est lancée et connaîtra son dénouement le 7 octobre prochain.

Il n’est pas rare que les médias parlent de la chefferie d’un parti, notamment d’un congrès à la chefferie. Certains sourcilleront.

Voici ce qu’en dit le Grand Dictionnaire terminologique : Le terme chefferie, bien qu’il soit encore critiqué dans certains ouvrages correctifs, fait partie du vocabulaire politique du Canada français depuis la fin du XIXe siècle, et est parfaitement conforme au système linguistique du français.

Bien entendu, ce terme n’a pas intégré le Petit Robert en ce sens. Pourtant, il existe bel et bien, mais pour l’Afrique. Son sens est toutefois différent : Unité territoriale sur laquelle s’exerce l’autorité d’un chef traditionnel.

Beaucoup parlent aussi d’un congrès au leadership. Ce mot est couramment employé et il est français depuis 1875. Alors, à moins d’être puriste…

Ceux qui voudront éviter chefferie (pas assez officiel ou guindé), et qui se méfieront de l’anglicisme leadership, pourront toujours se rabattre sur direction.

Allons-y donc gaiement : les conservateurs, néodémocrates et péquistes organiseront des congrès à la direction d’ici 2017. Décidément, pas mal de chefferie dans l’air…

Billion

Pas besoin d’être un crack en maths pour constater l’absence du mot billion en français. On dirait même que ce terme n’existe pas, alors que c’est pourtant le contraire.

En anglais, les billions prolifèrent. Ils sont une unité de mesure courante, dont l’équivalent français est milliards. C’est d’ailleurs ce mot que les anglophones utilisaient jadis pour parler de mille millions.

En fin de compte, le terme billion s’est imposé dans la langue d’Obama. Les comptes publics, les profits des banques s’expriment aujourd’hui en billions (anglais) et en milliards (français).

Ce n’est pas le seul écart sémantique entre les deux langues. Jusque là, pas de problème.

Mais la confusion s’installe aussitôt qu’on s’aventure dans le marécage des multiples. Les faux amis sont tapis dans la canopée.

En anglais, mille milliards équivalent à un trillion. Pour les anglophones, la dette publique états-unienne se chiffre à 18,9 trillions de dollars; en français, on parle plutôt de 18 900 milliards. Pourtant, il s’agit en fait de 18,9 billions de dollars.

Le décalage entre les deux langues s’élance vers l’infini… Un tango mortel : billion-milliard; trillion-billion, etc.

Pas étonnant que les sites économiques français s’en tiennent aux milliers de milliards. La domination de l’anglais dans ce domaine particulier – et dans les autres – aurait tôt fait de semer bisbille et confusion.

Il serait trop simple de dire que ce sont les anglophones qui ont tout faux. Remarque intéressante dans le Robert : « Les termes billion, trillion, quatrillion, quintillion et sextillion sont à éviter en raison des risques de confusion entre les nouvelles et les anciennes acceptions. »

Les anciennes acceptions? Le même ouvrage signale que billion avait pour sens… mille millions! Sens qu’a retenu l’anglais, qui, comme c’est souvent le cas, s’inspire de l’ancien français. Vestige de la conquête normande.

Souhaitons maintenant que l’inflation ne parte pas en spirale. Parce que tôt ou tard, les francophones devront décider s’ils s’alignent sur l’anglais pour éviter de graves erreurs de traduction.

Bien sûr, beaucoup protesteront. Mais, parions que le pragmatisme prévaudra : il sera plus simple de changer la définition de trillions dans notre langue que de parler de billions.

À moins que nos amis Américains ne décident de rectifier leur propre terminologie pour l’harmoniser avec celle du français…

Le jour où cela se produira, le salaire d’un employé de magasin se chiffrera en quatrillions… peu importe la manière dont vous définissez ce mot.

Anglicismes inutiles

J’ai écrit des dizaines d’articles sur les anglicismes. La plupart d’entre eux portaient sur les anglicismes sémantiques qui circulent au Canada français. J’ai également abordé la question des anglicismes de l’Europe francophone, qui sont d’un tout autre ordre.

Des lecteurs européens de mon blogue et de mon fil Twitter (@Andrracicot) me répondent parfois lorsque je dénonce certains anglicismes. Ils font valoir que les langues s’enrichissent en empruntant à leurs voisines. Ils ont tout à fait raison.

Des mots comme leadership seraient difficilement remplaçables en français et ils enrichissent notre langue.

De ce côté-ci de l’Atlantique, on a traduit des termes qui ont intégré le vocabulaire français. Un exemple parmi tant d’autres est traversier, qui se dit ferry-boat en Europe. Pivot aime bien le mot entrevue, qui n’est rien d’autre qu’une interview.

Évidemment, on ne peut pas tout traduire. Qui songerait à traduire spaghetti, whisky et bien d’autres mots? Néanmoins, les arguments de mes contradicteurs pour justifier certains anglicismes inutiles et facilement traduisibles sont souvent spécieux.

Certains anglicismes européens surprennent les Québécois parce qu’ils n’en comprennent pas l’utilité, d’autant plus qu’ils ont délogé des expressions parfaitement françaises. De plus, ces anglicismes ne décrivent pas une réalité spécifique anglo-saxonne, qui pourrait justifier leur emploi.

Quelques exemples rapides.

Docker : c’est un débardeur, les dictionnaires sont clairs à ce sujet. Comment se fait-il que le mot français soit vieilli? Mystère. Et pourquoi l’avoir remplacé par docker ?

Follower : se dit couramment abonné partout au Canada. Il a engendré des monstruosités comme unfollower (verbe). « Hugo m’a unfollow. » (sic)

Sniper : ce n’est rien d’autre qu’un tireur embusqué.

Warnings : les feux d’urgence, vous connaissez?

Sponsor : un commanditaire, un parrain. Telle entreprise parraine telle manifestation.

Listing : les ouvrages recommandent listage. Une liste tout court, ça ne suffit pas? Le fait qu’elle provienne d’un ordinateur justifie vraiment l’anglicisme?

Starting-block : les commentateurs canadiens aux Jeux olympiques ont toujours parlé de blocs de départ. L’énoncer en anglais rend-il les coureurs plus rapides?

 

 

Apprécier

« Apprécier » est un verbe limite. Il est un quasi-sosie d’appreciate, au point qu’on peut aisément le confondre avec celui-ci dans l’usage courant.

Commençons par en déterminer le sens général.

Sens général

Son sens en français voisine dangereusement avec celui de l’anglais et, parfois, la frontière entre les deux est ténue.

Le sens général du verbe est de porter un jugement favorable sur quelque chose ou quelqu’un.

Apprécier la cuisine française.

Il peut aussi vouloir dire reconnaître la valeur d’une chose ou d’une personne.

J’apprécie l’intelligence de Marie.

J’apprécie le travail bien fait.

Dans ce contexte, nous sommes au confluent de l’anglais, qui définit appreciate ainsi : « To value highly. »

Cependant, il faut prendre garde de s’aventurer dans les pâturages anglo-saxons en attribuant au verbe apprécier le sens de souhaiter ou de savoir gré.

Les Clefs du français pratique, du Bureau de la traduction, nous mettent en garde contre les sens suivants, empruntés à l’anglais : être reconnaissant, être sensible au fait que…

La construction apprécier que est à bannir.

J’apprécierais que vous révisiez ce texte pour moi.

J’apprécierais que vous m’aidiez à éclaircir cette affaire.

On se méfiera donc de cette construction, un calque manifeste de appreciate that. Elle est d’ailleurs condamnée tant par les Clefs que par la Banque de dépannage linguistique et le Multidictionnaire de la langue française.

 

Un verbe limite

Le Petit Larousse vient toutefois jeter un pavé dans la mare. Il définit apprécier de la manière suivante : « Juger bon, agréable; faire cas de. Apprécier l’aide de quelqu’un. »

Cet exemple est troublant.

Apprécier l’aide d’un ami, n’est-ce pas lui être reconnaissant, lui savoir gré? De toute évidence, le sens est exactement le même qu’en anglais. L’exemple vient du Larousse… Il n’est pas signalé comme un anglicisme.

Il me paraît un peu forcé de dire qu’on porte un jugement favorable sur l’aide d’une autre personne. Il est clair, dans ce cas-ci, qu’on est reconnaissant à notre ami de nous avoir aidé.

Signalons toutefois que le Larousse est le seul à donner un exemple du genre, du moins à ma connaissance.

En d’autres circonstances, je pense qu’on peut employer apprécier assez librement. Si le sens semble trop voisin de l’anglais, vérifier dans un dictionnaire français. On verra tout de suite que la convergence entre les deux langues est grande.

Contrôle

Avons-nous perdu le contrôle avec contrôler?

La question se pose puisque ces deux mots ont vu leur sens infléchi par l’anglais. Pour cette raison, beaucoup de langagiers s’en méfient, voire les condamnent.

Essayons d’y voir clair…

Contrôle

Au sens original, contrôle signifie vérification, inspection.

Exercer un contrôle financier. Faire un contrôle d’identité.

Le mot peut aussi avoir le sens de surveillance.

Contrôle judiciaire, contrôle radar.

Toutefois, contrôle a vu son sens s’élargir sous l’influence de l’anglais, ce qui ne fait pas l’affaire de bien des gens, qualifiés parfois de « puristes ».

Vérifier le bon fonctionnement d’un appareil peut aussi être considéré comme un contrôle.

Le fait de dominer, diriger ou de maîtriser est probablement le sens le plus répandu de nos jours, toujours sous l’influence de l’anglais.

Il a perdu le contrôle de son véhicule.

Avoir le contrôle de ses émotions.

Le fait est que l’expression s’est immiscée dans la langue courante et qu’il paraît maintenant difficile de l’éliminer. Quelques exemples :

Le contrôle des naissances, au lieu de régulation des naissances.

La situation est hors de notre contrôle, au lieu de indépendante de notre volonté.

Et comment ne pas mentionner :

Tout est sous contrôle. Pire : il est en contrôle.

Ce dernier est un grand favori des médias et de l’usage populaire.

Pourtant, il est tellement simple de dire « Tout va bien. » « Il maîtrise la situation. »

Contrôler

Ici, l’anglicisation du substantif se répercute sur le verbe, qui devient tout aussi suspect.

Contrôler la situation? Correct? Fautif? Idem pour « Se contrôler. »

Alors? Oui et non. Tout dépend de votre degré de tolérance pour les anglicismes. En tout cas, le Multidictionnaire de la langue française signale que ces formes sont passées dans l’usage.

Le danger, ici, est que le tandem contrôle et contrôler peut rapidement devenir un passe-partout vers la paresse.

Heureusement, on peut déjouer cette difficulté en faisant appel aux ressources du français.

Contrôler la criminalité (réprimer).

Contrôler la consommation de médicaments (encadrer).

Le gouvernement doit contrôler le déficit (juguler, freiner).

Des extrémistes ont pris le contrôle du Parti républicain (noyauté).

Du singulier au pluriel

On le fait régulièrement en anglais et personne ne tique. Mais en français, on dirait qu’il y a un petit hiatus. Comparons.

The driver called the police and they arrived quickly.

Le chauffeur a appelé la police et ils sont arrivés rapidement.

Cela ne colle pas. Le pronom se rapporte à un nom singulier, pourtant le pronom est pluriel.

L’anglais recourt souvent à ce procédé appelé syllepse grammaticale. Les anglophones sont moins agacés que les francophones, car leur langue s’articule moins autour de la rigueur grammaticale, mais davantage autour de la réalité.

Notre chauffeur de tantôt a appelé la police et on peut présumer que ce sont des policiers qui se présenteront, et non pas un seul. Dans cas, il y a une certaine logique à utiliser un pronom pluriel. De plus, on peut percevoir la police comme une entité collective.

Autre exemple lu récemment sur la Toile :

Mon message à la jeunesse africaine, c’est de leur dire de rester en Afrique.

La jeunesse africaine représente une multitude d’individus. On devine que la phrase ci-dessus vient de l’anglais et qu’on a employé le pronom them. Donc, nouvelle manifestation de l’horripilant singular they.

En français, ça ne passe pas aussi bien qu’en anglais. L’accord devrait se faire en fonction du genre et du nombre du référent. On dira donc :

Mon message à la jeunesse africaine, c’est de lui dire de rester en Afrique.

Ce type de glissement grammatical est toutefois assez répandu en français. Comme le signalent les Clefs du français pratique :

Il est toutefois admis d’employer un pronom qui s’accorde avec un terme sous-entendu à l’esprit de l’auteur plutôt qu’avec son antécédent. L’accord se fait alors selon le sens et non selon les règles grammaticales.

On aura donc des cas dans lesquels les deux formes sont possibles :

J’ai envoyé ma demande à l’université et elle ne m’a pas encore répondu.

J’ai envoyé ma demande à l’université et ils ne m’ont pas encore répondu.

Il faut cependant éviter d’abuser de ce procédé.