Black

Quelle mouche a donc piqué l’Hexagone pour parler des Blacks? Le terme est omniprésent et semble avoir supplanté le mot Noir, du moins par moments.

S’agit-il d’un effet collatéral de ce raz de marée qu’on appelle rectitude politique? Noir serait soudain devenu péjoratif, frappé d’une malédiction subite. Ou s’agit-il encore de cet engouement infantile pour la langue anglaise? Car il est clair que l’anglicisme – comme dans bien des cas – n’apporte absolument rien au français.

En effet, noir faisait bien l’affaire. Ne parlait-on pas du pasteur noir Martin Luther King? De l’esclavage des Noirs aux États-Unis qui a mené à une guerre civile? Sans oublier le Continent noir, l’Afrique.

Amusons-nous un peu et réécrivons le tout en français « moderne » : le pasteur black Martin Luther King assassiné en 1968; l’esclavage des Blacks dans les plantations de coton, des esclaves arrachés au continent black.

Il y a de quoi broyer du noir… ou du black, si vous préférez.

La population noire est de plus en plus présente en France et d’aucuns considèrent que le concours de Miss France n’est pas assez représentatif, alors on a créé Miss Black France (sic) pour « célébrer la beauté noire », nous dit Frédéric Royer, organisateur du concours. La suite vaut la peine d’être lue :

Les femmes noires sont très peu à la une des magazines et à Paris les mannequins noirs sont beaucoup moins employés qu’à Londres.

Dominique Sopo, président de SOS Racisme souligne que « il ne faut pas ethnicer (sic) la question du corps noir. ».

Les lecteurs perspicaces auront remarqué l’emploi répétitif de l’adjectif désuet noir pour parler du concours Miss Black France.

Alors comment expliquer cette éclipse soudaine de l’anglicisme black? Ce mélange de néologisme anglais et d’archaïsme français est quelque peu déroutant.

Est-ce que quelque chose m’échappe ou bien nageons-nous en plein délire?

Master

La France et le Canada ont un vocabulaire universitaire semblable, sauf que les mots n’ont pas toujours la même signification.

À commencer par le baccalauréat, le premier grade universitaire au Canada, représentant trois ans d’études. En France, ce diplôme consacre la fin des études secondaires. Les trois premières années d’université mènent à une licence.

Apparaît l’affreux et agaçant master pour les études de deuxième cycle, ce que l’on appelle chez nous une maîtrise. D’ailleurs, ce terme avait cours dans l’Hexagone, naguère.

Le Petit Robert donne comme exemple : « Le master se substitue à la maîtrise suivie du D.E.A (master de recherche) ou du D.E.S.S. (master professionnel).

Cette mutation du vocabulaire s’explique par une volonté européenne de normaliser le nom des grades universitaires, ce que l’on appelle le Processus de Bologne. La séquence baccalauréat-master-doctorat serait adoptée un peut partout sur le Vieux Continent. Hors de l’anglais point de salut.

On imagine bien la jubilation du milieu universitaire français d’avoir réussi à introduire un flamboyant anglicisme dans sa nomenclature. Avoir un master, cela fait tellement Oxford, tellement New York. Imaginez, avoir un master sans parler un mot d’anglais. C’est formidable!

Alors que reste-t-il de la maîtrise, cette appellation issue de l’ancien français encore parlé par ces pittoresques Canadiens? Ne craignez rien, il s’agit toujours d’un grade universitaire; mais il est délivré en enseignement « après la première année de validation du master », nous explique fièrement le Petit Robert.

On peut maintenant se demander combien de temps l’appellation archaïque licence va survivre avant d’être remplacée par un triomphant bachelor, tant qu’à y être.Bref, le français en prend pour son grade.

Le 11 novembre 1918

Le 11 novembre prochain marquera le centième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, cette effroyable boucherie dont toute l’horreur a été décrite dans l’extraordinaire série Apocalypse.

À l’aube de ce triste anniversaire, il convient de signaler quelques erreurs linguistiques qui ne manqueront pas de pulluler dans les prochains jours.

Tout d’abord il est déplacé de commémorer l’anniversaire de l’armistice. En français on commémore un évènement, pas une date, pas un anniversaire. En temps normal, on célèbre, on fête un anniversaire; dans ce cas-ci, il est difficile de manifester quelque joie que ce soit, sinon d’observer le silence, de se recueillir. On marquera, soulignera cet anniversaire.

Le 11 novembre de chaque année est appelé le jour du Souvenir. On notera l’économie de majuscule : il s’agit d’un jour dont le nom est Souvenir. La double majuscule serait impensable, selon les grammairiens. Le français continue de s’inscrire en faux contre la logique naturelle qui voudrait qu’une appellation aussi solennelle comporte deux majuscules, et non pas une seule. Les autres langues opèrent différemment.

Le 11 novembre est aussi l’Armistice, que l’on écrit avec la majuscule, en toute logique, puisqu’il s’agit d’un évènement historique. À propos, le mot armistice est de genre masculin : un armistice.

La date en question est le 11 novembre 1918. La forme elliptique s’écrit le 11-Novembre, la majuscule indiquant qu’il ne s’agit pas de n’importe quel 11 novembre, mais bien de ce qui marque la fin des hostilités de la Grande Guerre. Ce genre de raccourci existe pour d’autres dates historiques, comme le 11-Septembre ou le 14-Juillet. On remarquera le trait d’union – qui peut être omis – et surtout la majuscule inhabituelle au nom du mois.

La boucherie effroyable de 14-18 est appelée de différentes façons. À l’époque, on parle de la Grande Guerre, celle qui devait être la « der des ders ». C’était oublier l’incommensurable bêtise humaine, toujours aussi prégnante.

Après l’autre boucherie, celle de 1939-1945, on parla de la Première Guerre mondiale.

Momentum

Errare humanum est nous dit l’adage. Le latin a laissé son empreinte dans les langues occidentales, mais celles-ci en ont gardé un souvenir différent. De sorte qu’un latinisme dans une langue n’est pas nécessairement reconduit dans une autre.

Un bel exemple est momentum.

En anglais, le terme peut être traduit de diverses manières, selon le contexte. Ainsi, le Larousse anglais-français nous parle d’une vitesse de croisière; en cas de décélération, il faudrait dire « perdre de la vitesse, s’essouffler ».

Comme le signalent les Clefs du français pratique :

Le nom monentum est employé abusivement, surtout dans la langue du journalisme.

Le site nous propose d’ailleurs toute une pléthore de traductions : cadence, conjoncture favorable, dynamisme, élan, essor, impulsion, lancée, mouvement, rythme, tempo, etc.

Au risque de me répéter, la langue française possède suffisamment de richesse pour se dispenser de suivre l’anglais.

Le monde du sport raffole du momentum. On dira qu’une équipe a le momentum en ce moment et qu’elle devrait essayer de le conserver. Eh bien qu’elle continue sur sa lancée!

En politique, on pourrait parler de dynamique. Maintenir la dynamique de la Conférence de Paris pour lutter contre les changements climatiques est essentiel.

Avoir le momentum, cela peut aussi vouloir dire avoir une longueur d’avance. Les traductrices (féminin générique qui couvre le masculin) savent que le contexte dicte souvent la traduction.

Les mots latins venus par l’anglais ne sont pas rares.

Pensons à item, souvent décrié, à bon droit d’ailleurs. Certes, le mot existe dans notre langue, mais il n’a pas le sens commun d’article, d’objet, que lui prête l’anglais.

Dixit le Larousse :

Tout élément d’un ensemble (lexical, grammatical, etc.) considéré en tant que terme particulier. Élément ou question d’un test.

Le cas de canceller est intéressant. Le mot vient du latin cancellare; mot qui a engendré la descendance suivante :

Espagnol et portugais : cancelar

Italien : cancelare

Le terme a connu une courte carrière en français, sous la forme de canceller, employé dans le domaine juridique. Mais il a disparu de la carte depuis belle lurette. On aurait pu le conserver : Espagnols, Italiens et Portugais parlent-ils moins bien que nous?

Toujours est-il que canceller est réapparu au Canada, grâce à une intrusion par le biais de l’anglais. Mais notre langue ne fait pas tout à fait bande à part en boudant le cancellare latin, puisque le roumain nous imite avec anulare.

Anulare humanum est.