Pour bien des gens, orthographier les noms russes est aussi agréable que d’avaler du bortch…
Nous commencerons notre voyage par Saint-Pétersbourg, mais en passant brièvement par Kyïv avant de nous perdre dans la steppe des graphies contradictoires…
J’ai écrit de nombreux billets sur l’écriture en français des noms russes et slaves, sujet rébarbatif sur lequel les médias ont dû se pencher récemment, à cause de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
L’article que j’avais écrit l’an dernier sur Kyïv et Kiev est soudainement devenu très populaire, au point que j’ai même donné une entrevue sur la question à une émission humoristique québécoise, l’Infoman.
Je planche sur une conférence portant sur la Russie soviétique et celle de Poutine, qui commencent à se ressembler étrangement. Mes passionnantes recherches sur le pays des tsars m’amènent à me frotter à des noms de lieux et de personnes translittérés en français.
Un phénomène m’a immédiatement frappé : les noms écrits en français ne prennent pas toujours l’accent aigu, alors qu’ils le devraient; ensuite les finales en SKI ne sont pas bien écrites.
Les personnes aimant aller au fond des choses poursuivront leur lecture…
L’accent aigu aléatoire
Saint-Pétersbourg est l’ancienne capitale russe bâtie par Pierre le Grand. Pendant la Première Guerre mondiale, elle a été rebaptisée Petrograd. On remarquera tout de suite que le premier nom est correctement francisé, tandis que le second a perdu l’accent aigu qu’il devrait avoir.
La magnifique ville, théâtre de la Révolution russe de 1917, a repris son nom d’origine après la chute du communisme en 1991. Pour ceux qui se le demandent, le nom des habitants est Pétersbourgeois.
Une autre ville marquante de l’histoire de la Russie est Iékatérinbourg, que j’écris avec des accents, alors que dans le Larousse il n’en prend pas. L’encyclopédie nous apprend que la famille impériale a été exécutée à Iekaterinbourg, sans aucun accent. Voilà une curieuse incohérence.
Incohérence il y également avec Boris Ieltsine, que les ouvrages s’entêtent trop souvent à écrire Eltsine. L’anglais est plus près du russe : Yeltsin.
Lénine (avec accent aigu) a été le leader de la Révolution bolchévique. Le nom du révolutionnaire a été francisé un peu partout… Lenine? Niet!
Mais si on écrit Lénine, pourquoi trouve-t-on Tchekhov? Le nom en cyrillique est bien Чехов, le E se prononçant IÉ. On devrait donc écrire Tchiékhov, ou à tout le moins Tchékhov. En anglais : Chekhov.
Force est donc de constater que la transcription en français des noms russes est souvent approximative et ne reflète pas fidèlement la prononciation en langue originale.
Un autre exemple en ce sens est l’adjectif bolchevique, parfois bizarrement écrit bolchevik. La graphie en russe comporte bel et bien un E, prononcé IÉ, ce qui ne semble pas suffire pour lui attribuer un accent aigu dans notre langue. Est-ce que bolchevik et bolchevique font plus exotiques?
Les finales en SKI ET SKY
Les langues slaves comportent une forme de I allongé et mouillé qui s’écrit en russe avec un double I : ий.
Prenons l’exemple connu de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski.
En russe : Фёдор Михайлович Достоевский. Ceux qui lisent le cyrillique voient tout de en finale est le fameux I allongé. On devrait donc écrire Dostoïevsky, le Y servant à illustrer ce I allongé qui n’existe ni en français ni en anglais.
D’ailleurs, les anglophones nous livrent une orthographe bien plus précise du nom de l’écrivain russe : Fyodor Dostoyevsky.
On remarquera que le Y remplace le Ï français dans le prénom, mais que la finale du nom de famille comporte le Y du I allongé.
On observe le même phénomène avec le nom d’un ancien oligarque russe : Михаил Борисович Ходорковский,
Mikhaïl Khordorkovski en français et Mikhail Khordorkovsky en anglais.
Là encore deux graphies légèrement différentes et celle de l’anglais est plus précise.
Conclusion
Il semble que les lexicographes et rédacteurs francophones ont adopté un système graphique s’écartant légèrement de la prononciation du russe. Néanmoins, les Européens francophones se donnent la peine de translittérer vers le français, au lieu d’adopter platement les graphies de l’anglais, comme cela se voit trop souvent au Canada français.
Pour ceux et celles qui veulent éviter de s’embrouiller…