Les journalistes savent-ils encore parler? Sommes-nous en train d’assister au délabrement de notre langue à cause des délirantes réformes de l’enseignement des dernières décennies?
On peut parfois le penser. Écouter certains animateurs à la radio peut devenir très irritant. Les amants de la langue française pourraient les reprendre presque à chaque phrase. Et les journaux sont truffés d’anglicismes.
Notre statut de minorité précaire à l’échelle du continent nous met dans une position délicate. Notre langue essuie un bombardement quotidien de l’anglais. Nous sommes en quelque sorte des miraculés ayant échappé de justesse à l’assimilation. Il est donc normal que notre français soit corrompu.
Ce qui est toutefois remarquable, tant au Québec et qu’au Canada français, ce sont les carences profondes sur le plan de la langue : même les gens les plus instruits font des fautes grossières. Quant au commun des mortels, son français est le plus souvent bancal : il peine à construire trois phrases bien structurées, aligne solécismes et anglicismes, cherche continuellement ses mots. Les vox populi sont éloquents à cet égard. Et que dire de ces enseignants qui font des fautes de grammaire au tableau? Même à l’université, j’en ai été témoin.
Les journalistes ne sont finalement que le reflet de la société à laquelle ils appartiennent. Certains affichent une langue châtiée, tandis que d’autres écrivent à peu près comme ils parlent. Néanmoins, leur maîtrise du français demeure supérieure à celle de l’ensemble de la population.
Le grand mythe au sujet des journalistes est qu’ils n’ont pas le temps de vérifier l’exactitude des termes employés. C’est vrai et c’est faux. Vrai qu’ils sont appelés à nourrir une multitude de plateformes (texte écrit, site Web, Twitter, etc.). Faux qu’ils n’ont pas le temps de chercher. Faire une vérification au dictionnaire prend au plus deux minutes. Encore faut-il le vouloir.
Des chroniqueurs comme Michel David du Devoir et Lysiane Gagnon de La Presse font très peu de fautes. D’autres affichent aussi une langue très correcte.
Le cas de Chantal Hébert est éloquent. Une Franco-Ontarienne de Toronto. Elle aurait de bonnes raisons de faire comme certains de ses collègues et d’aligner les anglicismes lexicaux et syntaxiques. Pourtant, son français est presque impeccable. D’autres, nés au Québec, font plus de fautes qu’elle. Cherchez l’erreur.
Au fond, l’attitude des journalistes n’est que le reflet de celle de la population. À peu près tout le monde veut défendre le français, mais à la condition de ne faire aucun effort personnel pour mieux s’exprimer. Il n’est pas rare d’entendre des personnes instruites clamer que la qualité du français n’a pas d’importance, que tout le monde comprend de toute façon, les défenseurs de la langue étant des ayatollahs qui veulent tyranniser tout le monde.
Depuis une cinquantaine d’années, le journalisme a beaucoup évolué. On assiste à l’avènement d’un certain vedettariat et à la multiplication des chroniques d’humeur. Ces columnists, comme certains appellent ces chroniqueurs, se prononcent sur tout et sur rien, paradent dans les émissions de variété, se croient souvent infaillibles. Ce sont des leaders d’opinion et ils adorent cela.
Beaucoup en viennent à penser qu’ils n’ont rien à apprendre des autres. Les courriels pour leur signaler les petites fautes qu’ils commettent les agacent au plus haut point. Ils ne répondent jamais.
Je me souviens de cette reporter en poste à Québec qui employait le barbarisme démotion, au lieu de rétrogradation. Je lui signale respectueusement son erreur, elle lit mon message, et le soir même répète le mot dans un reportage. Quand l’orgueil personnel l’emporte sur tout. Cette attitude n’est pas rare.
Le plus gros obstacle, c’est le refus des médias de reconnaître leur responsabilité par rapport à la qualité de la langue. Ils sont malheureusement une courroie de transmission des fautes les plus courantes; ils leur donnent leurs lettres de noblesse, en quelque sorte.
Quand on entend continuellement des erreurs comme imputabilité que ce soit à la radio d’État ou à TVA et qu’on le lit dans La Presse et Le Devoir, il est difficile ensuite de faire comprendre aux francophones que c’est une faute. Tout le monde le dit, après tout.
L’influence des médias peut aussi jouer en sens inverse. S’ils décident d’employer une locution correcte, celle-ci devrait se propager comme une traînée de poudre. Je rêve du jour où les médias cesseront de nous inonder d’impacts et de faire en sorte que.
Alors, que faire?
Ne pas hésiter à écrire, même si on se heurte parfois à un mur d’indifférence. Beaucoup de scribes ne demandent qu’à s’améliorer, à la condition de ne pas les harceler et de s’adresser à eux avec respect. Certains sont même très contents d’apprendre quelque chose.
Oui, il faut continuer de se battre. Ne rien dire équivaut à encourager certains scribes à continuer de scribouiller. Après tout, la survie du français en terre d’Amérique a toujours été un combat.
Je suis en accord avec vos propos. Puisque j’étais autrefois journaliste, je peux vous confirmer que des anciens confrères et consœurs affichent leur orgueil surdimensionné lorsqu’on corrige leur français. Permettez-moi d’évoquer deux souvenirs précis de mon ancienne vie.
Tout d’abord, lorsque je soulignais qu’une personne a employé un calque de l’anglais, elle m’a bêtement répondu : « On parle le français de cette façon au Québec et la langue, ajoute-t-elle, ça évolue ! » Deuxièmement, j’ai jadis connu une rédactrice en chef qui insistait pour laisser dans la maquette du journal des fautes. Elle ne voulait pas entendre raison. Elle refusait de feuilleter un dictionnaire, un livre de grammaire ou même un recueil de conjugaison ! Mon ancienne vie m’a fait remarquer que beaucoup de Québécois pures laines n’acceptent pas de se faire corriger par un des leurs et encore moins par les « autres » Québécois.
Bref, en plus des anglicismes, des fautes de grammaire idiotes guettent aussi les Québécois. Par exemple, je ne compte plus le nombre de gens qui ignorent qu’on ne peut employer l’adverbe « oui » en réponse à une phrase négative ou une interrogation négative ! C’est sans compter les fautes de sémantiques. J’entends encore des Québécois favoriser le verbe « crosser » au lieu d’« arnaquer ».