Lorsque tout le monde dit la même chose sur un sujet, il faut parfois s’interroger. Ce qui est trop évident peut être faux, et ce n’est pas parce la quasi-totalité des rédacteurs préfère une graphie qu’elle est exacte. Pensons à nénufar, conspué par les amants de la langue française. Tout le monde sait qu’on écrit nénuphar, c’est dans tous les dictionnaires, après tout. Eh bien non. Cette graphie avec le ph est une faute de transcription qui s’est incrustée dans l’usage. Habituellement, le ph signale un mot venant du grec; or, nénuphar vient de l’arabe nînufâr…
L’ensemble des médias et dictionnaires écrivent Irak. Donc, c’est une bonne graphie, attestée par Le Petit Robert des noms propres, Le Monde, Le Figaro, L’Express, Le Devoir et La Presse.
Le langagier curieux ne peut manquer d’être décontenancé par celle figurant dans Le Petit Larousse : Iraq, le gentilé étant Iraquien.
S’agit-il d’une fantaisie? Pas du tout. Non, nous avons tout simplement devant nous la vraie graphie de cet État du Proche-Orient.
En arabe, le nom en question se prononce approximativement ainsi : « Éraarr », la lettre q en finale étant un raclement léger dans le haut de la gorge. Comme ce son n’existe pas en français, on le symbolise par la lettre q. D’ailleurs, les anglophones, plus précis, écrivent Iraq.
De plus, bon nombre de graphies de villes et de régions dans les pays arabes sont orthographiées avec la même lettre q, non suivie du u. Que l’on pense à Qatar, Al Qaiyah, Shaqra et bien d’autres. Ces noms sont des transcriptions graphiques en français et en anglais.
Bien entendu, les non-arabophones ne prononceront pas Qatar correctement, pas plus d’ailleurs qu’ils ne prononcent Iraq selon les règles. Toutefois, la translittération des langues non écrites en caractères latins pose de graves problèmes. Les transcriptions dans les langues occidentales sont souvent approximatives. On n’a qu’à penser au russe.
Iraq amène un autre problème, celui du gentilé. Logiquement, on devrait écrire Iraqien, puisqu’il ne s’agit pas d’un qu authentique. Mais cette graphie fait vraiment bande à part. Le Larousse, quant à lui, écrit Iraquien.
La graphie Irak découle d’une normalisation de la prononciation arabe. Comme à peu près personne ne sait comment prononcer le nom correctement, on s’est rabattu sur une prononciation approximative. On peut donc comprendre que la graphie ait suivi.
Donc, difficile de condamner Irak, malgré les erreurs que cette graphie comporte.
Iraq/Irak et autre gentilés
L’usage international du français, qui se confond pour moi avec l’usage de l’ONU, dit « Iraq » et « »iraquien » (voir http://unterm.un.org/DGAACS/unterm.nsf/WebView/99F2AD639913C71385256DC700440A4B?OpenDocument). Le Petit Larousse donne « Iraq » et « »irakien », et « iraquien » en variante ». Je suis d’accord avec André Racicot que « »iraqien » serait plus logique.
Il est à noter que les appellations officielles des pays à l’ONU sont établies en consultation avec ces pays non seulement en anglais mais souvent dans les cinq autres langues officielles (arabe, chinois, espagnol, français, russe), notamment en français, qui est avec l’anglais l’une des deux langues officielles de travail du Secrétariat de l’Organisation. Très souvent, il faut le reconnaître, les appellations sont calquées autant que possible sur l’anglais, par souci d’uniformisation, et cela peut entraîner des anomalies dans les autres langues officielles.
L’exemple du « Myanmar » (l’ancienne Birmanie) est particulièrement intéressant : le « r » final a été mis en anglais non pas pour transcrire un véritable son « r » mais pour marquer un son « a » long conformément au génie de cette langue . En français (comme en espagnol), la transcription phonétique correcte aurait donc été « Myanma »… mais le souci d’uniformisation (alignement sur l’anglais) l’a emporté, et le Petit Larousse donne bien « »Myanmar », en variante de « Birmanie ». Le résultat est que la prononciation du nom du pays est estropiée en français et en espagnol (et dans d’autres langues).
Bonne année 2015 ! JR
Pardon pour l’emploi erratique des guillemets dans mon précédent message (problèmes de clavier), mais on aura rétabli. JR
Bon point Jacques
merci pour ce délicieux article fort intéressant
Il est toujours agréable d’avoir des précisions factuelles sur nos interrogations. La graphie precise de certains mots nous échappe régulièrement et nous contraint à de l’a peut prêt aléatoire. Merci encore. ??
Merci de vos commentaires. Heureux de vous avoir été utile.
En français, dans le temps de la Nouvelle-France, on écrivait souvent « Kébec » mais éventuellement la graphie reçue est devenue « Québec ». Ce |Q| français est toujours suivi de |U|(sauf en position terminal) dans les mots considérés vraiment français. Mais |QU|se prononce tantôt |K| (quarante), tantôt |QW| (équation).
En arabe, il y a deux lettres similaires |KAF| ك et |QAF|ق . La première se prononce comme notre lettre K. La deuxième est similaire mais se place à l’arrière de la bouche et le son est donc très gutteral–un son qui n’existe pas en français.
Pour la transcription en caractères latins des lettres arabes, les linguistes emploie K for l’une et Q pour l’autre. La distinction peut être très important. Par exemple, le mot transcrit par « kalb » représenterait le mot « cœur » tandis que « qalb » voudrais dire « dog ».
Si on suit le système de transcription des savants, il faut écrire Iraq, Qatar, etc. Le mot arabe « qatn » a été emprunté en français comme « coton », qui nous est venu par l’italien « cotone ». Ce petit détour par l’Italie nous permet d’éviter de choisir entre |Q| et |K|. C’est donc utile d’avoir un |C| qui change de son selon la voyelle qui le suit.
Le Grand Robert dit : « Iraq tend à se répandre, entraînant pour l’adj. la var. iraqien, ienne.
» Autrement dit, le Grand Robert rejoint les linguistes sur cette épineuse question.