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Bourdes linguistiques à Sotchi

À Sotchi, il n’y a pas que les patineurs de vitesse canadiens qui prennent le décor : les commentateurs ne donnent pas leur place.

Lu dans un texte de RDS : « l’éventuelle médaillée ». Éventuel et éventuellement sont des anglicismes insidieux qui signifient « peut-être », mais surtout pas « futur », comme c’est le cas en anglais. Ce que RDS écrit, c’est que l’athlète en question a possiblement remporté la médaille, alors qu’elle l’a gagnée. Donc, « la future médaillée ».

À la télé, on entend souvent que tel athlète « a bien fait, a mieux fait ». Là encore, on suit les structures de l’anglais. On pourrait dire par exemple que Marianne Saint-Gelais a mieux patiné dans la compétition par équipe, que Marie-Michèle Gagnon s’est bien débrouillée, qu’elle a bien skié malgré les circonstances difficiles.

À ce sujet, les conditions bizarres des pistes n’ont pas aidé les athlètes, et elles ont occasionné de nombreux… délais. C’est du moins ce que l’on entend, mais il s’agit bel et bien de retards. Un délai n’est rien d’autre qu’une échéance, en français.

Certains commentateurs ont des problèmes de fartage linguistique : ils emploient de la cire anglaise pour parler! Pour accompagner la pluie/neige/gadoue de Sotchi, ils nous réservent une pluie de « définitivement », alors qu’ils voudraient dire assurément, certainement.

Petite joie pour les amateurs de hockey, la Finlande a disposé de la Russie. Au sens propre, elle avait l’équipe russe à sa disposition… En fait, elle a vaincu les Russes.

Le Canada remporte beaucoup de succès au curling, mais quelques équipes ont chauffé les oreilles — et les pierres — des Canadiens. Chez les hommes, Chinois et Canadiens étaient nez à nez, c’est-à-dire coude à coude en bon français. Être nez à nez avec quelqu’un signifie le rencontrer à l’improviste, alors que coude à coude a le sens d’être très proche de quelqu’un.

Et je vous fais grâce de tous ces noms russes translittérés à l’anglaise sur nos écrans. Le combat semble perdu d’avance.

Je profite de ce billet pour signaler le travail exemplaire de René Pothier, qui commente à Radio-Canada le patinage artistique. Ses efforts pour prononcer correctement les noms russes, kazakhs, etc., méritent d’être soulignés. Quel beau contraste avec le rouleau compresseur des commentateurs anglophones.

Le monde du sport

Le merveilleux monde du sport est lourdement influencé par l’anglais et on a souvent l’impression que les commentateurs à la télé pensent tout simplement dans la langue de Shakespeare. Passons en revue quelques expressions populaires tout en attisant la nostalgie des défunts Expos de Montréal.

De retour dans la formation, Carter jouera sur une base régulière.

Construction typique de l’anglais, et inutile par-dessus tout. Carter jouera régulièrement, à tous les jours. Soit dit en passant, l’emploi abusif de sur une base + adjectif n’est pas propre au monde du sport.

Tim Raines est un joueur versatile.

Ah bon? Il est sujet aux changements d’humeur? Voilà un bel exemple de faux-ami. En fait, Raines est un joueur polyvalent.

Pedro Martinez est un fier compétiteur.

Autre calque de l’anglais. Martinez est un joueur fougueux, intense.

Les Expos sont très heureux de voir Al Oliver joindre les rangs de l’équipe.

L’erreur ne saute pas aux yeux, mais en français on dit plutôt rejoindre les rangs des Expos ou encore se joindre aux Expos.

Les balles cassantes sont l’un des atouts de Steve Rogers.

Calque de breaking balls, l’expression est tentante… comme une balle courbe, que certains commentateurs qualifient de décevante. Certains feront valoir qu’une balle à effet « casse » en arrivant vers le marbre, alors qu’en fait elle s’infléchit. Mais j’imagine mal les commentateurs en train de parler d’une balle infléchissante… Quant à décevante, le mot renvoie à deception… en anglais, qui signifie « tromperie ». La courbe de Rogers ne déçoit pas les frappeurs, elle les déjoue. Alors pourquoi ne pas parler d’une courbe efficace tout simplement?

Les Expos ont capitalisé sur les erreurs des Mets et ont disposé de l’équipe new-yorkaise par la marque de cinq à zéro.

On peut douter que les Expos aient vraiment converti leur victoire en capital, sens véritable de capitaliser, pas plus qu’ils n’ont mis les Mets à leur disposition… Ils ont profité des erreurs de l’adversaire et l’ont vaincu.

Disposer de quelque chose

Avez-vous l’intention de disposer de vos vieux meubles? Le Canadien peut-il disposer des Sénateurs d’Ottawa au compte de sept à deux?

Ces deux phrases seraient correctes en anglais, mais pas en français. Dans les deux cas, le verbe disposer revêt un sens très courant dans les écrits journalistiques au point que le lectorat n’y généralement que du feu.

Disposer, dans le sens de se débarrasser de quelque chose

De fait, disposer signifie « avoir à sa disposition » et il n’a nullement le sens de défaire, de se débarrasser de.

Longtemps, il existait au gouvernement fédéral un monstre linguistique appelé Corporation de disposition des biens de la Couronne. Deux anglicismes pour le prix d’un; c’est ce qui arrive quand des fonctionnaires s’imaginent qu’ils n’ont pas besoin de traducteurs professionnels. Dans ce cas précis il aurait été plus pertinent de parler de l’aliénation des biens de l’État. En effet, aliéner a le sens plus noble de « se défaire de quelque chose ».

Disposer en français

En français, disposer signifie « avoir en sa possession » et « exercer son droit de propriété », ce qui implique, éventuellement, de se débarrasser d’un bien.

Le mot disposer se voit aussi dans le sens d’être capable de prendre ses propres décisions, d’être libre et indépendant. On parle d’ailleurs du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Le peuple québécois a le droit de disposer de lui-même.

Toute personne a le droit de disposer de son corps.

Dans le monde du sport

La langue des sports est trop souvent teintée d’anglais. « Le Canadien dispose des Sénateurs. » est un autre emprunt à la langue de Shakespeare. Ici, vaincre, défaire, l’emporter sur, avoir raison de auraient été préférables.

Bien oui, il faut souvent travailler très fort dans les coins pour parler français correctement. Disposer est un faux ami redoutable.