Archives de catégorie : Politique

Clause dérogatoire

La fameuse clause dérogatoire, cette disposition particulière de la Charte des droits et libertés du Canada, fait encore couler beaucoup d’encre. Mais les médias ont enfin commencé à l’appeler par son nom exact : la disposition de dérogation, comme quoi il y a parfois espoir de faire évoluer la prose journalistique.

Par le passé, constitutionnalistes, juristes, politologues et journalistes ont tiré dans toutes les directions pour parler de la notwithstanding clause : clause nonobstant, clause de dérogation, clause dérogatoire, etc.

Quid?

Cette disposition de la Charte des droits et libertés permet à un gouvernement de mettre une loi à l’abri de l’application de ladite charte pendant cinq ans. Il s’agit de l’article 33 de la Charte.

Cette disposition a été adoptée en 1982 sous les pressions de gouvernements conservateurs de l’Ouest. Le gouvernement fédéral s’inquiète que le Québec et l’Ontario, notamment, recourent à cette disposition à titre préventif en adoptant une loi controversée. À l’origine, le recours à la disposition de dérogation devait être exceptionnelle. À présent, cette ligne rouge est de plus en plus franchie, d’où le débat actuel.

Sur le plan linguistique

Jadis, les rédacteurs nous assénaient l’anglicisme mal digéré de clause nonobstant, calque hideux de notwithstanding clause. Or, le mot « nonobstant », bien que faisant partie du vocabulaire juridique, ne s’emploie pas de cette manière.

Les langagiers s’interrogeaient également sur l’adjectif « dérogatoire » dans clause dérogatoire. Certains y voyait un beau cas d’usage abusif de l’adjectif : la clause ne déroge pas elle-même parce qu’elle permet de déroger. C’est pourquoi tant le Lexique constitutionnel du Bureau de la traduction que l’Office québécois de la langue française préconisent l’utilisation de l’expression disposition de dérogation.

Adjectivite

Clause dérogatoire serait donc un beau cas d’utilisation abusive de l’adjectif. Pourtant, ce genre de construction dans lequel le rapport entre l’adjectif et le substantif est indirect se voit couramment. Pensons aux poteaux électriques, autobus scolaires, journalistes sportifs, etc. Les poteaux ne sont pas en soi électriques, les autobus ne sont pas scolaires, mais à essence, et les journalistes qui couvrent le hockey ne sont pas nécessairement des athlètes.

Chose certaine, la fameuse clause dérogatoire marque un net progrès sur l’horrible clause nonobstant. Pour plus de prudence, utilisons plutôt disposition de dérogation.

Clause et disposition

Le mot « clause » s’applique lorsqu’il est question des dispositions d’un contrat ou d’un acte juridique. Il est donc préférable d’employer « disposition ».

Néoprogressisme

En politique, on croit souvent réinventer la roue alors qu’on ne fait qu’appliquer de vieilles recettes avec une nouvelle sauce. Ce phénomène s’observe souvent par l’emploi du préfixe néo. Comme on dit souvent au Québec : « Faire du neuf avec du vieux. »

Néoprogressiste

Le terme néoprogressiste vient de faire son apparition pour remplacer l’omniprésent woke dont j’ai parlé dans un article précédent.

Le problème avec woke? Beaucoup sont d’avis qu’il s’agit d’un mot fourretout mal défini. En outre, il a pris une allure péjorative à cause de l’extrémisme de certaines personnes ou organisations qui défendent la culture de l’annulation envers ceux qui les contredisent.

Bref, les wokes n’ont pas nécessairement bonne presse et c’est pourquoi certains auteurs préfèrent parler de néoprogressisme. Cette nouvelle appellation ne change rien au phénomène, car les idées défendues par les wokes rejoignent en grande partie celles de l’extrême gauche traditionnelle.

Le définancement de la police

En 1917 Lénine publie L’État et la révolution dans lequel il présente l’État comme un appareil de répression visant à maintenir la domination de la bourgeoisie. Une fois la révolution accomplie, dit Lénine, la police deviendra superflue parce que les ouvriers seront au pouvoir.

La filiation consciente ou inconsciente entre l’élimination des policiers dans un régime communiste et l’idée de réduire le nombre de policiers par la diminution des crédits me parait évidente.

Au départ, l’idée est bonne : donner plus d’argent aux services sociaux pour combattre la misère, la maladie mentale, au lieu de multiplier le nombre de policiers pour protéger la paix publique. Les policiers n’ont pas les connaissances nécessaires pour traiter des cas de maladie mentale, d’où certains cas désolants de bavure des forces policières.

Mais est-il justifié de réduire les forces policières en pleine guerre de gangs de rue qui se canardent allègrement dans les lieux publics? C’est la question que se posent bien des gens.

Wokisme et pensée marxiste

Il serait extrêmement réducteur de dire que les néoprogressistes ne sont rien d’autre qu’une copie conforme des marxistes de jadis. Ils cherchent à imposer des thèmes qui auraient fait sursauter Marx ou Lénine : la décolonisation, le racisme, le féminisme (bien que très tolérant envers l’islamisme), la théorie des genres, l’appropriation culturelle, etc.

Les thèmes ont évolué, certes, mais la dynamique est la même : se sentir plus conscientisé que la moyenne et avoir la volonté d’imposer à la société un nouveau système de valeurs. Bref, le néoprogressisme est une forme d’extrême gauche, surtout s’il s’accompagne d’une intolérance aigüe aux points de vue opposés. La culture de l’annulation ressemble étrangement au sort réservé aux « ennemis du peuple », fusillés sous Staline ou déportés dans des goulags. Rien de nouveau sous le soleil.

Le progressisme

Mais attention! Il ne faut surtout pas confondre néoprogressisme et progressisme. La gauche traditionnelle est un aiguillon indispensable dans nos sociétés. Elle a été à l’origine de la Révolution française, de la fondation des grands syndicats et de l’État providence, des progrès accomplis dans la cause des femmes, de la lutte contre le racisme, etc.

Il est toujours sain d’ouvrir la discussion et de brasser des idées. Celles avancées par les néoprogressistes méritent d’être discutées, à condition de pouvoir le faire, ce qui est de moins en moins le cas, particulièrement dans les institutions d’enseignement.  

Mais revenons à la question d’hier dans mon article sur le néofascisme : les fascistes trumpistes ou bolsonariens sont-ils si « néo » que cela? On pourrait poser la même question pour les néoprogressistes wokes. Sont-ils si différents des militants marxistes d’hier? Je n’en suis pas certain.

Article sur l’origine du mot « woke »

Article sur le néofascisme

Autres prédictions pour 2023

Grande-Bretagne

Le roi Charles III arrive en trottinette électrique pour son couronnement. Les services de sécurité ont eu un mal fou à le suivre, surtout quand il s’arrête à un kiosque pour manger un fish and chips sur le pouce.

À l’abbaye de Westminster, la confusion règne : la couronne royale a disparu ! Le prince Harry, qui a refusé d’assister à la cérémonie, a envoyé une vidéo à Scotland Yard pour révéler que c’est lui qui a dérobé la couronne et l’a emportée en Californie. « Mon père n’a jamais voulu me la prêter pour que je joue avec quand j’étais petit. C’est pas juste. »

Des témoins affirment avoir vu Meghan Markle la porter dans une discothèque de Los Angeles.

Le nouveau souverain annonce au lendemain de la cérémonie qu’il renonce à être le chef de l’Église anglicane. « L’État n’a pas à adhérer à quelque religion que ce soit ». Il instaure des séances de méditation zen lors des rencontres de la famille royale.

Charles III décide de convertir les châteaux de Balmoral et de Buckingham en Air B and B pour renflouer les coffres de la Couronne. Le roi déménage discrètement au 10 Downing Street où il loue un sous-sol meublé. Camilla claque la porte et se prend un appartement de luxe dans Kensington.

Musée des beaux-arts d’Ottawa

Poursuivant sa politique de rééducation du public, le Musée interdit l’admission aux personnes blanches et instaure la gratuité pour les personnes racisées. La direction présente un plan de décolonisation complète de l’institution qui passe par l’élimination de toutes les œuvres d’artistes blancs et leur remplacement par des productions autochtones, quelle qu’elles soient.

Les œuvres d’artistes blancs seront toutes brûlées dans une cérémonie d’expiation au cours de l’été 2023.

Réaction de l’Assemblée des premières nations : « Nous n’en demandions pas tant. »

Russie

L’arme russe s’enlise en Ukraine et Poutine est forcé de lever de nouvelles troupes. La population russe, totalement indifférente à l’Ukraine, prend conscience que l’intervention russe est finalement une guerre d’usure, contrairement à ce qu’affirment les médias nationaux. Les manifestations contre la guerre prennent de l’ampleur.

Sur le front, des mutineries éclatent. Les soldats en ont marre d’être mal nourris, sous-équipés et de voir que les corps de leurs collègues morts au combat ne sont même pas rapatriés dans la mère patrie et sont enterrés dans des fosses communes.

Des unités se mutinent et décident de rentrer en Russie. Des troupes fidèles au président essaient de les en empêcher. Des combats entre soldats russes éclatent, sous l’œil médusé des troupes ukrainiennes.

Les services secrets qui ont mis Poutine au pouvoir constatent que la guerre est perdue et que la Russie est déshonorée partout dans le monde. Mais ce sont surtout les sanctions qui touchent les oligarques qui font mal et c’est l’élément qui fait pencher la balance. Il est temps de se débarrasser de Poutine. Le président est assassiné dans sa datcha où il passait du bon temps en compagnie de prostituées mises à sa disposition par le Qatar. Officiellement, Poutine a succombé à la covid.

Le nouveau gouvernement s’empresse de retirer ses troupes d’Ukraine, tout en refusant de négocier quoi que ce soit avec Zelinsky. Pendant ce temps, le Kremlin doit faire place à une grave menace : des graffitis inquiétants sont apparus un peu partout sur les murs de Moscou : Démocratie.

Pendant ce temps aux États-Unis…

Joe Biden quitte la présidence en juillet 2023 après s’être perdu deux fois dans la Maison-Blanche et après avoir déclaré la guerre au Liechtenstein. La vice-présidente Kamala Harris lui succède et devient la première femme présidente des États-Unis. Les ventes d’armes augmentent et le Texas menace de faire sécession.

Du côté des républicains, Donald Trump continue de clamer qu’il a gagné en 2020, mais ses partisans s’éloignent peu à peu de lui, lassés par son discours passéiste. Les choses se compliquent lorsque le FBI découvre que l’or de Fort Knox a été discrètement transféré à Mar-a-Lago. Trump clame : Fake news !

Des milices paramilitaires d’extrême droite, des suprémacistes blancs ainsi que des complotistes et toute une nébuleuse conspirationniste affluent à Mar-a-Lago pour protéger l’ancien président. Ils sont armés jusqu’aux dents. Le FBI tente de pénétrer dans la résidence mais est repoussé par des tirs de roquettes. On compte plusieurs morts. Les Américains cherchent des roquettes dans tous les magasins; Wal-Mart a vendu toutes les siennes.

Le 6 janvier, l’armée est appelée en renfort, mais attend les heures de grande écoute avant de lancer l’assaut. L’opération est spectaculaire et filmée sous tous les angles par les drones des différents médias. Une immense explosion fait voler la résidence en éclats tandis qu’une pluie de dorures tombe sur les soldats américains.

Dans les débris, on retrouve les lingots d’or ainsi que 15 000 courriels de Vladimir Poutine. Les enquêteurs découvrent aussi des enregistrements porno tournés à Moscou, dont Trump est la vedette à son insu. Ils sont immédiatement mis en ligne sur PornHub, une entreprise canadienne.

L’ancien président demeure introuvable et les spéculations vont bon train. CNN annonce qu’il a été recueilli par un sous-marin russe; Fox News dit que Trump est mort, mais qu’il va ressusciter le troisième jour.

L’Église trumpienne du Troisième Jour est immédiatement fondée et les dons affluent. Des flagellants trumpistes parcourent les rues du Bible Belt et annoncent la fin du monde. Certains affirment que Trump a fait des guérisons miracles.

Les ventes d’armes montent en flèche.

Prédictions pour 2023

Cette semaine, trêve de billet linguistique. Un coup d’œil amusé, cynique, voire déjanté sur l’actualité canadienne et internationale avec comme fil conducteur : qu’est-ce qui pourrait bien arriver en 2023?

Changements climatiques

Les dirigeants mondiaux se réunissent de toute urgence sur l’archipel de Tuvalu, à la suite d’une montée des eaux fulgurante que les experts n’avaient pas vu venir. Pendant la conférence, le niveau de la mer connait une hausse de deux mètres, alors que les délégués discutent encore de l’ordre du jour. La salle de réunion étant inondée, ils doivent s’enfuir à bord de pirogues, car l’aéroport est submergé. Les complotistes disent que tout cela est une mise en scène.

Les ministres et chefs d’État s’échouent sur les îles environnantes et sont accueillis par des autochtones qui les narguent et leur disent de se débrouiller.

Le ministre canadien Stephen Guilbault se réfugie à bord du yacht de Pétro-Canada dont les dirigeants faisaient partie de la délégation de notre pays.

Canada

Les désaccords entre le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique s’intensifient. Le gouvernement libéral refuse la demande des néo-démocrates de créer un ministère de la Juste pensée, du Racisme et de la Décolonisation. Le gouvernement minoritaire risque de tomber et des élections anticipées pourraient être déclenchées à l’automne.

À Bay Street, les patrons de Justin Trudeau décident que ce dernier doit partir, car il a perdu toute crédibilité et pourrait perdre les prochaines élections. Certains ministres ambitieux commencent à s’agiter : Chrystia Freeland crée son propre ministère personnel : le ministère de Toutes les affaires gouvernementales; Mélanie Joly veut déclarer la guerre à Poutine; François-Phillippe Champagne s’inscrit à un concours de beauté; Sean Fraser veut admettre un milliard d’immigrants d’ici 2035; le ministre de la Justice David Lametti veut mettre le gouvernement québécois en tutelle, parce qu’il pratique le racisme systémique contre les anglophones du Québec.

Le premier ministre Trudeau met de longs mois à se décider à partir. Il est rapidement recruté par TVA, non pas comme analyste politique, mais plutôt comme comédien dans un nouveau téléroman, Beau Brummel. Le rayon des costumes exulte.

Le retour des camionneurs

Un nouveau convoi des camionneurs est organisé en février pour célébrer l’occupation du centre-ville d’Ottawa, l’année précédente. La police d’Ottawa commence à distribuer des contraventions dans le centre-ville pour permettre aux camions de se stationner. Certains policiers contactent les leaders du mouvement pour prendre des nouvelles.  

Cette fois-ci, les résidents du centre-ville d’Ottawa se sont organisés et ont loué des machines agricoles pour bloquer l’entrée de la ville. Le mouvement fait boule de neige et des débrouillards sèment de clous sur les routes autour de la ville. Les camions sont immobilisés, faute de pneus de secours. Des résidents en furie pour l’an dernier mettent le feu à trois camions et jettent un conducteur dans un spa d’eau glacé.

Sans plan précis, les policiers d’Ottawa accourent, en ordre dispersé. Certains se portent malades et rentrent chez eux. Un camionneur sur le point d’être pendu à un lampadaire est sauvé de justesse par les agents qui l’escortent jusqu’au bureau du chef conservateur Pierre Poilievre.

 Les journalistes

Les reporters dans les médias électroniques arrêtent enfin de farcir leurs topos de commentaires de simples passants qui n’ont rien à dire parce qu’ils ne connaissent rien du sujet. Les journalistes se livrent à une activité nouvelle : le journalisme d’enquête.

Un comité spécial est formé dans les médias pour trouver un synonyme aux mots impact, enjeu et conversation.

La covid en Chine

La Chine arrête de clamer qu’elle est un modèle pour le monde et que la démocratie est vouée à disparaître. Devant la fureur populaire, le gouvernement de Pékin met fin à sa politique de zéro covid. Comme beaucoup de personnes âgées ne sont pas vaccinées et que les vaccins chinois sont moins efficaces que ceux fabriqués en Occident, l’épidémie fait rage et des millions de personnes périssent à cause des politiques du gouvernement. La Chine vit exactement la même crise que le reste du monde a connue en 2020-2021.

Le leader Xi Jinping est aux abois et demande l’aide de la communauté internationale. La réponse est tiède. Extrait d’un appel téléphonique entre Xi Jinping et Justin Trudeau.

– Les vaccins que vous nous avez envoyés sont tous périmés, tonne le chef chinois.

– Ah oui ? On va continuer de faire des efforts pour trouver de meilleurs vaccins pour le peuple chinois.

– Vous nous prenez en otage !

Trudeau sourit et raccroche.

Quelques jours plus tard, Xi Jinping est démis de ses fonctions et nommé directeur d’un camp de rééducation ouïgour.

La révolte des Iraniennes

Les Iraniennes continuent de brûler leurs foulards malgré l’intensification de la répression. Les mises à mort isolent de plus en plus l’Iran de la communauté internationale et ne font que jeter de l’huile sur le brasier de la contestation, qui se répand dans toutes les couches de la société. Bien des gouvernements regrettent d’avoir fermé les yeux sur la vraie nature de la République islamique et commencent à aider l’opposition à s’organiser.

Québec solidaire, le NPD et la gauche européenne accusent les Iraniennes d’islamophobie. Le voile est un choix personnel et ce sont les musulmanes occidentales qui sont vraiment brimées.

Le mouvement fait boule de neige en Afghanistan où des femmes commencent elles aussi à brûler leur voile sur la place publique. Des rassemblements s’organisent pour brûler les burqas, ce qui rend les talibans à moitié fous. La révolte gagne aussi les pétromonarchies, particulièrement l’Arabie saoudite, qui doit lâcher du lest pour étouffer l’insurrection. Une remise en question de l’attitude de l’islam envers les femmes et la modernité commence à être discutée.

Le Printemps des Femmes est commencé.

***

Lundi prochain : le couronnement de Charles III ; la décolonisation des musées ; la conclusion de la guerre en Ukraine ; qu’est-ce qui va arriver à Donald Trump en 2023?

Poly se souvient

Le 6 décembre 1989, un homme abattait froidement 14 jeunes femmes qui étudiaient à l’École polytechnique de Montréal. Parce qu’elles étaient des femmes. Pour le meurtrier, elles étaient des féministes et il fallait les abattre.  

À l’époque, on parlait de meurtre, de tuerie visant des « étudiants » (sic). Aujourd’hui, on emploie le terme féminicide.

Féminicide, un mot dont j’ai parlé dans un précédent article, n’existe pas dans le Dictionnaire de l’Académie française. Honteux. Il faut dire que les Immortels étudient présentement la lettre S en espérant publier la version à jour de leur ouvrage avant la destruction de la planète par les changements climatiques.

Heureusement, le Robert et le Larousse ont intégré ce mot taché de sang dans leur corpus.

Le Larousse : « Meurtre d’une femme ou d’une jeune fille, en raison de son appartenance au sexe féminin. Crime sexiste, le féminicide n’est pas reconnu en tant que tel par le Code pénal français. »

Le meurtre sans nom de ces 14 jeunes femmes ne doit jamais être oublié.

Ayons tous une pensée pour elles en souhaitant qu’un jour féminicide soit devenu un archaïsme.

Diktat

Le mot sonne comme un coup de poing sur la table et c’est probablement ce qu’ont éprouvé les représentants allemands devant les conditions de paix imposées à leur pays par le traité de Versailles, après la Grande Guerre.

Ce sont eux, les politiciens allemands, qui ont imposé le mot , dont le sens ne laisse aucune place à l’ambigüité, et celui-ci s’est propagé en français et dans d’autres langues. En français, il a pris deux sens :

1. Traité imposé par le vainqueur au vaincu.

2. Exigence absolue imposée à un groupe ou à une autre personne.

Employé dans un contexte politique, Diktat a un sens très fort et il n’est pas très courant. Il semble qu’on préfère le réserver à la situation de l’après Grande Guerre. Le deuxième sens a percé dans l’usage, mais il a un concurrent : oukase.

Lui aussi vient du vocabulaire politique et historique. Un oukase est un édit du tsar. Mais lui aussi peut prendre le sens d’ordre impératif.

Dans le contexte politique actuel, il serait certainement pertinent de parler des diktats des mollahs iraniens quant au port du voile islamique et des oukases de Vladimir Poutine à l’Ukraine.

Célébrer

 Peut-on célébrer la Journée internationale des personnes en situation de handicap? C’est ce que m’a demandé un lecteur la semaine dernière.

De prime abord, la formulation ne me parait pas erronée, mais en tant que langagier, ne suis-pas une personne qui doute sans arrêt?

Il faut dire que la formulation naturelle serait de souligner, de marquer une journée. Certes oui, et une petite consultation aux dictionnaires semble le confirmer. Célébrer peut signifier : « Marquer (un évènement) par une cérémonie, une démonstration », nous dit le Robert. Il ajoute : « Faire publiquement la louange de. »

On peut célébrer un mariage, une victoire ou encore les mérites de quelqu’un. L’ennui étant ici que l’ouvrage ne donne pas journée comme cooccurent. Faut-il en conclure que c’est une faute? Pas du tout, car les dictionnaires courants n’énumèrent pas systématiquement toutes les constructions possibles avec un mot. Absence n’est pas erreur.

Une recension dans la Toile permet de découvrir que l’expression « célébrer une journée » se voit surtout au Canada. Cause entendue? Ce qui est canadien est forcément faux? Pantoute!

L’Organisation des Nations unies a une page web sur les diverses journées soulignées dans le monde. En bas de la photo, on remarquera le texte suivant « Des femmes de la Côte d’Ivoire se sont réunies pour célébrer la Journée internationale de la femme… »

La rubrique en-dessous de la photo s’intitule Célébrations.

Mon lecteur curieux, qui voulait en avoir le cœur net, m’envoya ensuite une citation de Racine, dans Athalie : « Je viens, selon l’usage antique et solennel, célébrer la fameuse journée… »

La question était quand même pertinente, car les formulations maladroites s’entendent un peu partout et qu’il faut être vigilant.

En situation de handicap?

Je reviens sur la formulation étonnante mentionnée en début de texte. « Personnes en situation de handicap »? En cette période d’extrême sensibilité, il aurait été risqué de parler des handicapés tout simplement. Même la tournure « personnes handicapées » en aurait choqué quelques-uns. Dure journée…

Accent aigu

Francisons, bon sang !

La préparation d’une série de conférences sur la Russie soviétique m’a amené à constater les disparités dans les sources francophones quant à l’orthographe de certains noms russes.

Certains d’entre eux sont francisés, comme Lénine, qui prend l’accent aigu. Pour d’autres, comme Grigory Ordjonikidze, on omet l’accent aigu, pourtant plus précis, bien que l’on voie de temps à autre Ordjonikidzé. Autre personnage du régime bolchévique, Nikolaï Iejov, parfois écrit Iéjov.

Prenons ce dernier cas. Le prénom est bien translittéré : Nikol est le juste reflet de la prononciation russe; le A et le I sont deux lettres distinctes qui se prononcent aïe et non è. Pourtant, le nom de famille Iéjov reçoit souvent un E, que l’on pourrait prononcer comme un E, un É ou un È. Imprécision agaçante.

J’ai déjà discuté de Saint-Pétersbourg, appelée Petrograd (sans accent), avant de devenir Leningrad, toujours sans accent. Illogisme manifeste d’autant plus qu’on a francisé Lénine en le coiffant d’un accent aigu.

Soit dit en passant, l’ancienne capitale impériale est située sur la Neva, qui devrait s’écrire Néva. Francisons ! Bon sang !

Dans un autre article, j’ai parlé des finales en I allongé, que l’on symbolise en français par un Y… Enfin pas toujours. Le flottement le plus évident touche Lev Bronstein, connu sous le nom de Léon Trotsky… du moins chez certains auteurs, car le compagnon de Lénine voit son nom simplifié en Trotski, notamment dans le Larousse.

On observe la même omission pour le maréchal Toukhatchevski. Comme pour Trotsky, son nom russe comporte I allongé en finale : Тухачевский. On devrait donc écrire Toukhatchevsky. Ce que font d’ailleurs les anglophones : Tukhachevsky.

De fait, les noms russes comportant cette finale en I allongé devraient s’écrire avec le Y en français. On aurait donc Dostoïevsky et non Dostoïevski.

Bolchevik

Les communistes radicaux de Russie étaient appelés les bolcheviks. Cette graphie choc, rude comme un coup de canon en 1812… Un peu à l’écart du français, elle a mis du temps à être francisée… jusqu’à un certain point. On a vu apparaitre bolchevique, toujours sans accent. La réforme orthographique de 1990, conspuée par bien des traditionnalistes, nous a donné bolchévique et bolchévisme. Mais une simple consultation des ouvrages et des textes en ligne sur cette idéologie montre clairement que l’usage reste fluctuant, quelque cent ans après la Révolution russe.

Encore plus d’accents aigus!

La problématique de la non-utilisation de l’accent aigu pour les noms étrangers touche bien d’autres toponymes et gentilés, comme je l’ai relaté dans d’autres articles parus dans ce blogue.

Des noms de pays comme Bélarus ou Guatémala gagneraient à être francisés.

Détroit, ville fondée par les Français, mais écrite encore trop souvent à l’anglaise dans les textes de l’Hexagone.

Le nom d’États étasuniens comme la Géorgie et le Névada, peut s’écrire en français

Tous ces flottements illogiques nuisent à l’uniformité du français. Francisons ! Francisons ! Vive l’accent aigu !

Türkiye

Le saviez-vous, la Turquie ne s’appelle plus la Turquie. Non, elle a officiellement changé de nom et a demandé à la communauté internationale de l’appeler Türkiye.

La raison tient à de multiples facteurs. Le président Erdoğan a annoncé la décision en décembre 2021, faisant valoir que l’appellation originale en langue turque « reflète davantage les valeurs turques. » (Devrait-on dire España pour respecter la culture espagnole?)

Il semblerait aussi que le président Erdoğan verse dans la surenchère nationaliste pour favoriser sa réélection à l’automne 2022. Enfin, l’appellation Türkiye serait plus attirante, plus exotique, sur le plan touristique.

Mais le plus troublant est que l’une des raisons invoquées est le fait qu’en anglais Turkey désigne aussi bien le pays d’Atatürk qu’une simple dinde… En effet, croyez-le ou non, la Turquie part en guerre contre toutes ces étiquettes de vêtement « Made in Turkey » qui, en anglais sèment un peu la confusion. Sans parler de ces sublimes traductions neuronales : « Fait en dinde ».

Ces derniers arguments sont inquiétants. Ils signifient que l’hégémonie de l’anglais est tellement prégnante sur notre planète réchauffée qu’elle finit par influencer des langues aussi lointaines que le turc.

Maintenant, la question est de savoir si cette exigence anatolienne passera dans l’usage.

Exemples passés

Comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises dans cette tribune, certains pays ont changé de nom aux Nations unies sans que la pratique du français n’en soit modifiée.

La Biélorussie se fait appeler Bélarus depuis 30 ans; la Birmanie est devenue le Myanmar. Récemment, la République tchèque a troqué cette appellation pour l’abominable Tchéquie, qui a des relents d’occupation nazie de la Bohème-Moravie.

Le Bélarus ne s’est pas imposé dans les médias francophones, pas tellement plus que Myanmar, d’autant plus que ce nom a été choisi par une junte militaire impopulaire.

Quant à la Tchéquie, eh bien tout peut arriver. Pour l’instant, le terme ne semble pas s’imposer dans les médias français. Une recherche dans le Larousse en ligne nous mène… à Turquie. Le Robert électronique ne recense pas la Tchéquie. À mon avis, celle-ci risque d’être mise sur la touche pour tenir compagnie au Bélarus.

Pourtant, on est passé sans problème du Zaïre à la République démocratique du Congo, mais ressemble plus à une exception qu’à autre chose. Le changement s’est peut-être opéré plus facilement parce que l’ancien Congo belge est un pays francophone.

Pour ce qui est de la Turquie, la situation est très différente. Voilà une appellation qui date d’une centaine d’années et, à mon sens, le conservatisme français devrait prévaloir, d’autant plus que le changement est proposé par un président qui n’a pas tellement la cote en Occident.

***

Remerciement à Bronson Whitford de m’avoir signalé cette nouvelle appellation.

Sommet

Ces jours-ci, on rêverait d’assister à un sommet Biden-Poutine sur la sécurité en Europe, après le retrait des troupes russes de l’Ukraine. La neige tardive qui frappe l’Est du Canada en ce 19 avril fait dérailler les esprits les plus équilibrés, semble-t-il…

Je suis sûr que personne n’a tiqué en lisant le mot sommet dans le paragraphe précédent, bien qu’il s’agisse d’une forme raccourcie de conférence au sommet. Cette abréviation s’est répandue à l’époque des sommets du G-5, devenus rapidement les sommets du G-7 avec l’entrée du Canada et de l’Italie dans le cercle des grands dirigeants de la planète. On remarquera la disparition du trait d’union après le grand G. On parle maintenant de sommets du G7.

Effet miroir chez les anglophones. Le Collin’s précise qu’un summit est une rencontre de chefs de gouvernement ou d’autres hauts responsables. L’expression summit conference constitue en anglais un synonyme de summit tout court.

On se rappellera avec nostalgie les sommets Reagan-Gorbatchev, à l’époque où les deux superpuissances arrivaient encore à se parler.