Il est peut-être temps de réfléchir à l’avenir du français au Canada. Voici donc la somme de mes réflexions des derniers mois sur le sort qui attend notre belle langue. Ce billet en deux parties n’est pas une étude scientifique mais ma modeste analyse d’une situation que je juge de plus en plus préoccupante. Peut-être comme vous.
1. Le déclin du français
Depuis quelques mois, les francophones du Québec et du Canada sont alarmés par le recul marqué du français.
Selon le recensement de 2021, la proportion de francophones au Canada est passée de 22,2 pour cent en 2016 à 21,4 pour cent en 2021. Au Québec, le poids démographique des francophones est passé de 79 pour cent à 77,5 pour cent.
Bref, le français recule et cette réalité est de plus en plus perceptible dans certaines grandes villes. À l’extérieur du Québec c’est une tendance qu’on observe depuis des décennies.
Certains optimistes feront valoir qu’il n’y pas lieu de s’alarmer. Le français est une des langues officielles du Canada et la majorité des Québécois peuvent converser en français, peu importe leurs origines.
Pourtant, ces statistiques sont les arbres qui cachent la forêt.
- 2. Un contexte canadien étrange
Les tiraillements entre le gouvernement d’Ottawa et celui de Québec mettent en évidence des visions très différentes, notamment en ce qui a trait à la laïcité. Le gouvernement fédéral a installé des salles de prière dans ses édifices et le dernier budget prévoit des prêts dits islamiques que, soit dit en passant, la majorité des musulmans canadiens n’a jamais demandés.
Un contexte constitutionnel étrange qui étonnerait un Français ou un Allemand. Officiellement, le Canada est un pays multiculturel. Le premier ministre Trudeau va même jusqu’à dire que nous sommes une société postnationale, c’est-à-dire un pays sans culture commune, une sorte de communauté de communautés.
Imagine-t-on le président français en train d’affirmer que la culture française n’est rien d’autre qu’une série de sous-cultures? Le chancelier allemand dire que la nation de Bismarck n’existe pas, en fait? Que ce sont les personnes d’origine turque ou syrienne qui donnent sa véritable identité à l’Allemagne?
Au Québec, on perçoit cette idéologie postnationale comme un autre moyen de banaliser l’existence des francophones au Canada. Pour certains, il s’agit même d’un complot… Mais ce qu’on ne perçoit pas très bien, c’est que l’idéologie en question est aussi une véritable gifle pour le Canada anglais. Après tout, c’est bien lui qui a donné au Canada ses institutions britanniques; qui a créé une société bien plus humaine et compatissante que celle de ses voisins du sud. Mais voilà, le Canada anglais n’est plus qu’une communauté parmi d’autres.
Dire que le Canada est postnational, c’est aussi biffer l’apport des Premières Nations, ravalées elles aussi au rang de spectatrices dans une société soudain privée de compas.
Le multiculturalisme et la société postnationale ont marqué le recul du français au Canada. La gouverneure générale, qui représente le roi anglais au Canada, est la première depuis des lustres à ne pas parler français. Elle a été choisie par Justin Trudeau, et est toujours aujourd’hui incapable de parler français. C’est à mon sens très symbolique.
- 3. Le déclin de la francophonie
Dans mon ouvrage Plaidoyer pour une réforme du français, je manifestais un certain optimisme quant à l’avenir de la langue française. L’Afrique, notamment, allait assurer la pérennité de la langue de Gilles Vigneault. Il semble que j’avais tout faux.
Le français va mal, très mal nous dit le lexicographe québécois Lionel Meney, qui vient de faire paraitre un livre, Le naufrage du français, le triomphe de l’anglais.
Selon Meney, il ne faut pas se laisser leurrer par les chiffres avancés par l’Organisation internationale de la francophonie, qui compte 321 millions de francophones dans le monde. Pour le lexicographe, ce nombre n’est qu’illusion; les Africains qu’on considère francophones parlent en réalité une langue nationale. En Haïti, on parle certes le français, mais la population utilise surtout le créole.
Le lexicographe estime le nombre réel de francophones à tout juste 84 millions de personnes, pas un de plus. Par conséquent, il est illusoire de penser que la population francophone atteindra 767 millions de personnes d’ici 2065.
Certains critiqueront les assertions de Meney. Tout dépend comment on définit un francophone et il y a là un vaste débat. Néanmoins, il y a lieu de s’interroger sur l’avenir de la francophonie, D’ailleurs n’oublions pas la déclaration de la ministre canadienne des Langues officielles, Ginette Petitpas-Taylor :
Le français est menacé au Canada, y compris au Québec.
Ce qui n’aide vraiment pas dans tout cela, c’est l’indifférence de la France et des Français. L’Hexagone s’est donné le président le plus anglicisant de son histoire. Les commerçants ont sombré dans un délire anglomaniaque en multipliant les raisons sociales en anglais, que ce soit pour une boulangerie ou une parfumerie. Le vocabulaire de l’informatique n’est pratiquement plus traduit et tout phénomène social inédit est généralement exprimé en anglais. Un exemple : shrinkflation au lieu de réduflation. Et que dire de la Fashion Week de Paris (City)?
Meney n’est guère optimiste : « Si la bataille du français se perd en France, qu’est-ce qui va rester pour le Québec, en Amérique du Nord ? Ce sera difficile… »
Bref, on pense de plus en plus en anglais, même en France.
Prochain article : les politiques du gouvernement Legault, l’immigration et une louisianisation annoncée
J’ajouterais qu’en plus, il y a une différence entre parler français et parler en francais. Presque tous les jeunes de moins de 50 ans échangent dans une langue avec des mots français et des conjugaisons et des mots anglais francisés, des anglicismes et des « adaptations » comme « adresser un problème », ou « swap ta maison ». Ils veulent être modernes et échanger entre eux dans le même « langage ». Quand on précise la notion ou la compréhension, ils rétorquent par : on s’en fout, vous avez compris !
C’est justement cela le problème. Ils parlent en charabia et du moment qu’on arrive à se comprendre le reste n’a plus d’importance.
Monsieur Racicot,
le scepticisme, voire le malaise que vous exprimez adroitement au sujet des chiffres et discours officiels qui nous assurent de l’envolée du français, en quantité et en qualité, vers les cimes de la mondialisation heureuse, est le même que ressentent au sujet de l’immigration africaine de masse dans l’hexagone les millions de Français qui voteront « mal », pour le mauvais parti extrémiste toussa, aux européennes de juin.
Bien sûr qu’il y aura 767 millions de parfaits francophones en 2065, bien sûr que cette immigration est une chance pour la France, qu’il n’y a aucun changement de peuple en cours, puisque le monsieur de l’Université et la madame des médias vous le disent – et du reste, vous n’êtes pas affreusement réactionnaire ou pire, j’espère ?
Pardonnez ce parallèle mais il est frappant pour moi et voyez, désolé, vous n’êtes pas lu que par des gens qui pensent bien.
En suivant l’exemple d’un lexicographe, vous finissez forcément par vous focaliser sur… le lexique. Or, comme toujours, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ce qui fait vraiment craindre le pire pour le français au Canada, ce ne sont pas tant les anglicismes lexicaux importés de France ou d’ailleurs (ou inventés sur place, bien sûr), mais l’appauvrissement syntaxique, morphologique et grammatical de la langue française au Canada, qui a pris une ampleur catastrophique.
Ce qui sonne le glas du français au Canada, ce n’est pas le lexique. C’est l’incapacité dans laquelle se retrouve la grande majorité des francophones canadiens, pour toutes sortes de raisons, de FORMER DES PHRASES qui soient vraiment idiomatiques et qui ne soient pas des calques syntaxiques directs de l’anglais. Les premiers coupables sont les traducteurs utilisés par les différents services publics et par le secteur privé pour garantir le « bilinguisme » (apparent) des prestations. Mon constat, après des décennies dans la traduction au Canada, est que la majorité des traducteurs n’ont simplement pas les moyens de préserver un VRAI français et finissent par privilégier l’ANGLAIS TRADUIT comme deuxième langue officielle du Canada. Et c’est cela qui sert d’exemple et de modèle au reste de la population francophone du pays.
Cette pauvreté du travail des traducteurs eux-mêmes est due à plusieurs facteurs : pressions liées à des terminologies et des corpus existants bourrés d’anglicismes que les personnes responsables refusent d’envisager de corriger, manque de formation et de culture des traducteurs eux-mêmes, pressions liées aux outils technologiques qui calquent l’anglais (même avant l’arrivée de l’IA), pressions poussant à faire toujours plus en toujours moins de temps et pour toujours moins d’argent, pressions de la société qui obligent les traducteurs à gaspiller leur temps et leurs ressources à tenter de résoudre la quadrature du cercle (écriture « inclusive » en français, par exemple), attachement irrationnel des francophones du Canada à un français déjà bourré d’anglicismes sous prétexte que c’est la langue qu’ils parlent depuis leur plus tendre enfance, etc.
Quand les traducteurs eux-mêmes sont incapables de protéger et de préserver la langue qu’ils sont censés promouvoir, il est clair qu’il y a peu d’espoir pour le reste de la population.
En France, en revanche, le français a encore de beaux jours devant lui, parce que la contagion grammaticale, syntaxique et morphologique est encore loin d’être aussi avancée. En France, on a raison de se focaliser sur le lexical, parce que c’est surtout là que le bât blesse. (Plus les Français eux-mêmes vont adopter des choses traduites, cela dit, plus ils finiront par importer chez eux les problèmes du Canada francophone décrits ci-dessus, bien sûr. Mais on en est heureusement encore loin.)
Ici au Canada, se focaliser sur le lexical, c’est prendre l’arbre pour la forêt. Ce sont les anglicismes de grammaire, de syntaxe et de morphologie qui sont en train de tuer la langue française. Et le processus est malheureusement déjà bien avancé.
Merci. C’est ce que j’ai cherché à exprimer dans mon texte. L’esprit de l’anglais nous hante est sert de toile fond à la décrépitude de notre langue.
Bonjour André,
J’ai pris du retard dans mes lectures de tes articles, mais j’avoue que celui sur Survivre en français tombe pile. Merci de nous faire part de tes réflexions remplies de bon sens.
Bon, dis-moi pas que P. Poilièvre et son gros bon sens est en train de me gagner à sa cause hi! hi!
Merci Carmelle et bonne lecture!