Archives de catégorie : Anglicismes

Batte

Les amateurs de baseball du Québec l’ignorent, mais le mot batte existe bel et bien en français. Pourtant, c’est souvent l’anglicisme bat qui est utilisé. Le plus ironique dans tout cela, c’est que le mot anglais vient fort probablement du français… batte.

La langue anglaise a été durablement influencée par le français après la Conquête normande de 1066. Le français est devenu la langue de la Couronne et de l’administration pendant 300 ans. On estime à 60 pour 100 la proportion de mots d’origine française ou latine en anglais. C’est pourquoi il est logique de penser que bat est la version anglaise de batte.

Comme je l’ai indiqué dans un précédent article, le vocabulaire du baseball a été entièrement francisé au Québec, alors qu’on ne compte plus le nombre de fausses balles dans les traductions françaises d’outre-mer.

Ici, c’est le mot bâton qui est utilisé pour traduire bat. Selon le Robert, un bâton est un « long morceau de bois rond que l’on peut tenir à la main. », tandis qu’une batte se définit comme suit : « Large bâton pour renvoyer la balle (au cricket, au baseball). »

Encore une fois, on voit que les lexicographes français ne comprennent rien au baseball. La batte est effectivement large au cricket, mais pas au baseball. Fausse balle.

Alors bâton ou batte? Les deux mots peuvent s’utiliser, mais il serait plus juste de parler de batte.

Prononciation

La question devient encore plus intéressante quand on sait que les Québécois utilisent parfois le pseudo-anglicisme bat pour décrire l’instrument entre les mains du frappeur. Et le mot se prononce… batte.

Batteur

En toute logique, le joueur qui tient la batte est un batteur. Rien à voir avec Ringo Starr… Au Québec, c’est un frappeur, mais aussi un batteur, qui s’inspire non pas du français, mais bien de l’anglais batter, prononcé à l’américaine.

Plusieurs expressions familières ont germé sur le field of dreams.

  1. Passer au bat : passer un mauvais quart d’heure.
  2. Aller au bat : s’engager, régler un problème.
  3. Batter quelqu’un : lui donner une correction.

Neuvième manche

Pour ajouter au pittoresque de cet article, sans doute ésotérique pour un public européen, mentionnons qu’un projet de nouveau stade de baseball à Montréal portait le nom bucolique de Stade Labatt… Ça ne s’invente pas.

Traductions évidentes

Les emprunts à l’anglais ne sont pas tous répréhensibles; ils viennent enrichir notre langue. Et il est compréhensible que le français puise dans l’anglais américain, comme il s’est jadis abreuvé dans la vasque du vocabulaire italien.

Ce qui est moins acceptable, cependant, c’est de voir des mots ou des expressions facilement traduisibles, mais qui ne le sont pas à cause de la fascination qu’exerce la langue américaine sur les francophones un peu partout dans le monde.

Des traductions évidentes

Il y a en effet des cas où la traduction de l’anglais est tellement simple qu’on se demande pourquoi on ne la fait pas tout simplement. Voici quelques cas :

QR code : le code QR. Tout le monde comprend au Canada. L’anglais n’apporte rien dans ce cas.

Rubik’s cube : le cube de Rubik. Celui-ci est un Hongrois. Alors pourquoi désigner son invention par l’expression anglaise?

Mobil-home : une maison mobile, tout simplement.

Room service : le service aux chambres.

D’autres exemples où la traduction est moins transparente.

Steward : agent de bord. C’est joli et c’est français; délaissons les hôtesses de l’air et les stewards. Horribles tous les deux.

Airbag : coussin gonflable, recommandation officielle. C’est ce qu’on dit couramment au Québec. On pourrait dire aussi coussin de sécurité.

Prompteur : télésouffleur. Un autre mot ridicule inventé par les Québécois. « Prompteur » n’est pas véritablement un mot français, malgré les apparences. Il vient de l’anglais prompter. Bien sûr, il passe mieux. La traduction s’inspire du mot « souffleur », la personne qui souffle leurs répliques aux comédiens à la mémoire défaillante.

Langues empruntent les unes aux autres

On s’entend pour dire qu’il n’existe aucune langue « pure ». Au fil des siècles, un idiome emprunte à ses voisins, au fil des guerres, des invasions ou de l’avènement d’une grande civilisation, comme la Grèce ou l’Empire romain.

Sur cette tribune, j’ai beaucoup discuté de l’anglicisation du français en Europe. Certains m’ont fait valoir que ce phénomène était normal et compréhensible, à cause de la domination des États-Unis dans le monde. C’est exact, mais cela ne justifie pas tous les emprunts.

Les emprunts devraient être réservés à des notions qu’il est plus difficile de rendre en français, des notions qui appellent une périphrase. Il ne faudrait toutefois pas ériger une muraille de Chine entre le français et l’anglais, mais une certaine retenue s’impose. Hélas, la volonté de traduire semble disparue en Europe.

Passé date

Le lait est suri, il est passé date. C’est ce qu’on entend couramment au Québec et au Canada français. Je ne suis pas certain que nos amis européens, africains ou asiatiques comprendraient. Passé date n’est pas français, c’est du franglais caillé.

L’expression serait un amalgame de deux phrases en en anglais : past due et out of date.

En clair, le lait a dépassé sa date de péremption, sa date de conservation. Bref, il est périmé.

Démodé

L’expression s’emploie aussi au sens de démodé. « Selon le contexte, on la remplacera entre autres par les expressions ou les termes suivants : dépassé, passé, vieux, vieilli, archaïque, démodé, ancien, etc. », nous l’Office québécois de la langue française.

Roland Garros en anglais

Le tournoi Grand Chelem de Roland Garros, à Paris, nous ramène à une réalité linguistique brutale : la domination de l’anglais dans le monde du sport.

Tout d’abord une belle surprise de constater que les arbitres donnent le pointage en français, soit la langue du pays où est présenté le tournoi. C’est habituellement ainsi dans les autres pays : en Espagne les arbitres indiquent le score en espagnol. Toutefois, il arrive assez souvent que le pointage soit également dit en anglais.

Parler français demande un effort spécial de la part des arbitres qui représentent plusieurs nationalités. Il faut apprendre certains nombres (15, 30, 40), des chiffres allant de 1 à 6, et au-delà. Ensuite certaines expressions doivent aussi être maitrisées, comme égalité, avantage.

Un milieu international

Le plus souvent, les joueurs et joueuses de diverses nationalités s’expriment en anglais, qu’elles soient polonaises, comme Iga Świątek, ou biélorusses comme Aryna Sabalenka. Certains joueurs sont polyglottes. Pensons à Novak Djokovic qui parle l’anglais et le français, en plus de l’allemand et de l’italien; pensons aussi aux deux sœurs Williams, Serena, qui parlait français et Venus, qui maitrisait l’italien.

La grande vedette de Roland-Garros est incontestablement Rafael Nadal. Le joueur espagnol, maintenant retiré, parlait bien l’italien et un peu le français. Son anglais, par ailleurs, était abominable, rappel des efforts que doivent consentir les joueurs pour le parler.

Néanmoins, qu’on le veuille ou non, la lingua franca au tennis est l’anglais. C’est ainsi que l’Italien Jannik Sinner arrive à converser avec le norvégien Casper Ruud.

Lingua franca ou pas, il est quand même déplorable de constater que le site officiel rolandgarros.com est en anglais; idem pour le compte X @rolandgarros. Mais que voulez-vous, l’anglais est bel et bien la langue de communication du tennis international.

Comble de tout, le commanditaire du tournoi, BNP Parisbas, possède un site, We are tennis, dont le titre est anglais lui aussi. Heureusement, le contenu est en français… du moins pour l’instant.

Petite consolation : un arbitre a annoncé un jeu décisif au lieu de l’agaçant tie-break annoncé au tableau. Un petit smash aux anglophiles.

Penser en dehors de la boite

« Penser en dehors de la boite » est l’un des calques de l’anglais les plus hideux qu’on puisse imaginer. On reconnait bien là la démarche de l’anglais, c’est-à-dire d’illustrer un concept abstrait par une image.

Certaines expressions imagées de l’anglais passent assez bien en français, comme « Le chat est sorti du sac. » On comprend aisément. Mais transposer Think outside the box en français, sans chercher à l’adapter, est une pure catastrophe. Penser en dehors d’une boite est un non-sens dans la langue de Vigneault.

Une journaliste du Devoir a pourtant plaqué l’expression en page éditoriale, incapable, semble-t-il, de la traduire. Ce n’était pourtant pas si compliqué.

  • Quelques idées.
  • Sortir des sentiers battus.
  • Penser autrement.
  • Sortir d’un cadre précis.
  • Innover.
  • Prendre du recul.
  • Voir plus grand.
  • Être créatif, original.
  • Penser différemment du lot.
  • Sortir des schémas établis.
  • Faire preuve d’imagination.
  • Voilà, il aurait suffi de faire preuve d’imagination. Et de cesser de croire que l’anglais est plus expressif, alors que le français est sans ressource. C’est cela penser différemment.

Langue de la radio

La qualité de la langue d’ici est le fil conducteur de ce blogue.

Marie-Josée Olsen, enseignante à l’École supérieure en art et technologie des médias du cégep de Jonquière, s’est justement penchée sur la qualité de la langue à la radio, particulièrement dans les émissions diffusées en direct.

La chercheuse a recensé un nombre considérable d’anglicismes, d’expressions familières et de jurons.

Des expressions familières comme « char », « frette », « niaisage », « pogner » ou encore « cossins » étaient utilisées en ondes. D’ailleurs, le langage familier se retrouve dans TOUTES les émissions écoutées. Comble de tout, Mme Olsen a découvert que, dans 38 émissions sur 40, on note des impropriétés de langage. (Grosse surprise, soit dit entre nous.)

Ce n’est guère édifiant, quand on songe que les médias sont des propagateurs efficaces d’expressions et de mots erronés. Comme je l’ai souligné à maintes reprises, il est très difficile de les convaincre de se corriger et le grand public ne fait que répéter ce qu’il entend partout. Si on le dit à Radio-Canada, à TVA ou on l’écrit dans La Presse, ça doit sûrement être correct, non?

Circulez, il n’y a pas d’enjeu…

On lira avec intérêt l’article du Devoir à ce sujet.

Une langue largement contaminée

Il faut aussi lire l’ancien maire de Gatineau Maxime Pedneaud-Jobin qui, dans un brillant article, expose l’étendue des dégâts. Nous sommes tellement serviles envers l’anglais que nous en devenons incapables de nous exprimer clairement dans notre propre langue. Un désastre.

À force de glisser des mots anglais partout, on en vient à penser que notre langue ne vaut rien, qu’elle est incapable d’exprimer la réalité aussi facilement que l’anglais. Ce qui est faux.

La vulgarité

Ce qui est nouveau, c’est la vulgarité, cette fiente qui éclabousse de plus en plus la langue des médias. Il n’y a pas si longtemps, on exerçait une certaine retenue dans les médias. Les jurons et les propos vulgaires étaient censurés; maintenant, ce n’est plus le cas. La vulgarité est maintenant décomplexée. Il faudrait même créer un nouveau trophée pour nos galas, le Vulgaritas.

Il faut ici rendre un hommage spécial à Guy A. Lepage, qui a donné ses lettres de bassesse aux sacres en ondes à son émission du dimanche soir. Sa contribution à ce chapitre est inestimable et lui vaut un Vulgaritas d’or. Si jamais il me lit, il dira qu’il s’en câlisse. Voilà le problème.

Saluons aussi Chantal Lamarre, à qui nous attribuons un Vulgaritas marron pour ses allusions scatologiques à l’émission du jeudi soir. Elle n’est pas la seule, hélas.

Comment ne pas penser à nos valeureux humoristes? Une émission récente rendait hommage à Yvon Deschamps. Réentendre ses monologues sensibles m’a fait réaliser à quel point l’humour au Québec a dégringolé (a pris une maudite débarque, dirait sans doute un chroniqueur). Deschamps ne jurait pas tout le temps et réfléchissait finement sur la vie. Mais il employait parfois des gros mots, comme nègre et nigger, mais pour se moquer des racistes. Aujourd’hui, Deschamps serait censuré et mis au ban.

Pour le remplacer par qui? Martin Matte?

Ouvrons une petite lucarne dans notre maison empestée et écoutons Boucar Diouf et André Sauvé, qui eux aussi nous amènent à nous interroger, loin du pipi-caca et des blagues sexuelles.

On me permettra de conclure par ce proverbe mongol que je trouve pertinent :

Le sage parle des idées, l’intelligent des faits, le vulgaire de ce qu’il mange.

***

Ce billet renvoie à la réflexion que j’ai développée sur la survie du français en Amérique du Nord. Notre langue décline. Pouvons-nous nous permettre de la massacrer en ondes sans se poser de question?

Survivre en français I

Survivre en français II

Avoir des dents

Laquelle des expressions suivantes est un anglicisme?

  1. Avoir les dents longues.
  2. Se casser les dents.
  3. Montrer les dents.
  4. Avoir des dents.
  5. Avoir une dent contre quelqu’un.
  6. Quand les poules auront des dents.

Un jeune Turc peut avoir les dents longues : il est ambitieux. Mais il peut aussi se casser les dents, c’est-à-dire échouer. S’il est agressif, il montrera les dents et pourra même avoir une dent contre un adversaire. Il reconnaitra ses torts seulement quand les poules auront des dents, c’est-à-dire jamais.

Bien sûr, il a des dents, comme tout le monde. Mais une loi, une série de mesures ne peuvent pas avoir des dents en français. En anglais, si. Évidemment, la traductrice paresseuse (ou son pendant masculin) accouchera d’un retentissant « avoir du mordant », ce qui rejoint l’expression anglaise, et se voudra rassurant pour ceux qui craignent comme la peste de s’éloigner de l’anglais – c’est ce que l’anglais dit, après tout…

Une loi efficace et renforcée permettra au gouvernement de combattre la criminalité, par exemple. La nouvelle loi augmentera la capacité du gouvernement, elle l’habilitera maintenant à répondre plus énergiquement à tel problème. La loi en question est plus rigoureuse, elle plus contraignante.

Annulez donc votre rendez-vous chez le parodontiste et pratiquez un français plus incisif.

À moins d’avoir une dent contre la langue française.

Liker

Une de vos amies poste un statut dans Facebook ou partage un tweet dans X. Vous êtes d’accord avec elle et vous cliquez sur le petit cœur. Vous avez liké son statut.

Relisez bien le paragraphe précédent. Les mots en italique viennent de l’anglais. En fait, une grande partie de ce qui se dit dans le monde de l’informatique et des médias sociaux vient de l’anglais. De nos jours, des mots comme ordinateur, logiciel, téléchargement, sauvegarde seraient énoncés en anglais, sous prétexte que ce sont des termes américains intraduisibles. Ah, cette Amérique mythique.

Je ne reviendrai pas une autre fois sur l’anglicisation de la France. Choose France, comme ils disent.

Liker

Quand on like un message, on l’apprécie, on l’approuve, on l’aime, on est d’accord avec la personne qui l’a écrit. Vous réagissez à ce message, bien que ce verbe réagir soit quelque peu ambigu. Disons que vous réagissez positivement.

Le rédacteur désabusé peut toujours baisser pavillon et utiliser le verbe liker, bel et bien intégré au vocabulaire français et paradant sans vergogne dans le Robert et le Larousse.

Mais attention aux fautes de conjugaison; liker fait nous likâmes au passé simple de la deuxième personne du pluriel. C’est ce que précisent les dictionnaires. Je ne like pas du tout.

Game changer

Les anglophones nord-américains font souvent référence au sport lorsqu’ils s’expriment. Notamment quand ils disent qu’un évènement est un game changer. Dans le cas présent, le plus anglomaniaque des rédacteurs ou traducteurs ne peut vraiment pas calquer l’anglais sans se couvrir de ridicule : changeur de jeu. À moins d’être dans le champ gauche…

Si on reste dans le domaine des sports, on pourrait dire que le circuit de Guerrero a changé le cours de la partie. Appliquer cette métaphore dans un autre contexte est quelque peu forcé. « Les mesures de sécurité renforcées pour les députés ont changé la partie. » Voilà qui est très artificiel. Balle fausse.

Il serait plus naturel de dire qu’attribuer des gardes du corps aux députés est un tournant; cela change les choses (du tout au tout). Voilà qui change les règles du jeu. Il s’agirait ici d’un changement majeur/clé qui donnera un second souffle à la sécurité des élus.

Changer la façon de faire est parfois nécessaire. Au Québec, l’adoption de la Charte de la langue française a changé la donne; un grand évènement qui a transformé le paysage linguistique de notre nation.

Les rédacteurs soucieux ne veulent pas botter en touche. Carton jaune pour game changer et ses dérivés douteux. Tenter le plus souvent de s’affranchir de la logique de l’anglais nous évite d’être mis hors-jeu.

Initier

Le verbe initier revêt un sens quelque peu mystique lorsqu’il s’agit d’amener une personne à accéder à un niveau de connaissance supérieur. (Par exemple en lisant ce blogue!) Les sociétés secrètes, par exemple, initient les nouveaux venus. Mais les facultés universitaires et les équipes de hockey aussi.

Le verbe en question a également un autre sens : celui d’entreprendre quelque chose. Il est souvent frappé d’interdit par les amoureux de la langue française, qui y voient un anglicisme. C’est notamment le cas du Multidictionnaire de la langue française et du Dictionnaire des anglicismes de Colpron. La Vitrine de la langue française le considère comme un emprunt.

Alors, anglicisme ou pas? Il est bien possible que le mot ait pénétré le français sous l’influence de l’anglais, ce que les dictionnaires courants ne signalent pas. À cet effet, il faut prendre en considération qu’initier mot vient du latin initium, qui signifie « commencer ».

Et qu’est-ce qu’une initiative, sinon l’action d’une personne qui entreprend quelque chose? Refuser initier dans le sens d’organiser une activité revient à découpler le verbe et le substantif, une absurdité que l’on voit parfois en français. Voir mon article à ce sujet.

En somme, il y a une certaine logique à employer initier dans un sens élargi, mais il faut toujours garder en tête qu’on n’est pas obligé de le faire. Des verbes comme entreprendre, commencer, lancer, etc. peuvent très bien faire l’affaire.