Les emprunts à l’anglais ne sont pas tous répréhensibles; ils viennent enrichir notre langue. Et il est compréhensible que le français puise dans l’anglais américain, comme il s’est jadis abreuvé dans la vasque du vocabulaire italien.
Ce qui est moins acceptable, cependant, c’est de voir des mots ou des expressions facilement traduisibles, mais qui ne le sont pas à cause de la fascination qu’exerce la langue américaine sur les francophones un peu partout dans le monde.
Des traductions évidentes
Il y a en effet des cas où la traduction de l’anglais est tellement simple qu’on se demande pourquoi on ne la fait pas tout simplement. Voici quelques cas :
QR code : le code QR. Tout le monde comprend au Canada. L’anglais n’apporte rien dans ce cas.
Rubik’s cube : le cube de Rubik. Celui-ci est un Hongrois. Alors pourquoi désigner son invention par l’expression anglaise?
Mobil-home : une maison mobile, tout simplement.
Room service : le service aux chambres.
D’autres exemples où la traduction est moins transparente.
Steward : agent de bord. C’est joli et c’est français; délaissons les hôtesses de l’air et les stewards. Horribles tous les deux.
Airbag : coussin gonflable, recommandation officielle. C’est ce qu’on dit couramment au Québec. On pourrait dire aussi coussin de sécurité.
Prompteur : télésouffleur. Un autre mot ridicule inventé par les Québécois. « Prompteur » n’est pas véritablement un mot français, malgré les apparences. Il vient de l’anglais prompter. Bien sûr, il passe mieux. La traduction s’inspire du mot « souffleur », la personne qui souffle leurs répliques aux comédiens à la mémoire défaillante.
Langues empruntent les unes aux autres
On s’entend pour dire qu’il n’existe aucune langue « pure ». Au fil des siècles, un idiome emprunte à ses voisins, au fil des guerres, des invasions ou de l’avènement d’une grande civilisation, comme la Grèce ou l’Empire romain.
Sur cette tribune, j’ai beaucoup discuté de l’anglicisation du français en Europe. Certains m’ont fait valoir que ce phénomène était normal et compréhensible, à cause de la domination des États-Unis dans le monde. C’est exact, mais cela ne justifie pas tous les emprunts.
Les emprunts devraient être réservés à des notions qu’il est plus difficile de rendre en français, des notions qui appellent une périphrase. Il ne faudrait toutefois pas ériger une muraille de Chine entre le français et l’anglais, mais une certaine retenue s’impose. Hélas, la volonté de traduire semble disparue en Europe.
Mais, enfin, monsieur Racicot, les syllabes ! Le nombre de syllabes ! Celles prononcées, pour dire plus vite !
Voyez tous vos exemple : seul le QR code est à égalité…
Ce n’est évidemment pas une justification mais une évidente explication : évidemment qu’Airbag gagne 2 à 7 contre coussin de sécurité !
A propos de justifications :
ici comme souvent (toujours ?), pour le bien traduire, vous n’en donnez pas :
« cela ne justifie pas… devraient être réservés à… il ne faudrait toutefois pas… une certaine retenue s’impose… » :
pourquoi, pour quelles raisons ?
Ces tournures impersonnelles s’arrêtent au seuil des arguments.
Or quel problème, après tout, à américaniser franchement le français, pourvu qu’on se comprenne, comme ces djeuns de mon club cycliste qui écrivent vouloir « get une map » parce qu’ils « need un parcours plat » ?
Nous nous comprenons très bien, pleins de syllabes en moins par-rapport à « récupérer » et « avoir besoin de », où est le problème ?
Votre combat est le mien, je suis de votre bord, mais je relève cette abstention d’argumentation pour notre cause perdue, et crois en discerner la cause :
la cause, c’est que les raisons de défendre la langue française sont, au fond, concrètement, littéralement… conservatrices. Et que cette orientation, dans les milieux intellectuels bien-pensants où vous évoluez, est intenable, insoutenable, impossible, voisin déjà de la bête immonde.
Nous voulons vous et moi préserver la langue française, notamment de l’anglo-américain mais pas que, parce nous jugeons (OMG, « faut pas juger !.. ») que c’est une oeuvre d’art en péril dont la trajectoire présente n’a strictement rien à voir avec le poncif de l’enrichissement au fil des siècles.
Parce que nous pensons que toute nouveauté ou changement n’est pas bon du simple fait que c’est nouveau : certaines sont à prendre, d’autres non – et c’est ma définition du conservatisme, accordez-la moi, ne serait-ce que par-rapport au (néo-)progressisme inversement défini par Houellebecq.
Mais vous ne pouvez pas le dire, encore moins l’écrire, car le conservatisme est indéfendable et l’idéologie du Progrès, intouchable, invulnérable, car elle est de fait synonyme de Bien.