Lunatique

Certains qualifient parfois le locataire de la Maison-Blanche de lunatique. Ont-ils raison? Ou bien s’agit-il d’un autre anglicisme insidieux?

La réponse appelle des nuances.

Si l’on s’en tient à la définition classique des dictionnaires, on peut dire que le président états-unien est d’humeur changeante, qu’il est versatile, au sens français du terme. Bref, tout le contraire d’une personne constante.

Souvent, on emploie le terme lunatique au sens de « cinglé ». C’est ici que nous glissons insidieusement vers l’anglais… mais pas tout à fait.

Le premier sens de lunatic est celui d’une personne dangereuse et stupide. Ce qui rejoint le titre d’un ouvrage du journaliste Normand Lester sur les États-Unis. En anglais, le terme est très fort, comme on le voit.

Par conséquent, traiter le président de lunatique, au sens de fou à lier, est quelque peu excessif en français.

Mais encore…

Car l’anglais a emprunté au français le sens originel du mot en question. Il suffit de consulter le Trésor de la langue française pour s’en convaincre. Si le premier sens donné est : « Qui est influencé par la lune… » le second est sans équivoque : « Qui est atteint de folie. »

Ce qui rejoint le sens anglais.

Les dictionnaires modernes s’en tiennent plutôt à la définition douce de lunatique et c’est pourquoi on devrait utiliser ce mot avec prudence. N’oublions pas qu’il existe des expressions imagées pour qualifier une personne qui n’a pas toutes ses facultés mentales. « Il lui manque des boulons. » étant l’une d’entre elles.

Au Québec, on peut recenser les expressions suivantes : colon, épais, moron, habitant, niaiseux, dur de comprenure, niochon, pas épais dans le plus mince, sans dessein. La matière abonde. Ceux qui veulent approfondir leur vocabulaire visiteront le site suivant.

La plus savoureuse vient toutefois de l’allemand : Il n’a pas toutes ses tasses dans l’armoire. J’adore.

Go Habs Go

Il n’y a qu’au Québec qu’on imagine une histoire pareille. Le slogan Go Habs Go scandé par les partisans du Canadien de Montréal a fait l’objet d’une plainte à l’Office québécois de la langue française.

Tout d’abord un état de la question et, en fin de billet, une réflexion non linguistique sur ce phénomène.

Un symbole national

Il faut dire qu’au Québec, le hockey est aussi capital que le foot peut l’être en Europe et ailleurs dans le monde. On ne badine pas avec notre sport national.

Le Canadien de Montréal est l’équipe emblématique du hockey. Jadis, elle symbolisait l’affirmation des Canadiens francophones, soumis au joug de la domination des anglophones canadiens. Ils nous opprimaient, mais nous gagnions la coupe Stanley, le championnat du hockey nord-américain. C’était en quelque sorte notre vengeance.

Cette symbolique persiste, même si le nombre de joueurs francophones au sein de la Sainte Flanelle s’est considérablement rétréci.

Traduire?

Toujours est-il que la plainte a mis l’Office dans une situation impossible. Elle a dû trancher et reconnaitre que l’expression en litige est bel et bien un anglicisme. Elle ne pouvait faire autrement, consciente pourtant que toute tentative de traduction reviendrait à marquer dans son propre filet.

Elle a donc proposé Allez Canadiens Allez, bref, une traduction littérale, plâtrée et irréaliste. Pensons-y. Peut-on imaginer une seule seconde les amateurs massés au Centre Bell y aller de ce nouveau cri du cœur? À moins d’avoir consommé des champignons hallucinogènes, peut-être…

Des variantes fantaisistes sont apparues, notamment sur les marquises des autobus municipaux, dont Allez Habitants Allez!

Pour ceux qui ne le savent pas, les Habitants est un surnom des Canadiens. Le H au milieu du logo ne signifie PAS « hockey ».

Le ministre responsable de la langue française a finalement admis que Go Habs Go est un québécisme de bon aloi. Il faut donc le garder.

Go

Le go est un jeu de stratégie chinoise. Pour beaucoup, la controverse entourant le slogan anglais est un bel exemple de chinoiserie linguistique.

Pourtant, le mot go a bel et bien percé en français, notamment pour donner le signal de départ de quelque chose. Mais là n’est pas vraiment la question.

Quelques réflexions

La controverse en question révèle deux choses.

  1. La volonté de protéger la langue française au Québec en essayant de traduire les expressions anglaises.
  2. Le poids écrasant de l’anglais avec sa concision et ses formules lapidaires.

Le simple fait d’essayer de traduire Go Habs Go déclenche l’hilarité. Pourtant, les Français encouragent leur équipe de football en criant « Allez les Bleus! » et personne ne semble trouver cela ridicule.

Ce qui échappe à tout le monde, c’est que personne n’a jamais cherché sérieusement à trouver une formule française adaptée. Le simple fait de soumettre cette idée suffit à recevoir une volée de rondelles.

Go Habs Go renvoie à une réalité plus large, celle de l’imbrication du français et de l’anglais dans la Belle Province. Le fait d’encourager une équipe emblématique du Canada français en employant des termes anglais est quelque peu déconcertant.

Les traductions proposées ne sont pas emballantes parce que trop près de l’anglais. Allez les Canadiens! Allons-y les Canadiens! seraient de meilleurs choix, mais encore une fois, qui va oser les employer?

Quoiqu’on fasse, nous finissons toujours par marquer dans notre propre filet.

Le Centre Bell

Autre élément symbolique, le nom du stade des Canadiens. Lui aussi vient de l’anglais. Quelle belle idée cela aurait été de le baptiser pour honorer un des héros des Canadiens, celui qui a tenu l’équipe sur ses épaules? Le Forum Maurice-Richard. Vous ne trouvez pas que c’est tellement mieux que l’appellation actuelle, platement commerciale?

J’attends maintenant vos mises en échec.

Histoire

Il ne faut pas en faire toute une histoire, mais, dans certaines circonstances, le mot histoire peut s’écrire avec la majuscule initiale.

Mais, force est de reconnaitre que dans la majorité des textes, il se contente de la minuscule.

Ne pas faire d’histoire

Le mot histoire s’entend de la « connaissance du passé des sociétés humaines », selon le Larousse. La Vitrine linguistique de l’Office québécois de la langue française signale que le terme s’écrit le plus souvent avec la minuscule.

Toutefois, il prend parfois la majuscule lorsqu’il est employé absolument.

Quelques exemples :

  • Les grands personnages de l’Histoire.
  • L’Histoire jugera. (On voit aussi : L’histoire jugera.)

L’Histoire avec un grand H

Comment ne pas penser à l’historien québécois Laurent Turcot dont les chroniques L’Histoire nous le dira connaissent un grand succès sur YouTube. Lui aussi emploie la majuscule.

Bien entendu, il n’est pas question de faire des histoires avec l’insertion de la majuscule ou pas. Écrire un mot avec la majuscule initiale est un procédé stylistique normal en français, un procédé dont on ne doit pas abuser, cependant.

On écrira Histoire lorsqu’on veut mettre ce mot en évidence, mais il n’est pas obligatoire de le faire. Rappelons-nous que le français est avare de majuscules, comme je le signalais dans ce billet.

Historique

La notion d’histoire fait l’objet d’une hyperbole envahissante dans la presse, qui qualifie un peu tout et n’importe quoi d’historique. Voir mon billet à ce sujet. Seul un évènement majeur devrait être qualifié d’historique. Le reste, c’est des histoires de bonne femme.

Dérivés

Avant l’histoire, il y eut la préhistoire. On peut la définir comme la période précédant l’invention de l’écriture et « de la première métallurgie », comme l’explique le Robert. On parle ici de la période entre le troisième et le premier millénaire avant Jésus Christ.

En langage didactique, il est question de la protohistoire. Ça fait chic, disons.

Indécrottables…

J’aime beaucoup le cinéma français. Je lis aussi la presse de l’Hexagone ainsi que les publications en ligne du pays de nos ancêtres. Force est de constater que Québec et France sont deux pays séparés par la même langue.

Ce qui est normal. Expressions et tendances linguistiques ne peuvent pas toujours coïncider. Le contraire serait d’ailleurs ennuyeux.

J’ai souvent parlé de l’anglicisation de la France, en essayant de faire quelques nuances. Au risque de me répéter, les anglicismes adoptés dans l’Hexagone n’ont pas du tout la même incidence qu’au Québec et au Canada français. Les Français – tout comme les Wallons et les Suisses romands – ont une maitrise bien supérieure de la langue que les gens de ce côté-ci de l’Atlantique.

Mon observation non scientifique du phénomène m’amène à cibler certains mots fétiches qui circulent en France, qu’il serait facile de traduire, mais qui se sont incrustés dans le vocabulaire.

Email, mail

Le Petit Larousse a beau définir email de façon lapidaire : courriel, rien n’y fait. Tant la littérature, que les publications en ligne ou le monde du cinéma s’envoient des mails. Cause perdue, apparemment.

Smartphone

Aaaah la technologie, qui ne peut se décliner qu’en anglais. Au Québec, smartphone ne s’emploie pratiquement pas. Il est devenu clair pour tout les monde, qu’un téléphone ne peut être qu’un cellulaire (un cell en abrégé). Seuls les esprits précambriens font le lien avec une ligne terrestre.

Airbag

Autre anglicisme assez peu employé chez nous. L’expression traduite fera sûrement sourire les esprits coquins de la Rive Gauche à Paris : coussin gonflable. Une description prosaïque de ces bombes à retardement, qui, dans certains véhicule, tuent le conducteur juste avant qu’il ne périsse à cause de la collision. Il fallait y penser…

Bien sûr, il y a beaucoup d’autres. Mais dans les trois cas précités, on imagine mal le remplacement par un mot français. Indécrottables ils sont, indécrottables ils resteront.

***

Les esprits curieux pourront poursuivre la réflexion en lisant les deux textes ci-dessous. Le second date de 2017, mais il a conservé toute sa pertinence.  

Le français au Québec et en France – > ici

La France en anglais – > ici

Guerre en Irak

On reparle encore parfois de la guerre en Irak lancée en 2003 par le président Bush. Cette dénomination est largement acceptée, mais elle comporte deux failles importantes.

Tout d’abord, la question que personne ne se pose : pourquoi la guerre EN Irak? Dans la même région, il y a eu la guerre du Golfe; plus tôt dans l’histoire la guerre d’Algérie, et encore plus loin dans le temps la guerre du Péloponnèse.

Il serait plus exact de dire la guerre d’Irak.

Irak et Iraq

L’un des articles les plus lus de mon blogue porte sur la double graphie de cet État dont le territoire correspond en partie à l’ancienne Mésopotamie.

La graphie la plus répandue est Irak, mais, pourtant, les Nations unies et le Larousse donnent Iraq. La raison étant que cette orthographe est une transposition du nom arabe, la lettre q symbolisant une consonne inexistante en français, qui ressemble à un raclement dans le haut de la gorge. On observe la même transposition dans d’autres toponymes arabes, comme le Qatar.

Par conséquent il serait plus juste d’écrire la guerre d’Iraq.

Américanismes

La présidence grotesque aux États-Unis attire sans cesse l’attention comme un mauvais téléroman. Au point où même les plus intéressés sentent un écœurement massif les gagner peu à peu.

Cette fixation sur le voisin états-unien n’est pas nouvelle. La puissance et le rayonnement des États-Unis ont eu une influence majeure sur le vocabulaire français.

Américanismes passés dans l’usage

On parle souvent de l’administration américaine, ce qui est un calque de l’anglais. Le mot « gouvernement » conviendrait mieux. L’administration, c’est l’ensemble des services administratifs d’un État, mais pas le gouvernement lui-même.

La preuve étant qu’on ne parle pas de l’administration Macron en France pas plus que l’on évoquait jadis l’administration Merkel en Allemagne.

Le terme convention pour désigner le congrès d’un parti pour choisir le candidat à la présidence est également un américanisme.

Comment ne pas parler de ce détournement de sens qu’est le mot « Amérique » employé au sens d’États-Unis? Cet américanisme abusif est passé dans l’usage depuis longtemps, hélas. Il date de la naissance de la République états-unienne. Il s’agit d’un diminutif de United States of America, devenue America en anglais et Amérique en français. Pensons à de Tocqueville et à sa Démocratie en Amérique.

Toutefois, rien ne nous oblige à l’employer. Appelons le pays trumpien par son vrai nom : les États-Unis d’Amérique. À moins que le président ne signe un décret ordonnant aux francophones de dire Amérique… Tout est possible à Washington ces temps-ci. L’indice boursier des marqueurs monte en flèche…

À propos des Amériques, lisez mon article.

Faux amis

Les faux amis sont un fléau au Canada français. La proximité avec l’anglophonie canado-américaine pèse lourd et il n’est pas rare que des mots français employés au sens anglais se glissent un peu partout, particulièrement dans les médias.

Le président Trump mène une politique de rétribution. En fait, il s’agit de représailles, rétribution ayant le sens de ce que l’on gagne par le travail ou la prestation de services.

L’envahissant inauguration, qui finit toujours par se glisser dans les reportages au Canada français, malgré les efforts incessants que je fais à tous les quatre ans pour prévenir les journalistes vedettes. En français, on n’inaugure pas un président, on l’assermente. Gardez les inaugurations pour les bâtiments, une école, par exemple.

Le président se voit confier un mandat de quatre ans, renouvelable une seule fois. Il ne s’agit pas d’un terme, anglicisme pernicieux.

Une des failles de la Constitution états-unienne est qu’il n’existe aucune limite au nombre de décrets que le président peut prendre. On voit ce que ça donne.

En anglais, on parle d’executive orders, parfois traduit servilement par décrets exécutif. À éviter.

Et comment ne pas parler des fameux tarifs? Ce sont plutôt des droits de douane.

États-Uniens

Devant la folle guerre tarifaire lancée par la Maison-Blanche, certains commentateurs ont commencé à utiliser l’expression états-uniens, pour éviter l’américanisme américain. Certains s’interrogent sur la justesse de ce néologisme, qui existe depuis environ 70 ans. Lisez mon article à ce sujet et soulagez votre conscience.