Les Amériques

Depuis de nombreuses années, il est de coutume de parler DES Amériques, plutôt que de l’Amérique, pour désigner notre continent. Ce pluriel pourrait à la rigueur se justifier en soulignant la pluralité des cultures américaines, le grand nombre d’États qui existent sur notre continent, etc. Mais ce raisonnement n’est rien d’autre qu’un magnifique sophisme, car, à bien y penser, on pourrait aussi parler DES Asies, DES Europes…

Il faut chercher l’origine de ce pluriel chez nos voisins du sud, pour qui le terme America ne renvoie pas au continent – sauf lorsqu’il est question de Christophe Colomb qui « découvre » l’Amérique… En fait, America est le diminutif de United States of America. Nous connaissons la propension des anglophones à tout réduire… y compris leur prénom (quand on pense qu’un président se faisait appeler Bill, au lieu de William…). America en est donc venu à désigner la colonie en rupture de ban avec la Grande-Bretagne et, conséquence logique, le gentilé American a été adopté pour désigner ses habitants.

Ce qui nous a donné Américain en français, faux sens qui s’est imposé, qu’on le veuille ou non. Devant ce phénomène, les francophones plus soucieux de la langue ont introduit États-Uniens, que d’aucuns condamnent, le considérant comme un barbarisme, ce qu’il n’est nullement, puisqu’il figure dans les grands dictionnaires depuis plusieurs décennies. Le terme n’est ni ironique, ni péjoratif, contrairement à ce que l’on croit souvent ; il qualifie les habitants des États-Unis. Les détracteurs d’États-Uniens (aussi écrit Étasuniens) auraient intérêt à regarder du côté du monde hispanique, où Estadounidense est d’usage courant.

Revenons à America. Puisque ce mot est uniquement employé pour parler du pays, il fallait bien en trouver un autre pour désigner le continent et on a eu l’idée de mettre le toponyme au pluriel, the Americas. Le français a fini par être contaminé il y a déjà un bon bout de temps. Pensons au roman de Kafka, Amérique, dans lequel il n’est nullement question du continent. Pensons aussi à Tocqueville, De la démocratie en Amérique, dans lequel il analyse le système politique états-unien. Un simple coup d’œil dans la presse française nous montre qu’Amérique est employé à profusion pour parler de la première puissance mondiale. Le risque de confusion avec le nom du continent croît avec l’usage. Les francophones ont donc adopté la solution états-unienne de mettre le nom du continent au pluriel, d’où les Amériques.

Et d’où un certain flou artistique dans la presse et les publications francophones, les rédacteurs employant Amérique tantôt pour désigner le continent, tantôt pour parler du pays.  Le plus simple, en fin de compte, n’est-il pas de dire les États-Unis?

6 réflexions sur « Les Amériques »

  1. Excellent article !
    Il est vrai que le toponyme « America » peut porter à beaucoup de confusion. Il en est de même en espagnol et en portugais, car quand les hispanophones et lusophones lisent « América », ils pensent sans doute à l’Amérique latine (l’Amérique centrale ou l’Amérique du Sud, selon le cas). En tant que traducteur et rédacteur anglophone, j’opterai pour « United States (of America) » si je sais que mon texte s’adresse à un public états-unien. En revanche, si ma traduction ou rédaction anglaise s’adresse à un lectorat latino-américain, j’emploierai alors « Latin America ».

    Par ailleurs, que pensez-vous des désignations « Amérique française », « Amérique hispanique » ou « Amérique portugaise »? Selon le contexte et le sujet, pensez-vous qu’elles sont tout à fait acceptables dans la rédaction française ?

  2. Ce qui m’a toujours dérangé avec l’appellation États-Uniens, c’est que le nom officiel du Mexique est « Estados Unidos Mexicanos », ou États unis mexicains.

    Si on appliquait rigoureusement la logique des adeptes d’États-Uniens, ce gentilé devrait être utilisé pour désigner à la fois les habitants des États-Unis d’Amérique et ceux des États unis mexicains.

    Je préfère donc la simplicité que permettent les appellations Américains et Mexicains, car il me semble qu’il y ait rarement confusion entre le continent américain et les U.S.A. quand on parle de l’un et de l’autre.

    Qui sait, peut-être qu’avec le temps, le sens du terme « America » va continuer d’évoluer jusqu’à un point où un nouveau devra être créé pour l’Amérique en soi ou pour les États-Unis d’Amérique (en supposant qu’ils continuent d’exister sous leur forme actuelle longtemps encore). « Africa », par exemple, ne désignait-il pas au départ une province romaine du nord de l’Afrique avant de s’étendre au continent entier?

    1. Vous soulevez un bon point avec États-Uniens : j’avais oublié le Mexique ! Sauf que le Mexique ne désigne pas à la fois un continent et un pays. Mais j’ai l’impression, comme vous, que le terme Amérique va finir par s’imposer comme nom de pays. D’ailleurs, beaucoup de gens estiment qu’il y a deux continents : l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Cette subdivision ne fait pas l’unanimité, cependant.

  3. Peu de choses m’agacent plus en français québécois que l’emploi du nom Amérique pour désigner les États-Unis.

    Passe encore que les Français ou les Européens en général le fasse. Après tout, plus on est loin d’une chose, plus le regard qu’on sur elle est flou. Je peux donc concevoir qu’on confonde l’Amérique avec les États-Unis.

    Mais que des gens de ce côté-ci de l’Atlantique, des gens qui sont Américains eux-mêmes, fasse cet amalgame, voilà qui me laisse pantois. Je l’entends sur les ondes de Radio-Canada et le lis dans Le Devoir, deux lieux de parole publique réputés se soucier de la qualité et de la précision de la langue. S’agit-il de snobisme? De « faire français » sous prétexte que c’est mieux?

    Nous sommes encore mentalement bien colonisés par la France. C’en est désespérant.

  4. « Il faut chercher l’origine de ce pluriel chez nous voisins du sud, pour qui le terme America ne renvoie pas au continent – sauf lorsqu’il est question de Christophe Colomb qui « découvre » l’Amérique… En fait, America est le diminutif de United States of America. »

    Vous annoncez expliquer un pluriel… et votre explication est celle de l’usage d’un singulier. Ce n’est pas clair.

    Et puis, le pluriel « Les Amériques » est bien plus ancien que quelques années. Avant de comprendre (fin XVIII°) qu’il s’agissait d’un seul continent, pour parler de ce qui s’appelle aujourd’hui Amérique du nord, et du sud, il était d’usage de dire Les Amériques.

    La question, plus intéressante, est de se demander pourquoi l’expression est restée, alors qu’on ne dit « Les Europes », « Les Asies ».

    C’est, à mon sens, parce que le terme a existé en un temps où cela faisait sens, il y avait dans l’esprit des gens de l’époque, plusieurs Amériques (alors qu’il n’y avait qu’une Europe, qu’une Asie) mais tous ne l’utilisaient pas uniquement dans un sens strictement géographiques.

    Les Amériques étaient des terres « promises », où on trouverait l’aventure, la fortune. Aller « Aux Amériques » n’était pas seulement une destination géographique, mais aller vers une nouvelle vie. Le fait qu’un jour un géographe a montré qu’il n’y a qu’un seul continent n’a rien changé à l’expression qui était devenue synonyme de changement, d’espoir, de conquête.

    Il y a donc deux usages aujourd’hui : celui que vous avez indiqué, c’est à dire le désir presque journalistique de souligner les différences de cultures, et celui, généralement volontairement naïf, qui évoque le départ vers des terres nouvelles où tout serait possible.

    Je vous invite à écouter cette chanson interprétée par Piaf, où vous verrez que les paroles font une confusion volontaire entre Sydney et « Les Amériques », pour souligner le rêve naïf que représente l’expression dans son usage populaire. https://www.youtube.com/watch?v=XyowpfSC3zI

    Quand à la confusion qu’il y a à dire Amérique plutôt qu’États-Unis d’Amérique, je suis tout à fait d’accord, pour ma part je choisis le plus souvent de dire USA. Si étasunien ne s’impose pas, c’est probablement parce qu’il n’offre pas une bonne solution car il y a d’autres états-unis.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *