Lorsque j’ai écrit la première mouture de cet article, je ne croyais pas que j’allais le remanier pour la deuxième fois six ans plus tard. Force est de constater que, encore et toujours, tout est historique. Tout.
Il fait chaud : nous avons une canicule historique; une rencontre entre deux leaders devient vite historique; un sommet entre deux pays aussi; la saison misérable des Canadiens est historique tout comme, tenez-vous bien, l’élection d’une députée caquiste dans la circonscription de Jean-Talon en 2019 est qualifiée d’historique. Pensez-vous vraiment qu’on va en parler dans dix, quinze, vingt ans? Poser la question, c’est y répondre.
Les marottes des médias prennent l’allure d’une épidémie dont le ridicule semble leur échapper. À un point tel que certains mots en deviennent galvaudés au point de perdre toute leur force expressive.
Cette tendance à l’hyperbole s’explique facilement par les exigences du style journalistique : un article ou un commentaire doit être vivant, se comprendre facilement, susciter l’intérêt du lecteur, mais on conviendra qu’il y a quand même certaines limites à respecter, notamment le sens des mots.
Le Larousse définit historique ainsi : « Qui est resté célèbre dans l’histoire ou qui mérite de le rester. » Le mot a donc un sens très fort qui appelle à une certaine retenue. Un évènement peut sembler important au moment où on le vit, mais seule… l’histoire tranchera.
Alors qu’est-ce qui est historique? Un évènement d’ENVERGURE, chers journalistes.
- Le krach boursier de 1929 avec les conséquences énormes qu’il a eues. La ruine des petits épargnants, un chômage massif et la prise du pouvoir par les fascistes en Allemagne et ce qui s’ensuit. Voilà qui est historique.
- La création du Marché commun européen est 1957 est historique parce qu’elle a ouvert la voie à la création de l’Union européenne.
- Le Brexit est également historique, car ce sera la première fois qu’un pays sort de l’Union européenne.
- Le rapatriement de la Constitution au Canada en 1982 est historique. Il a changé le visage du Canada à bien des égards.
- L’élection de Barack Obama aux États-Unis en 2008 est historique parce qu’il devenait le premier président noir.
- La tentative de coup d’État au Capitole, le 6 janvier 2021 est historique, car on parlera encore dans cent ans.
Avant de qualifier un évènement d’historique, nos scribes auraient intérêt à se demander si leurs descendants en parleront. Par exemple, un simple repli boursier, si marqué soit-il, ne peut être historique, si la Bourse remonte le mois suivant. Évidemment, la tentation de faire une manchette accrocheuse est plus forte que tout.
Et non, la triste saison des Canadiens de Montréal n’est PAS HISTORIQUE. Elle risque malheureusement de se répéter pendant les prochaines années.
Belle dénonciation de cette enflure (hyperbole en langue de la rue) journalistique et que le monde du sport en particulier a bien… dopée !
À ranger dans la même catégorie, l’inénarrable « symbolique » qui se promène de plus sans vergogne entre deux extrêmes sémantiques : le dérisoire et l’admirable (tiens, ça c’est un cas d’énantiosémie).
Sujet plus subjectif et moins technique que d’habitude, si je puis me permettre.
On peut, par exemple, contester le caractère historique de l’élection d’Obama. Non pour nier les mérites de Barack, mais en arguant que la condition des Noirs n’a guère évolué sous son mandat. Ou bien, un cran au-dessus dans la polémique, parce qu’il est métis (mulâtre, pour honorer par un mot qui sonne odieusement aujourd’hui l’exactitude de votre blogue)
Plus intéressante est la méta-question sous-jacente: le journalisme fait dans l’hyperbole pour vendre mais « il y a quand même certaines limites à respecter » : lesquelles ? Fixées par qui, de quel droit ? Ce n’est certes plus une question de langue et comprenez bien que je vous suis sur le fond. Vous restez même bien tendre, dans vos piques à l’encontre du système médiatique.
J’ai apprécié votre articulet publié sur le sujet dans le Devoir du jour (17 décembre 2020, p. A6).